La lettre juridique n°536 du 18 juillet 2013 : Expropriation

[Chronique] Chronique de droit de l'expropriation - Juillet 2013

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N8057BTL

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE)

le 23 Octobre 2014

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit de l'expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE). Elle traitera, tout d'abord, d'un arrêt rendu le 20 mars 2013 par lequel la Cour de cassation retient que le passage d'un plan d'occupation des sols à un plan local d'urbanisme n'a pas d'incidence sur le droit de préemption urbain, ni sur la détermination de la date de référence pour la fixation des indemnités d'expropriation (Cass. civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-19.239, FS-P+B). Dans la deuxième décision commentée, la Cour suprême précise que, si l'ordonnance d'expropriation éteint le droit au bail, elle ne fait pas disparaître le fonds de commerce (Cass. civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-28.788, FS-P+B). Enfin, dans le troisième arrêt étudié, les juges du Quai de l'Horloge rappellent que la renonciation par des expropriés à leur droit au relogement ne peut pas être tacite (Cass. civ. 3, 27 février 2013, n° 12-11.995, FS-P+B).
  • Le passage d'un plan d'occupation des sols à un plan local d'urbanisme n'a pas d'incidence sur le droit de préemption urbain, ni sur la détermination de la date de référence pour la fixation des indemnités d'expropriation (Cass. civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-19.239, FS-P+B N° Lexbase : A5805KAA)

Dans son arrêt n° 11-19.239 du 20 mars 2013, la troisième chambre civile de la Cour de cassation apporte une précision utile sur les conséquences de l'adoption d'un plan local d'urbanisme sur une délibération établissant le droit de préemption urbain en application du plan d'occupation des sols anciennement en vigueur. Une commune avait instauré le 30 juin 1987 un droit de préemption urbain sur la totalité de son territoire, conformément au document d'urbanisme alors en vigueur. Par la suite, un arrêté préfectoral du 9 juillet 2003 avait déclaré d'utilité publique la création d'une réserve foncière et avait autorisé un EPA à acquérir les terrains nécessaires à cette opération. Une délibération du conseil municipal de la commune du 24 septembre 2007 est alors intervenue pour approuver un plan local d'urbanisme, se substituant à l'ancien plan d'occupation des sols. La première question qui se pose en l'espèce consiste à déterminer si la disparition du plan d'occupation des sols devait entraîner celle du droit de préemption urbain (I). Après avoir répondu par la négative à cette question, les juges appliquent au cas d'espèce les règles qui permettent de déterminer la date de référence pour la fixation des indemnités d'expropriation concernant des biens soumis à préemption (II).

I - Le passage du plan d'occupation des sols au plan local d'urbanisme n'entraîne pas la caducité de la délibération instituant le droit de préemption urbain

La Cour de cassation constate d'abord qu'aucune disposition du Code de l'urbanisme ne prévoit expressément la caducité de la délibération instituant le droit de préemption urbain au passage du plan d'occupation des sols au plan local d'urbanisme. L'article L. 211-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3035IDR) se borne en effet à préciser que "les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par ce plan". En conséquence, l'existence d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan local d'urbanisme est nécessaire à l'institution du droit de préemption urbain.

