La lettre juridique n°888 du 16 décembre 2021 : Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Marché de l'art : la simple mention « REPRODUCTION » sur une œuvre contrefaisante est-elle suffisante, voire opportune ?

Réf. : Cass. civ. 1, 24 novembre 2021, n° 19-19.942, FS-B (N° Lexbase : A78287CW).

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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la Cour

le 29 Mars 2022


Mots-clés : marché de l’art • œuvre contrefaisante • apposition de la mention « REPRODUCTION » • mesures coercitives pour mettre un terme à la contrefaçon • proportionnalité de la mesure ordonnée

Aux termes d'un arrêt du 24 novembre 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir ordonné l'apposition de la mention « REPRODUCTION » au dos d'une œuvre d'art jugée contrefaisante. Les conseillers d'appel avaient en effet jugé que la mesure de destruction sollicitée par les demandeurs aurait été disproportionnée au regard des circonstances de la cause. Cette affaire est ainsi l'occasion de revenir sur l'arsenal des mesures correctives dont disposent les juges du fond pour mettre un terme à la contrefaçon d'œuvre d'art.


 

Les ayants droit du peintre Marc Chagall, ainsi que l'Association pour la défense et la promotion de l'œuvre de Marc Chagall [1] qu'ils ont constituée ont fait procéder en 2012 à la saisie réelle d'un tableau intitulé « femmes nues à l'éventail » qui leur avait été présenté, pour certification, par un particulier tchèque. Dans la foulée, ils ont saisi le tribunal de grande instance de Paris [2] d'une action en contrefaçon de droit d'auteur et sollicité la destruction du tableau apocryphe.

Une mesure d'expertise ayant été ordonnée par le tribunal, le résultat était sans appel : à l'issue d'une analyse comparative avec l'œuvre originale (Nu à l'éventail) peinte en 1910 par Marc Chagall et conservée au Centre Georges Pompidou, l'expert a conclu à « l'impossibilité d'émettre l'opinion selon laquelle l'œuvre litigieuse aurait été peinte de mémoire, les deux œuvres étant trop proches pour que l'œuvre litigieuse ne soit pas une copie de l'œuvre de référence ». Il s'agissait donc d'un « mauvais double » voire d'un « plagiat ».

En conséquence, le tribunal a jugé que le tableau litigieux n'était pas de la main du maître et constituait une œuvre contrefaisante [3]. Saisie d'un appel, la cour de Paris a statué dans le même sens ; son arrêt du 15 février 2019 [4] est devenu définitif sur ce point.

I. Les mesures correctives mettant fin à la contrefaçon

L'article L. 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L1773H33) dispose que, en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets contrefaisants soient « rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée » ; ces mesures sont alors ordonnées aux frais de l'auteur de l'atteinte aux droits.

Ainsi, dans le cadre de leur pouvoir souverain d'appréciation, les juges du fond ont la possibilité d'ordonner un certain nombre de mesures permettant d'assurer le retrait effectif des contrefaçons des circuits commerciaux ; la plus rigoureuse en est évidemment la destruction pure et simple des supports de la contrefaçon [5], de manière alternative à la confiscation [6]. L'objectif de ces mesures correctives est alors d'empêcher la poursuite des actes de contrefaçon.

Dans l'affaire objet du présent commentaire, infirmant le jugement de première instance à cet égard [7], la cour d'appel de Paris a refusé de faire droit à la demande de destruction du tableau contrefaisant formulée par les requérants. Les conseillers parisiens ont estimé que la mesure de remise du tableau aux fins de destruction aurait présenté « au regard des circonstances de la cause » un caractère disproportionné. Il convenait donc de lui préférer la restitution du tableau litigieux à son propriétaire, après apposition de la mention « REPRODUCTION » au dos du tableau, « une telle disposition suffisant à garantir une éviction de ce tableau des circuits commerciaux ».

