La lettre juridique n°511 du 10 janvier 2013 : Droit du sport

[Jurisprudence] La qualification de footballeur professionnel

Réf. : Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-14.823, FS-P+B (N° Lexbase : A1097IZN)

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N5142BTM

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 12 Janvier 2013

La différence entre le footballeur professionnel et le footballeur amateur paraît évidente. Tandis que le premier est rémunéré pour pratiquer son sport de prédilection, le second s'y adonne de manière totalement désintéressée. Cette dernière assertion ne résiste toutefois pas à une analyse plus approfondie, pour cette simple raison qu'un footballeur dit "amateur" peut parfaitement être lié à son club par un contrat de travail et, de ce fait, percevoir un salaire pour l'exercice de la pratique sportive. La distinction entre le footballeur professionnel et le footballeur amateur doit donc être fondée sur un autre critère. L'arrêt rendu le 12 décembre 2012 par la Chambre sociale de la Cour de cassation revêt à cet égard une importance capitale car, pour la première fois à notre connaissance, il livre une définition du footballeur professionnel. Se fondant sur la Charte du football professionnel, la Cour de cassation y affirme, qu'est footballeur professionnel "le footballeur qui est employé pour exercer, à titre exclusif ou principal, son activité en vue des compétitions".
Résumé

Il résulte de l'article 500 de la Charte du football professionnel (N° Lexbase : L6822IU9), qui a valeur de convention collective, que le footballeur qui est employé pour exercer, à titre exclusif ou principal, son activité en vue des compétitions est un footballeur professionnel.

Observations

I - Les enjeux de la qualification

L'importance du droit négocié. Dès lors qu'il participe à des compétitions officielles, le sportif est soumis aux règlements des fédérations et des ligues professionnelles. Ainsi que le précisent certains auteurs, "ces instances ont construit des catégories au sein desquelles elles ont rangé les athlètes : principalement les sportifs professionnels et les sportifs amateurs" (1). Selon d'autres, "aux yeux des communautés sportives, la définition de l'amateur ne pose aucune difficulté particulière : l'amateur est celui qui est identifié comme tel par les règlements de la discipline considérée, généralement en fonction du niveau de pratique. Cette qualité, qui est celle de l'immense majorité des pratiquants, conditionne alors l'application d'un statut sportif spécifique, distinct de celui qui s'applique aux professionnels. Cependant, les qualifications sportives ne sont pas reconnues par le droit étatique qui préfère s'interroger, plus classiquement, sur le statut social, fiscal ou contractuel applicable" (2).

Dès lors qu'on la confronte au droit du travail, cette dernière affirmation s'avère pour le moins pertinente. Cette branche du droit étatique n'a, à l'évidence, que faire de la distinction entre le sportif professionnel ou le sportif amateur. Seul lui importe le fait de savoir si le sportif peut être qualifié de salarié ou pas. Dans l'affirmative, il se trouve soumis au Code du travail. Pour le dire autrement, lors l'opération de qualification, il n'y a pas lieu de tenir compte de l'appartenance du sportif à l'une ou l'autre de ces catégories : le professionnel, comme l'amateur, peuvent être titulaires d'un contrat de travail. La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation est, de longue date, en ce sens. On se souvient ainsi que, dans un arrêt du 14 juin 1979, elle avait précisé qu'une cour d'appel ne peut dénier tout lien de subordination entre un joueur de football "promotionnel" et son club, quel que soit le statut fédéral attribué au joueur et peu important qu'il exerce ou non une autre activité salariée (3).

