Réf. : Cass. civ. 1, 13 décembre 2012, n° 11-19.098, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8294IYT)
Lecture: 11 min
N5173BTR
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var
le 12 Janvier 2013
Selon le tribunal de grande instance, en 2008, la convention définitive signée par les parties faisait corps avec le jugement d'homologation et l'ensemble bénéficiait de l'autorité de la chose jugée. La convention définitive ayant été approuvée par la juridiction, à la demande expresse des époux, la demande de l'époux à l'égard de l'épouse était irrecevable. La cour d'appel confirma cette solution, en 2011, mais cet arrêt fut cassé (CA Poitiers, 16 mars 2011, n° 08/02094 N° Lexbase : A4084HDM). A l'appui de son pourvoi, l'époux avançait deux arguments qui nous donnent l'occasion de nous pencher sur les questions du partage complémentaire et de la responsabilité du notaire en cas d'oubli de récompenses.
I - La demande de partage complémentaire
En plus de favoriser le règlement des conséquences patrimoniales du divorce par les époux eux-mêmes, l'objectif de la réforme du divorce de 2004 a été que ce règlement soit achevé au moment du prononcé du divorce, même si les opérations de liquidation du régime matrimonial s'étendent au-delà. Les époux, qui n'hériteront pas l'un de l'autre, doivent, le plus tôt possible, mettre définitivement un terme (au moins d'un point de vue patrimonial) à leur relation.
Pendant l'instance, ils peuvent passer toutes conventions pour la liquidation et le partage de leur régime matrimonial. Toutefois, lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à la publicité foncière, la convention doit être passée par acte notarié (C. civ., art. 265-2 N° Lexbase : L2831DZU). A défaut d'un règlement conventionnel par les conjoints, le juge ordonne la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux, en prononçant le divorce. Il statue sur les demandes de maintien dans l'indivision ou d'attribution préférentielle. Si le projet de liquidation du régime matrimonial, établi par le notaire désigné sur le fondement du 10° de l'article 255 du Code civil, contient des informations suffisantes, le juge, à la demande de l'un ou l'autre des époux, statue sur les désaccords persistant entre eux (C. civ., art. 267 N° Lexbase : L2834DZY).
De manière générale, les opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux se déroulent suivant les règles fixées par le Code de procédure civile (C. civ., art. 267-1 N° Lexbase : L1785IET). La liquidation doit englober tous les rapports pécuniaires entre les parties. La Cour de cassation a précisé qu'il appartient à l'époux qui se prétend créancier de l'autre de faire valoir sa créance selon les règles applicables à la liquidation de leur régime matrimonial (1). Que faire lorsqu'un bien ou une récompense a été omis ?
Selon l'article 279 du Code civil (N° Lexbase : L2847DZH), "La convention homologuée a la même force exécutoire qu'une décision de justice. Elle ne peut être modifiée que par une nouvelle convention entre des époux, également soumise à homologation [...]". A ainsi violé ce texte l'arrêt qui, alors que la convention homologuée ne faisait pas état d'un immeuble dans l'actif commun, a fait entrer postérieurement ce bien dans le patrimoine commun (2).
Lorsqu'un bien a été omis, il faut demander un partage complémentaire de communauté (en cas d'omission volontaire, les règles du recel de communauté peuvent aussi trouver application). La Cour de cassation admet clairement, visant l'article 279 du Code civil, que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu'une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs ou de dettes communes omis dans l'état liquidatif homologué (3).
Parfois, les parties insèrent dans leur convention une clause de non-révision. Il a, par exemple, été jugé que devait être rejetée la demande en paiement d'une somme d'argent, au titre de deux éléments d'actif de la communauté qui n'auraient pas été pris en considération dans la liquidation, au motif que "la cour d'appel, interprétant la volonté les parties résultant des clauses de la convention définitive, a[vait] souverainement constaté qu'elles avaient entendu mettre un terme définitif à la liquidation de leurs droits en s'interdisant de réclamer le partage ultérieur des biens communs prétendument omis" (4). En revanche, une demande en partage complémentaire a été jugée recevable lorsque la clause, en vertu de laquelle les parties renonçaient à se prévaloir de toutes les inexactitudes, omissions ou inégalités incluses dans le partage, était insérée dans l'acte notarié annexé à la convention (5).
Dans l'espèce commentée, il semble que l'omission ait été involontaire. L'époux reprenait la jurisprudence établie et faisait valoir que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu'une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire d'une créance commune omise dans l'état liquidatif homologué. Il estimait que la cour d'appel avait privé sa décision de base légale, au regard de l'article 279 du Code civil, en ce fondant, pour rejeter sa demande, sur la circonstance que la convention définitive bénéficiait de l'autorité de la chose jugée, sans rechercher si la créance litigieuse y avait ou non été incluse. Effectivement, la Haute juridiction a retenu cet argument et jugé que la cour d'appel, qui avait méconnu l'étendue de ses pouvoirs, avait violé le texte susvisé.
