Réf. : CA Paris, 5, 1, 23 novembre 2021, n° 21/02336 (N° Lexbase : A71997CM)
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par Sylvian Dorol - Huissier de justice associé (Vénézia & Associés) - Intervenant à l’ENM - EFB et Xavier Louise-Alexandrine - Huissier de justice associé (Calippe & Associés)
le 13 Décembre 2022
Mots clés : huissier • constat • internet • force probante • nullité • saisie-contrefaçon
Le contentieux des constats internet dressés par les huissiers de justice évolue. Il se fixait par le passé sur les prérequis et la question du caractère obligatoire de la norme Afnor NF Z67-147 de Septembre 2010, mais se concentre aujourd’hui sur la loyauté de la preuve obtenue. Les débats ne sont donc plus techniques, mais uniquement juridiques, et les décisions rendues en la matière, en plus de contribuer à la reconnaissance du droit des constats, renforcent dans leur ensemble la force probante des constats dressés par les huissiers de justice par la création de sanctions sui generis.
Une gifle.
De celles qui réveillent plus qu’elles ne corrigent.
De celles qui blessent plus l’orgueil que l’épiderme.
De celles dont on se souvient.
Ainsi pourrait être évoqué l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 23 novembre dernier, aussi important que passé inaperçu. Les faits de l’espèce sont simples, mais ne seront exposés que ceux ayant attiré l’attention de l’huissier de justice puisque relatifs au constat.
Dans le cadre d’un contentieux de propriété intellectuelle, une des parties sollicite d’un huissier de justice la réalisation d’un procès-verbal de constat sur internet. L’objet de la mission est non seulement de prouver l’exploitation du site internet litigieux mais, surtout, d’établir le fait qu’il propose la réalisation d’un test de personnalité informatisé sous la forme d’une base de données, matérialisé par un questionnaire. Rien de bien méchant donc, jusqu’à ce qu’apparaisse la problématique : si l’accès au site internet est libre, il n’en est pas de même concernant le questionnaire, auquel l’internaute ne peut accéder qu’après s’être identifié et inscrit.
Puisque l'inscription sur le site ne requiert qu'une adresse électronique et un mot de passe et n'est conditionnée à aucune autorisation, ni à aucun contrôle par un webmaster, l’huissier de justice n’en fait pas un problème et crée son compte utilisateur personnel.
S’ensuit une procédure de saisie-contrefaçon, puis un procès au cours duquel le procès-verbal de constat dressé sur internet par l’huissier de justice est soumis au feu des critiques.
Ces critiques ne portent nullement sur le mode opératoire réalisé par l’huissier de justice, prérequis que d’ailleurs les juges « considèrent à raison que c’est faire preuve d’une légèreté coupable de les ignorer encore aujourd’hui », mais sur le comportement de l’officier. En effet, ce dernier, en ouvrant un compte et en remplissant le questionnaire auquel il peut ainsi accéder, a-t-il eu un comportement actif ? N’a-t-il pas dépassé les pouvoirs que lui confèrent les dispositions de l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice (N° Lexbase : L8061AIE), qui prévoit que ces derniers peuvent effectuer des constatations, purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter ? Allant plus loin, ce comportement, qui n’est en réalité qu’une succession de « clics », est-il susceptible d’être qualifié de « déloyal » ? Dans cette dernière hypothèse, quel sort réserver au procès-verbal de constat ?
La cour d’appel de Paris répond à ces interrogations très clairement en jugeant que l’huissier de justice, au cours d’un procès-verbal de constat réalisé sur internet, ne peut ouvrir un compte utilisateur sans adopter ainsi un comportement actif. Plus encore, elle juge que la création dudit compte sans mentionner sa qualité d’huissier de justice est déloyal, de sorte que le procès-verbal de constat ainsi dressé doit être partiellement écarté des débats.
