La lettre juridique n°525 du 25 avril 2013 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Avril 2013

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623)

le 25 Avril 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). Dans un premier arrêt en date du 19 avril 2013, la section du contentieux du Conseil d'Etat a précisé les conséquences et les obligations procédurales découlant de l'application rétroactive de la jurisprudence "Commune de Béziers" (1). Obligation est faite au juge de plein contentieux, qui entend appliquer cette jurisprudence à un litige né antérieurement, de respecter le principe du contradictoire, soit en rouvrant l'instruction en invitant les parties à s'exprimer sur les conséquences à tirer de la décision "Béziers I", soit en jugeant, par un arrêt avant-dire droit, que le litige doit être réglé, compte tenu de cette décision, sur le terrain contractuel et en demandant, en conséquence, aux parties de formuler leurs observations sur ce terrain (CE, Sect., 19 avril 2013, n° 340093, publié au recueil Lebon). Dans un second arrêt du même jour, le Conseil d'Etat délimite la compétence du juge administratif pour connaître d'un recours dirigé contre une sentence arbitrale se rapportant à un contrat administratif. Si le juge administratif est compétent lorsque la sentence a été rendue par un tribunal ayant son siège en France, tel n'est pas le cas lorsque ce siège se situe à l'étranger. En revanche, le juge administratif demeure compétent, quel que soit le siège du tribunal arbitral, pour connaître d'un recours tendant à l'exequatur de la sentence, dont l'exécution forcée ne saurait être autorisée si elle est contraire à l'ordre public (CE 2° et 7° s-s-r., 19 avril 2013, n° 352750, publié au recueil Lebon).
  • Les conséquences procédurales de la portée rétroactive de la jurisprudence "Commune de Béziers" : l'obligation de respecter le principe du contradictoire (CE, Sect., 19 avril 2013, n° 340093, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4174KCL)

Alors que le Conseil d'Etat avait pris soin d'opérer un revirement de jurisprudence pour l'avenir dans l'arrêt "Tropic" (2), la Haute juridiction n'avait pas jugé utile d'en faire de même au moment d'adopter son arrêt "Béziers I". C'est-à-dire que la nouvelle configuration du contentieux des contrats administratifs opposant les parties avait une portée rétroactive, et pouvait donc s'appliquer à des litiges contractuels survenus avant le 28 décembre 2009. C'est précisément ce qui s'est produit dans l'affaire opposant la chambre de commerce et d'industrie (CCI) d'Angoulême à l'Etat au sujet des avances que cet établissement public soutenait avoir consenties à l'Etat, au titre de la gestion, à partir de 1984, sur le fondement d'arrêtés du préfet de la Charente, de l'aérodrome de Brie-Champniers. Ce litige contractuel a été porté devant le juge de plein contentieux. D'abord, devant le tribunal administratif de Poitiers qui a rejeté, par un jugement du 16 octobre 2008 (3), la demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'équipement a rejeté la demande de la CCI tendant au versement d'une somme de 6 169 494 euros et à la condamnation de l'Etat à lui verser cette somme augmentée des intérêts à compter de la réception de sa demande préalable. Saisie en appel, la cour administrative d'appel de Bordeaux (4) a annulé ce jugement pour une erreur grossière commise par les juges de première instance. En effet, le jugement ne faisait pas mention dans ses visas du mémoire produit par la CCI d'Angoulême en réponse à la communication par le tribunal administratif de Poitiers d'un moyen qu'il entendait soulever d'office et sur lequel il avait, ensuite, fondé son jugement.

Mais l'intérêt de l'arrêt de la cour administrative d'appel ne se situe pas sur ce point. Il réside dans le fait que les juges d'appel ont ensuite statué par la voie de l'évocation et réglé le litige sur le terrain contractuel, ainsi que le prescrivait la toute nouvelle jurisprudence "Béziers I" adoptée par le Conseil d'Etat le 28 décembre 2009, soit après l'intervention du jugement du tribunal administratif. Comme chacun sait, la jurisprudence "Commune de Béziers" a reconfiguré le contentieux contractuel entre les parties en les obligeant, par principe, à régler les litiges les opposant sur le terrain contractuel. L'exigence de loyauté des relations contractuelles, combinée au principe de la stabilité des relations contractuelle, fait, ainsi, obstacle à ce qu'une partie puisse trop facilement se délier de ses obligations en invoquant n'importe quelle irrégularité. Désormais, le contrat fait la loi des parties devant le juge de plein contentieux alors qu'il était très fréquent, par le passé, qu'il soit mis à l'écart. Ce n'est que dans l'hypothèse, qui reste exceptionnelle, où le contrat est entaché d'une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, que le juge de plein contentieux peut mettre le contrat à l'écart et régler le litige né entre les parties sur le terrain extracontractuel. En l'espèce, la cour administrative d'appel de Bordeaux avait logiquement appliqué cette nouvelle solution dont la portée rétroactive n'était pas douteuse. Seulement, cette application rétroactive posait un problème important.

