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par Lauréline Fontaine, Professeur de droit public, Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris III
le 12 Janvier 2013
Le Président de la République française a donc rappelé que "la loi s'applique pour tous dans le respect, néanmoins, de la liberté de conscience". Les propos ont été compris comme pouvant laisser penser que les maires de France, en tant qu'officiers d'état civil, auraient le choix d'user de leur liberté de conscience pour célébrer ou ne pas célébrer des mariages de personnes de même sexe. L'assimilation entre cette possibilité et la fameuse clause de conscience dont bénéficient les professions médicales dans l'application de la loi sur l'avortement a été rapidement faite. Au regard de la confusion provoquée, les propos présidentiels ont été "retirés" le lendemain. On peut assurément estimer que ces propos ont été maladroits, mais, plus, c'est l'ambiguïté dans laquelle ils tenaient le dispositif légal envisagé sur le mariage de personnes de même sexe, qui était critiquable. Car, en effet, la liberté de conscience n'offre pas la possibilité d'écarter l'application de la loi.
La liberté de conscience suppose d'intérioriser n'importe quel type de pensée ou sentiment : cela est en quelque sorte inévitable, car ce qui se passe dans le for intérieur est par définition incontrôlable, jusqu'à la preuve contraire apportée par la science. On peut donc penser ce que l'on veut, considérer même que les règles de droit sont idiotes, absurdes ou injustes. On peut décider de respecter le Code de la route, tout en en contestant le bien-fondé. On n'est même pas obligé de se déclarer publiquement en accord avec les règles de droit. On a ainsi la liberté de considérer, en conscience, que les règles de droit ne sont pas "bonnes", et, dans les pays libéraux, de le manifester. On peut même déclarer que les lois pénalisant l'expression de certaines pensées (xénophobes ou incitant à la haine) sont mauvaises, dès lors qu'on n'exprime pas en tant que tels les propos pénalisés. Sauf exception, la liberté de conscience permet donc de manifester tous types d'opinions, de convictions et de pensées, dès lors qu'il ne s'agit pas de s'absoudre de l'application de la loi.
Dans l'application de la loi, la liberté de conscience est susceptible de jouer chaque fois qu'il n'y a pas, à strictement parler, d'obligation inconditionnelle d'appliquer la loi. Par exemple, lorsque le droit offre une faculté, une prérogative, il s'agit pour les sujets de droit d'avoir la liberté, en conscience, d'user ou non de cette faculté. On peut ainsi choisir de bénéficier ou non d'un "droit", c'est-à-dire en fait d'un avantage, parce qu'on croit ne pas être en droit moralement de bénéficier dudit avantage. Lorsque même il est possible d'échapper à l'application de la règle de droit sans avoir à s'en justifier, l'usage de sa liberté de conscience peut jouer. Si l'on est assuré, par exemple, qu'il n'y a aucune possibilité d'être sanctionné pour infraction aux règles relatives à la limitation de vitesse (il n'y a ni radar ni présence d'agents compétents), on peut décider en conscience de les enfreindre (on pourrait aussi décider la même chose si la sanction avait toutes les chances d'être prononcée !).
Il est enfin possible, en suivant sa conscience, de se soustraire à l'application du droit dès lors que les mécanismes juridiques le permettent sans avoir à s'en justifier. C'est bien sans doute ce cas qui était visé par les propos du Président de la République. En effet, dans le cadre de leurs fonctions d'officiers d'état civil, les maires ont la possibilité d'en déléguer l'exercice à leurs adjoints. La pratique de ces délégations est presque systématique, pour des raisons principales d'organisation et d'emploi du temps. Le droit ne prévoit pas du tout que ce type de délégations soit motivé par les convictions ou les opinions du maire, puisqu'il s'agit en quelque sorte d'une mesure d'organisation du service. Que l'on sache, il n'existe pas de jurisprudence sur l'opportunité d'une telle délégation fondée sur des motifs illégaux. S'il s'agit seulement de "liberté de conscience", l'idée que les maires pourraient refuser de célébrer un mariage n'est donc pas exacte. Il s'agit simplement de dire qu'ils pourront utiliser une faculté fondée sur les nécessités de l'organisation du service pour des motifs liées à leurs convictions.
