Le Quotidien du 26 août 2022 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Action récursoire en garantie des vices cachés et encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil : la troisième chambre civile à contre-courant

Réf. : Cass. civ. 3, 25 mai 2022, n° 21-18.218, FS-B N° Lexbase : A25537Y9

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N1940BZU

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[Jurisprudence] Action récursoire en garantie des vices cachés et encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil : la troisième chambre civile à contre-courant. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/86887408-0
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par Clint Bouland, Docteur en droit privé et sciences criminelles, Juriste assistant du magistrat au tribunal judiciaire de Melun

le 25 Août 2022

Mots-clés : vices cachés • action récursoire • chaînes de contrats • prescription • forclusion • constructeur • maître d’ouvrage • fournisseur • fabricant • réforme • délai biennal • délai quinquennal • délai décennal • délai vingtennal

Par un arrêt rendu le 25 mai 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation revient sur la question de l’encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil, dans l’hypothèse d’une action récursoire en garantie des vices cachés engagée par un constructeur à l’encontre du fournisseur et du fabricant des matériaux défectueux. Elle expose, s’agissant des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription du 17 juin 2008, que le constructeur ne pouvait pas agir contre le fournisseur et le fabricant avant d’avoir été lui-même assigné par le maître d’ouvrage, et suspend le délai décennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce. Elle ajoute, s’agissant des contrats conclus après l’entrée en vigueur de cette réforme, que seul le délai vingtennal de l’article 2232 du Code civil est de nature à permettre l’encadrement du délai biennal prévu par l’article 1648 du même Code, et rejette l’application de l’article L. 110-4 du Code de commerce. Dans les deux cas, elle s’oppose aux jurisprudences établies par la première chambre civile et par la Chambre commerciale.


 

L’actualité juridique, depuis quelques années, est particulièrement marquée par la thématique du point de départ du délai de la prescription extinctive. Si la première chambre civile et la Chambre commerciale de la Cour de cassation ont pu se prononcer sur cette question en matière de garantie des vices cachés et de chaînes de contrats [1], c’est désormais au tour de la troisième chambre civile de soutenir son analyse, dissidente.

En l’espèce, un maître d’ouvrage a, au cours de l’année 2008, confié la construction d’un bâtiment agricole à un constructeur, qui avait au préalable acheté ses matériaux à un fournisseur selon factures des 31 mai, 30 octobre et 30 novembre 2008, ce dernier les ayant lui-même acquis du fabricant. Se plaignant d’infiltrations, le maître de l’ouvrage assignait le constructeur et son assureur par acte du 31 octobre 2018, et obtenait la désignation d'un expert. Par acte du 4 février 2020, l’assureur du constructeur assignait en ordonnance commune le fournisseur ainsi que le fabricant. Le juge des référés faisait droit à cette demande.

Sur appel du fournisseur, la cour d’appel de Caen a, par un arrêt du 16 février 2021 [2], confirmé l’ordonnance, précisant que l'action en garantie des vices cachés qu'entendait introduire lassureur du constructeur à l'encontre du fournisseur et du fabricant n'était pas manifestement prescrite.

Ceux-ci se sont alors pourvus en cassation, arguant du fait que l’action en garantie des vices cachés, qui doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription de cinq années prévu par l'article L. 110-4 du Code de commerce, lequel commence à courir à compter de la vente initiale. Ils en concluent que l’action en garantie des vices cachés du constructeur et de son assureur à leur encontre est nécessairement prescrite, l’assignation en ordonnance commune étant intervenue plus de douze années après la date de la vente initiale.

Se posait alors, une nouvelle fois, la question de l’encadrement du délai biennal prévu par l’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK et de son articulation avec les délais de prescription de droit commun, dans l’hypothèse d’une action récursoire en garantie des vices cachés engagée par un intermédiaire à l’encontre d’un vendeur initial.

La troisième chambre répond en deux temps, distinguant la vente conclue antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la réforme de la prescription, à savoir le 19 juin 2008, et celles conclues postérieurement à cette date, ce que s’abstenaient de faire les demandeurs au pourvoi.