Afin d’analyser, comprendre et apprécier la portée de cette décision, il convient d’exposer dans la fine logique juridique ayant abouti à la sanction du procès-verbal de constat puis exposer la relative insécurité juridique de l’huissier au lendemain de cet arrêt et son remède. À bien y réfléchir, les juges parisiens n’ont en rien innové dans cette décision, laquelle demeure remarquable par la précision de sa motivation pour justifier la sanction du procès-verbal de constat (I), tout en la mesurant afin de limiter sa portée au strict minimum (II).
I. Une sanction justifiée
Pour le professionnel de terrain qu’est l’huissier de justice, l’arrêt commenté peut sembler ubuesque : en l’espèce, l’officier public et ministériel n’a fait que cliquer et enfoncer les touches de son ordinateur, seul devant son écran et sans penser à mal. À aucun moment il n’a envisagé de stratagème pour surprendre la preuve à laquelle n’importe quel quidam pouvait d’ailleurs accéder.
C’est vrai. Mais il ne faut pas oublier que l’huissier de justice n’est pas n’importe quel quidam et c’est en se faisant passer pour tel qu’il faute. Et la solution retenue par la Cour parisienne est fondée en droit comme il va l’être exposé dans les développements suivants.
A. Le comportement actif
Sans prendre la peine de répondre à l’inutile question du domicile virtuel privé [1], la cour d’appel de Paris juge que l’ouverture d’un compte pour accéder à une page internet constitue un comportement actif dépassant la mission de constatations de l’huissier. Le problème est qu’aucun texte, ni aucune décision de justice, ne définit ce qu’est « une démarche active », ni même ce qu’est « une constatation matérielle ». La doctrine a proposé de définir la constatation comme « toute situation personnellement constatée par l’huissier de justice au moyen de ses sens, et qu’il n’a pas provoquée par une opération intellectuelle de nature à troubler sa qualité de tiers neutre, indépendant et impartial » [2].
S’agissant de la démarche active, il serait possible de penser que cette expression désigne la situation où l’huissier de justice fait preuve d’initiative en effectuant un cheminement intellectuel exprès en vue d’obtenir le fait souhaité. Dès lors, un « clic » de souris peut-il constituer une démarche active ? Sur ce point, la cour d’appel de Paris a déjà jugé que non : « S'il est également soutenu que l'huissier de justice a formulé des commentaires, le simple fait d'avoir indiqué qu'il a capturé une page et constaté une absence de mention de collecte de cookies en mentionnant les clicks par lui effectués relève d'opérations matérielles de navigation dûment précisées, permettant un constat sur internet, et ne peut entacher la validité de son procès-verbal. »[3].
Ainsi, ce n’est pas en cliquant que l’huissier de justice a un rôle actif mais en ouvrant un compte, acceptant nécessairement les conditions générales d’utilisation du site internet et exprimant par là même un consentement juridique. C’est cet acquiescement qui constitue une démarche active. C’est ainsi que la Cour de cassation avait abouti à une décision similaire le 20 mars 2014 [4], qualifiant de « démarche active » l’ouverture par un huissier d’un compte client pour procéder à un achat.
Pourtant, et comme le rappelle la partie bénéficiaire du procès-verbal de constat, la Cour d’appel de Paris avait refusé d’étendre la solution de la Cour de cassation aux cas autres que ceux des constats d’achats. En 2018, les juges parisiens tendaient à admettre la création d’un compte client par l’huissier de justice voire même l’utilisation d’un compte déjà existant sans que cela ne soit constitutif d’une violation du principe de loyauté [5]. Il est néanmoins précisé dans cette décision que la solution s’applique aux sites web pour lesquels aucun contrôle n’est effectué par un webmaster au moment de l’identification et de la création du compte. La cour d’appel de Paris précise en ce sens que la jurisprudence antérieure particulièrement hostile à l’utilisation d’un compte client par l’huissier de justice concerne les « achats de marchandises sur des sites filtrés par des « Webmasters », qui opèrent un contrôle préalable des inscriptions ».
