La lettre juridique n°536 du 18 juillet 2013 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Absence de délai entre entretien et signature de la rupture conventionnelle : que reste-t-il du droit des parties à se faire assister ?

Réf. : Cass. soc., 3 juillet 2013, n° 12-19.268, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5419KIK)

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N8072BT7

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 18 Juillet 2013

A un rythme régulier à défaut d'être intense, les précisions au régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail continuent d'être apportées par la Chambre sociale de la Cour de cassation comme l'illustre un arrêt rendu le 3 juillet 2013. Dans cette affaire, la Chambre sociale rappelle quelques règles qu'elle avait déjà eu l'occasion d'affirmer. Ainsi, l'appréciation d'une éventuelle altération du consentement des parties lors de la conclusion de la convention relève du pouvoir souverain des juges du fond. De la même manière, la Haute juridiction retient, à nouveau, que l'existence d'un différend entre les parties au moment de la conclusion de la convention ne suffit pas, à elle seule, à affecter la validité de la rupture. La décision présente cependant un intérêt supplémentaire en ce qu'elle permet d'affiner le régime de la négociation de la convention de rupture qui n'exige pas qu'un délai sépare l'entretien de négociation de la signature de la convention de rupture (I). Fort logique au regard des textes du Code du travail, cette solution a tout de même pour conséquence de sérieusement amoindrir l'efficience de la faculté légale d'assistance des parties au cours de l'entretien mais, aussi, de voir s'éloigner l'éventualité de l'introduction d'une obligation d'information sur le droit d'être assisté au cours du ou des entretiens (II).
Résumé

L'article L. 1237-12 du Code du travail (N° Lexbase : L8193IAP) n'instaure pas de délai entre, d'une part, l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat et, d'autre part, la signature de la convention de rupture conventionnelle.

L'existence d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la rupture conventionnelle.

Commentaire

I - L'affirmation de l'absence de délai obligatoire entre l'entretien et la conclusion de la rupture

  • Procédure de conclusion d'une rupture conventionnelle

La conclusion d'une rupture conventionnelle entre un employeur et un salarié est enserrée dans une procédure parfois lacunaire.

La négociation de la convention ne fait l'objet que de rapides développements. Aux termes de l'article L. 1237-12 du Code du travail, le principe de la rupture convenue doit être négocié au cours d'un ou de plusieurs entretiens réunissant les parties qui, à cette occasion, peuvent être assistées (1). La convention de rupture doit prévoir le montant de l'indemnité spéciale servie au salarié et la date de rupture du contrat de travail. La phase de négociation est en réalité fort peu encadrée si bien que les juges du fond acceptent, par exemple, que la convocation à l'entretien soit verbale (2).

La suite de la procédure est, en revanche, bien mieux détaillée : le salarié et l'employeur disposent d'un délai de rétractation de quinze jours après avoir conclu la convention. Une fois ce délai écoulé, l'une des parties peut adresser la convention à la DIRECCTE aux fins d'homologation. L'administration devra délivrer sa réponse dans un délai de quinze jours, le silence gardé valant homologation.

Deux types de délais semblent donc revêtir une importance particulière dans la procédure : le délai de rétractation, qui s'apparente à un droit de repentir du droit de la consommation d'une part, le délai d'homologation, d'autre part. Le cumul de ces deux durées permet qu'un délai d'un mois, au maximum, sépare la date de conclusion de la convention et la rupture effective du contrat de travail. Aucun délai n'est en revanche prévu pour séparer l'entretien de négociation de la conclusion de la convention de rupture.

  • Espèce

Un employeur et une salariée organisent un unique entretien le 1er mars 2010 et concluent, le jour même, une convention de rupture qui sera homologuée par l'administration du travail. La salariée saisit la juridiction prud'homale afin d'obtenir la requalification de la rupture en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. A cette fin, elle fait valoir plusieurs arguments.

Elle avance, tout d'abord, qu'un délai raisonnable est requis entre l'entretien et la signature de la convention de rupture, délai permettant de prendre les dispositions nécessaires afin de se faire assister. Elle prétend, ensuite, que la rupture a été conclue dans un contexte de pression et de manoeuvres exercées par son employeur afin de la voir accepter la rupture. Elle soutient, enfin, que la rupture a été conclue alors que les parties connaissaient un différend et que, partant, sa validité doit être remise en cause.

