Le Quotidien du 27 mai 2022 : (N)TIC

[Focus] Legal design, recherche et innovation pédagogique

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par Marie Pierre, Professeur associé, Département Droit des Affaires et management des ressources humaines - TBS ÉDUCATION, Avocat à la Cour

le 26 Mai 2022

Mots-clés : legal design • legalTech • pédagogie • information juridique • services • numérique • définition • innovation


 

Le legal design s’inscrit dans la transformation numérique qui inonde le droit depuis quelques années. Si ces mutations ont accéléré le développement de ce nouveau concept au sein des laboratoires de recherche, des institutions, des entreprises et des cabinets, l’innovation vient surtout de la manière de penser le droit et de le transmettre. L’approche, centrée sur « l’utilisateur » (le justiciable, les services opérationnels de l’entreprise, les clients d’un cabinet d’avocat, l’étudiant, etc.), conjugue expertise juridique, techniques de design et technologies pour rendre le droit accessible, intelligible et engageant. Cet objectif n’est-il pas celui des professeurs de droit, notamment lorsqu’ils enseignent à des non-initiés ? Sans se départir de leur rigueur et de leur expertise, les enseignants doivent en effet adopter une démarche innovante afin de transmettre à des non-juristes, par exemple de futurs managers, des informations complexes de manière simple et optimisée. La mise en place brutale de l’enseignement à distance pendant la pandémie de covid-19 a certainement accéléré cette dynamique. Les professeurs ont dû abandonner certains réflexes pour expérimenter l’utilisation de nouveaux outils numériques et repenser en profondeur leurs méthodes de travail, leur manière d’enseigner et d’évaluer les connaissances. Par ailleurs, en France, les écoles de droit elles-mêmes (universités, écoles des avocats), commencent à se saisir des enjeux du legal design dans la formation des étudiants. La conceptualisation du legal design ainsi que son essor interrogent en miroir ces pratiques pédagogiques souvent bâties avec l’expérience, ainsi que leurs évolutions possibles en interaction avec une recherche pluridisciplinaire.

I. Qu’est-ce que le legal design ?

Comme son nom l’indique, le legal design correspond à l’intégration du design dans le domaine juridique. Cette approche de conception, qui peut se décliner de différentes façons, est toujours centrée sur l’utilisateur du droit.

A. Définition du legal design

Le design : un objectif fonctionnel. Le mot design vient du latin designare qui signifie « marquer d’un signe », « dessiner » « indiquer ». En Italie le terme disegno était déjà utilisé à la Renaissance en architecture, à la fois dans le sens de « dessein » et « dessin », désignant alors une méthodologie de l’anticipation de l’œuvre à réaliser. Le terme « design » a été ensuite repris en Angleterre au XVIIe siècle dans la théorie de l’art (« plan d’un ouvrage d’art »), puis utilisé dans son sens moderne dès le XIXe siècle. Il n’est apparu en France que dans le milieu des années 1960, en référence à l’usage anglo-saxon qui intègre cette double dimension technique et artistique. Le design est une approche de conception qui vise à donner du sens et à apporter des solutions à un/des utilisateurs (dessein), via des formes, un graphisme particulier, une expérience (le dessin). Autrement dit, il s’agit de donner forme à une vision et des valeurs par l’expérience sensible (par exemple par une affiche, un site web, un objet, un espace, ou encore un système de points de contact dans un service). C’est cet aspect fonctionnel qui est d’ailleurs retenu dans la définition proposée aujourd’hui par l’Alliance Française des Designers : « Le design est un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le seul but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux » [1]. Rien n’empêche alors de mobiliser le design dans le domaine juridique, notamment pour concevoir des contrats, des conditions générales de vente, des programmes de Compliance, ou encore des consultations.

La rencontre du design et du droit. Le legal design est une approche qui permet de structurer et de présenter les règles juridiques de manière claire, intelligible et engageante pour l’utilisateur. Son développement et ses applications concrètes, relativement récents, sont aujourd’hui en plein essor.

