La lettre juridique n°525 du 25 avril 2013 : Filiation

[Jurisprudence] L'homme qui ne voulait pas être père

Réf. : Cass. QPC, 28 mars 2013, n° 13-40.001, FS-D (N° Lexbase : A3975KBT)

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N6813BTI

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

le 23 Mai 2013

La décision de la Cour de cassation du 28 mars 2013 s'inscrit dans le débat soulevé, notamment dans la presse grand public, de la paternité imposée à des hommes qui n'en voulaient pas (1). Selon un article publié dans le Figaro le 28 janvier 2013, "les cabinets d'avocats regorgent d'histoires où des hommes, riches le plus souvent, se voient présenter 'l'addition' d'une idylle passagère : un enfant, dont le géniteur sera 'condamné' à assumer la paternité et à en supporter toutes les conséquences". L'un d'entre eux n'a pas hésité à soulever devant la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité pour s'opposer à l'action en recherche de paternité intentée contre lui par la mère de l'enfant, vraisemblablement né d'une relation éphémère, et non désirée par le défendeur. Il s'agissait de savoir si "l'article 327 du Code civil (N° Lexbase : L8829G9U) instituant l'action en recherche judiciaire de paternité hors mariage, en ce qu'il empêche tout homme géniteur de se soustraire à l'établissement d'une filiation non désirée, est[-il] contraire à la Constitution, ensemble les articles 1 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, l'article 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et I'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 ?"

Après avoir constaté que la disposition contestée était applicable au litige, qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, et que la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'était pas nouvelle, la Cour de cassation centre sa réponse sur le caractère sérieux de la QPC. Elle considère que "la question posée ne présente pas de caractère sérieux au regard du principe d'égalité entre les hommes et les femmes, dès lors que la maternité hors mariage est susceptible d'être judiciairement déclarée, comme la paternité hors mariage et dans les mêmes conditions procédurales, y compris en cas d'accouchement dans le secret, lequel ne constitue plus une fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité, ensuite, que ni la question elle-même, ni le mémoire qui la soutient, n'exposent en quoi le texte critiqué méconnaîtrait les principes fondés sur les dispositions de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen".

Ainsi, selon la Cour de cassation la paternité imposée ne constitue ni une atteinte à l'égalité (I), ni une atteinte à la liberté (II).

I - L'absence d'atteinte à l'égalité

Egalité homme-femme. Selon l'auteur de la QPC, l'action en recherche de paternité de l'article 327 du Code civil plaçait l'homme, le "géniteur", dans une situation défavorable par rapport à la femme, dans la mesure où il ne disposait d'aucun moyen pour se soustraire à l'établissement de la filiation de l'enfant à son égard, alors que cette dernière pouvait bénéficier du régime de l'accouchement dans le secret de l'article 326 du Code civil (N° Lexbase : L8828G9T).

Fin de non-recevoir liée à l'accouchement dans le secret. La Cour de cassation écarte cet argument de l'égalité homme-femme en se fondant sur la suppression par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 (N° Lexbase : L5763ICG), ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation (N° Lexbase : L8392G9P) et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation, de la fin de non-recevoir liée à l'accouchement sous X. Avant la loi du 16 janvier 2009 en effet (2), l'accouchement sous X constituait une fin de non-recevoir à l'établissement de la filiation maternelle dans les rares hypothèses dans lesquelles l'enfant parvenait à connaître l'identité de sa mère et ne bénéficiait pas d'une autre filiation, adoptive. Cette suppression avait déjà été justifiée par la volonté de faire disparaitre une inégalité entre le père -qui ne pouvait échapper à une recherche de paternité- et la mère, soit-disant susceptible de conduire à une condamnation de la France devant la Cour européenne des droits de l'Homme (3). Avec la suppression de la fin de non-recevoir tirée de l'accouchement sous X, le père et la mère biologique de l'enfant se retrouveraient selon la Cour de cassation à égalité, l'un et l'autre ne pouvant échapper à l'établissement judiciaire de la filiation. Ce raisonnement paraît cependant discutable à divers titres.