La cour d'appel de Poitiers, saisie de l'affaire, déboute la salariée de l'ensemble de ses demandes (3). La salariée forme un pourvoi en cassation. Par un arrêt rendu le 3 juillet 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la salariée et répond clairement et précisément à chacun des arguments présentés (4).

S'agissant du déni de l'existence de pressions ou de manoeuvres ayant forcé le consentement de la salariée, la Chambre sociale refuse de contrôler la situation factuelle et maintient sa position consistant à abandonner la question au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond (5).

S'agissant de l'existence d'un litige entre les parties au moment de la conclusion de la rupture, la Chambre sociale réitère, là encore, une position qu'elle a déjà plusieurs fois adoptée : "l'existence d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture" (6). Les termes "par elle-même" laissent clairement penser que l'existence d'un différend peut constituer un indice afin de démontrer que le consentement de l'une des parties a été vicié, mais qu'il ne suffit pas, seul, à démontrer l'insuffisance du consentement.

S'agissant, enfin, des délais de négociation et de conclusion de la convention, la Chambre sociale juge que "l'article L. 1237-12 du Code du travail n'instaure pas de délai entre, d'une part, l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat et, d'autre part, la signature de la convention de rupture prévue à l'article L. 1237-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI)". C'est cette question, en particulier, qui retiendra notre attention.

II - Les effets de l'absence de délai obligatoire entre l'entretien et la conclusion de la rupture

  • Une interprétation conforme aux textes

L'interprétation des textes opérée par la Chambre sociale s'agissant de l'absence de délai entre l'entretien et la signature de la convention de rupture est parfaitement rigoureuse. En effet, l'article L. 1237-12 du Code du travail prévoit que la rupture est négociée au cours d'un ou plusieurs entretiens et que c'est au cours de ce ou ces entretiens qu'est conclue la convention. Pris à la lettre, le texte implique donc qu'il est possible de n'organiser qu'un unique entretien au cours duquel la rupture est conclue (7).

Si la pierre ne peut donc être jetée au juge, la solution rendue met en exergue une des insuffisances les plus criantes du régime juridique de la rupture conventionnelle du contrat de travail en ce qu'il prive de fait les parties d'un droit qu'il leur est pourtant conféré.

  • L'effectivité très relative du droit à assistance

En principe, les parties peuvent être assistées au cours de l'entretien. Le salarié peut être assisté par un membre du personnel ou, en l'absence d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, par un conseiller du salarié. Lorsque le salarié est assisté, l'employeur peut lui aussi être assisté par un membre du personnel ou, si l'entreprise compte moins de cinquante salariés, par un membre de l'organisation patronale à laquelle il est adhérent ou, encore, par un autre employeur relevant de la même branche d'activité.

Ce droit à être assisté reste cependant lettre morte si les parties organisent un entretien et qu'au cours de celui-ci est conclue une rupture conventionnelle. En effet, contrairement à ce qui existe en matière de licenciement, l'employeur n'a aucune obligation de convoquer formellement le salarié à un entretien de négociation d'une rupture conventionnelle (8). De la même manière, le droit du licenciement impose à l'employeur d'informer le salarié du droit de se faire assister lors de l'entretien préalable, disposition qui n'a pas été reprise par le Code du travail s'agissant du ou des entretiens de rupture conventionnelle (9).

Il pourrait certes être objecté que le salarié, censé connaître ses droits, peut refuser de conclure la rupture conventionnelle au cours du premier entretien pour organiser son assistance lors d'un second. Il n'en reste pas moins que l'on peut se demander pourquoi un droit offert par le Code du travail en matière de licenciement donne lieu à information alors que le même droit prévu s'agissant de la rupture conventionnelle est dépourvu d'une telle publicité. L'adage "nul n'est censé ignorer la loi" ne peut donc être avancé sauf à considérer qu'il est à géométrie variable.

A cela s'ajoute, encore que l'on peut se demander si le consentement donné par le salarié à la rupture conventionnelle est pleinement valable alors même qu'il n'a pas été informé de la teneur de l'entretien et qu'il n'a pas eu, de fait, la possibilité effective d'être assisté.

