Lecture: 11 min
N6356BTL
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université
le 28 Mars 2013
Dans cette affaire, se pose la question de savoir si un cohéritier, destinataire de l'ensemble des actes afférents à la procédure de rectification, a un intérêt à agir.
En l'espèce, à la suite d'un décès, l'administration a notifié des rectifications à des héritiers concernant des droits de succession dus par eux. Après la mise en recouvrement des droits et pénalités correspondants, et en l'absence de réponse à sa réclamation, un des héritiers a saisi le tribunal de grande instance afin d'être déchargé de cette imposition.
Rappelons que, quel que soit l'impôt contesté, les contribuables ont l'obligation de présenter à l'administration une "réclamation contentieuse". En effet, l'administration a le pouvoir de statuer sur les réclamations préalables qui lui sont présentées (LPF, art. R. 198-10 N° Lexbase : L3076HPM). L'article R. 196-3 du LPF (N° Lexbase : L5551G4D) prévoit que le délai de réclamation est égal à celui dont l'administration dispose pour établir l'impôt. Ce délai est ouvert aussi bien en ce qui concerne les impositions primitives sur lesquelles a porté la procédure de rectification engagée par l'administration, que les impositions supplémentaires qui en résultent. En principe, les décisions sur les réclamations préalables doivent être prises par l'administration dans un délai de six mois. Si, pour diverses raisons, ce n'est pas possible, l'administration, qui dispose d'un délai supplémentaire de trois mois, doit en informer le contribuable. L'absence de décision sur la réclamation pendant plus de six mois vaut rejet implicite, ce qui autorise le contribuable à saisir directement le juge (notre ouvrage, Procédures fiscales, Montchrestien, collection : Domat, 2013, pp. 501 et suivantes).
L'article 1705 du CGI (N° Lexbase : L3350HMZ) fixe pour principe que toutes les parties qui ont figuré dans un acte sont tenues solidairement aux droits d'enregistrement auxquels cet acte est soumis. En conséquence, il a été jugé que l'administration peut notifier une rectification à l'un quelconque des redevables solidaires de la dette fiscale (Cass. com., 21 janvier 1997, n° 95-10.180 N° Lexbase : A1691ACM, Droit fiscal, 1997, com. 445).
Pour sa part, l'article 1709 du CGI (N° Lexbase : L4051ICZ) dispose que l'administration peut notifier à l'un des héritiers solidaires une rectification portant sur des droits afférents à une succession. En conséquence, les parties qui figurent dans un acte étant tenues solidairement aux droits d'enregistrement auxquels cet acte est soumis, l'administration peut notifier une mise en demeure à l'un quelconque des redevables solidaires de la dette fiscale (Cass. com. 2 décembre 2008, n° 07-19.845, F-D N° Lexbase : A5232EBE, RJF, 2009, 4, com. 412). Il est toutefois recommandé à l'administration, en matière de droits de succession, de veiller à informer l'ensemble des héritiers solidaires des procédures de rectifications engagées à l'égard de l'un ou de plusieurs d'entre eux (rép. min. n° 50096, JOAN, 29 mars 2005, p. 3218).
La cour d'appel de Paris a jugé que l'un des héritiers était irrecevable à saisir le juge concernant l'irrégularité de la procédure fiscale, au motif, d'une part, qu'il a été destinataire de l'ensemble des actes afférents à celle-ci et que, d'autre part, seul son cohéritier serait en droit d'invoquer la méconnaissance du principe de la contradiction et de loyauté des débats (CA Paris, Pôle 5, ch. 5-7, 13 décembre 2011, n° 2010/20695 N° Lexbase : A1606H8Y). L'administration doit respecter le caractère contradictoire de la procédure (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4) En outre, il est constant qu'un devoir général de loyauté s'impose à l'administration dans la mise en oeuvre des rectifications (Cass. com., 8 mars 2005, n° 01-17.758, FS-P+B+I N° Lexbase : A2449DH8, RJF, 2005, 7, com. 793).
La Cour de cassation a censuré la cour d'appel pour violation des articles 1709 du CGI et 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), en jugeant dépourvu d'intérêt à soulever l'irrégularité de la procédure fiscale un héritier destinataire de l'ensemble des actes afférents à celle-ci, au motif que seul son cohériter serait en droit d'invoquer la méconnaissance du principe de la contradiction et de la loyauté des débats, le non respect de ce principe ne lui fait pas grief. Autrement dit, la Cour retient que le cohéritier est recevable à ester en justice et a un intérêt à agir s'il n'a pas reçu de l'administration des actes de la procédure, quand bien même l'autre cohéritier les a reçus.
