Le Quotidien du 9 août 2022 : Droit pénal de l'environnement

[Jurisprudence] Première convention judiciaire d’intérêt public environnementale : la justice pénale dos à l’Histoire

Réf. : Convention judiciaire d'intérêt public entre le vice-procureur de la République près le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay et le Syndicat Mixte de Production et d'Adduction d'Eau (SYMPAE), 22 octobre 2021 N° Lexbase : L7376MAG

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par Julien Lagoutte, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Bordeaux, Institut des sciences criminelles et de la justice

le 05 Août 2022

Mots-clés : Convention judiciaire d'intérêt public environnementale • CJIPE • SYMPAE • AAPMA • FDPHL • droit pénal de l'environnement • préjudice environnemental • pollution • eau

La première convention judiciaire d’intérêt public environnementale – alternative aux poursuites introduite par la loi du 24 décembre 2020 relative, entre autres, à la justice environnementale – a été conclue puis validée à la fin de l’année passée. Répondant, en l’occurrence, pour une pollution d’eaux douces, son contenu confirme les doutes et les craintes que pouvait susciter cette convention : l’amende est d’un montant dérisoire ; la réparation prononcée suivant des modalités peu pertinentes et le « programme » de mise en conformité frise le ridicule.


 

1. La convention judiciaire d’intérêt public environnementale (CJIPE), petite sœur du deferred prosecution agreement états-unien et, plus près de nous, de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) de la loi « Sapin II » N° Lexbase : L6482LBP, a été instituée par la loi du 24 décembre 2020 relative, notamment, à la justice environnementale [1]. Il s’agit d’une alternative aux poursuites – ou au jugement, le juge d’instruction pouvant, au moment du règlement de l’information, renvoyer l’affaire au parquet afin qu’il choisisse ou non de se désister de l’action publique en traitant conventionnellement les faits – réservée aux personnes morales simplement mises en cause pour l’un des délits prévus par le Code de l’environnement (outre la plupart des infractions connexes). En l’échange de l’exécution de l’une des obligations proposées par le procureur de la République (paiement d’une amende d’intérêt public (sic), soumission à un programme de mise en conformité, réparation du préjudice écologique et des préjudices personnels éventuels) et qu’elle aura acceptées, la personne morale échappera, en cas de validation de l’accord par le président du tribunal judiciaire, à tout procès pénal en bonne et due forme et, partant, à toute déclaration de culpabilité, condamnation et inscription au casier judiciaire. Surtout, elle continuera de pouvoir accéder aux marchés internationaux et publics.

2. Pour cette raison, principale, et pour d’autres, plus avouables, la CJIPE a été présentée comme parée de toutes les vertus par le législateur. Pêle-mêle : rapidité avantageuse pour la réparation des préjudices environnementaux, contrôle de la gestion de l’entreprise par le biais du programme de mise en conformité, caractère dissuasif des amendes, responsabilisation de la personne morale et contribution de cette dernière à la recherche des preuves de la culpabilité de son (ancien) dirigeant qui, lui, ne peut pas bénéficier de ce mécanisme de clémence, bonne administration de la justice. L’efficacité de la CJIP en droit pénal des affaires (corruption, fraude fiscale et blanchiment), réelle – si l’on considère, poussant fort loin l’idée de fongibilité de l’argent, qu’il ne s’agit, in fine, que de questions économiques et que la confiance dans les institutions publiques et le devoir de contribuer à l’œuvre commune par l’effort fiscal (la fraternité ?) ne sont pas des valeurs à dimension extrapatrimoniale – a constitué un argument massue en faveur de l’adoption de la CJIPE face aux parlementaires qui y voyaient, clairvoyants, un instrument inadapté à la protection de l’environnement, une forme nouvelle de droit à polluer contre (injuste et aléatoire) indemnité. De tout cela, nous avons déjà pu dire ailleurs à quel point nous en étions, pour le moins, peu convaincus [2].

3. L’heure est venue de la mise à l’épreuve de la CJIPE : la première a été proposée par le vice-procureur de la République près le tribunal judicaire du Puy-en-Velay le vendredi 22 octobre 2021, acceptée le 22 novembre suivant par le Syndicat Mixte de Production et d’Adduction d’Eau (SYMPAE), puis validée par ordonnance du président dudit tribunal en date du 16 décembre de la même année N° Lexbase : L7375MAE. La personne morale était mise en cause pour le déversement, en mars 2021, de substances polluantes (permanganate de potassium) dans un ruisseau à partir de son usine de traitement d’eau potable, et ce, dans des proportions mortelles pour les invertébrés vivant dans ce cours d’eau – faits susceptibles de constituer un délit de pollution des eaux [3]. L’association agréée de protection du milieu aquatique (AAPMA) et la fédération départementale de la pêche de la Haute-Loire (FDPHL), groupements privés, se sont jointes à la procédure (il est question de « parties civiles », mais, en l’absence d’exercice de l’action publique, la qualification est inappropriée), faisant valoir des préjudices personnels, de même qu’un préjudice écologique, tous évalués par l’AAPMA. Voilà donc ce qui a donné lieu à la première CJIPE.

4. Le moins que l’on puisse dire est que les autorités répressives se sont bel et bien saisies de ce nouvel instrument (on n’ose parler d’une « arme ») de « traitement » des infractions environnementales. Et dire cela, ce n’est pas faire un compliment. Car à bien y regarder, cette première illustration pratique de la CJIPE n’est pas à son avantage.

