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par Matthieu Quinquis, avocat au Barreau de Paris
le 03 Février 2022
C’était en 1875, la IIIe République avait cinq ans, le cinéma n’existait pas et la France comptait quelque trente-huit petits millions d’habitants. Au mois de juin, à l’initiative du sénateur René Bérenger, le Parlement votait une loi encadrant le régime des prisons départementales et prescrivait que les « inculpés, prévenus et accusés [y soient] à l’avenir individuellement séparés pendant le jour et la nuit ».
C’était en 1945, l’Europe découvrait l’horreur des camps et nombre de prisonniers politiques recouvraient la liberté. Lui-même ancien résistant incarcéré, le directeur de l’administration pénitentiaire Paul Amor engageait son programme « d’humanisation » des détentions, au sein duquel figurait la règle de l’encellulement individuel.
C’était en 2000, Véronique Vasseur publiait son récit « Médecin-chef à la prison de la Santé » et le parlement s’élevait contre l’indignité de la condition carcérale. À la demande d’Élisabeth Guigou, Garde des Sceaux, députés et sénateurs adoptaient la loi sur la présomption d’innocence et exigeaient, sous trois ans, le respect du droit de chaque prévenu à disposer d’une cellule seule.
Près d’un siècle et demi s’est écoulé depuis ce premier vœu, mais aucun texte n’a été assez puissant pour l’exaucer. En dépit des nombreuses déclarations d’intention, la mise en œuvre de l’encellulement individuel s’est heurtée à la rigueur des politiques pénales, insatiables machines à incarcérer.
Dans ce contexte, l’inflation carcérale est commodément présentée comme une fatalité, une réponse mécanique à la hausse prétendue de la criminalité. Il n’en est rien. Les explications à l’envolée des taux d’occupation des établissements pénitentiaires se trouvent ailleurs, et notamment dans le refus d’envisager d’autres façons de sanctionner et punir.
Aveuglement répressif et obstination punitive
Cet aveuglement répressif explique seul que le pays compte, au 1er décembre 2021, 69 992 personnes détenues pour 60 775 places opérationnelles et que les maisons d’arrêt présentent un taux d’occupation moyen de 136 %. Quoi qu’on en dise, l’obstination punitive reste la raison principale pour laquelle 1 600 personnes couchent chaque nuit sur un matelas au sol.
De longue date, l’ensemble des observateurs s’accordent sur la nécessité de limiter le recours à l’enferment et d’adopter une politique de décroissance carcérale. Ce n’est pas moins que ce qu’a exigé la Cour européenne des droits de l’Homme en condamnant la France dans trente-deux affaires individuelles (CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, JMB c/ France N° Lexbase : A83763C9, et 31 autres).
Après avoir constaté l’état de délabrement des établissements concernés, les juges européens ont critiqué le caractère structurel de la surpopulation carcérale. Sa décision était une sommation à « la résorption définitive » du phénomène ; elle engageait l’État à intervenir sans délai pour assurer à chacune des personnes détenues le respect de ses droits fondamentaux.
Malgré l’unanimité et la sévérité du constat, le gouvernement n’a manifesté aucun empressement à redéfinir et réorienter sa politique pénale. De nouveau, il a fallu user du contentieux et de la contrainte pour qu’il concède à appliquer, dans les marges, les mesures minimales recommandées par la juridiction européenne.
Une nouvelle voie de recours à éprouver
C’est ainsi, à la suite de deux censures du Conseil constitutionnel, que le Parlement a été amené à offrir de nouveaux moyens juridiques pour contester l’indignité des conditions de détention. C’est en ce sens que la loi n° 2021-403, du 8 avril 2021 N° Lexbase : L9830L3H, a modifié les articles 144-1 N° Lexbase : L0611L4E et 707 N° Lexbase : L0664L4D du Code de procédure pénale, avant de créer un article 803-8 N° Lexbase : L1636MAT spécialement consacré à cette nouvelle voie de recours.
De toute évidence, l’organisation de ce recours est aussi chaotique que son exercice. Les parlementaires auraient voulu décourager quiconque de s’y employer, ils ne s’y seraient pas pris autrement. C’est dans un article de plus de 6000 caractères (soit bien plus que l’éditorial que vous lisez ici) qu’a été dessinée la procédure par laquelle les personnes détenues peuvent désormais défendre leurs droits élémentaires.
Une telle disposition ne suffit toutefois pas à décourager celles et ceux qui croient en la nécessité de rompre avec l’emballement carcéral. L’Observatoire international des prisons (OIP), le Syndicat des avocats de France (SAF), l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) et le Syndicat de la magistrature ont ainsi, en collaboration avec le Conseil national des Barreaux (CNB), travaillé à l’édition d’un kit pratique pour faciliter l’exercice de ce recours.
Accessible sur les sites de chacune de ces organisations, il comprend un modèle-type de requête, ainsi que la documentation nécessaire à son argumentation. Face au manque de volonté de l’État pour mettre un terme aux conditions indignes de détention, il appartient aux avocats d’éprouver l’effectivité de ce recours. Saisissons-nous-en et agissons pour le respect des droits des personnes détenues !
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