Réf. : Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-19.351, FS-P+B (N° Lexbase : A5011KDX)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 06 Juin 2013
Résumé
La cour d'appel, qui était saisie d'un litige opposant deux sociétés commerciales, l'une recherchant la responsabilité de l'autre pour complicité de violations de clauses de non-concurrence, et la juridiction prud'homale n'étant pas saisie par les parties au contrat de travail, a énoncé à bon droit que l'absence de décision de cette juridiction sur la validité ou la nullité de ces clauses et sur la violation par les salariés concernés de leur obligation de non-concurrence n'empêche pas la juridiction commerciale de trancher cette question lors de l'instance opposant les employeurs successifs. La société poursuivie pour concurrence déloyale ayant indiqué dans ses écritures qu'elle avait confié à M. X un poste hors du territoire protégé, la cour d'appel a pu en déduire que cette société reconnaissait que la clause de non-concurrence avait vocation à s'appliquer. Le nouvel employeur ne discutait pas la validité de la clause de non-concurrence concernant M. X et, s'agissant de Mme Y, se bornait à faire valoir que cette dernière, en qualité de "simple secrétaire" chargée de tâches administratives, ne pouvait se voir imposer une telle restriction à sa liberté de travailler, sans prétendre que la clause n'aurait pas été indispensable aux intérêts légitimes de l'entreprise, ni qu'elle n'aurait pas été limitée dans le temps et dans l'espace. Elle ne peut donc reprocher à la cour d'appel de ne pas avoir effectué des recherches qui ne lui étaient pas demandées. |
Observations
I - La sanction du nouvel employeur en cas de violation d'une clause de non-concurrence
Les règles de principe. Il peut arriver que la violation d'une obligation de non-concurrence à laquelle est tenu un salarié en application de son contrat de travail intervienne avec la complicité d'un nouvel employeur, qui aide en quelque sorte le salarié à transgresser l'interdiction en cause (1). Dans une telle hypothèse, la responsabilité du nouvel employeur, tiers complice de la violation de l'obligation de non-concurrence, pourra être engagée par l'ancien employeur, au moyen d'une action en concurrence déloyale, fondée sur les articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil. Il y a là une conséquence du principe dégagé par la jurisprudence selon lequel toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui commet une faute délictuelle à l'égard de la victime de l'infraction (2).
Il faut, en outre, souligner que l'action en concurrence déloyale engagée contre le nouvel employeur du salarié devant la juridiction commerciale, qui n'a ni le même objet, ni la même cause et qui n'oppose pas les mêmes parties, ne fait pas obstacle à ce que l'ancien employeur agisse contre son ancien salarié en réparation du préjudice qu'il lui a causé par sa faute (3). Cette dernière action devra, bien évidemment, être introduite devant la juridiction prud'homale.
Dès lors que l'action en concurrence déloyale est liée à la violation par le salarié de son obligation de non-concurrence, diverses difficultés peuvent surgir au moment de l'action en justice de l'ancien employeur. L'arrêt sous examen est révélateur d'une telle problématique.
L'affaire. En l'espèce, la société S., société de travail intérimaire, employait M. X, commercial, et Mme Y, secrétaire. Consécutivement à leur démission, intervenue en août 2010, ces deux salariés avaient ensuite été embauchés par une société concurrente, la société G.. Faisant valoir que ces derniers étaient tenus par une clause de non-concurrence et invoquant un détournement de clientèle, la société S. a fait assigner la société G. en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
La société G. faisait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à cette demande. A l'appui de son pourvoi, elle invoquait divers arguments.
Tout d'abord, elle soutenait qu'une action fondée sur la complicité dans la violation d'une clause de non-concurrence, qui relève de la compétence de la juridiction commerciale, suppose que soit tranchée la question préalable de la violation de cette clause par le salarié, laquelle relève de la compétence exclusive de la juridiction prud'homale. Par suite, il appartient à l'ancien employeur, qui prétend agir en concurrence déloyale contre le nouvel employeur de son ancien salarié, de faire préalablement constater la violation de la clause de non-concurrence par son salarié.
Ensuite, la société demanderesse arguait que l'aveu judiciaire ne peut porter que sur un point de fait et que l'employeur d'un salarié tenu, à l'égard de son précédent employeur, par une clause de non-concurrence, ne peut reconnaître que la clause a vocation à s'appliquer, ce qui suppose une appréciation juridique de la validité de la clause.
Enfin, la société G. soutenait que responsabilité de l'employeur d'un salarié tenu par une clause de non-concurrence liant ce dernier à un précédent employeur ne peut être engagée qu'à charge pour le juge de vérifier la licéité de la clause de non-concurrence. Il appartient ainsi au juge de vérifier que la clause de non-concurrence est indispensable aux intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié.
