La lettre juridique n°511 du 10 janvier 2013 : Éditorial

Cyrano au pays des soviets

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N5187BTB

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Cyrano au pays des soviets. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/7599393-cyranoaupaysdessoviets
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


En censurant l'article 12 de la "petite loi" de finances pour 2013, les Sages pensaient ramener chacun à la raison. Il s'agissait, sans doute, de sortir de l'impasse politique un Président embarrassé par la "promesse télévisuelle" d'un Grand soir ; et de contenter un acteur au verbe haut et à la gouaille forte qui, après avoir joué les plus grands héros du répertoire, s'entichait de l'humble rôle du citoyen révolté.

A la vérité, la taxation litigieuse, sans passer inaperçue aux yeux des principaux intéressés, n'aurait sans doute pas franchi les fourches caudines de l'intérêt médiatique si elle n'avait pas été dénommée si impudiquement "taxe à 75 %". Inévitablement, le débat sur le caractère confiscatoire, voire spoliateur pour reprendre la lexicologie du moment, de l'impôt refaisait surface...

En porte-drapeau, tel son personnage de Colomb posant le pied, avec candeur, sur le sable dominicain, notre acteur césarisé, et néanmoins compressé dans l'Hexagone, ne comptait plus rester là, mais partir vers les contreforts belges, au pays où l'impôt est moins cher et où le demi ne vaut pas trois euros...

Apprenant la nouvelle de cet exil conséquent pour l'image de son Gouvernement, le premier des ministres, défendant bec et ongle le "'club des millionnaires solidaires", fourcha quelque peu, qualifiant le citoyen Gégé de "minable", du moins son attitude, se reprit-il le lendemain...

Ni une, ni deux, Astérix parti chez les Bretons, Obélix, en plein Vendée Globe, tentait l'aventure en solitaire, par-delà l'Oural, suivant les pas d'un célèbre reporter belge et de son cabot, pour chatouiller les rives de Sotchi et recevoir des mains du Chef soviet, son nouveau passeport, symbole de sa nouvelle nationalité. La France avait nationalisé Guitry et Gainsbourg, la Russie adoptait le citoyen Gégé... Question de style, d'excès et de tempérament sans doute...

Entre temps, la disposition qui instituait la contribution exceptionnelle de solidarité de 18 % sur les revenus d'activité excédant un million d'euros était déclarée contraire à la Constitution. Cette contribution qui était assise sur les revenus de chaque personne physique alors que l'impôt sur le revenu pesant sur les mêmes revenus, ainsi que la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 4 %, sont prélevés par foyer, méconnaissait l'exigence de prise en compte des facultés contributives. Et, le Conseil constitutionnel a, sans se prononcer sur les autres griefs dirigés contre cet article, censuré cette contribution pour méconnaissance de l'égalité devant les charges publiques.

Rien n'y fit pour autant. Et, acclamé sur le tarmac de Saransk, en Mordovie, voici que notre impétrant nouveau russe entamait, en bon connaisseur des vers du plus célèbre des gascons, encombré, lui aussi, par des promesses intenables, une tirade digne de la quatrième scène de l'acte un de la pièce d'Edmond Rostand, pour moquer la chef de son ancien gouvernement :

Ah ! Non ! C'est un peu court, monsieur le premier !
On pouvait dire... oh ! Dieu !... bien des choses bigarrées...
En variant le ton, -par exemple, tenez :

Agressif : "moi, monsieur, si j'étais ainsi imposé,
Il faudrait sur le champ que je contribuasse !"

Amical : "mais au lieu de pleurer dans votre tasse :
Pour boire, adoptez désormais le cubi !"

Descriptif : "c'est un choc !... c'est une pique... c'est une vilénie !
Que dis-je, c'est une vilénie ?... c'est un camouflet !"

Curieux : "à quoi vous sert de courir le cachet ?
Le mécénat, monsieur, ou la planche à billets ?"

Gracieux : "aimez-vous à ce point les fortunés
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre le poing plutôt que la joie droite ?"

Truculent : "ça, monsieur, lorsque vous vous emportez,
Les vapeurs de l'absinthe n'altèrent-elles pas votre manière de jouer,
Sans que les cinéphiles ne crient à l'autodafé ?"

Prévenant : "gardez-vous, votre magot amputé
Par cette taxe, de perdre vos derniers oboles !"

Tendre : "faites vous faire un petit parasol
Il vous en restera toujours assez pour lézarder !"

Cavalier : "quoi, l'ami, cette taxe est à la mode ?
Il faut manger son chapeau et non critiquer la méthode !"

Emphatique : "aucun sage ne peut, impôt magistral,
Te censurer tout entier, excepté au Palais Royal !"

Dramatique : "loin de vous, c'est le coeur de la France qui saigne !"

Admiratif : "pour un vigneron, quelle polémique bréhaigne !"

Lyrique : "est-ce une posture ou êtes-vous véritablement marron ?"

Naïf : "votre hôtel rue du Cherche-Midi, quand le visite-t-on ?"

Respectueux : "souffrez, monsieur, qu'on vous salue,
C'est là ce qui s'appelle avoir l'exil bien impromptu !"

Campagnard : "hé, ardé ! C'est-y une accise ? Ben tient !
C'est queuqu'navet un million ou ben queuqu'sinon rien !"

Militaire : "contribuez, rompez !"

Pratique : "qu'on le recouvre ici ou en Crimée ?
Assurément, monsieur, vous paierai ce gros impôt"

Enfin parodiant Pyrame en un sanglot :
"Le voilà donc cet exil qui des traits de son auteur
A détruit l'empathie ! Il en rougit, l'acteur !"

- Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit
Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit :
Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n'avez que les trois qui forment le mot : sot !
Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut
Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
Me servir toutes ces folles plaisanteries,
Que vous n'en eussiez pas articulé le quart
De la moitié du commencement d'une, car
Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.

L'anti-Ayrault n'est-il pas le meilleur des rôles pour un comédien ?
"
Las drovié Vladimir !".

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