En effet, aussi bien devant le tribunal administratif que devant la cour administrative d'appel, les parties s'étaient accordées pour constater que le contrat litigieux (une concession relative à l'entretien et à l'exploitation de l'aérodrome) avait été signé par une autorité incompétente -le préfet- alors qu'il aurait dû être signé par les ministres chargés de l'Economie et de l'Aviation marchande. Ce point n'était pas contestable et les parties avaient, alors, exclusivement débattu, compte tenu des règles applicables avant l'intervention de l'arrêt "Béziers I", sur le terrain de la responsabilité quasi-contractuelle et sur celui de la responsabilité quasi-délictuelle. Le contrat étant entaché de nullité, la logique commandait de régler le litige sur le terrain extracontractuel. Seulement, l'intervention de l'arrêt "Béziers I" a changé la donne et l'office du juge du contrat sans que les parties soient en mesure de faire valoir leurs observations.

C'est précisément l'apport de cet arrêt de Section du 19 avril 2013. Le Conseil d'Etat juge, en effet, que, si le juge du contrat devait appliquer les règles nouvelles fixées par l'arrêt "Commune de Béziers" du 28 décembre 2009, il devait, également, respecter le principe du contradictoire en permettant aux parties de présenter leurs observations sur cette nouvelle configuration contentieuse. A cet effet, il appartenait au juge du contrat, soir de rouvrir l'instruction en invitant les parties à s'exprimer sur les conséquences à tirer de la décision "Béziers I", soit de juger, par un arrêt avant-dire droit, qu'il entendait régler le litige, compte tenu de cette décision, sur le terrain contractuel et en demandant, en conséquence, aux parties de formuler leurs observations sur ce terrain. Cette solution nous semble bienvenue car il aurait été totalement anormal de priver les parties de toute possibilité d'intervention devant le juge du contrat, alors que le règlement du litige sur le terrain contractuel ou sur le terrain extracontractuel se traduit souvent, en pratique, par des différences significatives en termes d'indemnisation. Les parties auraient alors pu légitimement avoir l'impression d'être dépossédés de leur litige par le juge et cela, d'autant plus que la clôture de l'instruction avait été prononcée avant l'intervention de l'arrêt "Béziers I".

  • Arbitrage et compétence du juge administratif : l'incompétence du juge administratif français pour connaître d'un recours dirigé contre une sentence rendue par un tribunal arbitral étranger (CE 2° et 7° s-s-r., 19 avril 2013, n° 352750, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4180KCS)

L'arrêt n° 352750 du 19 avril 2013 apporte d'utiles précisions relatives à la compétence du juge administratif en matière de contentieux de l'arbitrage. Si les personnes publiques sont, en principe, privées de la possibilité de recourir à l'arbitrage (5), force est de constater que les exceptions apportées au principe sont nombreuses et que se développe devant le juge français, aussi bien judiciaire qu'administratif (6), un contentieux de l'arbitrage débouchant sur des solutions qui ne sont pas faciles à interpréter. En l'espèce, le syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC), regroupant le département de la Charente, les chambres de commerce et d'industrie d'Angoulême et de Cognac, la communauté d'agglomération du grand Angoulême ainsi que plusieurs communes, avait conclu le 8 février 2008, avec la société X et la société Y (qui est sa filiale à 100%), deux conventions ayant pour objet le développement d'une liaison aérienne régulière entre les aéroports de Londres-Stansted et d'Angoulême à compter du printemps 2008. Bien qu'explicitement soumises au droit français, ces conventions comportaient une stipulation imposant le recours à l'arbitrage auprès de la cour d'arbitrage international de Londres, pour tout différend non résolu à l'amiable "découlant de ou en relation avec la Convention, y compris toute question concernant son existence, sa validité ou sa résiliation". Par lettre du 17 février 2010, la société X a notifié au SMAC sa décision de supprimer la ligne aérienne entre Londres et Angoulême, mettant également fin, par voie de conséquence, à la seconde convention, dite de "services marketing" conclue par le SMAC avec la société Y.

Saisie par les deux sociétés, la cour d'arbitrage international de Londres s'est déclarée compétente pour connaître du litige, par une sentence avant dire-droit rendue le 22 juillet 2011, et a, en conséquence, refusé de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif de Poitiers, saisi par le syndicat, se soit prononcé sur le même litige. Le SMAC a alors saisi le Conseil d'Etat d'un recours tendant à l'annulation de la sentence arbitrale du 22 juillet 2011, mais aussi de celle du 18 juin 2012 reconnaissant la validité de la résiliation.