La solution. Aucun des arguments invoqués par le nouvel employeur n'aura convaincu la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.
Elle affirme, en premier lieu, que la cour d'appel, qui était saisie d'un litige opposant deux sociétés commerciales, l'une recherchant la responsabilité de l'autre pour complicité de violations de clauses de non-concurrence, et la juridiction prud'homale n'étant pas saisie par les parties au contrat de travail, a énoncé à bon droit que l'absence de décision de cette juridiction sur la validité ou la nullité de ces clauses et sur la violation par les salariés concernés de leur obligation de non-concurrence n'empêche pas la juridiction commerciale de trancher cette question lors de l'instance opposant les employeurs successifs.
En deuxième lieu, elle souligne que la société G. ayant indiqué dans ses écritures qu'elle avait confié à M. X un poste hors du territoire protégé, la cour d'appel a pu en déduire que cette société reconnaissait que la clause de non-concurrence avait vocation à s'appliquer.
En troisième et dernier lieu, elle relève que, devant la cour d'appel, la société G. ne discutait pas la validité de la clause de non-concurrence concernant M. X et, s'agissant de Mme Y, se bornait à faire valoir que cette dernière, en qualité de "simple secrétaire" chargée de tâches administratives, ne pouvait se voir imposer une telle restriction à sa liberté de travailler, sans prétendre que la clause n'aurait pas été indispensable aux intérêts légitimes de l'entreprise, ni qu'elle n'aurait pas été limitée dans le temps et dans l'espace. Elle ne peut donc reprocher à la cour d'appel de ne pas avoir effectué des recherches qui ne lui étaient pas demandées.
II - Les modalités de la poursuite du nouvel employeur
Les pouvoirs du juge commercial.
Il ne saurait être discuté, et ce n'était d'ailleurs pas le cas en l'espèce, que l'action en concurrence déloyale, serait-elle fondée sur la complicité dans la violation d'une obligation de non-concurrence pesant sur un salarié, doit être portée devant le tribunal de commerce, dès lors qu'elle oppose deux sociétés commerciales. Cela étant, cette juridiction doit-elle s'abstenir de statuer dès lors que la juridiction prud'homale n'a pas rendu de décision sur la validité de la clause de non-concurrence et sur sa violation par les salariés concernés ? La Cour de cassation répond en l'espèce par la négative. Cette solution doit être approuvée, ne serait-ce que parce qu'admettre l'inverse reviendrait à paralyser l'action en concurrence déloyale ou, plus exactement, à soumettre sa recevabilité au fait que l'ancien employeur agisse d'abord contre le ou les salariés en violation de la clause de non-concurrence.
Pour autant, la solution retenue par la Chambre commerciale laisse clairement entendre qu'il doit en aller différemment si le conseil de prud'hommes a été saisi d'un litige relatif à la clause de non-concurrence par les parties au contrat de travail. Dans ce cas, il semble que la juridiction commerciale doive surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge du travail (4). Si tel n'est pas le cas, la juridiction commerciale conserve une pleine compétence pour trancher l'action en concurrence déloyale. Mais, dans la mesure où celle-ci est fondée sur la complicité dans la violation de la clause de non-concurrence, cette juridiction peut être amenée à se prononcer sur l'application de la clause de non-concurrence et sur sa validité.
Application de la clause de non-concurrence. Lorsque le nouvel employeur est poursuivi pour tierce complicité dans la violation de l'obligation de non-concurrence qui lie un salarié, est fréquemment en cause la question de la preuve de la connaissance de la clause de non-concurrence par le nouvel employeur (5). Tel n'était toutefois pas le cas en l'espèce, le nouvel employeur contestant l'applicabilité de la clause de non-concurrence ou, plus exactement, contestant avoir reconnu que celle-ci s'appliquait à lui (6). Il est vrai qu'il y a une différence entre prétendre ne pas connaître l'existence d'une clause de non-concurrence et considérer qu'elle n'est pas applicable au nouvel employeur.
En l'espèce, et ainsi qu'il a été vu, l'argumentation de ce dernier avait trait à la portée de l'aveu judiciaire et, plus particulièrement, à la règle selon laquelle celui-ci ne peut porter que sur un fait. Le nouvel employeur soutenait, en substance, qu'il ne peut y avoir reconnaissance de l'applicabilité d'une clause de non-concurrence, question de fait, sans appréciation de sa validité, question de droit. Il s'agit pourtant là de deux choses bien distinctes ; ce que confirme la solution de la Chambre commerciale. Ainsi qu'elle le relève, en indiquant dans ses écritures qu'elle avait confié à M. X un poste "hors du territoire protégé" (sous-entendu par la clause de non-concurrence), la cour d'appel a pu en déduire que cette société reconnaissait que la clause de non-concurrence avait vocation à s'appliquer.