  • Le rejet implicite de l'obligation précontractuelle d'information

Si les textes sont donc clairement insuffisants ou, du moins, qu'ils sont inopérants puisqu'ils ne permettent pas que le droit à assistance qu'ils prescrivent soit effectif, on pouvait espérer que la Chambre sociale introduise une obligation d'information dans le processus de négociation puisqu'une telle obligation a souvent été ajoutée à de nombreux contrats avant la rupture conventionnelle (10). Si la décision commentée ne prend pas expressément partie sur cette question, faute d'ailleurs qu'elle lui soit posée, elle permet tout de même de douter que la Chambre sociale s'engage sur ce terrain alors pourtant qu'il s'agirait là d'une interprétation rendant la loi plus effective, permettant la réalité de l'assistance au cours de l'entretien.

Bien sûr, on pourrait craindre que le "forçage" de la négociation par l'introduction d'une obligation d'information préalable ait des effets trop importants puisque, l'obligation n'étant pas prévue par la loi, les parties ne l'auraient presque jamais anticipée. Il est cependant possible de modérer les effets d'une telle introduction, d'abord en refusant que le manquement à l'obligation d'information puisse avoir à lui seul pour effet d'affecter la validité de la rupture. Le manquement à l'obligation serait sanctionnée comme un manquement à la loyauté précontractuelle sauf à démontrer l'existence d'une altération concomitante du consentement. Pour limiter les effets d'une telle position, il serait encore envisageable de moduler dans le temps les effets de l'introduction de cette obligation nouvelle même s'il est vrai que la Chambre sociale hésite souvent à utiliser un tel procédé (11).


(1) Rappelons cette particularité du texte qui prévoit que l'employeur ne peut se faire assister qu'à la condition que le salarié soit lui-même assisté.
(2) CA Riom, 16 octobre 2012, n° 11/01589 (N° Lexbase : A5247IUU). Autre exemple de cette absence de formalisme, l'entretien de rupture conventionnelle peut valablement avoir lieu dans un bar, v. CA Bourges, 9 novembre 2012, n° 11/01636 (N° Lexbase : A6499IWM).
(3) CA Poitiers, 14 mars 2012, n° 11/04281 (N° Lexbase : A6315IEM).
(4) Le pourvoi incident formé par l'employeur s'agissant de l'existence d'un préjudice justifiant l'allocation d'une somme de cinq cents euros est lui aussi rejeté pour des raisons procédurales, l'argument n'ayant pas au préalable été présenté en cause d'appel.
(5) Elle jugeait déjà, le 29 janvier 2013, que "la cour d'appel a souverainement estimé que la salariée était au moment de la signature de l'acte de rupture conventionnelle dans une situation de violence morale", Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, Lexbase Hebdo n° 516 du 14 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5793BTQ) ; RDT, 2013, p. 258, obs. F. Taquet ; JCP éd. S, 2013, 1112 , obs. C. Leborgne-Ingelaere.
(6) V. déjà Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9246KDS) et nos obs., La rupture conventionnelle conclue avec l'avocat collaborateur salarié, Lexbase Hebdo n° 529 du 30 mai 2013 - édition professions (N° Lexbase : N7295BTD) ; JCP éd. G, 2013, 834, obs. D. Corrignan-Carsin. Adde. Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-15.208, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2990KIL).
(7) La solution avait déjà été adoptée par quelques juridictions du fond, v., par ex., CA Angers, 21 mai 2013, n° 11/00690 (N° Lexbase : A7035KDW).
(8) C. trav., art. L. 1232-2 (N° Lexbase : L1075H9P).
(9) C. trav., art. L. 1232-4 (N° Lexbase : L1079H9T).
(10) V. déjà, nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, préc..
(11) V. par ex. Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 08-45.242, F-P+B ([LXB=A2407GNH ]) et les obs. de Ch. Radé, La Chambre sociale de la Cour de cassation et l'application dans le temps de sa propre jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 423 du 13 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0481BRA).

Décision

Cass. soc., 3 juillet 2013, n° 12-19.268, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5419KIK)

Rejet, CA Poitiers, 14 mars 2012, n° 11/04281N° (N° Lexbase : A6315IEM)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et art. L. 1237-12 (N° Lexbase : L8193IAP)

Mots-clés : rupture conventionnelle, entretien, signature de la convention, délai (non)

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