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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
De manière un tant soit peu naïve, le maire d'une commune pensait justifier ce refus en rappelant que le mode de financement des activités périscolaires faisait appel, dans des proportions significatives, aux participations versées par les usagers de ce service public à caractère administratif, et évoquait le fait qu'une prise en charge, par la collectivité, de la participation normalement dévolue aux familles des enfants du foyer social mettrait en difficulté les finances communales.
Mal lui en a pris, puisque le juge administratif rappelait tout de go que les principes fondamentaux d'un service public, même facultatif dès lors qu'il a été créé, imposent l'égal accès des usagers ; qu'il ne peut être dérogé à cette égalité que pour des raisons d'intérêt général pourvu que la différence de traitement soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier... Et, ce n'est pas le cas en l'espèce ; que la commune ne peut, à cette même fin, se prévaloir de ce que les familles de ces enfants bénéficient d'une aide de l'Etat alors qu'il est constant que cette aide ne les rend pas solvables pour autant ; et que le critère d'activité professionnelle retenu par la commune conduisant à exclure de l'inscription régulière aux services périscolaires les enfants dont les parents sont dépourvus d'une telle activité, est sans rapport avec l'objet du service public en cause.
Résumons-nous : l'égalité d'accès s'applique même à un service public administratif "accessoire" à celui, régalien, de l'éducation ; l'équilibre des finances publiques locales n'est pas un principe d'intérêt général suffisamment important pour rompre cette égalité d'accès ; il n'est point besoin d'évoquer les revenus de transferts et autres aides sociales perçus par ces familles en difficulté pour sous-tendre qu'elles seraient finalement en capacité, dès lors, d'assurer leur participation aux services périscolaires ; enfin, il importe peu que ce service public administratif mis en place principalement pour les familles ne pouvant s'occuper de leurs enfants, aux heures extrascolaires, durant la durée de leur travail, bénéficie également aux familles sans emploi -l'utilité sociale des services périscolaires dépassent le cadre de la seule "occupation" des enfants en l'absence de leurs parents-.
D'abord, s'il n'est point besoin de discuter du principe d'égalité et, notamment, de l'égal accès à un service public administratif, cette décision du 2 mai 2013 explique, finalement fort bien, pourquoi il eut été impossible d'inscrire, dans la Constitution, une quelconque "règle d'or budgétaire", sauf à accepter sa violation, chaque jour, par les collectivités territoriales, en charge des nombreuses dépenses sociales transférées, années après années, et à dessein, par l'Etat. Ce dernier peut s'enorgueillir d'avoir fait ratifier, le 22 novembre 2012, le Pacte budgétaire européen, sous l'égide du Conseil constitutionnel, rendant applicable, dès le 1er mars 2013, la fameuse "règle d'or budgétaire", c'est-à-dire la règle selon laquelle les lois de finances devront permettre, à terme, d'obtenir un déficit structurel inférieur à 0,5 % du PIB. Mais, sont ainsi visés les seuls budgets de l'Etat et de la Sécurité sociale. Certes, les lois de finances déterminent les compensations budgétaires et les dotations allouées aux collectivités, mais l'on sait fort bien qu'il est impossible de limiter, de par le principe d'indépendance, l'envolée budgétaire de ces dernières ; ce d'autant moins qu'il leur serait reproché, comme c'est le cas en l'espèce, devant les tribunaux, soit de ne pas assurer une mission de service public obligatoire, soit d'en refuser l'accès égalitaire. Et, en l'absence de loi contraignant à la circonscription des déficits budgétaires territoriaux, on peine à entrevoir ce qui pourrait permettre l'assainissement des finances publiques locales, sauf à ce que les collectivités se désengagent progressivement de tout service public non obligatoire, voire non régalien. C'est évidement l'un des travers du principe de l'égalité en tout pour tous : l'égal accès aux services publics inexistants ! De manière sous-jacente, on comprend dès lors que cette décision de première instance pose, ni plus ni moins, la question des contours de l'Etat "Providence" -ou plus précisément de l'Etat régalien et des collectivités "Providence"-.
Ensuite, l'affaire présentée devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est un exemple topique de ce qu'il risque de se passer, dès la rentrée scolaire 2013, dans le communes acceptant, d'ores et déjà, le passage aux nouveaux rythmes scolaires. Les collectivités locales s'étaient déjà faits l'écho de leurs probables difficultés budgétaires à organiser de nouveaux services périscolaires en sus de ceux existants, afin de combler le "vide méridien". L'inégalité entre les communes sera donc d'autant plus patente que, pour celles situées en zone sensible, on imagine, dès lors, leurs déficits se creuser encore un peu plus à l'énoncé du principe de l'égal accès à ces nouveaux services périscolaires, faute de pouvoir mettre à contribution les familles en difficulté... Seule une péréquation pourrait ainsi rééquilibrer les situations, mais cette dernière suppose un pacte social réaffirmé et une justice sociale acceptée...
Non, décidément, avec cette simple décision, ce sont tous les remous actuels affectant la politique française et européenne que le juge cergy-pontain aborde...
"L'idée de justice est au fond une idée de théâtre, de dénouement, de retour à l'équilibre ; après quoi, il n'y a plus rien. On s'en va. Fini le drame" (Paul Valéry).
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