Il ne faudrait toutefois pas déduire de cette solution que le nouvel employeur ne peut pas contester l'applicabilité d'une clause de non-concurrence. Au contraire, la Cour de cassation a estimé, dans un litige entre un ancien et un nouvel employeur, que le tribunal de commerce peut connaître de la contestation formée en défense par le nouvel employeur et relative à l'applicabilité de la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail qui lui était opposé (7). Mais, encore faut-il, pour cela, que le nouvel employeur n'ait pas admis que la clause lui était applicable...
Validité de la clause de non-concurrence. Dès lors que l'action en concurrence déloyale intentée contre le nouvel employeur est fondée sur la complicité de violation d'une obligation de non-concurrence, ce dernier est en mesure d'invoquer, pour sa défense, l'inopposabilité de la clause en raison de sa nullité (8). A cette fin, le nouvel employeur peut soutenir que la clause n'est pas indispensable à la protection de l'intérêt légitime de l'entreprise, qu'elle n'est pas limitée dans le temps et dans l'espace, ou encore qu'elle ne comporte pas de contrepartie pécuniaire à la charge de l'ancien employeur.
Mais, et c'est un autre des enseignements de l'arrêt rapporté, il importe dans ce cas que le nouvel employeur saisisse véritablement le juge d'une telle contestation. Or, en l'espèce, et ainsi que le relève la Chambre commerciale, la société G. n'avait pas discuté la validité de la clause de non-concurrence concernant M. X, devant la cour d'appel. S'agissant de Mme Y, cette même société s'était bornée à faire valoir que cette dernière, en qualité de "simple secrétaire" chargée de tâches administratives, ne pouvait se voir imposer une telle restriction à sa liberté de travailler. Si l'on comprend bien la solution retenue, cette contestation ne pouvait être assimilée à une discussion relative à la licéité de la clause, puisqu'il n'était pas prétendu que la clause n'aurait pas été indispensable aux intérêts légitimes de l'entreprise, ni qu'elle n'aurait pas été limitée dans le temps et dans l'espace. En conséquence, il ne pouvait être reproché à la cour d'appel de n'avoir pas examiné la validité de la clause litigieuse.
La solution peut ici apparaître bien rigoureuse. En effet, en faisant référence aux fonctions de la salariée et, partant, à l'impossibilité de lui imposer une obligation de non-concurrence, il est permis de considérer que le nouvel employeur contestait, en réalité, l'existence d'un intérêt légitime de l'entreprise à imposer une telle obligation de la salariée. Mais il est vrai que cette contestation n'était pas explicite. Il faut ainsi comprendre que le nouvel employeur a tout intérêt à formuler très clairement sa contestation.
(1) V. en ce sens, Y. Picod et S. Robinne, Rép. trav. Dalloz, v° Concurrence (obligation de non-concurrence), 2009, n° 105.
(2) Y. Picod et S. Robinne, op. cit., n° 105 et la jurisprudence citée.
(3) Cass. com., 24 mars 1998, n° 96-15.694, publié (N° Lexbase : A5468ACI), Bull. civ. IV, n° 111 ; Cass. soc., 28 janvier 2005, n° 02-47.527, F-P+B (N° Lexbase : A2966DGX), Bull. civ. V, n° 36.
(4) Ainsi qu'il est souligné, "le sursis à statuer est souvent justifié par l'existence d'une autre instance dont l'issue est susceptible d'exercer une influence, déterminante, sur celle dont le juge est saisi", L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Lexis Nexis, 7ème édition, 2011, n °685.
(5) V. sur la question ; Y. Picod et S. Robinne, op. cit., n° 107 et 108.
(6) On admettra que, ce faisant, il reconnaissait avoir eu connaissance de l'existence de la clause.
(7) Cass. com., 27 mars 2001, n° 99-11.320, FS-P (N° Lexbase : A0937ATU), Bull. civ. IV, n° 68.
(8) Cass. com., 29 janvier 2008, n° 06-18.654, F-P+B (N° Lexbase : A6003D44), Bull. civ. IV, n° 22.
Décision
Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-19.351, FS-P+B (N° Lexbase : A5011KDX) Rejet, CA Lyon, 24 février 2012, n° 10/08063 (N° Lexbase : A2996IDC) Textes concernés : C. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) Mots-clés : clause de non-concurrence, violation, action contre le nouvel employeur, concurrence déloyale Liens base : (N° Lexbase : E8744ESN) |
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