À la lecture de la décision commentée, ces considérations ne valent plus et il ne faut retenir qu’une chose : ouvrir un compte ou s’identifier personnellement pour accéder à une page internet est à proscrire pour l’huissier constatant.
B. Le comportement déloyal
Le motif de déloyauté ressort difficilement de la lecture de la décision commentée et mérite donc un éclaircissement pour le comprendre.
Pour ce faire, il convient de rappeler en détail les faits. En l’espèce, l’huissier de justice a adopté un comportement actif en créant un compte. Cela est acquis. Mais, pour ouvrir le compte, il a eu recours à sa véritable identité civile (nom, prénom, adresse électronique personnelle), et non à son identité professionnelle (nom, prénom, qualité…). En procédant de la sorte, en taisant sa qualité, l’officier public et ministériel n’a pas instrumenté en tant qu’huissier, mais sous le masque de son identité civile, comme un simple quidam. Transposé à la réalité, ce serait comme si un huissier de justice entrait dans un lieu privé en se présentant certes, mais en occultant sa qualité.
Mais, comment arguer de sa qualité d’huissier de justice au cours d’un constat internet, sachant que l’article 41 du Règlement déontologique national des huissiers impose « de justifier au préalable de sa qualité et de préciser l’objet de sa mission » lors de l’établissement d’un constat ? Plus encore, aux termes de l’article 17 du décret n° 56-222 du 29 février 1956 (N° Lexbase : L6897A49) et de l’article 3 du décret n° 2021-1625 du 10 décembre 2021 relatif aux compétences des commissaires de justice (N° Lexbase : L9442L9L) qui entrera en vigueur le 1er juillet 2022, la justification de la qualité d’huissier de justice s’effectue par la présentation d’une carte professionnelle. Or, cette présentation est numériquement impossible : il n’existe pas de « carte professionnelle numérique » pour le « monde virtuel »…
La cour d’appel de Paris ouvre cependant une piste de réflexion dans sa décision en écrivant dans sa motivation « il y a lieu en conséquence de relever qu'en effectuant le test proposé, s'engageant dans une démarche active, (…) en ne déclinant pas sa qualité d'officier ministériel, à tout le moins en utilisant une adresse internet faisant apparaître sa qualité, l' huissier de justice ne s'est pas borné à des constatations purement matérielles, et n'a pas recueilli loyalement les informations en cause (…) ». À la lire, il serait possible de penser que l’huissier de justice pourrait décliner sa qualité en usant simplement de son adresse électronique professionnelle (@huissier-justice.fr par exemple).
Cela est tentant. Si cette solution ne souscrit pas pleinement aux obligations des textes précédemment évoqués, elle représente une réelle alternative pour l’huissier torturé à la lecture de la décision commentée, déchiré entre la tentation de recourir à son adresse mail professionnelle et l’envie de recourir à un tiers selon la méthode du constat d’achat. Cependant, la solution de l’utilisation de l’adresse électronique professionnelle (@huissier-justice.fr par exemple) est insatisfaisante à la réflexion. En effet, l’identification doit porter tant sur la personne de l’huissier que sur le but de sa mission, et s’effectuer auprès d’une personne à même de la comprendre. Cette exigence exclut donc que l’huissier puisse accéder à des pages Internet privées à la faveur d’un traitement automatique des données incapable de distinguer l’internaute lambda de l’officier public et ministériel. Pourtant, la partie bénéficiaire du procès-verbal avait en l’espèce tenté de démontrer un cas de force majeure ayant empêché l’huissier de souscrire à ses obligations en prouvant qu’aucun procédé n’avait été mis en place sur le site internet pour indiquer à l'administrateur ses qualité et objet des constatations menées. Las, l’argument de fait est vain face à la froideur du raisonnement juridique.
L’arrêt commenté procède donc d’une logique juridique implacable, difficilement compatible avec les contraintes matérielles auxquelles sont confrontés les huissiers de justice lesquels, pour se rassurer, non d’autres choix que de recourir à un tiers dès lors que la page internet à constater requiert une identification préalable.
