La lettre juridique n°525 du 25 avril 2013 : Éditorial

Prothèses PIP : Tartuffe sur le banc des accusés

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées" (Tartuffe, acte III, scène II).

Le 17 avril 2013, au sein d'une halle du Parc des expositions de Marseille, s'ouvrait un bien singulier procès : celui des prothèses PIP. La sixième chambre du tribunal correctionnel de la cité phocéenne s'est donc déplacée, dans un cadre moins solennel que d'ordinaire, pour accueillir près de 700 personnes, dont 300 avocats et les parties civiles. Il faut dire qu'elles sont 30 000, ces femmes à avoir tenté l'implant de ces prothèses litigieuses, rien qu'en France. Beau cas d'école pour une action de groupe s'il en est ; mais seulement voilà, la class action n'a pas encore droit de cité, aussi le procès se tiendra dans un lieu opportun et selon un coût qui l'est moins (800 000 euros).

S'il s'agissait seulement de déterminer la culpabilité des personnes incriminées pour "tromperie sur les qualités substantielles des implants commercialisés", l'affaire n'aurait pas de quoi faire jurisprudence. Le scandale sanitaire est avéré, et il n'est un secret pour personne, maintenant, que le "gel maison", qui intégrait les prothèses mammaires en cause, n'était pas le fameux gel homologué Med 6 300 de Nusil, qui conditionnait la certification des implants. Cette tromperie -excusez notre jugement avant dire droit- permettait à l'entreprise d'économiser, au bas mot, un million d'euros par an.

Non, ce procès va indéniablement dévier, parce qu'il ne peut en être autrement, sur la responsabilité des autorités sanitaires françaises, celle des certificateurs victimes eux-mêmes de tromperies -mais à quel point et suivant quelle éventuelle complaisance (le certificateur en cause étant, par ailleurs, assigné devant le tribunal de commerce de Toulon pour "manquement à ses obligations de certification et de contrôle")-, sur l'éventuelle défectuosité des prothèses au regard des risques inhérents à la chirurgie esthétique, et plus singulièrement, à l'augmentation mammaire.

D'abord, si l'ancien VRP en cognac et produits de stérilisation pour les dentistes officie dans le secteur des prothèses depuis 1982, le pot aux roses n'a été découvert qu'en 2000 par les américains et... en 2010 en France -s'applique ici aussi la tectonique de l'information et des modes culturelles, qui veut que la France ait 10 ans de retard sur l'Amérique-. Et, c'est le taux anormal des ruptures et de l'utilisation d'un gel "différent de celui déclaré lors de la mise sur le marché" qui a, finalement, alerté nos autorités. Le laps de temps ainsi écoulé entre le début des activités de PIP et l'interdiction de commercialisation aux Etats-Unis, d'abord, et entre les réactions américaines et françaises, ensuite, laisse présager l'étendue des dommages, la gravité de la faute, et, vraisemblablement, l'incompétence des autorités sanitaires elles-mêmes.

Ensuite, bien que l'Agence nationale de sécurité du médicament ai souligné que "toutes les analyses chimiques et toxicologiques réalisées dans le monde entier sur un grand nombre d'implants PIP n'ont pas mis en évidence de risque significatif pour la santé humaine", 21 % tout de même des prothèses explantées présentaient une anomalie (rupture, suintement du gel)... Toutefois, certaines études montrent un taux ordinaire de complication tout aussi élevé, si l'on considère qu'une majorité des femmes concernées a dû subir une nouvelle intervention après implantation. Aussi, l'on retrouvera, en débat dans les prétoires, les querelles doctrinales classiques sur l'équivalence des conditions, la proximité de la cause, et la causalité adéquate ; sachant que les juges utilisent ces différentes théories afin de se prononcer sur la causalité, sans véritablement privilégier l'une d'entre elles... Sans parler des prédispositions éventuelles des victimes au regard du lien de causalité... Si la défectuosité est avérée, quelle est son implication dans les lésions subies ? Et peut-on encore exonérer le médecin qui pose une prothèse défectueuse, sauf à avoir commis une faute ?

Enfin, le procès ne manquera pas de revenir sur l'histoire chaotique de l'augmentation mammaire, à travers laquelle, finalement, le scandale des prothèses PIP n'est que peau de chagrin et ferait presque "pschitt", s'il ne concernait pas autant de victimes -encore le nombre de femmes risquant une complication ou une infection à la suite d'un implant de prothèse est bien évidement plus important aujourd'hui qu'en 1950, question de démocratisation de l'intervention !-. L'augmentation mammaire, c'est, depuis le milieu du XIXème siècle -avant même Pasteur !-, l'autotransplant graisseux, l'injection de paraffine, d'huile végétale, de silicones liquides, provoquant fibroses, nécroses, nodules, etc.. C'est l'histoire des prothèses en ivoire, billes de verre, caoutchouc broyé, cartilage de boeuf, laine et tergal, polyester, alcool polyvinylique, polystan... Toutes plus inflammatoires les unes que les autres ! Pour arriver aux fameuses poches en élastomère de silicone remplies de sérum physiologique... De quoi dissiper, par le menu, les "coupables pensées"... Et, les "dévots" ne manqueront de vilipender "une mode du plastique" contraire aux bonnes moeurs, une mode que "le Ciel défend". Mais, l'on sait que les imposteurs trouvent avec lui bien des accommodements ! "Le scandale du monde est ce qui fait l'offense, Et ce n'est pas pécher que pécher en silence"...

Toujours est-il que "Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude" (Tartuffe, acte V, scène VII). Alors, quoiqu'il en coûte, que ce procès marseillais soit exemplaire et pédagogique, que les responsabilités de chacun contraignent les néfastes velléités des trompeurs certifiés "dévots de la protection sanitaire".

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