Deux évolutions ont permis la rencontre du design et du droit : d’une part l’extension des champs d’application du design, et d’autre part les changements sociotechniques qui ont eu un impact sur l’écosystème juridique. Le design, organisé d’abord autour des objets et produits, s’est ensuite étendu dans les années 1990 au domaine des services puis, dès les années 2000, au service public et aux interfaces utilisateurs. En parallèle, les mutations sociotechniques amenées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (développement des plateformes numériques, usage des algorithmes, intelligence artificielle, etc.) ont favorisé de nouvelles logiques de consommation et une volonté de simplification. Dans ce contexte, la posture des professionnels du droit (LegalTech, professions règlementées, éditeurs juridiques, associations professionnelles, entités publiques, entreprises, etc.) a évolué dans le sens de nouvelles pratiques destinées à rapprocher le droit et ses utilisateurs.

La première expérimentation date de 2009 avec l’initiative citoyenne et militante de la designer Candy Chang. En collaboration avec le Street Vendor Project, elle entreprend de refondre la règlementation complexe de la ville de New York relative à la vente ambulante en un guide succinct, présentant sous forme de dessins et de schémas les principaux droits et obligations des vendeurs de rue. L’information juridique est ainsi décodée et transmise de manière intelligible et optimisée à des non-juristes [2]. Par la suite, le legal design va véritablement être identifié et conceptualisé comme tel par Margaret Hagan de l’Université de Stanford en 2014 dans son célèbre ouvrage Law by design [3], suivie par Helena Haapio de l’Université de Vaasa [4] et Stefania Passera, designer et chercheur à l’Université Aavar Alto [5]. Ces trois auteurs analysent les moyens par lesquels le design peut apparaître comme un vecteur d’accessibilité du droit, et un outil efficace pour créer des documents juridiques – notamment des contrats – qui soient enfin lus, compris et appliqués.

Le legal design connait aujourd’hui un véritable essor, retenant toute l’attention non seulement des universités américaines et européennes, mais aussi plus largement des institutions, des directions juridiques, des cabinets de conseil et des LegalTech. La transformation numérique, l’évolution des modèles d’affaires et l’inflation normative actuelle sont autant de paramètres qui favorisent son développement. En outre, dans le contexte de crise sanitaire liée au covid-19, les périodes de confinement ont accéléré le mouvement de digitalisation et, par ricochet, la mise en lumière de cette approche innovante.

B. Différentes déclinaisons centrées sur l’utilisateur

Le legal design s’adresse à tous les utilisateurs du droit (citoyens, salariés, clients et partenaires de l’entreprise, apprenants, etc.), et concerne toutes ses normes et vecteurs (traités, lois et règlements, jurisprudence, contrats, programmes de conformité, conclusions devant les juridictions, etc.). Ses applications, encore assez peu nombreuses du fait de sa nouveauté, peuvent prendre différentes formes, toutes centrées autour de l’utilisateur.

Design de l’information. Le visual design, ou design graphique, est avant tout celui de l’information. L’objectif est ici d’utiliser les outils et méthodes du design pour d’une part favoriser l’accès au droit, et d’autre part communiquer et transmettre des messages clairs à fort impact. La démarche implique de repenser la structuration de l’information et d’utiliser un traitement linguiste et graphique approprié pour transmettre celle-ci.