Cette position de la Cour s'inscrit à la suite d'une décision inédite rendue le 18 novembre 2008, par laquelle elle a jugé que l'administration peut choisir de notifier des rectifications à l'un des redevables solidaires d'une dette fiscale. Toutefois, la procédure doit être contradictoire et la loyauté des débats oblige l'administration à notifier, au cours de la procédure, à l'ensemble des personnes qui peuvent être poursuivies, les actes de la procédure les concernant (Cass. com., 18 novembre 2008, n° 07-19.762, F-PB N° Lexbase : A3476EBD, RJF, 2009, 2, com. 174).
Une fois encore, la Cour de cassation vient d'apporter quelques précisions utiles quant à la mise en oeuvre de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0277IW8), concernant des opérations de visites et saisies domiciliaires.
En application de l'article L. 16 B précité, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance a délivré à l'administration, le 2 mars 2011, une ordonnance l'autorisant à exécuter les opérations susvisées. Aux yeux de l'administration, l'entreprise était suspecte de se soustraire à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés et de la TVA.
Le premier président de la cour d'appel a rendu une ordonnance, le 10 février 2012, qui n'a pas invalidé la procédure. Dans ces conditions, il ne restait plus à l'entreprise que le pourvoi en cassation.
Dans le premier arrêt (n° 12-14.771), la Cour a jugé que sont d'origine licite les pièces produites par l'administration, à l'appui d'une demande de mise en ouvre de l'article L. 16 B du LPF, qui ont été remises par une autre société dans le cadre de l'exercice du droit de communication par l'administration, visé par les articles L. 81 (N° Lexbase : L8857IRH), L. 85 (N° Lexbase : L5753ISU) et L. 102 (N° Lexbase : L0648IHH) du LPF.
Le droit de communication est régi par les articles L. 81 et suivants du LPF. C'est le droit reconnu à l'administration de prendre connaissance, et au besoin copie, de documents détenus par des tiers : entreprises, administration, établissements et organismes divers. Le droit de communication peut être exercé, en application des article L. 85 et R. 85-1 (N° Lexbase : L7055AEZ) du LPF, à l'encontre de toutes personnes physiques ou morales passibles de l'un quelconque des impôts et qui, ayant la qualité de commerçant, sont soumises aux obligations comptables du Code de commerce.
L'exercice du droit de communication n'est assorti d'aucun formalisme particulier et n'oblige pas l'administration à préciser au contribuable qu'il a, s'il le souhaite, la possibilité de se faire assister du conseil de son choix. Le droit de communication est limité au relevé passif d'écritures comptables ou à la copie de documents. Le vérificateur qui intervient à ce titre doit s'abstenir de tout examen critique de la comptabilité (CE Sect., 6 octobre 2000, n° 208765, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9611AHG, RJF, 2000, 12, com. 1497, concl. Bachelier).
Les dispositions de l'article L. 76 du LPF (N° Lexbase : L5568G4Y) imposent à l'administration d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus auprès des tiers et sur lesquels elle s'appuie pour motiver des rectifications. A la demande du contribuable, elle doit communiquer ces documents avant la mise en recouvrement des impositions. Toutefois, le Conseil d'Etat a considéré que cette obligation ne s'impose pas lorsque l'origine des renseignements se déduit implicitement, mais nécessairement, de la teneur de l'information (CE 10° et 9° s-s-r., 27 avril 2009, n° 300760, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6410EGI, M. Mateu, Droit fiscal, 2009, 25, com. 379, Bulletin des conclusions fiscales, 2009, 7, n° 92, concl. Burguburu). Pour sa part, la Cour de cassation affirme que l'administration doit communiquer les informations recueillies au contribuable, y compris si celui-ci en a déjà eu connaissance, dès lors qu'elles servent de fondement aux rectifications (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-14.806, FS-P+B N° Lexbase : A0698EIP, Procédures, 2009, 8, note L. Ayrault, comm. 297).
L'article L. 85 précité prévoit que les contribuables doivent communiquer "tous les livres et documents annexes, pièces de recettes et de dépenses". A suivre la Cour de cassation, les documents annexes visés par cette disposition ne sont pas seulement les pièces comptables, mais aussi toutes celles qui ont une corrélation certaine avec les éléments de la comptabilité commerciale. De ce point de vue, on peut considérer qu'il convient de prendre en compte les facturations qui s'y rattachent, y compris les commandes, contrats et avenants, quand ils sont liés à la comptabilité.
La Cour de cassation a une conception parfois extensive de la notion de "document annexe". Elle a jugé, par exemple, que la consultation du registre de police d'une clinique ne constitue pas une violation du secret médical, au motif que le document consulté est "un document annexe" à la comptabilité susceptible de faire l'objet d'un droit de communication visé à l'article L. 85 du LPF (Cass. com., 1er février 1977, Bull. civ. IV, n° 40, p. 97 ; Cass. crim., 21 mai 1979, Bull. crim. n° 178, p. 494).
Dans l'affaire qui nous occupe, la Cour de cassation a jugé que les pièces obtenues dans le cadre de l'exercice du droit de communication et produites par l'administration à l'appui de sa demande d'autorisation de visite et de saisie domiciliaires sont d'origine licite.