Pour la première, elle rappelle que le constructeur, intermédiaire, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés, sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale. Elle ajoute que le constructeur ne pouvait pas agir contre le fournisseur et le fabricant avant d’avoir été lui-même assigné par le maître de l’ouvrage, cette assignation constituant le point de départ du délai biennal prévu par l’article 1648, alinéa 1er, du Code civil. Elle en conclut que le délai décennal de l'article L. 110-4 du Code de commerce, dans sa version applicable au litige et courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que la responsabilité du constructeur ait été recherchée par le maître de l’ouvrage.

Pour les secondes, elle expose que l'encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil, applicable en matière de vices cachés, ne peut être assuré que par l'article 2232 du même Code N° Lexbase : L7744K9P, qui édicte un délai butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit. Elle exclut ainsi l’application des articles 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC et L. 110-4 du Code de commerce N° Lexbase : L4314IX3, les délais quinquennaux prévus par ces deux derniers textes trouvant leur point de départ non à compter de la vente, mais à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, ce point de départ se confondant dès lors avec celui du délai biennal de l’article 1648 du Code civil. Elle en conclut que l'action en garantie des vices cachés doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d'action récursoire, à compter de l’assignation de l'intermédiaire, sans que ne puisse être dépassé le délai butoir de vingt ans prévu par l’article 2232 du Code civil à compter de la vente initiale.

Elle rejette par conséquent les pourvois, l’action du constructeur n’étant pas prescrite.

La troisième chambre civile expose ainsi son analyse de l’articulation entre le délai biennal de l’article 1648 du Code civil N° Lexbase : L9212IDK en matière de garantie des vices cachés, les délais décennaux et quinquennaux de droit commun, et le nouveau délai butoir vingtennal de larticle 2232 du Code civil, dans l’hypothèse d’une action récursoire d’un constructeur à l’encontre du vendeur initial. Que l’on considère les ventes conclues antérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription (I) ou celles conclues postérieurement (II), elle se montre particulièrement bienveillante à l’égard de l'intermédiaire, à juste titre selon nous, et s’oppose ainsi aux jurisprudences constantes et récemment réaffirmées de la première chambre civile et de la Chambre commerciale, par ailleurs largement critiquées par la doctrine.

I. Encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil et ventes conclues antérieurement au 19 juin 2008

La troisième chambre civile de la Cour de cassation consacre d’abord la possibilité, pour le constructeur intermédiaire, d’exercer une action récursoire contre son vendeur (A). Elle constate ensuite la suspension du délai décennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce, dans sa version applicable à l’espèce, jusqu’à la mise en cause du constructeur (B).

A. La possibilité, pour le constructeur, d’exercer une action récursoire contre son vendeur

La troisième chambre civile commence par rappeler que les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité. Elle poursuit en précisant que le constructeur, dont la responsabilité est retenue, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge. Elle en conclut que ce constructeur ne peut voir son action enfermée dans un quelconque délai de prescription qui courrait à compter de la vente initiale.

Ce faisant, la troisième chambre civile adopte une position contraire à celle retenue par la première chambre civile et par la Chambre commerciale. Ces dernières considèrent en effet de façon constante [3] que le délai biennal prévu par l’article 1648 du Code civil, courant « à compter de la découverte du vice », est lui-même encadré par le délai décennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce [4], dans sa rédaction antérieure à la réforme du 17 juin 2008 et dès lors quun commerçant est concerné, et qui commence à courir à compter de la vente initiale. Ce double délai n’est pas dénué d’intérêt : il permet d’écarter l’insécurité temporelle résultant du point de départ « glissant » du délai biennal prévu par l’article 1648 du Code civil, préjudiciable au primo-vendeur, sur lequel pèse le risque de voir sa responsabilité engagée de nombreuses années après la conclusion du contrat de vente initial.