Dans un contexte économique, social, et technologique complexe, que le droit entend précisément régir, le legal design ambitionne de recréer le lien fondamental entre les citoyens et le droit en favorisant une démarche active dans son appréhension et sa compréhension. C’est dans cet objectif que les administrations publiques se sont emparées du legal design pour refondre leurs sites internet : « service-public.fr », « impôts.gouv.fr » ou encore « justice.fr » [6] par exemple proposent des thématiques scénarisées sous la forme de fiches pédagogiques avec des schémas, des vidéos, etc., destinées à faciliter l’accès au droit. De la même manière, la réforme du mode de rédaction des arrêts de la Cour de cassation en 2019 est apparue nécessaire pour favoriser « un accès au droit plus précis et plus informé ». L’idée est que la clarté de la forme des décisions doit conduire à une dimension à la fois intelligible, pédagogique et persuasive, au service des droits fondamentaux des individus [7]. Dans des domaines spéciaux, des règlements récents imposent également une information exposée de manière compréhensible et accessible : ainsi par exemple, le Règlement Général sur la Protection des données (RGPD) indique dans son article 12 que les informations relatives au traitement des données personnelles doivent être fournies « de façon concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples ». La même exigence est posée à l’article 7.2 pour le recueil du consentement [8].

Les professionnels du droit, tels que les directions juridiques, les cabinets d’avocats, les éditeurs juridiques [9] et legalTech, ont de leur côté de plus en plus souvent recours au design graphique, à la fois comme mode de communication et de travail collaboratif plus ergonomiques, mais aussi comme un outil de performance permettant de développer et de consolider la relation client. Par exemple, un cabinet utilisera l’infographie pour expliquer la rupture conventionnelle ; une direction juridique choisira de « designer » certains contrats pour faciliter leur compréhension, réduire le temps de négociation et optimiser leur application, réduisant par là le risque de contentieux ; une autre utilisera le legal design pour former de manière plus fluide des opérationnels sur des sujets techniques a priori peu engageants. Loin d’être approximative, la démarche se doit d’être rigoureuse : il s’agit d’accompagner les textes juridiques, et non de s’y substituer. Seule une expertise solide permet de fluidifier la transmission de l’information juridique afin d’amener les non-initiés à la compréhension du droit.

Design de services. Le legal design offre par ailleurs un cadre d’innovation performant en matière de services : en s’appuyant sur le parcours et les besoins de l’utilisateur, l’approche permet de concevoir des situations scénarisées et synthétiques pour proposer des solutions concrètes et adaptées. De plus en plus de professionnels y voient un moyen d’innover dans la relation avec l’utilisateur. Il ne s’agit plus en effet de partir de contraintes techniques pour proposer une solution, mais de délivrer une prestation autour des besoins qu’il manifeste. La LegalTech « Captain Contrat » [10] par exemple s’appuie sur l’expérience client en proposant des solutions sur-mesure à partir d’onglets scénarisés correspondant à ses attentes : « Créer ma société », « Gérer ma société », « Rédiger un contrat », etc. En 2017, un cabinet d’avocats spécialisé en droit de la famille a lancé de son côté la première chaîne YouTube destinée à offrir un service gratuit aux familles qui traversent une crise : différentes séquences thématiques accompagnent ainsi l’utilisateur « pour faciliter sa décision » [11], etc. D’autres cabinets font le choix de repenser en profondeur leur métier, leurs offres et leurs codes de communication afin d’être plus proches des spécificités de la clientèle qu’ils souhaitent capter et fidéliser, comme des start-ups par exemple. Le design apparait ici comme une opportunité business au service de l’utilisateur. Il permet de repenser la manière de créer et d’apporter de la valeur. Il s’agit de favoriser l’expérience client pour lui permettre d’interagir davantage avec le cabinet ou le service juridique et rechercher la meilleure structuration des services en eux-mêmes.

Quelle que soit sa déclinaison, le legal design repose sur la manière de concevoir et de communiquer les règles juridiques en partant de l’utilisateur. Le droit est une discipline technique, à la réputation parfois austère, souvent obscure et hermétique pour les profanes. La complexité du langage juridique participe en partie à cette perception. Or, le droit n’est pas conçu par des juristes pour des juristes. Il constitue une discipline qui a vocation à en régir d’autres ; se greffant aux activités humaines, il intéresse le plus souvent les non-juristes. Quel est par exemple l’intérêt d’un mille-feuille contractuel si les opérationnels et les managers, en charge d’appliquer le contrat, ne saisissent pas ses termes et les obligations qui en résultent ? Il est donc essentiel de faire résonner le droit autrement.

