Le Quotidien du 5 août 2022 : Maritime

[Brèves] Contrôle des navires d’organisations humanitaires exerçant une activité de sauvetage de personnes : précisions sur les pouvoirs de l’État du port

Réf. : CJUE, 1er août 2022, aff. C-352/20 N° Lexbase : A45108DE

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N2436BZA

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par Vincent Téchené

le 04 Août 2022

► Les navires d’organisations humanitaires exerçant une activité systématique de recherche et de sauvetage de personnes en mer peuvent faire l’objet d’un contrôle par l’État du port ;

Cependant, l’État du port peut uniquement adopter des mesures d’immobilisation en cas de risque manifeste pour la sécurité, la santé ou l’environnement, ce qu’il lui incombe de démontrer.

Faits et procédure. Une organisation humanitaire ayant son siège à Berlin (Allemagne) exerce une activité systématique de recherche et de sauvetage de personnes en mer au moyen de navires dont elle est propriétaire et exploitante. Au cours de l’été 2020, deux de ses navires ont effectué des opérations de sauvetage et débarqué des personnes sauvées en mer dans les ports italiens. Ils ont ensuite fait l’objet d’inspections de la part des capitaineries de ces ports, motivées par le fait qu’ils n’étaient pas certifiés pour une activité de recherche et de sauvetage en mer et qu’ils avaient recueilli à bord un nombre de personnes largement supérieur à celui autorisé. Ces capitaineries ont aussi estimé qu’il existait des défaillances techniques et opérationnelles créant un risque manifeste pour la sécurité, la santé ou l’environnement et nécessitant l’immobilisation des navires. L’organisation humanitaire a alors introduit, devant le tribunal administratif régional pour la Sicile, deux recours tendant à l’annulation de ces mesures. Dans ce cadre, elle a fait valoir que les capitaineries avaient excédé les pouvoirs dont disposent les autorités de l’État du port, tels qu’ils résultent de la Directive n° 2009/16, du 23 avril 2009, relative au contrôle par l’État du port N° Lexbase : L2935IEG, interprétée à la lumière du droit international. Le juge italien pour a  posé à la Cour des questions préjudicielles visant à clarifier l’étendue des pouvoirs de contrôle et d’immobilisation de l’État du port sur les navires exploités par les organisations humanitaires.

Décision. Dans son arrêt rendu ce jour, la Cour, statuant en grande chambre, juge, en premier lieu, que la Directive n° 2009/16 est applicable, en principe, à tout navire qui se trouve dans un port ou dans les eaux relevant de la juridiction d’un État membre et qui bat le pavillon d’un autre État membre, y compris les navires exploités par les organisations humanitaires.

En deuxième lieu, la Cour souligne que la Directive précitée, dont l’objectif est de faire mieux respecter les normes de droit international et la législation de l’Union relatives à la sécurité et à la sûreté maritimes, à la protection du milieu marin ainsi qu’aux conditions de vie et de travail à bord, doit être interprétée en tenant compte des règles de droit international dont le respect s’impose aux États membres, à commencer par la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer. Il en ressort, selon la Cour, que le nombre de personnes à bord, même largement supérieur à celui autorisé, ne peut donc pas constituer, à lui seul, un motif justifiant un contrôle. Toutefois, une fois qu’un tel navire a terminé de débarquer ou de transborder ces personnes dans un port, l’État du port a le pouvoir de le soumettre à une inspection visant à contrôler le respect des règles de sécurité en mer. À cette fin, il faut que cet État démontre, de façon concrète et circonstanciée, l’existence d’indices sérieux d’un danger pour la santé, la sécurité, les conditions de travail à bord ou l’environnement. C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe de veiller au respect de ces exigences.

En troisième lieu, en ce qui concerne l’étendue des pouvoirs de l’État du port, la Cour considère que ce dernier est en droit, pour démontrer l’existence d’indices sérieux d’un danger, de tenir compte du fait que des navires classés et certifiés comme navires de charge par l’État du pavillon sont, en pratique, utilisés aux fins d’une activité systématique de recherche et de sauvetage de personnes. En revanche, l’État du port n’a pas le pouvoir d’exiger la preuve que ces navires disposent d’autres certificats que ceux délivrés par l’État du pavillon ou qu’ils respectent l’ensemble des prescriptions applicables à une autre classification. Par ailleurs, dans le cas où l’inspection révélerait l’existence d’anomalies, l’État du port a le pouvoir d’adopter les mesures correctives qu’il estime nécessaires. Cependant, celles-ci doivent, en tout état de cause, être adéquates, nécessaires et proportionnées. Par ailleurs, l’État du port ne peut pas conditionner la levée de l’immobilisation d’un navire à la condition que ce navire dispose de certificats autres que ceux délivrés par l’État du pavillon.

Enfin, dans le cas où il serait démontré, à l’issue d’une inspection menée par les autorités de l’État du port, qu’un navire battant le pavillon d’un autre État membre présente des anomalies engendrant un danger pour la sécurité en mer, voire un danger manifeste justifiant son immobilisation, la Cour souligne l’importance du principe de coopération loyale, selon lequel les États membres, dont celui ayant la qualité d’État du port et celui ayant la qualité d’État du pavillon, sont tenus de coopérer ainsi que de se concerter dans l’exercice de leurs pouvoirs respectifs.

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