Petits arrangements avec le droit donc, sans violation directe de celui-ci. Mais on ne peut s'empêcher de considérer qu'il pourrait y avoir là une violation indirecte de la loi. En suivant la jurisprudence initiée par l'arrêt "Barel" (1), un administré pourrait être lui-même fondé à exiger du juge qu'il commande au maire de lui fournir les motifs de sa délégation pour déterminer s'ils sont effectivement légaux. Outre qu'il ne serait pas très difficile pour le maire d'invoquer des motifs légaux, et en supposant qu'il n'ait pas publiquement exprimé les mobiles réels de son acte de délégation (ce qui était le cas dans l'affaire "Barel"), le fait de ne pas souhaiter procéder à la célébration d'un mariage au motif qu'il s'agit de deux personnes du même sexe (dés lors que cette possibilité sera prévue par la loi) peut être assimilé à une discrimination illégale. Aux termes de l'article 432-7 du Code pénal (N° Lexbase : L8809ITG), "la discrimination définie aux articles 225-1 (N° Lexbase : L8816ITP) et 225-1-1 (N° Lexbase : L8794ITU), commise à l'égard d'une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsqu'elle consiste [à] refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi [à] entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque". Le recours à une "technique" juridique ne saurait s'appuyer donc sur des motifs discriminatoires sans constituer un acte discriminatoire pénalement sanctionné.
Même si elles n'ont pas toujours à être motivées, les décisions administratives doivent reposer sur des motifs légaux. Au surplus, l'article 432-1 du même code (N° Lexbase : L1910AMP) prévoit déjà que "le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende", les peines étant plus importantes si l'infraction a été suivie d'effet (C. pén, art. 432-2 N° Lexbase : L1824AMI). Un maire a déjà été condamné pour avoir refusé de marier deux personnes dont l'une était transsexuelle, alors même qu'il avait été légalement procédé à son changement d'état civil (2). On notera toutefois une relative indulgence de la cour d'appel qui a infirmé le jugement de première instance condamnant ledit maire à une peine d'un an d'inéligibilité. Le maire a été condamné à une amende de 4 100 euros et à verser 625 euros à chacun des deux plaignants, mais a relevé les convictions religieuses du maire pour aboutir à une condamnation plus "légère". En dépit de cette indulgence de la cour d'appel indéniablement fondée sur la prise en compte des convictions du maire, il doit être souligné que la liberté de conscience ne peut pas être le support d'une pratique discriminatoire (3). C'est la raison pour laquelle un certain nombre de maires français ont bien demandé à ce que soit instaurée une "clause de conscience" dans l'application de la future loi sur le mariage pour tous, et non simplement l'usage de leur liberté de conscience.
II - La prise en compte légale de la conscience dans l'application du droit
Après avoir autorisé le mariage entre personnes du même sexe, les Pays-Bas ont, quelques années plus tard, instauré une "clause de conscience" au profit des maires, leur permettant de refuser de célébrer une telle union. La disposition est controversée et son instauration en France pose évidemment le problème de sa constitutionnalité. En effet, si l'usage de la liberté de conscience fondée sur l'homosexualité serait discriminatoire, une clause qui aurait un fondement identique le serait tout autant et poserait assurément un problème de constitutionnalité. Une telle clause ne pourrait donc être comparée avec celles que le droit prévoit dans d'autres situations, qui ne fondent pas une pratique à caractère discriminatoire.
S'il n'existe pas, de manière générale, la possibilité d'objecter aux règles de droit en dehors de la contestation de celles-ci par les voies légales (4), le droit a prévu plusieurs cas de conscience qui offrent un choix aux sujets de droit. Qu'il s'agisse d'une "objection de conscience" ou de l'usage d'une clause de conscience, une personne peut, en ne faisant pas obstacle à l'application du droit, voire en la permettant en fin de compte, se soustraire à l'application stricte du droit.
L'objection de conscience est l'opposition à une pratique à laquelle l'Etat entend soumettre ses citoyens, au motif qu'elle heurte leurs convictions morales, religieuses ou philosophiques. Le principe même de l'objection de conscience reconnue par le droit a été inscrit plutôt tardivement dans les systèmes juridiques, et à partir du vingtième siècle seulement, et s'agissant du cas spécifique d'abord des obligations militaires. Elle permet d'opposer une philosophie antimilitariste à l'Etat et ainsi, légalement, de ne pas être tenu d'accomplir les mêmes obligations militaires que les autres. Il est intéressant de relever que la Cour européenne des droits de l'Homme tend à reconnaître dans ce domaine, non un droit des personnes à objecter, mais une obligation de l'Etat à proposer des mécanismes alternatifs pour préserver "un juste équilibre entre l'intérêt de la société dans son ensemble" et celui des sujets. Revenant sur une position adoptée en 1966 (5), la Cour a, ainsi, noté qu'il existait un quasi consensus sur cette question en Europe, ce qui lui a permis de considérer qu'un système qui ne prévoyait pas de service de remplacement ne préservait pas les intérêts du requérant, témoin de jéhovah qui avait demandé "à être exempté du service militaire non par intérêt personnel ou par convenance personnelle mais en raison de convictions religieuses sincères" (6). L'Etat doit prévoir un mécanisme de remplacement pour que le citoyen puisse lui opposer ses propres convictions. Avant que le droit français mette fin à la conscription, l'objecteur de conscience devait ainsi, "en échange" de cette possibilité, accomplir un service "civil", d'une durée plus longue que le service militaire (et à des conditions qui pouvaient parfois impliquer de renoncer à la possibilité de l'objection de conscience).