Sur le principe même du recours à cette alternative aux poursuites, d’une part, on ne peut qu’être surpris. Il apparaît en effet dans la proposition du parquet que le déversement de 2021 faisait suite à un précédent accident, identique – à ceci près qu’il n’était question que du déversement accidentel de 50 000 litres de lait de chaux – seulement quelques mois auparavant (novembre 2020). Or les circulaires définissant la politique pénale environnementale [4] préconisent les poursuites en cas de comportements répétitifs (il n’est pas question, en l’occurrence, de récidive, mais elle est difficile à caractériser lorsqu’il n’y a pas de condamnation ou, a fortiori, pas de poursuites, lesquelles ne concernent que 24 % des faits dont le parquet est avisé en la matière [5]) ! Pas les alternatives aux poursuites, pourtant largement plébiscitées en droit pénal de l’environnement ! Par ailleurs, il est question en l’espèce d’une infraction dite autonome car ne dépendant pas de la violation d’une norme administrative ou d’une entrave ou résistance à l’action administrative en matière environnementale ; et d'une infraction matérielle, exigeant pour sa constitution une atteinte effective à l’environnement. En somme, des faits suffisamment graves d’un point de vue pénal pour que le parquet poursuive !

5. Mais peut-être les autorités répressives ne prennent-elles pas encore toute la mesure des enjeux écologiques. C’est en tous cas ce qu’amène à considérer le contenu même de cette première CJIPE, d’autre part. Voyons si le mécanisme tient ses promesses.

Quid de sa rapidité, pour commencer ? Les faits remontent au mois de mars 2021 ; la convention est validée en décembre 2021 ; la réparation du préjudice écologique et la régularisation de la situation de la personne morale doivent être assurées dans un délai de 6 mois, soit au mois de juin 2022, soit plus d’un an après les faits. Difficile de qualifier cela de rapide ; difficile aussi de soutenir qu’un procès pénal aurait apporté des solutions équivalentes plus promptement. Sans doute un référé pénal environnemental général – celui-là même que le législateur a rejeté comme choquant ou scandaleux lors de l’adoption de la même loi du 24 décembre 2020 ! – l’aurait pu, en revanche.

À défaut d’offrir une réponse rapide à la criminalité environnementale et au préjudice écologique, la première CJIPE conclue fait-elle, au moins, preuve de l’efficacité qui est supposée la caractériser, pour finir ? Pas vraiment. La personne morale est obligée : de payer une amende d’intérêt public d’un montant de 5 000 euros – alors que la peine encourue était de 375 000 euros d’amende ; de réparer le préjudice environnemental par le versement à la FDPHL d’une somme de 2 159 euros – là où il existe un consensus (juridiquement consacré dans le Code de l’environnement [6] et dans le Code civil) [7] en faveur de la réparation en nature, de la remise en état en particulier, de ce dommage et, a minima, d’une affectation des dommages et intérêts à sa réparation [8] ! ; et à la pose d’un portillon d’accès à la vanne du bassin de décantation permettant une intervention à toutes heures des services de secours pour tout programme de mise en conformité ! Les voilà les mille et les cents qui avaient été annoncés ! La voilà la dissuasion, la restauration des écosystèmes détruits ! La voilà la belle compliance, la responsabilisation de l’entreprise ! Il y a de quoi en être irrité… ou en rire… ou en pleurer, c’est selon… 

6. Ne reste peut-être, en fin de compte, que la bonne administration de la justice. Et encore ! Il faudrait pour cela la confondre avec le désencombrement des juridictions pénales et la célérité. Mais la protection de l’environnement encombre-t-elle tant que cela ces juridictions ? La justice pénale environnementale est-elle vraiment administrée lorsqu’elle est ainsi évincée ? À supposer qu’elle le soit, peut-on encore considérer qu’une telle administration de la justice est « bonne » ? On peut ne pas en être convaincu. Sans doute les magistrats se sont ici épargné un travail qui leur aura paru peut-être ennuyeux, probablement moins important que « les atteintes aux personnes et aux biens ». Mais en usant – qui plus est, de la sorte ! – d’un instrument, certes, à leur disposition mais qu’ils n’ont aucune obligation d’employer, ils nous paraissent avoir tourné le dos à l’Histoire.

Et l’on en revient, constamment, à l’urgent besoin de formation des magistrats aux enjeux environnementaux !

 

[1] Loi n° 2020-1672, du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée N° Lexbase : L2698LZX : J. Lagoutte, Joyeux Noël ? Regard sur la Loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, Dr. pén., 2021, Étude n° 5.

[2] Op. cit. Adde  Sanctions pénales du code de l’environnement et CJIPE : à qui mieux mieux, RJA, juin 2021, p. 99.

[3] C. env. art. L. 216-6 N° Lexbase : L7875K9K.

[4] Circ. DACG, NOR : JUSD1509851C, du 21-04-2015, relative aux orientations de politique pénale en matière d'atteintes à l'environnement N° Lexbase : L5145I83 ; Circ. DACG, n° 2021-02, du 11 mai 2021, visant à consolider le rôle de la justice en matière environnementale N° Lexbase : L9181L4S.

[5] M. Bouhoute et M. Diakhaté,  Le traitement du contentieux de l’environnement par la justice pénale entre 2015 et 2019, Infostat Justice 2021, n° 182.

[6] C. env., art. L. 162-8 et s N° Lexbase : L2152IBC.

[7] C. civ., art. 1249 N° Lexbase : L7610K9Q.

[8] Cela fera peut-être déchanter une doctrine civiliste plutôt favorable à la CJIPE. V. M. Hautereau-Boutonnet, La loi relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, D., 2021, p. 176 ;  Quel avenir pour la réparation du préjudice écologique ?, RJA, juin 2021, p. 139.

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