La méthode utilisée en pratique par un huissier de justice pour accéder à un lieu virtuel privé repose sur un raisonnement simple : s’il est interdit à cet officier public et ministériel d’accéder à un lieu privé virtuel, un tiers peut cependant y accéder. Donc, l’huissier de justice peut constater qu’un tiers accède au lieu privé virtuel. Même s’il s’agit d’un artifice juridique, cette solution est admise en jurisprudence, bien qu’elle soit critiquée par une partie de la doctrine [6].
L’analyse de l’arrêt serait cependant incomplète s’il n’était pas envisagé la sanction appliquée au procès-verbal de critiqué.
II. Une sanction mesurée
En l’espèce, le procès-verbal de constat est sanctionné par une nullité partielle qui, bien que contestable dans sa dénomination, n’en est pas moins compréhensible juridiquement (A). Cette solution contribue à la naissance d’un régime de sanctions sui generis des constats internet (B).
A. Une sanction partielle
La cour d’appel juge qu’ « il convient, cependant, de préciser que la nullité du procès-verbal de constat du 2 novembre 2017 n'est encourue que pour la page 16 concernant uniquement les mentions apposées par l' huissier de justice après qu'il a créé son compte sur le site (..) soit à compter de la mention je clique ensuite sur utiliser un compte local jusqu'à la mention je procède à une impression écran sur 2 pages (pièce numéro 20), ainsi que pour les pièces recueillies dans ce cadre, soit les annexes 15 à 20, et d'infirmer les décisions entreprises de ce chef, seule la partie de la page 16 visée et les annexes ci-dessus mentionnées devant être écartées des débats ». C’est donc là une sanction partielle, très ciblée, et isole le comportement actif et déloyal du restant des constatations qui n’étaient pas critiquées.
La rédaction de l’arrêt appelle deux observations.
La première observation concerne la nature de la sanction. La cour utilise improprement le terme « nullité » alors même que le procès-verbal de constat, n’étant pas un acte de procédure, n’est pas soumis au régime des nullités. La sanction est en réalité une perte de force probante en ce que la constatation ne lie plus le juge et est écarté des débats. Cette erreur de dénomination n’est pas heureusement pas préjudiciable.
La seconde observation porte sur le fait que la sanction ne vise pas la totalité de l’acte, mais uniquement les mentions querellées. Cela peut étonner, mais ce n’est pas une nouveauté : plusieurs décisions ont annulé des constats [7] (ou des saisies-contrefaçon [8]) à l’exclusion expresse des photographies qui y étaient jointes.
La solution retenue par la cour d’appel de Paris est fondée en droit, même si les magistrats ne motivent pas ce point.
En effet, la sanction partielle est tout à fait compréhensible en droit à partir du moment où est retenue une distinction entre le procès-verbal de constat et les constatations qu’il contient : « le procès-verbal de constat est l’acte, alors que les constatations sont l’action. Le procès-verbal de constat est l’enveloppe des constatations » [9]. En d’autres termes, le procès-verbal du constat peut être assimilé à l’instrumentum et les constatations au negotium.
Or, l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit en son article 1er que les huissiers de justice « peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire ». Dans la mesure où chaque constatation reçoit individuellement cette force probante, et que le procès-verbal n’est que l’addition de ces constatations sous la forme d’un acte, il est logique qu’il puisse exister une sanction individualisée à chaque constatation, et non une sanction globale qui affecterait la totalité du procès-verbal.
Cette sanction partielle permet d’éviter une cristallisation des débats autour de la preuve aux dépens du fond de l’affaire. En adoptant cette sanction, la cour d’appel de Paris permet au contentieux de se poursuivre sans se perdre dans les chicanes de la contestation de la preuve.
B. Un régime de sanctions sui generis
La solution de la cour d’appel de Paris est opportune et contribue à l’apparition d’un régime de sanction des constats internet sui generis, composé de la théorie de la dévaluation de la force probante et de la perte partielle de la force probante.