En revanche, le texte ne précise rien concernant l'hypothèse d'un passage du plan d'occupation des sols (ou d'un plan local d'urbanisme) à un nouveau plan local d'urbanisme. Il a seulement été jugé qu'en cas d'annulation de l'acte rendant public ou portant approbation du plan, la délibération portant institution d'un droit de préemption urbain sur les zones délimitées par le plan d'occupation des sols ou le plan local d'urbanisme sera également considérée comme illégale (1). Cette solution est toutefois contestée par certaines juridictions du fond qui considèrent que l'institution du droit de préemption urbain ne constitue pas un acte d'application du plan local d'urbanisme ou du plan d'occupation des sols. Il en résulte que pour ces juridictions, la constatation par le juge de l'excès de pouvoir de l'illégalité d'une disposition du plan n'entraîne pas de plein droit celle de l'acte qui institue le droit de préemption (2). La jurisprudence demeure toutefois assez incertaine sur cette question. Ainsi, dans un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 12 novembre 1997 (3), il a été jugé que, si "la constatation par le juge de l'illégalité d'une disposition du plan d'occupation des sols n'entraîne pas de plein droit celle de l'acte instituant un droit de préemption urbain qui est intervenu sous l'empire de ce plan [...]", il en en va autrement dans le "cas où cette illégalité affecte une disposition ayant pour objet de rendre possible cet acte", ce qui concerne principalement l'hypothèse où elle porterait sur un classement erroné de parcelles en zone urbaine ou zone d'urbanisation future.

En l'espèce, il ne s'agissait toutefois pas d'annulation d'un plan d'occupation des sols mais de sa sortie de vigueur du fait de l'approbation d'un nouveau plan local d'urbanisme. Dans cette hypothèse précise, les juges considèrent, dans le silence des textes, que le passage à un nouveau plan local d'urbanisme n'emporte pas la caducité de la délibération instituant le droit de préemption urbain. Il n'en irait autrement, très certainement, que dans l'hypothèse où ce plan rendrait impossible l'exercice du droit de préemption urbain. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, les juges précisant au contraire que les documents graphiques joints au plan local d'urbanisme faisaient expressément référence au droit de préemption urbain précédemment institué.

II - La détermination de la date de référence pour la fixation des indemnités d'expropriation

L'existence du droit de préemption urbain étant reconnue, il s'agissait ensuite pour les juges de fixer la date à laquelle les bien préemptés devaient être évalués, ce qui posait beaucoup moins de difficultés. Lorsque l'expropriation porte sur des biens soumis à préemption, la date de référence doit être déterminée en fonction des règles définies par les dispositions combinées des articles L. 213-6 (N° Lexbase : L7388ACM) et L. 213-4 (N° Lexbase : L4939IMU) du Code de l'urbanisme. Selon l'article L. 213-4, pour les biens qui ne sont pas situés dans une zone à aménagement différé, la date de référence est celle "à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien". Par conséquence, c'est la date du 24 septembre 2007, c'est-à-dire celle à laquelle le plan local d'urbanisme délimitant la zone dans laquelle les biens étaient situés avait été approuvé et était devenu opposable aux tiers, qui doit être prise en compte comme date de référence pour l'évaluation des biens expropriés. Le pourvoi formé par l'EPA est donc rejeté.

  • Si l'ordonnance d'expropriation éteint le droit au bail, elle ne fait pas disparaître le fonds de commerce (Cass. civ. 3, 20 mars 2013, n° 11-28.788, FS-P+B [LXB=A5818KAQ)])

Selon l'article L. 12-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2906HL9), "l'ordonnance d'expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés". Si ces dispositions impliquent notamment l'extinction du droit au bail, elle n'emporte pas automatiquement la disparition du fonds de commerce, comme le précise dans la présente affaire la Cour de cassation. En l'espèce, le juge de l'expropriation avait transféré la propriété d'un immeuble dans lequel était exploité un commerce de peinture décoration et revêtement de sols et murs. Mais postérieurement à la publication au bureau des hypothèques de l'ordonnance d'expropriation, l'exploitant avait cédé son fonds de commerce à une société. La commune a alors considéré qu'elle n'était redevable d'aucune indemnité d'éviction à l'égard de cette société, au motif que l'effet extinctif des droits réels et personnels de l'ordonnance d'expropriation s'opposait au transfert de droits sur le fonds de commerce après que celle-ci a été prononcée.

