La lettre juridique n°536 du 18 juillet 2013 : Éditorial

L'imbroglio de la saisie conservatoire en matière pénale : micmac ou tactique ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Le rapport parlementaire sur le projet de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale rappelait que, sous l'Ancien Régime, la confiscation générale constituait une peine accessoire de la peine de mort et les juridictions seigneuriales y recouraient fréquemment. Et, en vertu de l'adage de Loisel selon lequel "qui confisque le corps confisque les biens", cette peine n'accompagnait plus que les peines capitales à partir du XIVème siècle. A la Révolution, la confiscation générale des biens fut abolie au nom du principe de la personnalité des peines par le Code pénal de 1791. Elle fut, ensuite, réintroduite par le décret du 10 mars 1793 organisant le tribunal révolutionnaire et maintenue à titre de peine principale par le Code pénal de 1810. Plusieurs fois supprimée par les différents textes constitutionnels du XIXème siècle, elle fut ponctuellement réappliquée à partir de 1918 pour des cas précis tels que les traîtres et les déserteurs au lendemain de la première Guerre mondiale, ou les collaborateurs en 1944. Enfin, les articles 37 et suivants de l'ancien Code pénal prévoyaient jusqu'en 1994 la confiscation générale comme peine complémentaire pour les crimes contre la sûreté de l'Etat.

Mais, on notera que, d'un point de vue pénal donc, le caractère conservatoire d'une saisie, c'est-à-dire ordonnée sans attendre le prononcé d'une quelconque peine, est un trait relativement récent. Et c'est bien la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 qui développe, dès le stade de l'enquête et de l'instruction, les possibilités de saisie patrimoniale, afin d'assurer la pleine effectivité des peines de confiscation susceptibles d'être ordonnées au moment du jugement. La loi de 2010 a donc étendu les possibilités de saisie à l'ensemble des biens susceptibles d'être confisqués ce qui permet, d'une part, de marquer très clairement le lien entre saisie et confiscation et, d'autre part, de préciser la nature des biens saisissables (biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels) dans un souci de clarification. Inscrites aux articles 706-141 à 706-157 du Code de procédure pénale, ces dispositions permettent d'appréhender, du moins fictivement, l'ensemble des biens corporels et incorporels intéressant le patrimoine d'un prévenu accusé, notamment, d'escroquerie en bande organisée.

Si la question de la saisissabilité des assurances-vie peut faire grand bruit en matière civile, au regard de l'impossibilité de principe de saisir des biens ou capitaux qui n'appartiennent plus au débiteur (sauf exception caractérisée de fraude), dans le cadre notamment d'une stipulation pour autrui telle que le contrat d'assurance-vie, cette même question n'a pas lieu d'être en matière pénale, sous réserve de certaines conditions. L'article 706-155, alinéa 2, du Code de procédure pénale dispose, en effet, que "lorsque la saisie porte sur une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie, elle entraîne la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de nantissement de ce contrat, dans l'attente du jugement définitif au fond. Cette saisie interdit également toute acceptation postérieure du bénéfice du contrat dans l'attente de ce jugement et l'assureur ne peut alors plus consentir d'avances au contractant. Cette saisie est notifiée au souscripteur ainsi qu'à l'assureur ou à l'organisme auprès duquel le contrat a été souscrit". Par conséquent, la loi pénale prévoit bien, dans le cadre d'ouverture des saisies des articles 706-141 à 706-157 du Code de procédure pénale, que les assurances-vie puissent faire l'objet d'une telle procédure. Il n'est point besoin d'attendre une éventuelle disposition figurant dans le projet de loi sur la transparence et l'évasion fiscale, examinée actuellement par le Parlement, pour asseoir une telle confiscation, ou plus précisément, dans le cadre conservatoire, un tel "gel". D'ailleurs, la Cour de cassation a, déjà, eu l'occasion de se prononcer sur le sujet, en précisant que, si l'article 706-155 du Code de procédure pénale permet au juge d'instruction, dans l'attente d'un jugement sur le fond, de suspendre les facultés de rachat, de renonciation et de nantissement des créances figurant sur un contrat d'assurance sur la vie, le juge d'instruction ne peut pas procéder, en application de l'article 706-153 du même code, à la saisie des sommes placées sur de tels comptes qui correspondent, au sens de l'article 131-21, alinéa 3, du Code pénal, aux produits directs ou indirects de l'infraction poursuivie. Le cadre de saisie des assurances-vie est donc formel et protégé de manière exégétique par les Hauts juges.

Bien évidemment, ce "gel" des assurances-vie, comme celui des comptes bancaires, du prévenu éventuellement saisi ne permet pas l'emploi des fonds en cause ; et lorsque ces derniers soutiennent une entreprise en pleine difficulté financière, on ne peut être que sensible aux craintes et contestations formulées, non plus par le seul prévenu, mais par ces créanciers directs et indirects. L'Etat dispose d'une arme redoutable qui le place en tête des créanciers susceptibles de recouvrer leurs créances ou amendes. Mais rappelons que les biens sont désormais saisis par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), établissement public sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget, mais également gérés par elle. Donc, rien n'empêche une gestion précautionneuse dans l'intérêt de l'Etat mais aussi des salariés superprivilégiés de l'entreprise du prévenu qui, lui même, reste aux commandes de son activité. L'agence pourra même réaliser, dans la limite du mandat qui lui est confié, tous les actes juridiques et matériels nécessaires à la conservation, l'entretien et la valorisation des biens, y compris les parts sociales saisies de l'entreprise en cause...

Tout ceci pour permettre de replacer dans son contexte, si besoin est, l'extraordinaire feuilleton des saisies conservatoires ordonnées sur l'ensemble du patrimoine d'un actuel patron de presse et néanmoins bénéficiaire d'un arbitrage présumé trop avantageux.

"Si le vassal ne venait point faire foi et hommage, s'il ne s'acquittait point des droits de mutation [...] dans un délai qui était ordinairement de quarante jours, et s'il n'avait pas obtenu souffrance, c'est-à-dire la prorogation de ce délai, il y avait lieu à la saisie féodale. Selon le langage énergique des coutumes, le seigneur mettait la main sur le fief, et faisait les fruits siens jusqu'au jugement de réintégration, ou jusqu'à la prescription acquise par le seigneur contre le vassal" (François Frédéric Poncelet et Pierre Nicolas Rapetti, Précis de l'Histoire du droit civil en France, p. 88).

Où tout est affaire de vassalité vis-à-vis du Pouvoir en fait...

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