II. La recherche académique et l’expérimentation au service de l’innovation pédagogique

Le legal design est une démarche pluridisciplinaire et collaborative : le développement de ses méthodes et outils est le fruit de recherches et d’expérimentations menées par des acteurs aux expertises diverses et complémentaires : juristes, designers, linguistes, spécialistes des neurosciences, etc. Véritable méthode de conception, le legal design dépasse largement la simple visualisation du droit. Sa conceptualisation offre l’occasion de mesurer son caractère pluridimensionnel et de s’interroger sur son efficacité, ses évolutions en termes de formation et d’apprentissage, et ses interactions avec divers domaines de recherche.

A. Le legal design, une méthode de conception pluridisciplinaire centrée sur l’utilisateur

Une méthode de conception multidimensionnelle. Le legal design repose sur la manière de structurer et de communiquer l’information juridique en partant de l’utilisateur. Il convient donc au préalable de cerner ses besoins, ses aspirations et ses contraintes. Ce sont ces critères qui permettent d’élaborer et de concevoir l’information à transmettre de manière adaptée, dans une dynamique porteuse d’une vision synthétique, concrète et intelligible. Une telle approche interroge inévitablement sa propre expertise juridique : elle requiert une solide compétence technique en droit pour parvenir à simplifier l’information sans dénaturer le fond, pour clarifier sans affaiblir les attributs du droit que sont la précision et l’exactitude. Ce travail de (re)structuration est le préalable nécessaire à une seconde étape qui consiste à formaliser l’information par un traitement linguistique et graphique, et/ou des points de contacts destinés à engager l’utilisateur, à maintenir son attention et à faciliter la compréhension des points importants. Le legal design est alors axé tout à la fois sur le droit (comprendre la règle juridique dans ses nuances), le design (intégrer une méthode de conception), la communication (élaborer et structurer les messages à transmettre en fonction des besoins de l’interlocuteur [12]), la psychologie (maîtriser le langage non verbal, les perceptions derrière les mots), la linguistique et les neurosciences cognitives (cerner les niveaux de langage, identifier les termes à double sens [13], utiliser un langage clair) et la technologie.

La démarche est donc transversale et pluridimensionnelle, mobilisant différentes expertises qui mériteraient d’être davantage articulées.

