Réf. : Cass. civ. 1, 5 octobre 2022, n° 20-23.629, F-D N° Lexbase : A11218NT
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N2973BZ7
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par Vincent Téchené
le 25 Octobre 2022
► La contrefaçon d’une œuvre de l’esprit peut être écartée lorsque les similitudes existant entre les deux œuvres procèdent d'une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d'une source d'inspiration commune, la preuve de la rencontre fortuite devant être rapportée par le contrefacteur prétendu par la production de tous éléments utiles.
Faits et procédure. Soutenant que deux chansons contrefaisaient la composition musicale, dont il est l'auteur, M. A a assigné M. B, tant en sa qualité d'auteur-compositeur qu'en sa qualité d'éditeur des deux œuvres arguées de contrefaçon, ainsi que le coauteur des arrangements et le coéditeur, aux fins d'obtenir réparation de l'atteinte prétendument portée à ses droits moraux et patrimoniaux .
Il a, ensuite, attrait à l'instance l’auteur d'une partie des paroles écrites en arabe de l'œuvre de l’une des deux œuvres prétendument contrefaisantes.
Par un arrêt 21 avril 2020, rendu sur renvoi après cassation (Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-11.944, FS-P+B+I N° Lexbase : A7904NR8, F. Fajgenbaum et Th. Lachacinski, Lexbase Affaires, octobre 2015, n° 441 N° Lexbase : N9523BUA), la cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 21 avril 2020, n° 16/00766 N° Lexbase : A93563KQ) a rejeté les demandes du titulaire de droits, lequel a formé un nouveau pourvoi.
Décision. La Cour de cassation va rejeter le pourvoi.
Elle rappelle d’abord qu’il résulte des articles L. 111-1 N° Lexbase : L2838HPS, L. 111-2 N° Lexbase : L3329ADN, L. 122-4 N° Lexbase : L3360ADS du Code de la propriété intellectuelle que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur celle-ci, du seul fait de sa création et indépendamment de toute divulgation publique, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, et que la contrefaçon de cette œuvre résulte, indépendamment de toute faute ou mauvaise foi, de sa seule reproduction et ne peut être écartée que lorsque celui qui la conteste démontre que les similitudes existant entre les deux œuvres procèdent d'une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d'une source d'inspiration commune.
Ainsi, la Haute juridiction relève que la cour d’appel a fort justement rappelé qu'il appartient à celui qui invoque l'existence d'une rencontre fortuite d'en rapporter la preuve par la production de tous éléments utiles. Et, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, sans accueillir une exception de bonne foi ni inverser la charge de la preuve, que la cour d'appel a estimé que le prétendu contrefacteur, auteur des deux chansons litigieuses, établissait que la chanson originale avait eu une diffusion limitée en Suisse sur la station « Radio Rhône », ainsi que dans un bar et des discothèques, et que, s’il s'est produit à Lausanne les 11 et 12 juin 1994, cette station n'y était pas reçue et les établissements en cause en étaient éloignés, de sorte qu'il n'en avait pas eu connaissance et que les similitudes entre les œuvres en cause résultaient d'une rencontre fortuite, exclusive d'une contrefaçon.
Dès lors, la Cour de cassation approuve l’arrêt d’appel et rejette en conséquence le pourvoi.
Observations. Les décisions concernant la notion de « rencontre fortuite » en droit d'auteur sont assez rares pour être relevées. On rappellera que la « rencontre » ou « réminiscence fortuite » est une création prétorienne (v. not. Cass. civ. 1, 16 mai 2006, n° 05-11.780, F-P+B N° Lexbase : A4574DP4, D., 2006, p. 2999, obs. P. Sirinelli ; Comm. com. électr., 2006, comm. 104, Ch. Caron ; v. aussi, Cass. civ. 1, 12 décembre 2000, n° 98-15.228, inédit N° Lexbase : A2944CST, RIDA, avril 2001, p. 347).
Pour présenter l'hypothèse des rencontres fortuites, on fait souvent référence au hasard. Les similitudes entre les œuvres résulteraient donc d'un concours de circonstances. Les « réminiscences issues d'une source d'inspiration commune », en revanche, ne sont pas réellement le fruit du hasard. Elles s'expliquent par le fait que les deux créations s'inspirant d'un même « fonds commun », par exemple d'un même folklore, elles vont presque inévitablement se ressembler alors même que l'auteur de l'œuvre seconde n'a pas voulu copier l'œuvre première.
Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation rappelle notamment qu’il appartient au contrefacteur prétendu de prouver qu'il n'a pu accéder à l'œuvre, les circonstances de l’espèce nous en offrant une illustration particulièrement intéressante (v. not., Cass. civ. 1, 2 octobre 2013, n° 12-25.941, F-P+B+I N° Lexbase : A1768KMG, C. Bernault, Lexbase Affaires, novembre 2013, n° 358 N° Lexbase : N9295BTG).
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