La solution n'est pas nouvelle et doit être parfaitement approuvée. L'article 279 du Code civil accorde à la convention homologuée la même force qu'une décision de justice, certes, mais permet également qu'elle soit modifiée. La modification peut-être conventionnelle ou judiciaire et suppose également une homologation. Cela vise aussi bien les cas où les époux "changent d'avis", ce qui est assez rare, que ceux où une créance ou une dette a été omise.
Dans l'affaire analysée, la cassation et l'annulation de l'arrêt d'appel ne signifient pas que la Cour de cassation accorde un partage complémentaire mais qu'il va revenir à une cour d'appel de renvoi de vérifier si la créance litigieuse avait été incluse dans la convention définitive et, si tel n'est pas le cas, de procéder à une partage complémentaire. Une ou deux années de procédure vont s'ajouter à celles déjà écoulées.
II - La responsabilité du notaire
Les notaires, officiers ministériels, peuvent voir leur responsabilité engagée en cas de faute. En matière de divorce, il leur incombe notamment de procéder à la liquidation des biens des époux. Leur responsabilité peut-elle être recherchée en cas d'omission de récompenses ?
Dans l'affaire commentée, la convention définitive comportant partage de la communauté avec état liquidatif, dressé par le notaire en 1991, faisait état des récompenses dues par l'époux à la communauté, en rappelant l'acquisition de terres sur licitation et la construction d'une maison d'habitation sur un terrain personnel de celui-ci, à l'occasion d'une donation-partage consentie par son père à ses deux enfants et, enfin, la récompense due pour la construction d'un hangar financé par la communauté sur un terrain propre de l'époux.
Selon l'épouse, le mari était parfaitement en mesure de faire valoir une créance de la communauté à son encontre, à l'occasion de la donation-partage de biens agricoles réalisée par ses parents et dont le financement aurait été assuré par des fonds de communauté. Il aurait pu faire valoir ses demandes devant le notaire, auprès de son avocat chargé de le représenter personnellement dans le cadre de la procédure ainsi que, lors de l'audience devant le juge aux affaires familiales. De plus, l'épouse rappelait que l'économie de la convention consistait, en priorité, à attribuer à l'époux la totalité des terres de la communauté, indispensables à l'exercice de sa profession agricole. De son côté, l'époux arguait, pour justifier son absence de réaction lors de la procédure, n'être "qu'un agriculteur" titulaire d'un simple CAP.
Les juges du fond ont retenu que l'époux avait, pendant la durée du mariage, acquis 16 hectares de terres, d'une valeur de 2 137 150 francs (326.282 euros) moyennant six emprunts contractés auprès d'établissements financiers divers. Cela révélait, qu'en réalité, il était un chef d'entreprise agricole avisé, connaissant exactement les mécanismes bancaires et financiers. Il était ainsi parfaitement en mesure de défendre ses intérêts au cours de la procédure en divorce et pendant la phase de liquidation du régime matrimonial. De plus, l'époux avait été tout à fait en mesure de faire valoir les droits de la communauté à récompense, pour avoir permis la mise en valeur des biens propres de l'épouse, dès lors que le cas de figure soulevé, concernant la soulte versée lors de la donation-partage en faveur de l'épouse, avait justement été évoquée, dans l'acte de partage, à propos d'une donation-partage consentie par le père du premier.
En revanche, il était évident que le notaire n'était pas en mesure de connaître tous les modes de financement des biens propres et communs dont disposaient les époux et qu'il appartenait au mari, ainsi que l'avait fait l'épouse, de signaler spontanément à l'officier ministériel les financements réalisés par la communauté en faveur de biens propres de son conjoint. Aucune faute n'était donc établie à l'encontre de ce professionnel.
Devant la Cour de cassation, l'époux estimait que la responsabilité du notaire devait être retenue sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT).
D'une part, il avançait que, au titre de son obligation de conseil, le notaire est tenu de procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité des actes qu'il dresse (6) de sorte qu'il doit, lorsqu'il procède à la liquidation d'un régime de communauté, vérifier l'origine de propriété et les modes de financement des biens appartenant aux conjoints. En se fondant, pour débouter l'époux de sa demande de dommages et intérêts, sur la circonstance que le notaire n'était pas en mesure de connaître tous les modes de financement des biens propres et communs dont disposaient le couple, la cour d'appel avait violé l'article 1147 du Code civil.