Absence de situations identiques. Dès l'entrée en vigueur de la loi du 16 janvier 2009, l'argument de l'égalité homme-femme qui aurait nécessité la suppression de la fin de non-recevoir liée à l'accouchement sous X, a été critiqué (4). Il se heurtait, en effet, à la différence de situation dans laquelle sont placés le père et la mère après la conception de l'enfant (5), le premier n'étant, physiquement et psychologiquement, aucunement affecté par celle-ci, alors que la seconde doit assumer la grossesse et l'accouchement. La possibilité pour la mère d'accoucher dans le secret est justifiée par la nécessité de préserver sa santé et celle de l'enfant, et la fin de non-recevoir établie en 1993 participait du dispositif. La Cour européenne, qui a admis en 2008 (6) la compatibilité avec l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR) des conditions de l'accouchement sous X, notamment quant à l'information de la mère et au délai de rétractation dont elle dispose, pourrait considérer que la fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité, participe de l'équilibre de l'accouchement sous X.

Egalité uniquement juridique. Par ailleurs, même si l'action en maternité ne peut plus, juridiquement, être empêchée par une fin de non-recevoir, l'accouchement sous X permet incontestablement, de fait, à la mère de se soustraire à une action en recherche de maternité puisque l'enfant ignorera, en principe, son identité. Par hypothèse, le père ne peut cacher la sienne dans la mesure où la mère la connaît. Toutefois, si la mère décide de recourir à l'accouchement sous X, l'identité du père de l'enfant ne sera pas dévoilée à ce dernier. On peut donc considérer qu'en réalité, le père génétique "profite" du secret demandé par la mère. Deux situations sont en réalité envisageables : ou bien la mère décide de ne pas assumer sa maternité et le père n'aura pas non plus à assumer la sienne ; ou bien la mère décide d'assumer sa maternité et le père ne pourra pas refuser la sienne. Or, dans les hypothèses qui nous occupent, la question de l'accouchement sous X ne se pose en réalité pas car les femmes concernées ont tout fait pour avoir un enfant. L'argument de la Cour de cassation paraît ainsi peu adapté.

Le père est donc soumis à la volonté de la mère, ce qui n'est pas nouveau et qui est sans doute inhérent aux modalités de la reproduction humaine...

II - L'absence d'atteinte à la liberté

Absence de liberté. L'auteur de la QPC prétendait, en se fondant sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1368A9K), que l'impossibilité dans laquelle il se trouvait d'échapper à une action en recherche de paternité portait atteinte à sa liberté individuelle. Cela revenait à concevoir la paternité comme un choix et donc considérer qu'il existerait une liberté de voir établir ou non la filiation d'un enfant à son égard. Un tel raisonnement manque pour le moins de fondement. Ainsi, si le droit à la vie privée permet, selon la Cour européenne des droits de l'Homme, de contester une paternité contraire à la vérité biologique (7), ce droit fondamental ne saurait permettre d'accepter ou non sa descendance dès lors qu'elle correspond à la réalité biologique. Non seulement l'homme concerné ne pourra pas s'opposer à l'action en recherche de paternité, mais s'il refuse de se soumettre à des tests ADN dans le cadre de la procédure, il risque de voir sa filiation établie d'office par le juge qui tirera ainsi les conséquences de son refus. L'existence d'un droit de l'enfant à établir sa filiation réduit à néant toute tentative de présenter la paternité comme une liberté.

Droit de l'enfant de voir sa filiation établie. Les parents biologiques d'un enfant ont, certes, au moment de la naissance, le choix d'établir ou non la filiation de ce dernier à leur égard. Le père non marié avec la mère peut ainsi le reconnaître ou non, avant ou après sa naissance. Mais par la suite, tout enfant -à l'exception de l'enfant incestueux qui ne peut établir sa filiation qu'à l'égard d'un seul de ses parents- peut établir sa filiation par voie judiciaire. Cette possibilité est notamment fondée sur l'article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant selon lequel l'enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. L'existence d'un lien biologique entre un homme et un enfant entraîne le droit pour ce dernier d'établir sa filiation paternelle et de bénéficier des effets qui en découlent, notamment en termes d'obligation alimentaire et de droits successoraux. Le fait que le géniteur n'ait pas souhaité la conception de cet enfant et qu'il ne souhaite pas se comporter après sa naissance comme son père n'y change rien et ne doit rien y changer. Si la possession d'état peut constituer un moyen d'établir la filiation (8), son absence ne saurait à l'inverse empêcher son établissement.