L’exemple du « langage juridique clair ». L’utilisation d’un « langage juridique clair » par exemple, qui est une des composantes du legal design, fait actuellement l’objet d’une attention particulière non seulement du côté des institutions publiques, mais aussi du côté des professionnels du droit. Il apparaît comme une branche du « langage clair », qui provient surtout de la linguistique et des neurosciences cognitives, dont l’objectif est de permettre d’identifier facilement l’information, de la comprendre correctement et de mémoriser les messages clés [14]. Bien connu du monde anglo-saxon (plain language), le procédé, dans sa dimension juridique, mobilise depuis longtemps les avocats Québécois [15], mais aussi les juristes belges [16], américains et suédois. Si en France les réflexions autour du « langage juridique clair » sont encore récentes, elles suscitent un intérêt grandissant [17]. Sans doute peut-on y voir quelques prémices non seulement dans l’ordre interne mais aussi au niveau européen. Le Conseil constitutionnel consacre depuis 1999 l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi [18]. De la même manière, la Cour européenne des droits de l’Homme exige que la loi soit précise et accessible au citoyen. Le Parlement européen abrite en outre depuis 2019 une Unité « Langage clair » [19] destinée à apporter de la clarté dans les textes et rendre le droit accessible aux citoyens. Plus précisément, c’est cette même exigence qui sous-tend l’adoption des nouvelles règles de rédaction des arrêts du Conseil d’État [20] et de la Cour de cassation [21], ou encore de certains règlements récents, tel le RGPD, qui recommandent un langage clair, accessible et compréhensible [22]. Les spécialistes en sciences du langage étudient ce procédé de simplification au sein des administrations publiques et les questions qu’il soulève, tant sur le plan linguistique et discursif que sur un plan politique et social ; autant d’analyses éclairantes qui pourraient davantag accompagner le processus d’élaboration d’un « langage juridique clair » par les juristes. Adapter le langage pour faciliter la compréhension interpelle de plus en plus les professionnels du droit, à qui l’on demande une posture proactive et transversale. Le juriste est en effet souvent perçu comme trop jargonneux et technique, manquant de pragmatisme. Or, on attend de lui qu’il puisse expliquer clairement des conclusions, les termes d’un contrat, d’un règlement, ou encore produire des présentations utilisables dans les instances de direction. Emerge ainsi un mouvement de réflexion et de conceptualisation autour de techniques permettant au juriste de transmettre de manière optimisée des concepts, des règles et des solutions juridiques à des non-initiés chargés de les appliquer concrètement. Le « langage juridique clair » en fait partie. Désormais l’outil s’analyse et se mesure [23]. Il optimise les rapports d’affaires et permet une approche collaborative de la pratique du droit [24]. Sans doute peut-on regretter le déploiement récent d’un véritable marché de la simplification du langage autour de prestataires privés plus ou moins aguerris, qui cohabitent désormais avec les réseaux, les associations et les initiatives plus « militantes » qui ont émergé dans les années 1980‑1990. Le développement du numérique a sans doute favorisé l’éclatement des initiatives. Nous l’avons vu, le « langage clair », qui s’inscrit dans les sciences du langage, va bien au-delà de la communication et de la rhétorique. Il doit permettre aux juristes de réfléchir à leurs propres actions et messages. Une expertise solide apparait nécessaire pour accompagner la démarche de simplification d’un langage de spécialité comme le droit, où il n’est pas toujours possible ni toujours souhaitable d’être « simple et clair ».

B. Le legal design et l’enseignement du droit dans le supérieur

Le legal design a pour objectif premier de faciliter l’accès au droit. S’il intéresse de plus en plus les professionnels, notamment les directions juridiques et les cabinets d’avocats, son impact en matière d’enseignement, de transmission des compétences et des savoirs, moins commenté, mérite cependant d’être mis en lumière. C’est d’ailleurs dans ce contexte que l’approche a commencé à être conceptualisée par Maraget Hagan à l’Université de Stanford [25].

L’enseignement du legal design dans les écoles de droit. Le legal design, émergent dans le paysage français, commence à interpeller les écoles du droit (universités et écoles des avocats notamment) : certains programmes proposent désormais des modules et ateliers dédiés, afin de sensibiliser les étudiants aux enjeux économiques d’une telle démarche et de les former à de nouveaux outils dont ils se serviront dans le cadre de leur future profession (schémas conceptuels, cartes heuristiques, etc.).

Le legal design, entre recherche et innovations pédagogiques. En outre, la dimension pluridimensionnelle du legal design dépasse largement la simple visualisation du droit et la compréhension de ses composantes : il ouvre un champ de réflexion intéressant en matière d’enseignement du droit, autrement dit en termes de pratiques pédagogiques et d’apprentissage. L’enseignant du supérieur est d’abord un chercheur, et l’on sait bien que l’université ne prépare pas toujours à la pédagogie. Or, celle-ci est essentielle lorsqu’il s’agit former des futurs managers, des ingénieurs, des architectes, etc. La prise en compte du profil des apprenants, de leurs besoins et de la diversité des métiers auxquels ils se destinent donnent à l’enseignement du droit une dynamique particulière, notamment lorsqu’il s’agit de former des non-juristes. Le professeur doit trouver un équilibre entre la transmission de la rigueur juridique que l’étudiant utilisera dans sa vie professionnelle bien au-delà des problèmes de droit, et la compréhension de problématiques juridiques essentielles de la vie professionnelle à travers des situations très concrètes. Enseigner le droit à des non-initiés demande de mobiliser des structures et des formules engageantes.  Il convient alors d’abandonner certains réflexes pour clarifier des règles et des concepts afin de les rendre plus compréhensibles sans pour autant affaiblir le fond. Un schéma par exemple sera souvent plus efficace qu’un long discours ou une série de diapositives chargées de textes et de puces. Il s’agit pour l’enseignant, non pas de vulgariser sa matière, mais de transmettre aux étudiants des informations juridiques souvent complexes de manière claire et optimisée, parfois dans une approche de déconstruction-reconstruction [26]. Ainsi, la façon d’articuler les messages, les illustrations et le langage utilisé sont autant d’outils déployés pour susciter l’intérêt du public, aider à l’assimilation et à la mémorisation. La démarche du Legal design est en réalité déjà là, souvent expérimentée de manière intuitive.

