Réf. : Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-40.085, FS-P+B (N° Lexbase : A7899IZL)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 24 Janvier 2013
Résumé
Doit être transmise la QPC mettant en cause la conformité de l'exclusion de la nullité de la procédure de licenciement pour motif économique, en l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi, lorsque l'employeur fait l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, au principe d'égalité devant la loi. |
Commentaire
I - De l'inapplication de la nullité aux procédures collectives
Cadre juridique. L'article L. 1235-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6214ISX), aux termes duquel "dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciements concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l'article L. 1233-61 (N° Lexbase : L6215ISY) et s'intégrant au plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés", écarte l'application de cette sanction, dans son alinéa 3, lorsque l'entreprise est placée en redressement ou en liquidation judiciaire.
Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi "Aubry II", en 2000, l'ancien article L. 321-9 du Code du travail (N° Lexbase : L0043HDX), applicable dans le cadre des procédures collectives, obligeait le liquidateur à consulter les représentants du personnel dans les conditions prévues à l'article L. 321-4 (N° Lexbase : L9633GQT), lequel visait le plan social de l'article L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q). A défaut, la procédure était donc nulle, et de nul effet, et les licenciements eux-mêmes annulés dans le prolongement de la jurisprudence "La Samaritaine" (1).
La loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 a retranché au renvoi à l'article L. 321-4-1 le second alinéa relatif à la nullité de la procédure.
Lors de l'adoption de la loi de modernisation sociale en 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 N° Lexbase : L1304AW9), le Parlement avait souhaité rétablir la nullité comme sanction, mais ce dispositif fut suspendu en 2003 par la loi "Fillon" (loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 N° Lexbase : L0300A9Y), avant d'être définitivement abrogé en 2005, ce qui a eu pour conséquence le rétablissant le texte dans sa version d'origine. C'est donc tout naturellement que l'exclusion de la nullité instaurée en 2000 fut reprise à l'occasion de la recodification du Code du travail dans une formule d'ailleurs plus explicite.
QPC. C'est cette exclusion qui est ici directement remise en cause au regard du principe d'égalité devant la loi (DDHC, art. 6 N° Lexbase : L1370A9M), et la question posée transmise au Conseil constitutionnel. Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "la question présente un caractère sérieux au regard de la différence de traitement que les textes instituent et qui résulte de l'exclusion de la nullité de la procédure de licenciement pour motif économique, en l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi, lorsque l'employeur fait l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires".
Une transmission neutre. La Cour n'en dit pas plus sur les raisons de la transmission ni sur l'analyse qui pourrait être la sienne des arguments militant en faveur d'une censure du texte. On peut toutefois penser que ces arguments doivent être suffisamment sérieux compte tenu du caractère passablement restrictif de sa politique de transmission des QPC. On peut également penser que l'histoire de la règle a dû jouer puisque la nullité était de mise avant 2000, qu'elle avait été également rétablie en 2002 par le législateur, avant la suspension décidée en 2003 et l'abrogation de la loi de 2002 entérinée en 2005.
Des chances de succès minces. Reste à déterminer les chances réelles de censure devant le Conseil constitutionnel, qui nous paraissent minces au regard des solutions qui prévalent en matière d'égalité tant en droit du travail qu'en matière de procédures collectives, et ce en dépit des dernières et nombreuses censures prononcées par le Conseil constitutionnel en matière à l'occasion de l'examen de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 (loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 N° Lexbase : L6715IUA) (2) et des lois de finances 2013 (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7971IUR) (3) et rectificatives pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7970IUQ) (4), fondées il est vrai pour l'essentiel sur le principe d'égalité devant les charges publiques.
II - Analyse au regard de la jurisprudence constitutionnelle rendue en droit du travail
Etat de la jurisprudence constitutionnelle. Le principe d'égalité devant la loi a été évoqué à de nombreuses reprises devant le Conseil constitutionnel pour obtenir l'abrogation de nombreux régimes dérogatoires, mais sans succès. Comme cela a été souligné à plusieurs reprises (5), le Conseil constitutionnel laisse au Parlement une large marge d'appréciation de la notion de différence de situation qui justifie a priori des différences de traitement, ou des motifs qui peuvent justifier que des exceptions au principe d'égalité de traitement soient apportées. Selon une formule classique, "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (6).
Le Parlement a pu valablement réserver des procédures particulières pour arbitrer les différends entre journalistes et organes de presse (7), des règles propres au licenciement des assistants maternels (8), limiter à certains salariés, sous critère d'ancienneté, le bénéfice de la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi (9) ou des contreparties au travail dominical (10), ou prévoir des règles propres à certaines catégories de travailleurs pour favoriser leur accès à l'emploi (11) ou les conditions de leur départ en retraite (12).