Exclusion d'une exception liée à la volonté du père. D'aucuns ont proposé de mettre les hommes à l'abri des manipulations des femmes qui veulent leur faire un enfant contre leur gré (9). Eriger le refus de l'homme d'avoir un enfant dans ces conditions en obstacle à l'action en recherche de paternité paraît difficilement réalisable ; surtout il serait impossible de justifier un tel raisonnement sauf à remettre en cause les principes gouvernant le droit de la filiation. L'enfant ne saurait, en effet, voir sa filiation dépendre des circonstances de sa conception ! D'autant qu'il faut rappeler l'évidence selon laquelle la contraception n'est pas l'apanage des femmes... Tout homme qui a une relation sexuelle non protégée avec une femme doit savoir qu'il prend le risque de concevoir un enfant, à l'égard de qui sa paternité pourra être établie. Même si l'on peut admettre qu'il n'est pas loyal pour une femme de mentir sur le fait qu'elle a recours à un moyen contraceptif, la naïveté de certains hommes ne saurait justifier une modification de la loi.

Qualité de la mère pour agir. Il n'est cependant pas totalement incongru de s'interroger sur la qualité de la mère pour agir, sans aucun contrôle, en recherche de paternité au nom de l'enfant. Tant que l'enfant est mineur, c'est en effet elle qui décide de l'opportunité d'une telle action. Des textes internes comme internationaux, il ressort une présomption selon laquelle l'intérêt de l'enfant consiste à ce que sa filiation soit établie conformément à ses origines biologiques. Mais on peut se demander s'il est vraiment toujours de l'intérêt de l'enfant de voir établie sa filiation à l'égard d'un homme qui ne l'a pas désiré et qui ne souhaite pas se comporter avec lui comme un père. Le cas échéant, l'intérêt patrimonial va sans doute dans le sens d'une réponse positive. Toutefois, n'est-il pas gênant de laisser la mère décider seule de l'opportunité de l'action en recherche de paternité, sans que l'enfant n'ait son mot à dire et sans qu'il ne puisse par la suite remettre en cause ce lien de filiation ? Il serait sans doute préférable de soumettre cette question à un contrôle extérieur, d'un juge ou d'un représentant autonome de l'enfant tel un administrateur ad hoc. Ces derniers pourraient, s'ils ont un doute quant à la conformité de l'action à l'intérêt supérieur de l'enfant, laisser l'enfant décider après sa majorité.

Action aux fins de subsides. En attendant que l'enfant devenu majeur décide d'établir ou non sa filiation paternelle, l'action aux fins de subsides de l'article 342 du Code civil (N° Lexbase : L5808IC4) est toujours possible. Elle permet à l'enfant, et donc à sa mère, d'obtenir une pension alimentaire. Elle peut, en outre, être le cadre d'une expertise génétique (10) qui permettra d'établir la preuve de la paternité sans que la filiation ne soit établie. Le risque, en effet, d'attendre pour agir en recherche de paternité réside dans le décès du géniteur qui met fin, en l'état du droit français (11), à la possibilité de procéder à une recherche ADN. Muni des preuves de sa filiation, l'enfant sera libre de décider s'il procède ou non à son établissement judiciaire. Parce que l'enfant, lui est libre de choisir....


(1) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/01/28/01016-20130128ARTFIG00717-paternite-imposee.php
(2) Nos obs., La ratification de l'ordonnance du 4 juillet 2005 : la réforme de la réforme, Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 ([LXB=N3634BI]).
(3) H. de Richemont, rapp. n° 145, 2007-2008, fait au nom de la commission des lois déposé le 19 décembre 2007 p. 32.
(4) Nos obs., art. préc..
(5) En ce sens, F. Dreiffus-Netter, L'accouchement sous X et le droit de connaître ses origines, in Droit de l'enfant et de la famille, Hommage à Marie-Josèphe Gebler, Presses universitaires de Nancy, 1998, qui considère qu'"il est difficile de prétendre que l'homme et la femme, du point de vue physiologique, sont dans une égalité de situation qui justifierait l'égalité de traitement".
(6) CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04 (N° Lexbase : A2492D3P), Lamy Droit civil, février 2008, p. 43.
(7) CEDH, 24 novembre 2005, Req. 74826/01, en anglais ; F.Sudre (dir.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 2011, 6ème éd. p. 564.
(8) C. civ., art. 317 (N° Lexbase : L3822IRY).
(9) Le Figaro, 28 janvier 2013, art. préc..
(10) Cass. civ. 1, 14 juin 2005, n° 03-12.641, FS-P+B (N° Lexbase : A7993DIU), Defrénois, 2205, 1848, obs. J. Massip ; Dr. fam., 2005, n° 182, note P. Murat ; Cass. civ. 1, 6 décembre 2005, n° 03-15.588, FS-P+B (N° Lexbase : A9112DL3), D., 2006, IR 14. ; Cass. civ. 1, 9 février 2011, n° 09-72.009, F-D (N° Lexbase : A7293GWZ).

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