Le Quotidien du 9 août 2022 : Avocats/Honoraires

[Focus] Une société peut-elle payer les frais d'avocat de son dirigeant ?

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par Gaëlle Deharo, Full Professor - ESCE international Business School, Centre de recherche sur la justice et le procès - OMNES Education research center

le 05 Août 2022

Mots-clés : focus • avocat • honoraires • frais • société 


 

La question de la rémunération de l’avocat s’inscrit dans un cadre normatif défini par l’article 10 de loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ, les articles 174 et suivants du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991 N° Lexbase : L8168AID, les articles 10 et suivants du décret 2005-790, du 12 juillet 2005 N° Lexbase : L6025IGA et l’article 11 du Règlement Intérieur National N° Lexbase : L4063IP8. Si ces dispositions envisagent la détermination du montant des honoraires, l’organisation du contentieux portant sur ceux-ci et les modalités de recouvrement, la matière n’en recèle pas moins un contentieux abondant tenant, notamment, à l’évolution [1] et à la diversité des relations entre l’avocat et son client.

Plus spécifiquement, la question ici posée est la suivante : une société peut-elle payer les frais d'avocat de son dirigeant ?  

Il est courant de relever que la question des honoraires d’avocat est au confluent du droit des contrats et du droit spécial applicable aux avocats, mais la question ici posée interroge l’articulation du droit des contrats, du droit spécial applicable aux avocats et du droit des sociétés. Plus précisément, la question renvoie à l’hypothèse dans laquelle la société s’engage à prendre en charge les honoraires de l’avocat intervenant pour la défense des intérêts du dirigeant au bénéfice duquel la prestation de l’avocat est effectuée. L’opération que représente la défense des intérêts du dirigeant concerne alors trois parties distinctes unies par une convention indivisible [2] : l’avocat, le dirigeant et la société. La jurisprudence a précisé que la convention d’honoraires conclue dans ce cadre n’est pas une convention réglementée [3], mais sa validité doit néanmoins être appréciée sous l’éclairage des dispositions applicables à la profession d’avocat, du droit des contrats et du droit des sociétés. 

La prise en charge des frais d’avocat sous l’éclairage des dispositions applicables à la profession d’avocat

Il n’existe pas de dispositions spéciales relatives à la prise en charge des honoraires par une société. Il convient cependant de souligner que le dirigeant peut solliciter l’avocat en son nom personnel, en sa qualité de dirigeant ou en qualité de représentant de la société. Toute la difficulté est alors de déterminer selon quelle qualité il a fait appel à l’avocat : l’hypothèse renvoie alors à la détermination du débiteur. La jurisprudence a précisé que celle-ci ne relève pas de la procédure spéciale de contestation des honoraires d’avocats. Aussi, le juge de l’honoraire saisi d’une contestation relative à l’identité du débiteur des honoraires doit surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction compétente pour en connaitre [4]. Sous cet éclairage, le droit spécial de la profession d’avocat ne permet donc pas d’apporter une réponse univoque à la question de la prise en charge des frais d’avocat par la société.

La question doit encore être appréciée à l’aune des obligations déontologiques de l’avocat ; exerçant sa mission en toute indépendance, l’avocat ne saurait se trouver placé dans une situation de dépendance économique [5] à l’égard de la société.

La prise en charge des frais d’avocat sous l’éclairage des dispositions du droit des contrats

Selon l’article 1128 du Code civil N° Lexbase : L1228AB4, trois conditions sont essentielles pour la validité de la convention : le consentement de la partie qui s’oblige, sa capacité de contracter et un objet certain qui forme la matière de l’engagement. Ces différentes conditions s’imposent non seulement à la convention d’honoraires déterminant la rémunération de l’avocat, mais également à la clause prévoyant que la société prend en charge les honoraires de l’avocat. Il convient de préciser ici que la société peut fixer un plafond des honoraires pris en charge [6].