Le passage brutal d’un enseignement en présentiel à un enseignement à distance ou en mode hybride lors de la pandémie de covid-19 a mis en exergue l’importance des méthodes et outils utilisés dans une approche de legal design. Dans ce contexte de distance imposée, l’enjeu était l’ouverture, dans une période de « fermeture » :  éclairer, favoriser et fluidifier les échanges avec des étudiants qui, plus que jamais, avaient besoin d’être mobilisés, entendus individuellement, stimulés et accompagnés. Les enseignants ont dû faire preuve de créativité et d’imagination, abandonner certaines pratiques, expérimenter l’utilisation de nouveaux outils numériques, repenser en profondeur leur méthodes de travail et leur manière d’enseigner. Un cours dispensé au moyen de visioconférences s’accommode mal par exemple de diapositives classiques reprenant le plan du cours, traditionnellement étayées de schémas sur le coin d’un tableau blanc. La multiplication des mediums a pu par ailleurs s’avérer souvent contre-productive, rompant ce lien avec l’étudiant qu’il fallait conserver sans relâche. Quels moyens utiliser alors pour engager les étudiants ? Comment structurer les messages sachant que le premier impact allait être visuel ? [27] Quel langage utiliser pour capter l’attention et communiquer des informations souvent complexes de manière claire et aisément compréhensible ? La nécessité de partir de l’étudiant est rapidement apparue évidente, afin qu’il puisse s’impliquer en se projetant dans une situation juridique vécue ou à vivre. Ses besoins, ses aspirations et ses contraintes ont constitué le point de départ d’un travail destiné à repenser, parfois en profondeur, la structure de l’information à transmettre ainsi que sa communication. Sans forcément avoir conscience d’expérimenter des outils du design, les enseignants ont tous interrogé leurs pratiques et expérimenté quelques innovations pédagogiques. Certaines ont sans doute été abandonnées ; d’autres mériteraient peut-être d’être consolidées de manière plus structurée, s’inscrivant alors dans une véritable démarche de legal design, en dialogue avec divers domaines de recherche.


[1] Site de l’Alliance française des designers [en ligne].

[2] Street Vendor Guide [en ligne].

[3] Site de Maraget Hagan [en ligne] ; Site Law by design [en ligne].

[4] Site de l’Université de Vaasa [en ligne].

[5] Site de Stefania Passera [en ligne]

[6] Gérés respectivement par la DILA (Direction de l’Information Légale et Administrative), la Direction générale des Finances publiques et la Direction des services judiciaires du ministère de la Justice.

[7] Dossier de presse à consulter [en ligne].

[8] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) N° Lexbase : L0189K8I.

[9] L’éditeur juridique Lexbase s’engage sur des procédés innovants afin de rendre le droit plus intelligible, en proposant des infographies juridiques, des résumés de décisions de justice sous la forme de bandes dessinées, de vidéos, etc.

[10] Site Captain contrat [en ligne].

[11] Site du Cabinet Granvelle [en ligne].

[12] Le message sera par exemple différent selon que l’interlocuteur est juriste ou non-juriste ; il conviendra en outre de définir l’objectif de la communication : former ? Convaincre ? Demander au public de s’engager dans l’action ?