Cependant, si le respect de ce double délai semble particulièrement adapté dans lhypothèse dune vente simple, il montre ses limites dans le cadre dune chaîne de contrats, comme en l’espèce, où l’intermédiaire, qu’il soit constructeur ou vendeur, devrait par principe disposer d'une action récursoire à lencontre du vendeur initial, pour le cas où sa responsabilité serait recherchée. Or, en ce que chaque transaction génère sa propre prescription, celle de l’action de l’intermédiaire à l’encontre du primo-vendeur, prévue par l’article L. 110-4 du Code de commerce, commence à courir dès la vente initiale, la première chambre civile et la Chambre commerciale refusant en outre à l’intermédiaire toute suspension ou tout report de ce délai de prescription [5].

L’on comprend vite les effets pervers du double délai en cette hypothèse, souvent dénoncés par la doctrine [6] : la prescription décennale prévue par l’article L. 110-4 du Code de commerce peut être acquise avant même que le constructeur n’ait été mis en cause sur le fondement de la garantie des vices cachés par le maître douvrage, bloquant de facto l’exercice, par ce constructeur, de son action récursoire. Si la première chambre civile et la Chambre commerciale justifient cette position par l’idée que l'action du sous-acquéreur (ou du maître d’ouvrage en l’espèce) en garantie des vices cachés ne peut valablement faire revivre le droit du vendeur intermédiaire (ou du constructeur en l’espèce) qui était déjà éteint, une telle solution contrevient toutefois au principe actioni non natae non praescribitur, selon lequel laction qui nest pas née ne se prescrit pas, et, comme le rappelle ici la troisième chambre, au droit d’accès à un tribunal consacré par l’article 6 § 1 de la CEDH.

B. La suspension du délai décennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce

Forte de ce constat, la troisième chambre civile opte alors expressément, et à juste titre selon nous, pour la suspension du délai décennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce jusqu’à la mise en cause du constructeur par le maître d’ouvrage, et fait ainsi perdre à ce texte toute fonction d’encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil, afin d’assurer l’effectivité de son action récursoire par l’intermédiaire. La solution n’est pas nouvelle pour cette chambre [7].

Elle expose ainsi que le constructeur ne peut pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui-même assigné par le maître douvrage, étant jusqu’à cette date dans l’ignorance de l’existence des vices des matériaux acquis puis installés. Elle en conclut que le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1er du Code civil est constitué par la date de sa propre assignation.

Une telle solution répond parfaitement à l’esprit de l’article 1648 du Code civil, précisant expressément que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice. Cette connaissance ne peut avoir lieu pour le constructeur qu’au moment de son assignation par le maître d’ouvrage, les vices étant par définition cachés auparavant, le constructeur n’ayant alors aucun intérêt à agir contre le vendeur initial avant cette date.

Cette solution, qui a le mérite d’assurer la protection de l’intermédiaire, n’est cependant pas à l’abri de toute critique. En se prononçant pour la suspension du délai décennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce, la troisième chambre civile supprime de facto tout encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil, en ce que le premier, comme le second, présentent désormais tous deux le même point de départ, à savoir l’assignation du constructeur intermédiaire par le maître d’ouvrage. Le délai biennal de l’article 1648 du Code civil n’étant plus encadré temporellement, il peut alors commencer à courir plusieurs dizaines d’années après la vente initiale, en raison de son point de départ « glissant », rendant ainsi la situation du vendeur initial particulièrement incertaine. Nous sommes alors en présence d’une opposition entre plusieurs intérêts distincts : celui du constructeur intermédiaire d’une part, et celui du vendeur initial, d’autre part. Contrairement à la première chambre civile et à la Chambre commerciale, la troisième chambre civile a tranché en faveur des intérêts du constructeur, et considère que la sécurité juridique, expliquant l’application d’un double délai, ne justifie toutefois pas que soient sacrifiés les intérêts des autres membres de la chaîne de contrats.

Une solution envisageable eût été d’appliquer le nouveau délai butoir vingtennal, prévu par l’article 2232 du Code civil issu de la réforme de la prescription du 17 juin 2008, afin d’assurer de nouveau l’encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil, et éviter une garantie du vendeur initial quasi imprescriptible. Une telle proposition se heurte toutefois à une jurisprudence du 1er octobre 2020 de cette même troisième chambre civile. Celle-ci a en effet précisé qu’en l’absence de dispositions transitoires qui lui soient applicables, le nouveau délai butoir vingtennal de l’article 2232 du Code civil relève, pour son application dans le temps, du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle et ne peut, par conséquent, s’appliquer aux contrats conclus avant son entrée en vigueur [8]. Cet article 2232 du Code civil retrouve toutefois tout son intérêt pour les ventes conclues postérieurement à la réforme.

II. Encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil et ventes conclues postérieurement au 19 juin 2008

S’agissant des contrats conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription, la troisième chambre civile admet, de façon générale, l’application du délai vingtennal de l’article 2232 du Code civil comme délai butoir, et ce afin d’encadrer le délai biennal de l’article 1648 du même Code, au point de départ « glissant » (A). Elle rejette ensuite le délai quinquennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce pour remplir un tel rôle, alors pourtant que l’un des vendeurs serait commerçant (B). Ce faisant, elle s’oppose à nouveau aux solutions consacrées par la première chambre civile et par la Chambre commerciale.

A. L’application du délai vingtennal de l’article 2232 du Code civil comme délai butoir

L’entrée en vigueur de la réforme de la prescription semblait, de prime abord, condamner l’encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil par le délai de prescription de droit commun, à tout le moins s’agissant des contrats civils. En effet, l'article 2224 du Code civil dispose désormais que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Comme le rappelle la troisième chambre civile en l’espèce, en instaurant un point de départ « glissant », à l’instar de celui du délai biennal de l’article 1648 du Code civil, le législateur annihilait de facto toute possibilité dencadrement de l’action en garantie des vices cachés par l’article 2224 du Code civil, les points de départ de ces deux délais étant identiques, à savoir la découverte du vice. Confirmant une jurisprudence antérieure [9], la troisième chambre trouve dans l’article 2232 du Code civil un palliatif, celui-ci prévoyant que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. Dès lors, si le délai biennal de l’article 1648 du Code civil commence à courir à compter de la découverte du vice, l’action en garantie des vices cachés ne peut pas, en tout état de cause, être intentée plus de vingt ans après la conclusion du contrat de vente, en l’occurrence du contrat de vente initial s’agissant de l’action récursoire du constructeur.

La solution n’était pourtant pas évidente, et ce pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, l’article 2232 du Code civil évoque le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription, hypothèses strictement délimitées par les articles 2233 et suivants du même Code. Or, l’article 1648 du Code civil, à l’instar d’ailleurs de l’article 2224, n’a pas véritablement pour effet de reporter le point de départ du délai de prescription ou de suspendre la prescription qu’il instaure, il se contente de fixer ce point de départ au jour de la découverte du vice, ou de la connaissance du droit s’agissant de l’article 2224. Fixation du point de départ du délai et report de ce point de départ ne devraient donc pas, à proprement parler, être tenus pour identiques [10], le délai ne pouvant en théorie être reporté qu’une fois préalablement fixé. Une telle analyse serait pourtant tout à fait inopportune, dès lors qu’elle aurait pour conséquence de priver l’article 2232 du Code civil de son principal intérêt, à savoir éviter une garantie quasi perpétuelle lorsque le point de départ du délai de prescription, quel qu’il soit, présenterait un caractère « glissant » [11].

Ensuite, si l’article 2232 du Code civil mentionne le jour de la naissance du droit comme point de départ du délai vingtennal, il ne précise pas s’il évoque la naissance du droit substantiel, ou celle du droit d’action. La logique commande de retenir la naissance du droit substantiel comme point de départ, en l’occurrence la naissance du droit à garantie au jour de la conclusion du contrat de vente initial [12]. La solution contraire aurait également pour effet de priver l’article 2232 du Code civil et son délai vingtennal de toute fonction d’encadrement du délai biennal de l’article 1648 du même Code, le point de départ du premier se confondant avec celui du second.