Cela étant, il n'est guère besoin de souligner que le droit du travail n'est pas uniquement composé de règles d'origine étatique (i.e. du Code du travail). Il importe aussi de tenir compte, en la matière, des conventions et accords collectifs de travail. Or, si la distinction entre le sportif amateur et le sportif professionnel n'est pas reconnue par le droit "imposé", il n'en va pas de même du droit "négocié". Ainsi, la Convention collective nationale du sport réserve un chapitre spécifique au "Sport professionnel" (N° Lexbase : X7393AGW) (4). De même, et pour en venir au cas qui nous intéresse ici, la Charte du football professionnel, que la Chambre sociale de la Cour de cassation assimile à une convention collective (5), consacre, au sein de son titre III, relatif aux "joueurs", un sous-titre IV intitulé "statut du joueur professionnel" (6).

L'affaire. En l'espèce, M. X avait été engagé le 1er juillet 2000 en qualité de joueur professionnel par la société A. sans contrat de travail écrit, moyennant une rémunération mensuelle de 1 525 euros. Soutenant que le club de football lui avait indiqué que son contrat de travail à durée déterminée ne serait pas renouvelé au terme de la saison 2005-2006, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaires et de congés payés afférents, l'arrêt attaqué avait retenu qu'en sa qualité de joueur titulaire d'une licence amateur, le salarié ne relève pas de la Charte du football professionnel. Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l'article 500 de la Charte du football professionnel, qui a valeur de convention collective. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, il résulte de ce texte que "le footballeur qui est employé pour exercer, à titre exclusif ou principal, son activité en vue des compétitions, est un footballeur professionnel". Ce faisant, et il faut lui en savoir gré, la Cour de cassation livre une définition du joueur professionnel dont il importe de préciser les critères et de mesurer, autant que faire se peut, la portée.

II - Les critères de la qualification

Analyse des critères. Reprenons la définition de la Cour de cassation. Est footballeur professionnel, le footballeur qui est employé pour exercer, à titre exclusif ou principal, son activité en vue des compétitions. En allant du plus simple au plus compliqué, plusieurs éléments se dégagent de cette affirmation.

En premier lieu, mais personne n'en avait jamais douté, le footballeur professionnel est titulaire d'un contrat de travail ("employé pour"), dont l'objet consiste à exercer une activité sportive en vue des compétitions. Cette dernière formulation révèle que l'objet du contrat est plus large que la seule participation aux compétitions. Il comporte, également, par exemple, l'obligation de participer aux entraînements. A s'en tenir là, il est impossible de distinguer le footballeur professionnel du footballeur amateur titulaire d'un contrat de travail, qui, en vertu de celui-ci, devra aussi exercer son activité en vue des compétitions amateurs.

Mais, pour pouvoir être qualifié de footballeur professionnel il faut, en second lieu, que l'activité susmentionnée soit exercée, "à titre exclusif ou principal". Ce critère est le plus délicat à décrypter et, partant, à appliquer. A dire vrai, le caractère "exclusif" de l'activité ne fait guère de difficulté : est footballeur professionnel celui qui se consacre pleinement et uniquement à la pratique de son sport, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail. Remarquons que la Cour de cassation vise le joueur "employé pour exercer à titre exclusif". Cela laisse à penser que le contrat de travail peut, voire doit, comporter une clause dite d'exclusivité, à moins qu'elle ne soit nécessairement impliquée par ledit contrat. Cela est, avouons-le, troublant si l'on a égard au fait qu'une telle clause porte atteinte à la liberté du travail et que, de ce fait, la Cour de cassation la soumet habituellement à de strictes conditions de validité (7).

Il y a encore plus problématique, si l'on en vient au critère de l'activité exercée "à titre principal". Ce critère peut être rapporté aux relations qui unissent le joueur et son club. Ainsi, le footballeur employé pour exercer son activité en vue des compétitions, mais aussi à un autre égard, par exemple et pour prendre un exemple irréaliste, pour assurer des tâches de secrétariat au sein du club, ne sera footballeur "professionnel" que si la première de ces activités est "principale".