Des chances de succès très faibles. Dans ces conditions, on peut penser que le Conseil constitutionnel ne donnera pas suite, tout comme il n'avait pas jugé contraire au principe d'égalité le fait de réserver aux salariés ayant une ancienneté de deux ans le bénéfice des indemnités spéciales dues en cas d'annulation du plan (13).
Il pourrait tout d'abord considérer que les salariés ne sont pas dans la même situation selon que leur entreprise se trouve ou non soumise à une procédure collective, ne serait-ce que parce que leurs droits ne sont pas les mêmes, singulièrement en matière de licenciement.
Le Conseil pourrait également considérer qu'existent des motifs qui justifient les différences de traitement, dès lors qu'on n'admettrait pas la différence de situation, notamment la nécessité de ne pas faire peser sur l'entreprise, qui se trouve déjà en difficultés, une charge financière trop lourde en lui imposant la réintégration de salariés licenciés sans PSE, ou sur la base d'un PSE insuffisant, ou en appliquant le régime des indemnités doublées de licenciement applicable en cas de nullité du licenciement (14).
II - Analyse au regard de la jurisprudence constitutionnelle rendue en droit des entreprises en difficulté
Jurisprudence actuelle. Les dispositions des lois de 1985 (loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 N° Lexbase : L7852AGW) et 2005 (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT) ont été toutes deux examinées, avant leur promulgation, par le Conseil constitutionnel qui a eu à statuer sur la conformité de certaines dispositions, notamment au regard du principe d'égalité (15).
Dans la première décision rendue en 1985 (16), le Conseil a validé les privilèges réservés aux "créanciers de l'article 40" par le fait que ces derniers étaient "placés dans des situations différentes au regard de l'objectif poursuivi" de concourir "à la réalisation de l'objectif d'intérêt général de redressement des entreprises en difficulté" (17).
Dans la seconde décision rendue en 2005 (Cons. const., décision n° 2005-522 DC du 22 juillet 2005 N° Lexbase : A1643DK3), les auteurs de la saisine contestaient le traitement plus favorable réservé par l'article 8 de la loi aux créanciers qui consentent au débiteur un nouvel apport en trésorerie ou lui fournissent un nouveau bien ou service dans le cadre d'un accord dont l'homologation met fin à la procédure de conciliation. Ici aussi, le Conseil constitutionnel a considéré "qu'au regard de cet objectif, ceux qui prennent le risque de consentir de nouveaux concours, sous forme d'apports en trésorerie ou de fourniture de biens ou services, se trouvent dans une situation différente de celle des créanciers qui se bornent à accorder une remise de dettes antérieurement constituées" (cons. 5).
Projection. Il ne semble pas ici que ces décisions permettent d'anticiper sur un rejet.
Dans les deux décisions rendues en 1985 et 2005, en effet, les demandeurs discutaient le traitement plus favorable réservé par la loi à certains créanciers, alors qu'ici il s'agit de déterminer si le traitement moins favorable réservé aux salariés, pendant les périodes de redressement ou de liquidation judiciaire, pouvait être justifié soit par une différence de situation, soit par un motif suffisant. Le Conseil avait, dans ces deux décisions, considéré que les privilèges accordés étaient justifiés par le fait que les créanciers ne se trouvaient pas dans la même situation que les autres (ceux dont la créance était antérieure à l'ouverture de la procédure), singulièrement parce qu'ils agissaient en tant qu'acteurs du redressement de l'entreprise. Or, dans cette nouvelle affaire, les salariés licenciés pour motif économique pendant les mêmes périodes sont également des acteurs du redressement, et c'est bien pour cela que les conditions de leur licenciement sont restreintes afin de protéger leur emploi (18) ; dans ces conditions, on pourrait se demander pourquoi ils ne bénéficieraient pas d'une protection de leur emploi accrue, antinomique de la mise à l'écart du régime de la nullité du licenciement.
On peut toutefois penser que la volonté de ne pas trop peser sur les comptes de l'entreprise, au moment où celle-ci connaît des difficultés de trésorerie, pourrait entrer en ligne de compte pour valider la différence de traitement, même si le recours à l'AGS pourrait également faire pencher la balance.
Face à ces incertitudes, le Conseil constitutionnel pourrait rester, comme à son habitude en matière sociale, prudent et rappeler qu'il ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation comparable à celui du Parlement...
(1) Cass. soc., 19 février 2002, n° 98-45.526, inédit (N° Lexbase : A0225AYY) ; Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-43.418, inédit (N° Lexbase : A8596DGH).