La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel (4) qui avait fait droit à la demande de la commune. Elle rappelle que "l'ordonnance d'expropriation, qui éteint le droit au bail, ne fait pas disparaître le fonds de commerce et que la cession de ce fonds emporte, sauf clause contraire incluse dans l'acte, cession de la créance d'indemnité d'éviction due au cédant".

Si c'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation est amenée à se prononcer sur cette question, il est utile de relever que cette solution est conforme à une jurisprudence ancienne du Conseil d'Etat qui a toujours opéré cette distinction entre droit au bail et fonds de commerce dans des arrêts concernant des officines pharmaceutiques. Dans un arrêt "Fauroux-Lionnet" du 6 décembre 1967 (5), la juridiction administrative suprême avait ainsi considéré qu'était légal un arrêté préfectoral autorisant une pharmacienne à transférer son officine à la suite de l'expropriation de l'immeuble dans lequel elle était exploitée. Les juges ont estimé que la licence demeurait attachée au fonds de commerce, lequel n'avait pas disparu du fait de l'expropriation. Cette solution avait été ensuite confirmée dans un arrêt "Rollet et a." du 6 avril 1979 (6). Dans cette affaire, les juges confirment que, "si l'ordonnance d'expropriation [...] portant sur un immeuble dans lequel une officine de pharmacie était exploitée a éteint par elle-même et à sa date tous les droits personnels existant sur l'immeuble exproprié, et notamment le droit au bail détenu par l'exploitant de l'officine, cette circonstance n'a pas eu pour effet de faire disparaître le fonds de commerce dont celui-ci restait propriétaire, quel que soit le montant des indemnités pour éviction décidé par le juge de l'expropriation".

  • La renonciation par des expropriés à leur droit au relogement ne peut pas être tacite (Cass. civ. 3, 27 février 2013, n° 12-11.995, FS-P+B N° Lexbase : A8831I8L)

Dans un arrêt du 27 février 2013, la troisième chambre civile de la Cour de cassation apporte des précisions utiles sur l'application des dispositions du Code de l'expropriation relatives au droit au relogement des personnes expropriées (7). L'article L. 14-1 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2957HL4) fait en effet bénéficier d'un droit de priorité pour le relogement les propriétaires occupant des locaux d'habitation. Cette priorité peut s'exercer selon plusieurs modalités différentes : pour le relogement en qualité de locataires dans un local soumis à la législation sur les HLM ou dans un local dont le loyer n'excède pas celui d'un local HLM de même consistance ; pour l'accession à la propriété au titre de la législation applicable en matière d'HLM ainsi que pour l'octroi, le cas échéant, des prêts correspondants ; sur un local de type analogue situé dans la même commune ou une commune limitrophe lorsque l'expropriation a porté sur une maison individuelle. Dans tous les cas, le texte fixe comme condition que les ressources des personnes concernées ne doivent pas excéder les plafonds fixés pour l'attribution de logements construits en application de la législation relative aux HLM. Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, l'article R. 14-10 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3235HLE) précise qu'il ne peut être offert de local de relogement au propriétaire occupant d'un immeuble exproprié que si cette offre a été acceptée par celui-ci avant que ne soit rendu le jugement fixant les indemnités. Il s'agit ainsi, comme le précise le même article, de permettre au juge de l'expropriation et le cas échéant à la chambre de l'expropriation statuant en appel, de tenir compte de ce relogement lors de la fixation des indemnités d'expropriation. La question qui se pose en l'espèce consiste à déterminer si la renonciation par des expropriés de leur droit au relogement peut être seulement tacite et résulter de l'absence de débat sur cette question devant le juge de l'expropriation, avant que ne soit rendu ce jugement.