C'est bien la philosophie qui préside à l'acceptation en droit des cas de conscience : il s'agit pour l'individu de trouver une autre manière de remplir ses obligations légales. Si on considère que le médecin bénéficie d'une clause de conscience leur permettant de refuser de procéder à certains actes médicaux comme le prévoit l'article R. 4127-47 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8329GTN) "hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles", il doit, dans cette hypothèse, "en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins". Une disposition plus particulière concerne l'interruption volontaire de grossesse, qui figure à l'article L. 2212-8 du même code (N° Lexbase : L6834IG9). Elle indique qu'"un médecin n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse, mais doit informer, sans délai, l'intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l'article L. 2212-2 (N° Lexbase : L4198H9D)". Cette possibilité est étendue à d'autres personnels médicaux ("aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu'il soit, n'est tenu de concourir à une interruption de grossesse") et "un établissement de santé privé peut refuser que des interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées dans ses locaux". Le Code de la santé publique prévoit aussi explicitement une clause de conscience s'agissant de la stérilisation à visée contraceptive (C. santé publ., art. L. 2123-1 N° Lexbase : L3743DL9), depuis la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011, relative à la bioéthique (N° Lexbase : L7066IQR), qu'"aucun chercheur, aucun ingénieur, aucun technicien ou auxiliaire de recherche quel qu'il soit, aucun médecin auxiliaire médical n'est tenu de participer à quelque titre que ce soir aux recherches sur des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires" (C. santé publ., art. L. 2151-7-1 N° Lexbase : L7101IQ3).
Par les droits et les obligations qu'il crée, le législateur a établi un équilibre entre la liberté de conscience du médecin et le droit des patients. En effet, il s'agit, d'un côté, d'admettre la liberté de s'opposer à une pratique, et, de l'autre, de permettre l'accès effectif des patients à celle-ci. Le droit d'objection est ainsi assorti d'une obligation d'information et d'orientation. Les chefs de service, dans les établissements publics, sont tenus d'organiser la pratique dans leur service, quand bien même ils s'y refusent eux-mêmes, pour des raisons liées à leurs convictions éthiques, religieuses ou morales. Dans tous les cas, le refus opposé ne doit pas pouvoir être assimilé à une pratique discriminatoire (le médecin est en quelque sorte tenu à une obligation de constance dans ses décisions, indépendamment de la personnalité de ses patients). Au surplus, il ne peut y avoir omission de porter secours (C. pén, art. 223-6, alinéa 2 N° Lexbase : L2122AMK), notamment dans des cas d'urgence, la clause ne pouvant jouer dans cette hypothèse.
Le droit français semble se situer dans le sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui tend à donner des effets positifs à la liberté de conscience. Dans un arrêt du 26 mai 2011 (7), elle indique que les Etats sont tenus d'organiser leur système de santé de manière à ce que les professionnels de santé puissent effectivement faire usage de leur liberté de conscience, sans que le droit à l'avortement des patients ne soit lui-même remis en cause, dès lors qu'il a été reconnu. La reconnaissance de la clause de conscience reste cependant circonscrite. Elle ne s'étend, ainsi, pas en droit français aux pharmaciens qui ne sauraient invoquer leurs convictions pour refuser la vente d'un produit abortif autorisé (8). La Cour européenne a statué dans le même sens, en concluant, à propos de pharmaciens qui avaient refusé de délivrer une pilule contraceptive sous ordonnance, en raison de leurs convictions religieuses, que, "dès lors que la vente de ce produit est légale, intervient sur prescription médicale uniquement et obligatoirement dans les pharmacies, les requérants ne sauraient faire prévaloir et imposer à autrui leurs convictions religieuses pour justifier le refus de vente de ce produit, la manifestation desdites convictions pouvant s'exercer de multiples manières hors de la sphère professionnelle" (9).