(2) Décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012, loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 (N° Lexbase : A8300IY3), cons. 13 : "la différence de traitement entre les travailleurs indépendants et les travailleurs salariés pour l'assujettissement aux cotisations de sécurité sociale est inhérente aux modalités selon lesquelles se sont progressivement développées les assurances sociales en France, à la diversité corrélative des régimes ainsi qu'au choix du partage de l'obligation de versement des cotisations sociales entre employeurs et salariés". Voir également les cons. 15 et 81.
(3) Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, loi de finances pour 2013 (N° Lexbase : A6288IZW), cons. 19, 30, 50, 51, 73, 74, 81, 101, 122, 133, 135.
(4) Décision n° 2012-661 DC du 29 décembre 2012, loi de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : A6287IZU), cons. 14, 24 et 37.
(5) V. notre étude, La question prioritaire de constitutionnalité et le droit du travail : a-t-on ouvert la boîte de Pandore ?, Dr. soc., 2010, p. 873. Dans le même sens, V. Bernaud, Vers un renouvellement du droit constitutionnel du travail par les "décisions QPC" ?, Dr. soc., 2011, p. 1011.
(6) Décision n° 87-232 DC du 7 janvier 1988 (N° Lexbase : A8176ACS), cons. 10.
(7) Décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012 (N° Lexbase : A1879IL8), v. nos obs., Le Conseil constitutionnel valide les privilèges des journalistes professionnels en matière de licenciement, Lexbase Hebdo n° 486 du 24 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2025BT8) ; Dr. soc., 2012, p. 1039, étude A. Sintives ; Gaz. Pal., 8 octobre 2012, n° 274, p. 15, obs. D. Besaude ; JCP éd. S, 2012, n° 31, p. 29, note N. Dauxerre ; RLDI, 2012, n° 84, p. 28, note E. Derrieux ; RDT, 2012, p. 438, note E. Serverin.
(8) Décision n° 2011-119 QPC du 1er avril 2011 (N° Lexbase : A1899HMB), v. nos obs., Le Conseil constitutionnel et les assistants maternels et familiaux, Lexbase Hebdo n° 457 du 28 avril 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0628BS3) ; RLDCT, 2011, n° 73, p. 36, note M. Verpaux.
(9) Décision n° 2012-232 QPC du 13 avril 2012 (N° Lexbase : A5139II8), v. les obs. de Ch. Willmann, Droit à réintégration / indemnité de douze mois consécutifs à une nullité de PSE : l'exclusion des salariés de moins de deux ans n'est pas discriminatoire, Lexbase Hebdo n° 485 du 17 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1988BTS).
(10) Décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009, loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires (N° Lexbase : A2113EKH), cons. 19 ; Dr. soc., 2009, p. 1081, chron. V. Bernaud ; RFD constit., 2010, p. 373, étude M. Guerrini ; RDT, 2009, p. 573, note M. Véricel.
(11) Décision n° 2011-122 QPC du 29 avril 2011 (N° Lexbase : A2798HPC), v. nos obs., Le Conseil constitutionnel valide l'exclusion de certaines catégories de travailleurs du décompte des effectifs, Lexbase Hebdo n° 438 du 5 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0702BSS).
(12) Décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 (N° Lexbase : A6265GER), v. nos obs., Le Conseil constitutionnel valide la réforme des retraites, Lexbase Hebdo n° 419 du 2 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7024BQ9).
(13) Décision n° 2012-232 QPC du 13 avril 2012, préc..
(14) C. trav., art. L. 1235-11 (N° Lexbase : L1357H97).
(15) D'autres décisions ont été rendues dernièrement sur d'autres aspects du régime, mais elles ne concernaient pas l'application du principe d'égalité : décision n° 2012-286 QPC du 7 décembre 2012, remise en cause du droit pour le tribunal de commerce de se saisir d'office pour l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, au regard des exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : A4918IYS)v. les obs. de P.-M. Le Corre, La non-constitutionnalité de la saisine d'office, Lexbase Hebdo n° 321 du 20 décembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N5001BTE).
(16) Décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985, loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises (N° Lexbase : A8107ACA).
(17) Cons. 5.
(18) C. com., art. L. 631-17 (N° Lexbase : L4028HBS), relatif aux licenciements pour motif économique qui doivent présenter "un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation".
Décision
Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-40.085, FS-P+B (N° Lexbase : A7899IZL) Renvoi d'une QPC, CPH Paris, 11 octobre 2012 Texte visé : C. trav., art. L. 1235-10, alinéa 3 (N° Lexbase : L6214ISX) Mots-clés : licenciement pour motif économique, redressement ou liquidation judiciaire, plan de sauvegarde de l'emploi, nullité, QPC, égalité devant la loi Liens base : |
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