Pour mémoire, l’objectif premier de la théorie de la dévaluation de la force probante du constat internet est de diminuer, voire annihiler, le contentieux stérile autour de la forme du constat dressé par huissier de justice sur internet lorsque le fait litigieux n’est pas contesté. Elle ne vise à sanctionner que le constat internet imparfait en ce que les prérequis ne sont pas respectés. Elle nécessite la réunion de trois conditions cumulatives pour recevoir application.
La première condition, dite matérielle, réside dans le fait que le procès-verbal dressé par l’huissier de justice sur Internet ne remplit pas tous les critères de validité posés par la jurisprudence.
La deuxième condition, dite réelle, consiste à ce que la partie à qui est opposée le procès-verbal de constat ne conteste pas l’existence du fait litigieux. Autrement formulé, il faut que la critique porte sur les conditions d’établissement de la preuve, et non sur le fait prouvé.
La troisième et dernière condition, dite juridictionnelle, est que l’acte irrégulier dans un contentieux autre que pénal.
En vertu de la théorie de la dévaluation de la force probante du constat, le constat Internet dressé par huissier de justice fait donc foi jusqu’à preuve contraire, sauf s’il a été établi non conformément aux exigences jurisprudentielles, auquel cas il ne vaut qu’à titre de simple renseignement.
La dévaluation de la force probante n’est plus une théorie, mais une réalité jurisprudentielle.
Cette sanction a été retenue par la cour d’appel de Colmar le 18 décembre 2020 [10] qui retient que « la juridiction peut user de son pouvoir d'appréciation pour évaluer la force probante qui s'attache à cette pièce sans qu'il soit pour autant nécessaire de l'écarter des débats, aucun motif d'irrecevabilité n'étant invoqué”. En vertu de ce pouvoir souverain d’appréciation, la cour d’appel de Colmar estime qu’il n’y a pas lieu d’écarter des débats le constat critiqué, même s’il ne respecte pas le protocole prétorien. Elle précise cependant en revanche que le constat d'huissier ne présente pas en l’espèce les garanties exigées aujourd'hui en matière de constatations sur internet, ce qui a pour conséquence d'amoindrir sa force probante, sans préciser quelle force elle lui attribue exactement. Elle ne réforme pas le jugement attaqué pour des motifs de fond.
Cette théorie a également reçu application par la cour d’appel de Douai le 14 octobre 2021 [11] : « le jugement attaqué, tout en relevant que l' huissier de justice a manqué à certaines précautions élémentaires préalables à l'établissement des deux constats a, à juste titre, considéré que certes ces manquements doivent conduire la juridiction à faire preuve de circonspection dans l'évaluation de la qualité probante des constatations effectuées par l' huissier dans de telles conditions, mais que cependant lesdits manquements ne peuvent conduire à écarter systématiquement les procès-verbaux litigieux ».
La dévaluation de la force probante permet donc de « sauver » le constat internet réalisé au mépris du protocole prétorien, lequel ne doit pas être confondu avec la norme Afnor NF Z67-147 de Septembre 2010 qui n’est en rien obligatoire en plus d’être victime d’une obsolescence programmée [12].
La sanction de la perte partielle de la force probante du procès-verbal de constat ne vise pas le même type d’erreur, mais prétend corriger le comportement actif et déloyal de l’huissier de justice, en distinguant les constatations qu’il a ainsi réalisées du restant. Elle tend à apprécier individuellement chaque constatation, à séparer le bon grain de l’ivraie pour conserver celles qui ne sont pas contestées et contestables. En adoptant cette sanction, la cour d’appel de Paris fait œuvre de pragmatisme, permettant aux débats de se poursuivre. Il serait possible d’objecter qu’elle fait erreur et qu’il conviendrait de faire usage du fameux adage fraus omnia corrumpit, ce qui justifierait une remise en question du procès-verbal en intégralité. Ce serait cependant ne pas s’apercevoir qu’elle a appliqué cet adage sans le citer en écartant toutes les constatations réalisées à l’aide du comportement actif. Mais elle a appliqué cet adage avec discernement, refusant de le transformer en tsunami procédural suffisamment puissant pour décrédibiliser des constatations qui n’étaient pas critiquées.