L’obligation de paiement mise à la charge de la société doit être appréciée sous l’éclairage du droit des sociétés : d’une part, la société doit avoir régulièrement accepté la prise en charge des honoraires, d’autre elle doit disposer de la capacité juridique et son représentant doit disposer du pouvoir d’agir dans ce cadre, enfin l’objet de la convention ne doit pas contrevenir à l’intérêt social.

La prise en charge des frais d’avocat sous l’éclairage des dispositions du droit des sociétés

Au risque d’une tautologie, il convient de rappeler que la société, personne morale, est apte à être titulaire de droits propres qu’elle exerce par l’intermédiaire d’un organe de direction agissant en son nom et pour son compte. Dans ce cadre, le dirigeant accomplit sa mission dans le respect des lois et règlements en vigueur, avec diligence et compétence, et doit rendre compte des fautes commises dans sa gestion. De façon générale, le principe se dégage que le dirigeant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société dans le respect de l’objet social de cette dernière.

Application : l’intérêt social

En principe, il n’appartient pas à une société de prendre en charge les honoraires d'avocat exposés pour la seule défense des intérêts de ses associés ou dirigeants dans un procès dans lequel elle n'est pas partie. Nonobstant l’apparente simplicité de ce principe, les solutions dégagées par la jurisprudence sont très contrastées.

La Cour de cassation a dégagé une jurisprudence complexe en matière sociale ; au terme de celle-ci, l’employeur doit prendre en charge les frais d’avocat de ses salariés lorsque le contentieux est lié à l’exercice de la mission de ceux-ci  [7]. À l’opposé, lorsque ce qui est reproché au salarié est détachable de sa mission, l’employeur n’est pas tenu de prendre en charge les frais exposés [8]. Cette jurisprudence a largement inspiré les solutions consacrées plus spécifiquement à l’hypothèse de la prise en charge par la société des frais d’avocat du dirigeant : dans les deux cas, c’est l’intérêt social qui préside à la possibilité pour une société de prendre en charge les frais d’avocat [9].

Plus spécifiquement, c’est l’existence d’un lien entre ce qui est reproché au dirigeant (et contre quoi il doit se défendre) et l’activité de la société qui détermine si les honoraires de l’avocat peuvent être mis à la charge de la société : 

  • s’il existe un lien quelconque, entre ce qui est reproché au dirigeant et la société, son exploitation ou son activité, les frais d’avocat ne sont pas engagés dans le seul intérêt personnel du dirigeant [10]. Ainsi, la société peut prendre en charge les frais d’avocat de son dirigeant lorsqu’il existe une contrepartie des frais exposés [11] ;
  • S’il n’existe pas de lien entre ce qui est reproché au dirigeant et l’exploitation de la société, les honoraires de l’avocat ne doivent pas être imputés à la société. Dans une telle hypothèse, la société qui supporterait les frais d’un contentieux personnel au dirigeant pourrait être considérée comme ayant accordé une libéralité à celui-ci. La jurisprudence a jugé qu’en cas de violation des statuts ou de faute de gestion, par exemple, la société n’a pas à prendre en charge les frais d’avocat et peut même en demander le remboursement [12].

Si le critère semble clair, la grande diversité des hypothèses dans lesquelles le dirigeant peut être mis en cause implique une distinction très nuancée des différentes situations. Ainsi, la question de la faute non-intentionnelle du dirigeant constitue une question complexe qui reste soumise à la détermination de l’existence d’un lien entre les faits reprochés et la mission du dirigeant qui peut n’être déterminée qu’a posteriori par la décision prononcée par la juridiction.