Les requérants avaient été expropriés d'un immeuble au profit de la communauté urbaine de Bordeaux. L'indemnité d'expropriation avait été fixée par le juge qui l'avait calculée sur une valeur libre de toute occupation. Les anciens propriétaires refusant de quitter les lieux, la communauté urbaine de Bordeaux a alors demandé leur expulsion au juge de l'expropriation, compétent pour statuer en référé en application des dispositions des articles R. 13-39 (N° Lexbase : L3158HLK) et R. 14-11 (N° Lexbase : L3236HLG) du Code de l'expropriation (8). L'expulsion a été prononcée par la chambre des expropriations de la cour d'appel de Bordeaux dans un arrêt du 30 novembre 2011 (9).

La juridiction d'appel avait fait une application souple des dispositions de l'article R. 14-10 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3235HLE) concernant les modalités de la renonciation de leur droit au relogement par les propriétaires. Elle avait relevé que l'indemnité avait été fixée sans que les parties n'évoquent la question du relogement dans le débat contentieux. La juridiction d'appel avait alors considéré que les propriétaires avaient implicitement renoncé à leur droit au relogement. La demande de relogement présentée postérieurement au jugement de fixation des indemnités était donc considérée comme tardive.

Cependant, la cour relève qu'avant que n'ait été rendu ce jugement, la communauté urbaine de Bordeaux avait fait deux propositions de logement aux requérants, portant sur des locaux satisfaisant aux normes visées par l'article L. 314-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7429AC7). Rappelons ici que ces dispositions se réfèrent aux normes d'habitabilité définies par application du troisième alinéa de l'article L. 322-1 du Code de la construction et de l'habitation aujourd'hui abrogé, ainsi qu'aux conditions prévues à l'article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement (N° Lexbase : L4772AGT).

La Cour de cassation, après avoir relevé qu'il n'est pas contesté que les requérants bénéficiaient d'un droit au relogement, considère que les expropriés n'ont pas renoncé de façon "claire et non équivoque à leur droit". En d'autres termes, le fait que la question du relogement n'ait pas été abordée durant les débats devant le juge de l'expropriation chargé de fixer l'indemnité ne saurait été assimilé à une renonciation implicite à ce droit. En effet, d'une part, l'exproprié n'avait aucune obligation de faire mention devant le juge de sa demande de relogement, cette demande n'étant pas un préalable à l'exercice de ce droit au regard des textes applicables. D'autre part, et en sens contraire, c'est à l'expropriant qu'il appartenait d'aviser le même juge qu'il avait proposé des solutions de relogement en faveur des expropriés. En conséquence, la Cour casse l'arrêt contesté et renvoie les parties devant la chambre des expropriations de la cour d'appel de Bordeaux.


(1) CE, S., 1er décembre 1993, n° 136705, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1608ANU), AJDA, 1994, p. 152, concl. J. Arrighi de Casanova ; CAA Marseille, 1ère ch., 23 avril 2010, n° 08MA01384, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8837EW9).
(2) CAA Nantes, 2ème ch., 12 novembre 1997, n°165073, n° 94NT00912, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2458BHI), Rec. CE, 1997, p. 1122, AFDUH, 1999, p. 317, chron. J.-F. Struillou ; CAA Douai, 1ère ch., 22 avril 2010, n° 09DA00266, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1421EXW).
(3) CAA Nantes, 2ème ch., 12 novembre 1997, n°165073, n° 94NT00912, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(4) CA Versailles, 4ème ch., 22 novembre 2011, n° 11/02194 (N° Lexbase : A8626IB4).
(5) CE, S., 6 décembre 1967, n° 63518, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4602B7L), Rec. CE, p. 471.
(6) CE 1° et 4° s-s-r., 6 avril 1979, n° 08753, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4204B7T), Rec. CE, p. 760.
(7) Voir également Cass. civ. 3, 27 février 2013, n° 12-11.996, FS-D (N° Lexbase : A8882I8H).
(8) Cass. civ. 3, 4 novembre 2009, n° 08-17.381 (N° Lexbase : A8108EMA), Bull. civ. III, 2009, n° 243.
(9) CA Bordeaux, 30 novembre 2011, n° 11/01795 (N° Lexbase : A2319H3B).

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