D'autre part, l'époux faisait valoir que le notaire n'est déchargé de son devoir de conseil ni par les compétences personnelles de son client, ni par la présence d'un conseiller au coté de celui-ci (7). Ainsi, en se fondant encore sur la circonstance qu'en sa qualité de chef d'entreprise agricole avisé, l'époux était parfaitement en mesure de défendre ses intérêts au cours de la procédure de divorce, la cour d'appel avait de nouveau violé l'article 1147 du Code civil.
La Haute juridiction a donné satisfaction à l'époux en cassant l'arrêt sur ce point aussi. Elle a reproché à la cour d'appel d'avoir écarté la responsabilité du notaire, alors qu'il incombait à celui-ci, quelles que soient les compétences personnelles des parties, de s'enquérir auprès d'elles du point de savoir si les biens leur revenant en propre avaient été financés, en tout ou partie, par la communauté, et, le cas échéant, de se faire communiquer tout acte utile. Le notaire avait une obligation, il ne l'a pas exécutée et cela a causé un préjudice à l'un des époux. Sa responsabilité peut donc être retenue. La solution est parfaitement logique.
Toutefois, et cela mérite être relevé, la Cour de cassation a estimé que la cour d'appel avait violé l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), et non l'article 1147, comme l'estimait l'époux. En effet, il est admis que "les obligations du notaire, qui ne tendent qu'à assurer l'efficacité d'un acte instrumenté par lui et qui ne constituent que le prolongement de sa mission de rédacteur d'acte, relèvent de sa responsabilité délictuelle" (8). Il en va exceptionnellement différemment lorsque celui-ci a souscrit une obligation contractuelle à l'égard de son client, tel l'engagement de procéder lui-même à une substitution de garantie (9). Ce n'est donc pas la responsabilité civile contractuelle mais la responsabilité civile délictuelle du notaire qui a été retenue dans l'affaire commentée. Ce dernier n'a pas failli à une obligation contractuelle mais à son obligation générale de ne pas causer de dommage à autrui. "S'enquérir auprès des parties du point de savoir si les biens leur revenant en propre ont été financés, en tout ou partie, par la communauté, quelles que soient les compétences personnelles de celles-ci" n'est pas une obligation "spéciale", résultant d'un contrat conclu entre les parties et le notaire, mais une obligation "générale" inhérente à la prudence imposée à ce professionnel. Il est regrettable que le conseil de l'époux, en l'espèce, ne l'ait pas su. Heureusement, malgré le principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle -ou plutôt de non-option- selon lequel "tout ce qui n'est pas contractuel est délictuel", la Cour de cassation refuse de censurer l'erreur de qualification des juges du fond ou des parties, quant à la nature de la responsabilité, lorsque l'application des règles de l'une ou de l'autre conduit, en pratique, exactement au même résultat (10).
Enfin, notons que l'épouse a été condamnée aux dépends. Si, de mauvaise foi, elle savait lors de la liquidation de la communauté que la récompense était oubliée mais a préféré se taire, cela est mérité. Si, de bonne foi, elle ne s'était pas rendue compte de l'omission, la condamnation peut paraître sévère. Cela incite indirectement tous les époux, y compris celui qui pourrait profiter de l'oubli, à s'assurer que son silence est plus "rentable" qu'une éventuelle action en partage complémentaire.
(1) Cass. civ. 1, 25 mars 2003, n° 00-21.547, F-D (N° Lexbase : A6061A7M).
(2) Cass. civ. 2, 18 mars 1992, n° 90-20.711 (N° Lexbase : A5631AHZ), Bull. civ. II, n° 90.
(3) Civ., 27 janvier 2000, n° 97-14.657 (N° Lexbase : A5182AWT) ; Cass. civ. 1, 22 février 2005, n° 02-13.745, F-D (N° Lexbase : A8555DGX) ; Cass. civ. 1, 30 septembre 2009, n° 07-12.592, FS-P+B (N° Lexbase : A5775ELH), Bull. civ. I, n° 195.
(4) Cass. civ. 1, 14 janvier 2003, n° 00-20.707, F-D (N° Lexbase : A6891A4Y), D., 2003, Somm. 1870.
(5) Cass. civ. 1, 22 février 2005, n° 02-13.745, F-D (N° Lexbase : A8555DGX).
(6) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, Bull. civ. I, n° 7.
(7)Cass. civ. 1, 12 décembre 1995, n° 93-18.753 (N° Lexbase : A7976ABZ), Bull. civ. n° 459 ; Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 93-13.672 (N° Lexbase : A7691ABH), Bull. civ. I, n° 312.
(8) Cass. civ. 1, 12 avril 2005, n° 03-14.842, F-P+B (N° Lexbase : A8678DHU), Bull. civ. I, n° 178.
(9) Préc..
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:435173