Sanctions

Les frais d’avocat exposés pour la défense des intérêts personnels du dirigeant, sans lien avec ses fonctions, constituent des frais personnels qui n’ont pas lieu d’être payés par la société. Aussi, différentes conséquences doivent être envisagées :

  • la question se pose du statut de la somme exposée. À cet égard, la jurisprudence a précisé qu’à défaut d’intérêt pour la société, la prise en charge des honoraires d’avocat exposés pour la défense des intérêts d’un dirigeant, agissant en son nom personnel et non en sa qualité de dirigeant, constitue un revenu distribué imposable entre les mains de ce dirigeant [13] ;
  • les honoraires versés à des tiers constituent des frais généraux déductibles s’ils sont justifiés par l’intérêt direct de l’entreprise et non par l’intérêt personnel du dirigeant [14] ;
  • le paiement par la société des honoraires d’avocat au bénéfice du seul dirigeant constitue un acte anormal de gestion susceptible d’engager la responsabilité civile et pénale de son auteur ;
  • du point de vue civil, la question est assez classique dès lors que le paiement indu des honoraires d’avocat constitue un préjudice pour la société directement causé par l’acte anormal de gestion ;
  • du point de vue pénal, le fait de mettre à la charge de la société des frais d’avocat sans lien avec la fonction de dirigeant constitue un usage des biens de la société à des fins personnelles et contraires à l’intérêt de la société qui, s’il est accompli de mauvaise foi, dans une société à responsabilité limitée, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 375 000 euros [15].

Au demeurant, l’avocat doit prendre garde à ne pas être considéré comme complice de cette infraction.

À retenir

La grande diversité des hypothèses dans lesquelles un dirigeant peut engager sa responsabilité invite à questionner la possibilité pour la société de prendre en charge les frais exposés pour sa défense.

Il n’existe pas de texte organisant ou interdisant la prise en charge des frais d’avocat du dirigeant par la société et il ne s’agit pas davantage d’une convention réglementée.

La jurisprudence en la matière est contrastée.

C’est l’intérêt social qui constitue la pierre angulaire de la prise en charge des honoraires d’avocat par la société.

Les sanctions en la matière sont lourdes et intéressent les matières civiles, pénales et fiscales.

 

[1] G. Deharo, Rupture de la relation entre l’avocat et son client : quand les questions commerciales s’invitent dans le contentieux de la profession d’avocat, Lexbase Avocats, janvier 2022 N° Lexbase : N9898BYA.

[2] CA Paris, 18 juin 2020, n° 16/00608 N° Lexbase : A96123NC.

[3] CA Paris, 18 juin 2020, n° 16/00608 N° Lexbase : A96123NC.

[4] Cass. civ. 2, 28 mars 2013, n° 12-17.493, F-P+B N° Lexbase : A2712KB3.

[5] Cass. civ. 2, 9 décembre 2021, n° 20-10.096, F-P+B N° Lexbase : A48147EZ.

[6] M. Le Guerroué, L’administration refuse de payer les factures de l’avocat : qui est compétent pour régler le contentieux ?, Lexbase Avocats, octobre 2021 N° Lexbase : N8967BYR.

[7] E. Daoud, B. Bouche, L’intérêt social, vecteur de la décision de prise en charge des frais de défense pénale du dirigeant ou du salarié, AJ Pénal, 2014, 348.

[8] Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.612, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9633DR9.

[9] E. Daoud, B. Bouche, L’intérêt social, vecteur de la décision de prise en charge des frais de défense pénale du dirigeant ou du salarié, AJ Pénal, 2014, 348.

[10] CAA Paris, 9 juin 2021, n° 20PA01202 N° Lexbase : A10624WA.

[11] Cass. com., 7 octobre 2020 n° 19-12.996 N° Lexbase : A32863XY.

[12] CA Montpellier, 26 mars 2013, n° 11/08719 N° Lexbase : A9489KAP.

[13] CAA Versailles, 1er juin 2017, n° 15VE01815 et n° 15VE01816 N° Lexbase : A2889WG4.

[14] CAA Paris, 9 juin 2021, n° 20PA01202 N° Lexbase : A10624WA.

[15] C. com., art. L. 241-3, 4° N° Lexbase : L9516IY4.

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