En fait, on peut penser que le critère ici examiné doit, plus vraisemblablement, être rapporté à une activité professionnelle exercée pour le compte d'un autre employeur ou de manière indépendante. En d'autres termes, pour pouvoir être qualifié de footballeur professionnel, le joueur, ayant, par ailleurs, d'autres fonctions, doit se consacrer à la pratique sportive à titre principal. Mais il reste encore à savoir à quoi renvoie cette exigence. Il existe ici deux possibilités : l'activité peut être principale en raison du temps qui lui est consacrée ou en raison des revenus qu'elle génère. L'arrêt commenté ne comportant de ce point de vue aucune précision, il est impossible de savoir si la Cour de cassation entend privilégier le premier ou le second de ces critères (8). Dans la mesure où le cumul d'emplois salariés est licite si sont respectées les durées maximales de travail, il est tentant d'accorder prééminence au temps de travail au moment de déterminer quelle est l'activité principale (9). Mais cela implique de pouvoir précisément mesurer le temps consacré à l'activité de footballeur ; ce qui, sans être impossible, n'a rien d'évident.

On constate ainsi que la définition du footballeur professionnel proposée par la Cour de cassation n'est guère facile à mettre en oeuvre, compte tenu de son caractère peu précis. On ne saurait cependant lui en faire le reproche. En effet, et ainsi que nous l'avons rappelé précédemment, la qualification de footballeur professionnel n'a de sens que rapportée aux normes conventionnelles. Partant, la Chambre sociale était liée par lesdites dispositions au moment de préciser la notion de footballeur professionnel. Rappelons à cet égard que, dans l'arrêt sous examen, la Cour de cassation vise l'article 500 de la Charte du football professionnel avant de dégager la définition du footballeur professionnel, dont elle précise expressément qu'elle "résulte" de ce texte.

Origine et portée des critères. Il est pourtant difficile de concevoir que la définition énoncée dans l'arrêt "résulte" du texte précité, qui, pour ce qui nous intéresse ici, se borne à affirmer qu'"un joueur devient professionnel en faisant du football sa profession". Elle apparaît, en revanche, clairement dans l'article 12-1 de la Convention collective nationale du sport qui stipule, dans un alinéa 1er, que "les dispositions du présent chapitre ne s'appliquent qu'aux entreprises (sociétés ou associations) ayant pour objet la participation à des compétitions et courses sportives, et qui emploient des salariés pour exercer, à titre exclusif ou principal, leur activité en vue de ces compétitions". Mais, on se demande alors pourquoi ce texte, qui a certainement dû l'inspirer, n'a pas été visé par la Cour de cassation. Il pourrait être répondu, qu'en l'espèce, le joueur demandait l'application de la Charte du football professionnel et non celle de la Convention collective nationale du sport. Pour autant, et bien que la question soit d'une extrême complexité en raison de la rédaction pour le moins défectueuse de ses articles 12.2.1 et 12.2.2 (10), la Convention collective nationale du sport apparaît applicable, au moins en partie, à tout footballeur professionnel. Elle aurait donc pu être visée au côté de l'article 500 de la Charte du football professionnel.

A tout le moins, il ne saurait être contesté que la Convention collective nationale du sport figure en filigrane dans la solution retenue dans l'arrêt rapporté. Ce faisant, et dans la mesure où ce texte a vocation à s'appliquer à tout joueur professionnel et non simplement au footballeur, on peut raisonnablement penser que les critères retenus par la Cour de cassation pour définir ce qu'est un footballeur professionnel devrait valoir pour les autres sportifs professionnels, sauf stipulations particulières des conventions et accords collectifs les concernant spécifiquement.

Pour en revenir à ces critères, ils sont de nature à conduire à une situation un peu paradoxale. Imaginons un joueur de football lié à un club amateur par un contrat de travail lui procurant un revenu conséquent, tandis qu'une autre activité salariée, exercée à temps très partiel, lui fournit un simple complément de revenu. Ce joueur doit certainement être qualifié de footballeur professionnel au regard des critères énoncés par la Cour de cassation, à tout le moins si nous les avons bien compris. Mais cette qualification ne présente alors guère d'intérêt dans la mesure où la Charte du football professionnel ne s'applique qu'aux "groupements sportifs à statut professionnel du football" (art. 1er).