Dans un second arrêt (n° 12-14.772), la question s'est posée de savoir si l'article L. 16 B du LPF permet, ou non, la saisie de tous documents dématérialisés accessibles depuis les locaux visités et impose, ou non, de recueillir les fichiers informatiques saisis sur un support particulier.
Le troisième alinéa de l'article L. 80 F du LPF (N° Lexbase : L0377IWU) prévoit que les agents de l'administration peuvent se faire présenter, par tous moyens ou sur tous supports, les factures, la comptabilité matière ainsi que les livres, registres et documents professionnels pouvant se rapporter à des opérations ayant donné lieu, ou devant donner lieu, à la facturation. Ils peuvent aussi procéder à des constatations matérielles des éléments physiques de l'exploitation et prendre copie des pièces dématérialisées. Aucun formalisme particulier n'est établi pour ce qui concerne la demande de copie de documents sur supports informatiques, ainsi que pour l'obligation de restitution des documents. Cet article précité autorise l'extraction de données informatiques et le tri. En conséquence, il est possible que l'administration procède à une sélection qui peut être, suivant les hypothèses, par période, par nom, par montant ou encore par type de produit, à condition que les données ne permettent pas le rapprochement avec les déclarations de chiffre d'affaires. L'administration, généralement, fait des sondages en pratiquant des extractions ponctuelles et proportionnées aux données disponibles. Les pièces peuvent être délivrées sur tout support : clé USB, CD-ROM, ou encore transfert sur le matériel administratif. Une copie est emportée par l'agent de l'administration et une copie est laissée dans l'entreprise en tant que pièce copiée.
Un principe a été posé par la Cour de cassation : l'administration n'est autorisée à n'appréhender que les documents se rapportant aux agissements retenus par l'autorisation de visite et de saisie documentaire. Toutefois, il ne lui est pas interdit de saisir des documents pour partie utiles à la preuve des agissements qualifiés par elle de frauduleux. Il appartient au juge chargé du contrôle de la régularité des opérations d'exécution d'estimer, souverainement, si les pièces en question étaient, ou non, étrangères au but de l'autorisation accordée (Cass. crim., 19 novembre 2003, F-D, RJF, 2004, 6, comm. 619). L'autorisation qui limite les pouvoirs des agents de la direction générale des finances publiques à la seule saisie de documents utiles concerne aussi bien les documents sur support papier que sur support informatique.
L'article L. 102 B du LPF (N° Lexbase : L0376IWT) fixe les règles relatives aux obligations de conservation des documents sur lesquels peuvent s'exercer les droits de communication et de contrôle. Un délai général de conservation de six ans s'applique aux livres, registres, documents ou pièces auxquels l'administration a accès pour procéder au contrôle des déclarations et des comptabilités de contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. Lorsque ces documents sont établis ou reçus sur support informatique, ils doivent être conservés pendant une durée au moins égale au délai de reprise, soit trois ans (LPF, art. L. 169 N° Lexbase : L5755IRL). A l'issue de ce délai, et jusqu'à l'expiration du délai général de six ans, les documents peuvent être conservés sur tout support au choix du contribuable.
La documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements doit être conservée jusqu'à la troisième année suivant celle à laquelle elle se rapporte, sur les supports (informatique ou papier) sur lequel elle a été élaborée. La doctrine administrative précise que "les solutions d'archivage et de traçabilité retenues par les entreprises pourront s'accompagner, par exemple, d'une sécurisation des documents dématérialisés et des données, notamment comptables au moyen d'une signature électronique fiable" (BOI 13 L-1-06, instruction du 24 janvier 2006 N° Lexbase : X5665AD8, repris dans le BoFip - Impôts, BOI-CF-COM-10-20-10 N° Lexbase : X7115AL4).
Le deuxième alinéa de l'article L. 81 du LPF prévoit que le droit de communication s'exerce quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents, y compris quand celui-ci est magnétique (décret n° 90-799 du 10 septembre 1990 N° Lexbase : L1755ISS). Conformément aux articles 29 et 43 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), un accès direct aux informations contenues dans les fichiers informatisés est réservé aux agents de la direction générale des finances publiques. Toutefois, il est exclu qu'ils obtiennent des copies entières de fichiers, afin de respecter les principes énoncés par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (rép. min., Léonard, n° 17369, JOAN, 24 avril 1987, p. 2399).
Dans cette affaire, la Cour de cassation a jugé que l'article L. 16 B précité permet la saisie de tous documents dématérialisés accessibles depuis les locaux visités et n'impose pas de recueillir les fichiers informatiques saisis sur un support particulier.
Finalement, les deux arrêts rendus le même jour, le 26 février 2013, sont en défaveur de la même entreprise qui a initié la procédure contentieuse.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:436356