III - L'admissibilité de la désobéissance légitime
La désobéissance au droit doit être comprise comme un acte délibéré résultant d'un choix en "conscience". Cette conscience de la violation délibérée de la loi a donné naissance à la théorie de la désobéissance civile. Il s'agit, en violant la règle, de la contester, et ce au nom de principes supérieurs de morale et de justice. Les faits survenus lors de la Seconde guerre mondiale ont, en quelque sorte, contraint le droit à porter un regard critique sur lui-même. Fondé sur le principe d'obéissance, le droit peut conduire à servir des causes iniques, ou ses agents contribuer à réaliser des actions illégales. La légalité a, ainsi, évolué dans le sens d'une admissibilité exceptionnelle de la désobéissance, allant même jusqu'à instaurer dans certaines hypothèses, tout aussi exceptionnelles, un devoir de désobéissance. En France, cette hypothèse est d'abord venue des juges. Avec le célèbre arrêt de Section du 10 novembre 1944 "Langneur" (10), le Conseil d'Etat a implicitement admis l'hypothèse d'une obéissance illégitime et, par suite, celle d'une obligation de désobéissance. L'affaire concernait la révocation d'un fonctionnaire de mairie, que celui-ci contestait parce qu'il avait exécuté les instructions données par le maire. Mais le Conseil d'Etat conclut le requérant n'avait "pu ignorer" que les actes accomplis, en exécution des instructions données par le maire, "compromettaient gravement le fonctionnement du service public", dans la mesure où ils avaient permis à de nombreuses personnes de percevoir indûment des allocations de chômage, et présentaient "de toute évidence un caractère illégal". La conclusion fut donc que, bien que l'intéressé "ait exécuté les instructions qui lui avaient été données par le maire, son supérieur hiérarchique", celui-ci "est demeuré responsable de ses actes et a commis une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire". Autrement dit, l'obéissance à une règle de droit, notamment à celle émise par un supérieur hiérarchique, n'exonère pas son auteur de sa responsabilité.
La violation du droit et le respect du droit sont donc mis en balance, en fonction des conséquences impliquées. Ainsi, par un autre arrêt de Section du 4 janvier 1964 (11), le Conseil d'Etat a, au contraire, estimé que l'obéissance était due à un acte manifestement illégal, en raison de l'absence de gravité de l'atteinte à un intérêt public : "à supposer même que l'ordre donné au requérant de rejoindre une affectation en Algérie eût été manifestement illégal, un tel ordre n'était pas de nature à compromettre gravement un intérêt public [...] dans ces conditions, l'intéressé n'est, en tout état de cause, pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de cet ordre pour soutenir que son refus d'obéir n'aurait pas, en l'espèce, constitué une faute de nature à justifier légalement l'application d'une sanction disciplinaire". Ce sont donc des fins supérieures qui justifient la désobéissance légitime.
Il n'est pas surprenant que ce soit le règlement de discipline générale militaire, qui constitue normalement le pilier du principe d'obéissance, qui ait pour la première fois en France, institutionnalisé la "désobéissance", si l'on excepte l'ordonnance de 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine qui valide rétroactivement des actes de désobéissance et de résistance à un pouvoir illégitime. C'est en 1966 que le règlement de discipline générale militaire français est modifié en ce sens. L'article 7 prévoit que "le subordonné doit refuser d'exécuter un ordre prescrivant d'accomplir un acte manifestement illégal". Les "conditions" de la désobéissance en minimisent naturellement la portée pratique de telle sorte que, dans l'univers où elle est censée être permise, elle est en fait, sauf hypothèse de circonstances exceptionnelles qui autorisera un subordonné à se dégager des conditions de procédure, assez irréaliste. Les modifications du règlement de discipline générale militaire opérées en 2005 par le décret n° 2005-796, relatif à la discipline générale militaire et instruction (N° Lexbase : L8269G97), ont abouti à consacrer un principe de désobéissance et à permettre, dans certains cas, la condamnation de l'obéissance, même si, comme vient très récemment de l'illustrer l'affaire "Mahé", la Cour d'assises a difficilement tiré les conséquences du principe (12).