Une dernière difficulté réside dans la nature même du délai biennal de l’article 1648 du Code civil, celui-ci ayant été qualifié de délai de forclusion, et non de prescription [13]. Or, l’article 2232 du Code civil évoque expressément la prescription. L’article 2220 du même Code dispose en outre que les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le titre vingtième concernant la prescription extinctive, comprenant l’article 2232. Peut alors se poser la question de l’application effective de l’article 2232 du Code civil au délai de forclusion biennal de l’article 1648. Un arrêt récent de la Cour de cassation a toutefois admis cette application, peu important que le délai de l’article 1648 soit qualifié de délai de forclusion, et non de prescription [14]. Cette analyse est en outre confortée à la lecture de l’article L. 217-5 du Code de la consommation, relatif à la garantie commerciale, le législateur prévoyant en substance que le vendeur reste tenu de la garantie légale de conformité et de celle relative aux défauts de la chose vendue dans les conditions prévues aux articles 1641 à 1648 et 2232 du Code civil, admettant ainsi la possible combinaison de ces différents textes.

Dans une autre matière, une divergence de jurisprudences semble toutefois poindre, en raison d’un arrêt récemment rendu par la Chambre sociale, celle-ci refusant purement et simplement l’application de l’article 2232 du Code civil comme délai butoir de la prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil [15].

B. Le rejet du délai quinquennal de l’article L.110-4 du Code de commerce comme délai butoir

Si la troisième chambre civile admet ainsi l’encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil par le délai vingtennal de l’article 2232 du même Code dans le cadre de relations purement civiles, elle s’oppose au contraire à l’application du délai quinquennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce comme délai butoir dans l’hypothèse de relations commerciales.

Elle précise que, si le législateur a entendu réduire le délai de prescription prévu par ce dernier texte à cinq ans par la réforme du 17 juin 2008, il s’est abstenu de fixer son point de départ. Elle en conclut que ce point de départ ne peut résulter que du droit commun issu du nouvel article 2224 du Code civil, à savoir le jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer, ces deux textes ayant été modifiés au cours de la même réforme. Dès lors, les délais quinquennaux des articles L. 110-4 du Code de commerce et 2224 du Code civil étant identiques, et présentant désormais tous deux un point de départ « glissant », il en résulte que le premier de ces textes se trouve tout aussi inefficace que le second dans l’encadrement du délai biennal de l’article 1648 du Code civil, présentant également ce même point de départ « glissant ». Elle applique ainsi le délai vingtennal de l’article 2232 du Code civil comme délai butoir, quand bien même l’un des contractants présenterait la qualité de commerçant, comme c’est le cas en l’espèce.

Ce faisant, elle s’oppose une nouvelle fois à la jurisprudence développée par la première chambre civile et par la Chambre commerciale, critiquée par la doctrine. En effet, ces dernières continuent à considérer que le point de départ du délai quinquennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce doit être fixé au jour de la conclusion du contrat de vente. Une telle solution, bien que critiquable, n’est pas non plus infondée, et peut être justifiée à l’inverse de celle proposée par la troisième chambre : si le législateur ne s’est pas prononcé sur le point de départ du délai quinquennal de l’article L. 110-4 du Code de commerce lors de sa modification par la réforme du 17 juin 2008, il n’y a pas lieu de considérer que ce point de départ aurait changé, et la solution antérieure, le fixant au jour de la conclusion du contrat de vente, resterait de mise.

Une telle solution est pourtant inopportune. Tout d’abord, elle se montre particulièrement protectrice du vendeur initial, au détriment de l’intermédiaire, qui peut une nouvelle fois être de facto privé de toute action récursoire, dans l’hypothèse où sa responsabilité serait engagée et où sa propre action serait prescrite en vertu de l’article L. 110-4 du Code de commerce. À nouveau, elle contrevient au principe actioni non natae non praescribitur et au droit d’accès au tribunal.

Ensuite, la jurisprudence développée par la première chambre civile et par la Chambre commerciale a pour effet d’empêcher l’uniformisation des solutions sur la question du point de départ du délai de prescription, celui-ci n’étant pas identique en matière commerciale et en matière civile. La jurisprudence de la troisième chambre permet au contraire une telle uniformisation.

Enfin, la jurisprudence développée par la première chambre civile et par la Chambre commerciale permet au commerçant, tenu à une garantie durant cinq années à compter de la conclusion du contrat en vertu de l’article L. 110-4 du Code de commerce, de se libérer plus aisément que le non-commerçant, tenu quant à lui à une garantie durant vingt années à compter de la conclusion du contrat conformément à l’article 2232 du Code civil. La solution retenue par la troisième chambre civile permet, au contraire, d’éviter une telle différence de traitement absolument injustifiée.