En tout état de cause, et l'arrêt commenté est de ce point de vue très clair, la qualification de footballeur professionnel dépend des seules conditions d'exercice de l'activité et le fait que le joueur soit titulaire d'une licence amateur n'a aucune espèce d'importance. Il en va, de même, de l'absence d'homologation du contrat de travail. Admettre le contraire reviendrait à enlever au juge le pouvoir qu'il tient de l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I) ; ce qui ne peut évidemment être admis.

Au final, on est tenté de dire que l'arrêt rendu le 12 décembre 2012 laisse un sentiment d'inachevé. S'il a le grand mérite de livrer une définition du footballeur professionnel, les critères énoncés s'avèrent, pour certains d'entre eux, délicats à mettre en oeuvre. En outre, il se pourrait que certains footballeurs professionnels, nonobstant cette qualification, ne puissent pas bénéficier des stipulations de la Charte. La responsabilité de ces difficultés persistantes ne saurait cependant être imputée à la Cour de cassation. Elles procèdent d'abord et avant tout des lacunes de la norme conventionnelle applicable.


(1) G. Simon, C. Chaussard, P. Icard, D. Jacotot, Ch. de La Mardière, V. Thomas, Droit du sport, Thémis droit, 2012, n° 284.
(2) F. Buy, J.-M. Marmayou, D. Poracchia, F. Rizzo, Droit du sport, LGDJ, 3ème édition, 2012, n° 534.
(3) Cass. soc., 14 juin 1979, n° 77-41.305, publié (N° Lexbase : A7026IZA), Bull. civ. V, n° 540. La Cour de cassation a, beaucoup plus récemment, confirmé cette solution à propos d'un joueur de rugby : Cass. soc., 28 avril 2011, n° 10-15.573, F-P+B (N° Lexbase : A5364HPD), RDT, 2011, p. 370, avec nos obs. Lire aussi, les obs. de G. Singer, Participer à des matchs de rugby est (toujours ?) un travail, Lexbase Hebdo n° 441 du 26 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3006BS7).
(4) En l'occurrence son chapitre XII.
(5) Solution rappelée dans l'arrêt présentement commenté.
(6) Il faut comprendre que la Charte du football "professionnel" ne s'applique pas uniquement aux joueurs "professionnels". Ainsi, selon son article 1er, "la présente convention et ses annexes [...] règlent l'ensemble des conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que des garanties sociales, intéressant les rapports entre les groupements sportifs à statut professionnel du football (constitués par les sociétés sportives et leurs associations) et les salariés éducateurs, joueurs en formation et joueurs à statut professionnel de ces groupements sportifs". Le "salarié" lié au "groupement sportif à statut professionnel" peut être un joueur amateur titulaire d'un contrat de travail, étant observé qu'un tel groupement peut engager deux équipes, l'une dans un championnat professionnel, l'autre dans un championnat amateur.
(7) V., par ex. , Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 98-43.240, publié (N° Lexbase : A9181AG7).
(8) Voire de les combiner.
(9) Solution à écarter en cas de cumul du contrat de travail et d'une activité de travailleur indépendant. Dans ce cas, c'est le critère du revenu qui paraît, seul, opératoire.
(10) V., sur la question, F. Buy et alii, ouvrage préc., n° 556.

Décision

Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-14.823, FS-P+B (N° Lexbase : A1097IZN)

Cassation de CA Paris, Pôle 6, 4ème ch., 26 octobre 2010, n° 09/01006 (N° Lexbase : A0667GD3)

Texte visé : Charte du football professionnel, art. 500 (N° Lexbase : L6822IU9)

Mots-clés : footballeur professionnel, qualification, charte du football professionnel

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