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par Vincent Vantighem
le 23 Février 2022
Une berline grise aux fenêtres teintées. Et qui part en trombe. Impossible de voir qui s’y dissimule. Mais c’est bien Claude Guéant qui a quitté la prison de la Santé (Paris, 14e arrondissement), mercredi 9 février, peu après 8 heures 30. Incarcéré depuis le 13 décembre, l’ancien ministre de l’Intérieur a obtenu, deux jours plus tôt, sa libération conditionnelle pour raisons de santé. « C’est devenu une priorité absolue. Dès sa sortie, il va voir ses médecins en vue d’une intervention urgente », a sobrement commenté Philippe Bouchez El Ghozi, son avocat, sans s’appesantir sur la suite des événements.
À chaque jour suffit sa peine. Et pour Claude Guéant, elle est déjà suffisamment grande. Âgée de 77 ans, l’ancienne éminence grise de Nicolas Sarkozy sombre chaque mois un peu plus, tout en se demandant où finira la chute. En décembre, c’était donc pour la vieille affaire des « primes en liquide de la place Beauvau » qu’il a été incarcéré. Condamné définitivement à deux ans de prison dont un an ferme pour avoir pioché dans une caisse occulte lorsqu’il était au cabinet du ministère de l’Intérieur, il a été convoqué en prison, le 13 décembre, pour ne pas avoir remboursé suffisamment et suffisamment vite les quelques 200 000 euros d’amendes et de dommages et intérêts qu’il avait été condamné à verser.
Trois jours après, et grâce à des prêts consentis par des proches, il a réglé ses dettes. Mais le mal était fait. Et il lui a fallu près de deux mois de détention, coincé entre la cellule de Georges Tron, l’ancien secrétaire d’État (LR) condamné pour viol, et celle de Jean-Luc Lahaye, chanteur mis en examen pour le même motif, avant de pouvoir en sortir. Deux mois à broyer du noir, ne s’accordant que quelques visites à la bibliothèque. Deux mois à voir sa santé décliner aussi. « Le choc carcéral a été extrêmement rude. », poursuit encore son avocat, « Il a perdu une partie de ses cheveux. Il se déplace plus difficilement. Il tousse beaucoup… »
Des épées de Damoclès sur la tête
Deux mois aussi à penser à la suite des événements. Et elle n’est guère réjouissante. Le 21 janvier, Claude Guéant a été condamné à un an de prison dont huit mois ferme dans l’affaire dite « des sondages de l’Élysée ». La peine la plus lourde prononcée par Benjamin Blanchet, le président de la 32e chambre du tribunal judiciaire de Paris. Et comme s’il fallait en rajouter, le tribunal a aussi prononcé à son encontre un mandat de dépôt à effet différé. Claude Guéant a immédiatement fait appel de cette décision, suspendant la peine qui venait de lui être infligée. Mais il sait que cette affaire, qui viendra un jour en appel et pourrait aboutir à la même sanction, plane sur sa tête comme une épée de Damoclès.
Et si l’on regarde bien, c’est presque une armurerie complète qui menace désormais l’ancien grand commis de l’État. Ancien préfet, ancien directeur général de la police nationale, ancien secrétaire général de l’Élysée, ancien ministre de l’Intérieur, Claude Guéant est surtout aujourd’hui un justiciable à l’agenda très fourni. Les 15 et 16 février prochains, c’est au tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine) qu’il a, cette fois, rendez-vous. Au menu, une accusation de « financement illicite » de sa campagne législative de 2012, lorsqu’il était candidat à Boulogne-Billancourt. Dans ce dossier, il ne joue pas le rôle-titre.
C’est surtout Pierre-Christophe Baguet, l’ancien maire de Boulogne et député sortant, qui est concerné. Celui-ci est accusé d’avoir fait diffuser un tract appelant à voter Guéant dans les colonnes du bulletin municipal. C’est-à-dire de s’être servi des subsides municipaux au profit d’un candidat… Claude Guéant a toujours assuré qu’il n’avait rien demandé, qu’il n’était que « la victime du fait maladroit d’un tiers ». Mais cela pourrait lui causer du souci.
La Justice plus dure avec les politiques que par le passé
Pas autant que l’autre affaire de financement illicite de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 et dans laquelle il est mis en cause, toutefois. Dans celle-là, non plus, il ne joue pas le premier rôle. Mais elle pourrait être terrible pour lui. Blanchiment de fraude fiscale en bande organisée, corruption passive, recel de détournement de fonds publics, complicité de financement illégal de campagne électorale, association de malfaiteurs : il faudra bientôt utiliser les doigts d’une deuxième main pour compter le nombre de mises en examen infligées à Claude Guéant dans cette affaire. Tentaculaire, l’instruction n’est pas encore terminée. Mais l’ancien « Vice-Président » comme on le surnommait sait bien qu’elle pourrait aboutir, à terme, à un procès douloureux.
D’autant plus douloureux que la Justice n’a désormais plus la main qui tremble à l’heure de juger les délinquants en col blanc. Fini le temps où Jacques Chirac était condamné à du sursis dans l’affaire dite « des emplois fictifs de la mairie de Paris », sans jamais mettre un pied au tribunal. Désormais, les magistrats n’hésitent pas à aller au bras de fer pour faire venir les politiques dans les prétoires. Nicolas Sarkozy, forcé à venir témoigner dans le dossier « des sondages de l’Élysée », en sait quelque chose. Mais surtout, la Justice n’hésite plus à faire preuve de sévérité, tant dans les peines prononcées que dans l’application de ces peines.
Jérôme Cahuzac, François Fillon et même Nicolas Sarkozy : tous ont déjà eu droit à des peines de prison ferme, certaines étant toujours en attente d’un examen en appel. Et surtout, Claude Guéant sait, à l’instar de Patrick Balkany, que ses anciens costumes cintrés et ses anciennes fonctions ne sont plus suffisants pour éviter de passer par la case prison.
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