La lettre juridique n°521 du 28 mars 2013 : Éditorial

Laïcité dans les crèches privées : le loup est-il entré dans la bergerie ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Qui trop embrasse mal étreint... A trop vouloir porter la laïcité urbi et orbi, le principe constitutionnel en arrive à défaillir devant les portes... d'une simple crèche de quartier. L'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation, rendu le 19 mars 2013, est loin d'être l'épilogue d'une saga judiciaire suivie avec entrain et, parfois même, trop de passion, mais les Hauts magistrats ne pouvaient que rappeler, en droit, qu'il ne faut pas confondre lieu public, lieu d'accueil du public et service public. Trois univers sur lesquels "Dieu" n'a pas la même emprise.

La législation épidermique va tôt faire de limiter la portée de la décision du Quai de l'Horloge, pour servir le combat politique contre les atteintes à la laïcité et pour la protection de l'enfance, comme l'a immédiatement soutenu la porte-parole du Gouvernement, et néanmoins, ministre des Droits des femmes -et ceci présente son importance-. Mais, la position de la Cour suprême judiciaire est incontestable et son raisonnement des plus limpides : "le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; [...] il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail". Or, il résulte des dispositions du Code du travail que "les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché" ; ce qui n'était manifestement pas le cas en l'espèce, le règlement intérieur de la crèche paraissant, aux yeux des Hauts magistrats, trop imprécis pour limiter l'exercice d'une liberté constitutionnelle.

Sortant de sa réserve, plus que de sa fonction, le ministre de l'Intérieur, et néanmoins ministre des Cultes, a dit regretter la décision de la Cour de cassation et "cette mise en cause de la laïcité". Taxer les magistrats de pourfendeurs de laïcité, voilà qui témoigne plus d'une atteinte à la séparation des pouvoirs, que de l'exercice d'une conscience politique à laquelle le Quai de l'Horloge ne fait que rappeler qu'aussi étrange que cela puisse paraître en France, des crèches, berceaux et terreaux de l'école publique, sont, et de plus en plus, des espaces privés. Et, ce que la puissance publique peut imposer au sein des services, les entreprises ou associations de droit privé ne le peuvent pas, ou pour être plus exact, le peuvent mais dans des conditions "non exorbitantes".

La Cour de cassation sait parfaitement que la neutralité confessionnelle devrait être de mise au sein des crèches, qu'elles soient privées ou publiques, encore fait-elle avec les "armes" législatives dont elle dispose ; et ces dernières offrent un espace de liberté plus important dans la sphère privée que seules des raisons objectives et insoupçonnables de discrimination religieuse peuvent circonscrire. C'est une page du manuel de la laïcité républicaine que les Hauts magistrats écrivent, dans leur exégèse de la loi de 1905... qui n'est pas applicable en l'espèce.

Et, la Cour de cassation n'aura pas été sensible au concept d'"entreprise de tendance" développé par son avocat général, dont l'un des axiomes serait la restriction des libertés politiques, philosophiques et religieuses. Les Hauts juges préfèrent voir dans cette atteinte aux libertés fondamentales un postulat : aux établissements concernés de démontrer en quoi cette restriction, toute légitime qu'elle puisse être, est justifiée, objective et inhérente à leur fonctionnement.

Finalement, c'est peut-être plus volontiers sur le terrain politique que la passe d'armes juridique aurait dû être conduite ; la crèche en cause étant connue pour son engament dans l'émancipation des femmes en leur permettant toute latitude pour travailler et le port du voile litigieux étant sujet à interprétation sexiste, plus que cultuelle, par nombre de ses opposants... Le terrain judiciaire eût été moins glissant.

D'aucuns rappelleront, enfin, que pour que toutes les crèches soient soumises au régime de "l'embargo religieux", il suffirait qu'elles soient délégataires d'un service public (cf. un arrêt du même jour, étendant l'obligation de neutralité à tout service public même géré par un organisme de droit privé) et que les collectivités territoriales s'y investissent un peu plus qu'aujourd'hui ; le développement des crèches privées n'étant que la résultante d'un désinvestissement public sur la petite enfance. Le Gouvernement pense contourner le problème de ce désinvestissement en imposant l'entrée à l'école au plus tôt... Or, là encore, crèche et école n'ont pas les mêmes fonctions sociales et pédagogiques ; à chaque âge ses plaisirs... Mais ceci est un autre débat.

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