Pour toutes ces raisons, l’arrêt rendu le 25 mai 2022 par la troisième chambre civile mérite d’être salué, et l’on espère désormais que la première chambre civile et la Chambre commerciale suivront le pas, dans un souci de cohérence.

 

[1] Not. Cass. civ. 1, 8 juin 2018, n° 17-17.438, FS-P+B N° Lexbase : A7366XQU ; Cass. com., 16 janvier 2019, n° 17-21.477 N° Lexbase : A6534YT8 ; Cass. civ. 1, 24 octobre 2019, n° 18-14.720 N° Lexbase : A6427ZST ; Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-19.975 N° Lexbase : A1625Z8P ; Cass. civ. 1, 8 avril 2021, n° 20-13.493 N° Lexbase : A12774PY.

[2] CA Caen, 16 février 2021, n° 20/01136 N° Lexbase : A13224HG.

[3] Et ce depuis un arrêt Cass. com., 27 novembre 2001, n° 99-13.428, FS-P N° Lexbase : A2848AXR.

[4] Ou par le délai de la prescription civile trentenaire avant la réforme de 2008 et quinquennal postérieurement à cette réforme, dans le cadre dun contentieux nimpliquant aucun commerçant.

[5] En ce sens, V. not. Cass. com., 16 janvier 2019, n° 17-21.477, F-P+B N° Lexbase : A6534YT8 ; Cass. civ. 1, 22 janvier 2020, n° 18-23.778, F-D N° Lexbase : A58833CU.

[6] V. not. P. Jourdain, Chaînes de contrats et point de départ de la prescription : la Cour de cassation s’obstine, RTD Civ., 2018, n° 4, p. 919 ; L. Leveneur, Retour aux errements passés à propos du délai de la garantie des vices cachés, C.C.C., 2018, n° 10, p. 19 ; P.-Y. Gautier, Actioni non natae, praescribitur ? Régression sur le point de départ de la prescription dans la garantie des vices cachés, RTD Civ., 2019, n° 2, p. 358 ; H. Gourdy, La fonction du délai de prescription de droit commun en matière de garantie des vices cachés : une mise à l’épreuve, D., 2020, n° 16, p. 919 ; M. Latina, La prescription dans les chaînes de contrats translatives de propriété, RDC, 2021, n° 3, p. 8.

[7] Cass. civ. 3, 6 décembre 2018, n° 17-24.111, F-D N° Lexbase : A7763YP9 ; Cass. civ. 3, 16 février 2022, n° 20-19.047, FS-B N° Lexbase : A33497ND.

[8] Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, n° 19-16.986, FS-P+B+I N° Lexbase : A70153WQ.

[9] Ibid. ; Cass. civ. 3, 8 décembre 2021, n° 20-21.439, FS-B N° Lexbase : A46227EW.

[10] En ce sens, J.-D. Pellier, Retour sur le délai butoir de l’article 2232 du Code civil, D., 2018, n° 39, p. 2148, n° 4.

[11] En ce sens, C. Brenner, H. Lécuyer, La réforme de la prescription en matière civile, JCP E., 2009, 1169 et 1197.

[12] Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, n° 19-16.986, FS-P+B+I N° Lexbase : A70153WQ.

[13] Cass. civ. 3, 10 novembre 2016, n° 15-24.289, FS-D N° Lexbase : A9021SG9 ; Cass. civ. 3, 5 janvier 2022, n° 20-22.670, FS-B N° Lexbase : A42167HM.

[14] Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, n° 19-16.986, préc.

[15] Cass. soc., 3 avril 2019, n° 17-15.568, FP-P+B N° Lexbase : A3676Y8N : « Vu l'article 2224 du Code civil, ensemble l'article 2232 du même Code interprété à la lumière de l'article 6§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Attendu qu'en application du premier de ces textes, le délai de prescription de l'action fondée sur l'obligation pour l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite complémentaire et de régler les cotisations qui en découlent ne court qu'à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l'article 2232 du Code civil ».

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