[13] Le terme « vice » par exemple, qui génère facilement, pour les non-initiés, une confusion entre les vices cachés et de dol, vice du consentement.

[14] Il s’articule autour de quelques principes, comme placer l’information principale avant le détail, structurer les messages à transmettre, rédiger de façon concise et précise, s’adresser au lecteur directement, porter une attention au choix des mots, privilégier les phrases courtes et la voie active, etc.

[15] Guide officiel du barreau du Québec : « Le langage clair : un outil indispensable à l’avocat » [en ligne].

[16] Par exemple l’association belge Droits Quotidiens dont la mission consiste, depuis plus de vingt ans, à rendre le droit compréhensible par tous en mettant à disposition des informations pertinentes et actualisées dans différents domaines du droit à consulter [en ligne].

[17] Les associations d’avocats conseils d’entreprises et les associations de juristes d’entreprises organisent aujourd’hui régulièrement des conférences et ateliers sur ce thème. 

[18] Cons. const., 16 décembre 1999, n° 99-421 DC N° Lexbase : A8784ACC, cons. 13. Notons qu’en France, depuis le début des années 2000, le langage des administrations fait l’objet d’une attention particulière, dans une perspective de clarification et d’accessibilité de l’information à destination des différentes publics (contribuables, justiciables, etc.). En 2001, un comité dédié, le COSLA (Comité d’Orientation pour la Simplification du Langage Administratif) a été créé. Depuis, cette démarche de simplification s’est diffusée dans les pratiques des administrations publiques en leur ensemble :  KRIEG-PLANQUE Alice, Quand la communication publique travaille son expression. Les administrations à la recherche d’un “langage clair », Politiques de communication, vol. 14, no. 1, 2020, pp. 3-34.

[19] Soyons Clairs, entretien avec C. Waibel [en ligne].

[20] Désormais, « les juridictions doivent rendre [leurs décisions] mieux compréhensibles à un public large, sans rien sacrifier de leur qualité » : Conseil d’État, Vade-mecum, 10 déc. 2018, [en ligne].

[21] Les décisions de la Cour de cassation sont désormais rédigées au moyen d’un style direct, contiennent des paragraphes numérotés et une motivation développée. Cette réforme de la forme des arrêts, porteuse d’une dimension explicative, pédagogique et persuasive, a été présentée par la Cour comme un gage de sécurité juridique : Supra

[22] Supra

[23] Son efficacité a été mis en récemment en exergue par l’Étude BVA 2019 de l’agence de communication, Labrador, spécialisée dans le domaine règlementaire et de la compliance, à partir d’un panel de 500 personnes représentatives de la population française : + 35 % de vitesse de lecture, + 55 % de lecteurs qui identifient l’information principale rapidement ; + 50 % de lecteurs qui comprennent l’information. Étude à consulter [en ligne].

[24] Lydia Zunino, Les apports du langage juridique clair, Village de la Justice, 4 septembre 2020 [en ligne] : « Le langage juridique clair favorise une approche collaborative de la pratique du droit, il fluidifie et accélère les rapports d’affaires. Allié à la maîtrise des soft skills, il sera une arme réelle pour lui permettre d’être un partenaire stratégique pour ses clients et de faire face avec agilité et efficacité aux bouleversements majeurs que connait actuellement le monde du droit ».

[25] Supra

[26] La force du raisonnement juridique réside dans sa rigueur intellectuelle ; c’est néanmoins le syllogisme qui permet de comprendre pourquoi le juriste a quasi systématiquement tendance à partir du général pour aboutir au particulier.

[27] « Nous vivons dans un monde d’image ; il est donc fondamental de faire un gros travail préparatoire de compréhension pour apporter le sens et non l’aspect esthétique » : La forme de la norme peut-elle restaurer sa fonction ? Thèse de Marie POTEL SAVILLE, ENSCI Les Ateliers, 5 janvier 2020.

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