Se posait, alors, une question de compétence juridictionnelle pour connaître d'un tel recours. Le juge administratif français était-il compétent pour connaître de ce litige et si oui dans quelle mesure ? En premier lieu, et même si l'arrêt du 19 avril 2013 ne le précise pas, le recours à l'arbitrage était possible en l'espèce car les conventions se rattachaient aux intérêts du commerce international (7). En deuxième lieu et comme il l'avait fait par le passé, le Conseil d'Etat détermine la compétence juridictionnelle à partir du droit applicable au litige, c'est-à-dire en déterminant la nature juridique des conventions litigieuses (8). Le juge administratif a considéré que les deux conventions formaient un ensemble contractuel, conçu pour répondre aux besoins de la personne publique moyennant un prix versé à son cocontractant, et était constitutif d'un marché public de services au sens de l'article 1er du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2661HPA). Cette solution n'est pas contestable car les conventions portent sur la réalisation d'une prestation de services et répondent à la condition "d'onérosité" (abandon de recettes prenant, notamment, la forme d'une réduction significative des redevances aéroportuaires et le versement d'une somme de 925 000 euros au titre des trois premières années d'exécution du contrat). La qualification de marché public entraînait automatiquement celle de contrat administratif en application de la loi "Murcef" du 11 décembre 2001 (loi n° 2001-1168, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier N° Lexbase : L0256AWE). En troisième lieu, le Conseil d'Etat vient limiter la portée de sa compétence en distinguant selon que le recours dirigé contre la sentence arbitrale vise une sentence rendue en France ou à l'étranger. Dans la première hypothèse, c'est alors le juge administratif qui est compétent et, plus précisément, le Conseil d'Etat en application de l'article L. 321-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2975ALR). Cette solution puise son fondement dans la règle selon laquelle la compétence suit le droit applicable au litige, mais aussi dans le caractère d'ordre public des règles applicables aux marchés publics. En revanche, dans la seconde hypothèse, la juridiction administrative française est incompétente. C'était précisément le cas en l'espèce, puisque ce n'est pas un arbitre ou un tribunal arbitral français qui s'était prononcé, mais bien la cour d'arbitrage international de Londres. En quatrième lieu, l'arrêt du 19 avril 2013 précise qu'en revanche, le juge administratif demeure compétent pour connaître dune demande tendant à l'exequatur d'une sentence arbitrale, qu'elle soit rendue en France ou à l'étranger. Dans ce cas, la compétence n'est pas celle du Conseil d'Etat mais du tribunal administratif.


(1) CE, Ass, 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC).
(2) CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon ([LXB=A4715DXW)]), Rec. CE, p. 360, concl. D. Casas, GAJA, n° 115 (et les références bibliographiques). Le nouveau recours en contestation de validité du contrat ouvert aux concurrents évincés ne concerne, en effet, que les contrats dont la procédure de passation a été engagée postérieurement à la date de lecture de l'arrêt "Tropic", soit après le 16 juillet 2007.
(3) TA Poitiers, 16 octobre 2008, n° 0700263 (N° Lexbase : A5340HLD).
(4) CAA Bordeaux, 1ère ch., 1er avril 2010, n° 08BX03152, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3873HB3).
(5) Voir Ph. Yolka, Les modes alternatifs de règlement des litiges, p. 608 et s., in Traité de droit administratif (dir. P. Gonod, F. Melleray et Ph. Yolka, Dalloz, 2011, tome 2).
(6) T. confl., 17 mai 2010, n° 3754 (N° Lexbase : A3998EXD), AJDA, 2010, p.1564, art. P. Cassia, Dr. adm., 2010, comm. 122, note F. Brenet et F. Melleray, RFDA, 2010, p. 959, concl. M. Guyomar, p. 971, note P. Delvolvé.
(7) On pourrait aussi invoquer les dispositions de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK), qui ont permis aux chambres de commerce et d'industrie de recourir à l' arbitrage (loi n° 2005-882, art. 62, codifié à C. com., art. L. 710-1 N° Lexbase : L8307IMM).
(8) Voir les exemples cités par Ph. Yolka : T. confl., 16 octobre 2006, n° 3506 (N° Lexbase : A9491DRX), JCP éd. A, 2007, n° 13, p. 35, note B. Plessix, RFDA, 2007, p. 284, concl. J.-H. Stahl et note B. Delaunay (compétence judiciaire), CAA Lyon, 27 décembre 2007, 4ème ch., n° 03LY01017, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5189KC8), BJCP, 2008, p. 128, concl. M. Besle (compétence administrative).

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