Le mouvement commencé en 1966 a été poursuivi avec la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), qui, dans son article 28, prévoit aujourd'hui que, "tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Il n'est dégagé d'aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés". Cette disposition trouve son pendant dans l'alinéa 2 de l'article 122-4 du Code pénal (N° Lexbase : L7158ALP), lequel dispose que, "n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal". On ne saurait, ainsi, exagérer la portée de ces dispositions dans la mesure où, d'une part, le commandement de l'autorité légitime constitue bien une cause exonératoire de responsabilité et, d'autre part, l'illégalité ne valide qu'exceptionnellement la désobéissance. Bien sûr, l'arrêt rendu dans l'affaire "Maurice Papon" a permis de dire que "l'illégalité d'un ordre de l'autorité légitime en matière de crime contre l'humanité [est] toujours manifeste" (13). En dehors de l'hypothèse du crime contre l'Humanité, la place pour la désobéissance existe mais reste étroite. Toutefois, l'application du principe de désobéissance légitime est susceptible d'évoluer. On relève les treize jugements rendus par le tribunal administratif de Melun le 10 décembre 2010 à propos des gendarmes qui avaient refusé de déménager nonobstant l'obligation qui leur était faite, et qui avaient, pour cette raison, été sanctionnés par vingt jours d'arrêt. Le tribunal leur a donné raison en annulant la sanction au motif que l'ordre de mutation était illégal (14).
Il convient enfin de s'arrêter sur le fait que, de temps à autre, mais encore de manière très exceptionnelle, certains juges décident de ne pas pénaliser des actions répondant aux principes de la désobéissance civile, en subsumant les faits sous des qualifications juridiques permettant de ne pas les considérer comme illégales comme dans les affaires des faucheurs d'OGM (15) ou du "déboulonnage" de panneaux publicitaires et de la liberté d'expression. Dans ce dernier cas, un jugement du tribunal correctionnel de Paris en date du 2 avril 2010 (16) a relaxé l'ensemble des membres appartenant au collectif dit "Les déboulonneurs", accusés de dégradation de biens. Le tribunal correctionnel a décidé à leur sujet que le délit pour lequel ils étaient poursuivis n'était pas constitué et qu'ils n'avaient fait là qu'user de leur liberté d'expression. Ce jugement est totalement inédit en France puisque, jusqu'à présent, les "déboulonneurs" avaient toujours été condamnés, mais aussi parce que jamais la liberté d'expression n'avait jamais été conçue de cette manière là en France, une telle conception étant plutôt générée par le droit constitutionnel américain. L'usage de la conscience dans l'application du droit doit donc se faire dans les limites que le droit fixe, la conscience du juge contribuant elle-même à fixer ces limites !
(1) CE Ass., 28 mai 1954, n° 28238, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9107B8S).
(2) CA Papeete, 1er septembre 2011.
(3) Voir, en ce sens, Cass. crim. 3 mars 2005 : un maire condamné pour avoir refusé de célébrer le samedi après-midi un mariage entre personnes de confession musulmane, au motif qu'il s'agissait de réserver ce jour aux "mariages catholiques".
(4) Recours administratifs et/ou judiciaires ; voir, dans le même sens, CEDH, 7 décembre 1976, Req. 5095/71 (N° Lexbase : A6909IZW).
(5) Commission européenne des droits de l'Homme, Requête n° 2299/64.
(6) CEDH, 7 juillet 2011, Req. 23459/03 (N° Lexbase : A0586HWM) ; voir, cependant, CEDH, 12 juin 2012, Req. 42730/05 (N° Lexbase : A6907IZT), par lequel la Cour condamne la Turquie sur le fondement de l'article 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR) et pas de l'article 9 de la Convention (N° Lexbase : L4799AQS).
(7) CEDH, 26 mai 2011, Req. 27617/04.
(8) Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 97-80.981 (N° Lexbase : A5179ACS).
(9) CEDH, 2 octobre 2001, Req. 49853/99 (N° Lexbase : A6908IZU).
(10) CEDH, 10 novembre 1944, Langneur, Rec. P. 288.
(11) CE, 4 janvier 1964, Sieur Charlet, Rec. p. 1.
(12) Cour d'assises, Paris, 7 décembre 2012.
(13) Cass. Crim. 23 janvier 1997, n° 96-84.822 (N° Lexbase : A6501CIM), Bull. Crim. n° 502.
(14) Voir aussi, dans le même sens et s'agissant toujours d'un ordre de mutation, TA Strasbourg, 11 juin 2012.
(15) Tribunal correctionnel d'Orléans, 9 décembre 2005 ; voir en sens contraire Cass. Crim. 7 février 2007, n° 06-80.108, F-D (N° Lexbase : A3018D9N).
(16) Tribunal correctionnel de Paris, 2 avril 2010.
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