L’arrêt commenté, bien qu’il n’ait pas été remarqué, n’en est donc pas moins remarquable : il constitue autant une gifle sanctionnant un comportement actif et déloyal, qu’une gifle réveillant ceux qui pensent qu’il suffit de contester une ligne pour annihiler la force probante d’un constat entier.
[1] Très tôt, il a été admis qu’un site Internet ne constituait pas un domicile virtuel (TGI Paris, ord. réf., 14 août 1996 : JCP G 1996, 11, n° 22727 ; JCP E 1996, p. 259, B. Edelman.). Cette solution fut d’ailleurs rappelée récemment par la cour d’appel de Paris (CA Paris, 28 février 2018, n° 16/0226 N° Lexbase : A7198XEC) auquel se référaient les parties. En conséquence, l’huissier de justice n’a à demander à personne une autorisation pour accéder à un site publiquement et librement accessible. C’est ce que rappelle P.-Y. Gautier lorsqu’il écrit « l’inviolabilité du domicile suppose la volonté du sujet de refuser à la fois de faire connaître le lieu de son habitation et d’y laisser pénétrer autrui. Si l’agent assermenté obtient légalement l’adresse du serveur, non confidentielle, et que comme tout usager, de “clic en clic”, il parvient aux œuvres mises en ligne, sans barrière, ni “mot de passe” (équivalent du verrou ou de la clé de la porte d’entrée du site), il semble que ce ne puisse être que du consentement de son propriétaire qui a ouvert sa porte sur le “Web” à un public indéterminé, la planète entière »( P.-Y. Gautier, Les œuvres du crooner dans la « maison » de l’internaute : promenade collective, mais non autorisée, sur un site numérique : D. 1996, p. 490.).
[2] S. Dorol : JCl. Encyclopédie des Huissiers de Justice, Bloc Preuve, Fasc. 30, V° Les constats, n° 4.
[3] CA Paris, 5 juillet 2019, n° 17/03974 (N° Lexbase : A2432ZIW), in Bull. Inf. Vénézia & Ass., 2019, n°11, p.2 [en ligne].
[4] Cass. civ.1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B (N° Lexbase : A7370MHG).
[5] CA Paris, 28 février 2018, n° 16/02263, (N° Lexbase : A7198XEC).
[6] V. Vigneau, Les constats d’achats : Procédures 2008, étude 10, n° 8. – S. Dorol, Le tiers acheteur dans le procès-verbal de constat : Propr. industr. 2015, étude 17, p. 13.
[7] CA Rouen, 8 novembre 2007, n° 05/02624 (N° Lexbase : A3609G33).
[8] CA Paris, 2 juillet 2008, n° 07/06442 (N° Lexbase : A5940D9U).
[9] S. Dorol, L’image dans le constat : Procédures 2015, étude 11, p. 9.
[10] CA Colmar, 18 décembre 2020, n° 19/00548 (N° Lexbase : A06694BE) ; S.Dorol, Sanction du constat internet imparfait : application de la dévaluation, Lexbase, Droit privé, février 2021, n° 854 (N° Lexbase : N6397BYL).
[11] CA Douai, 14 octobre 2021, n° 19/05389 (N° Lexbase : A282149D) in Bull. inf. Vénézia & Associés, 2022, n°20, à paraître.
[12] En ce sens : S. Dorol, Norme Afnor et constat Internet : Vade mecum ou vade retro , Gaz. Pal. 2016, n° 37, p. 16. – S. Dorol et S. Racine, La nouvelle ère des constats d’huissier sur Internet, Propriété Industrielle, 2019, n°10, ét. 21, p12.
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