Saisie d'un pourvoi à l'initiative des ayants droit de Marc Chagall et du Comité Marc Chagall, la première chambre civile de la Cour de cassation a approuvé les juges d'appel d'avoir retenu, « dans l'exercice de [leur] pouvoir souverain d'appréciation des modalités de réparation de l'atteinte retenue », que l'apposition de la mention « REPRODUCTION » au dos de l'œuvre litigieuse, de manière visible à l'œil nu et indélébile, suffisait à garantir une éviction de ce tableau des circuits commerciaux. Par ailleurs, le moyen tiré de l'absence de mise en balance des intérêts en présence [8] n'ayant pas été valablement invoqué devant la cour d'appel par les demandeurs au pourvoi, il a été jugé nouveau et comme tel irrecevable [9].

II. L'apposition de la mention « REPRODUCTION » sur le support contrefaisant

Il est intéressant de constater que le libellé de l'article L.331-1-4 précité est identique à celui qui prévaut en matière de brevets, de marques et de dessins et modèles [10], étant issu de la loi du n° 2007-1544, 29 octobre 2007, de lutte contre la contrefaçon transposant en droit interne la Directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (N° Lexbase : A78287CW) [11]. Toutefois, alors que, pour ces autres droits de propriété industrielle, la contrefaçon est intimement liée à la mise dans le commerce des supports de la contrefaçon, il en va en partie différemment en matière de droit d'auteur. En effet, la simple représentation non autorisée de l'œuvre (dans le cadre d'une exposition, par exemple) peut constituer en tant que telle un acte de contrefaçon, indépendamment d'une éventuelle finalité commerciale. Cette dimension supplémentaire de la contrefaçon nous semble devoir être prise en considération par les juges du fond lorsqu'ils ordonnent des mesures correctives complémentaires.

Dans ce contexte, il est permis de s'interroger sur la pertinence de la mesure qui a été retenue par la cour d'appel de Paris, consistant à apposer « de manière visible à l'œil nu et indélébile, au dos de la contrefaisante » la mention « REPRODUCTION » aux frais du propriétaire de ce tableau, préalable indispensable à sa restitution.

Sur un plan simplement pratique, la mention « REPRODUCTION » au dos du tableau [12] ne permet pas à un spectateur qui fait face à cette peinture de prendre immédiatement connaissance de son caractère inauthentique. Cette mesure permet donc certes de rendre impossible la commercialisation du support matériel de la contrefaçon ; pour autant, elle n'empêche pas que ce tableau continue à être exposé au public et que ce dernier lui associe alors indûment le nom du peintre Marc Chagall.

Si la mise en retrait des circuits commerciaux est évidemment nécessaire, elle nous semble devoir prendre la forme de mesures permettant également de mettre un terme définitif à de potentielles atteintes au droit d'auteur. Pour cette raison, l'apposition de la mention « REPRODUCTION » – bien que respectueuse du droit de propriété du support matériel – ne nous semble pas totalement satisfaisante, plus particulièrement au regard des prérogatives extra-patrimoniales du droit au nom et du droit au respect de l'œuvre.

Également à l'initiative du Comité Marc Chagall, une autre solution avait été retenue par la cour d'appel de Paris aux termes d'un arrêt du 5 juin 2013 [13] : le découpage de la signature, avant restitution du tableau à son propre prioritaire. En l'espèce, elle aurait présenté l'avantage de faire comprendre immédiatement aux spectateurs la nature contrefaisante du tableau exposé.

C'est d'ailleurs l'occasion de rappeler que la Chambre criminelle de la Cour de cassation [14] a approuvé une cour d'appel d'avoir jugé que la copie de la signature qui fait partie d'un tableau dont la reproduction est licite (dès lors qu'il est tombé dans le domaine public) ne méconnaît pas le droit moral de son auteur ; les juges du fond avaient par ailleurs souligné que tout risque de confusion avec l'œuvre originale était écarté puisque le format de la toile différait et que la mention « copie » avait été spontanément apposée au dos de celle-ci.

En définitive, il nous semble que la confiscation voire la destruction du support de la contrefaçon auraient représenté des mesures correctives plus cohérentes au regard du droit d'auteur et des finalités mêmes de l'article L. 333-1-4 précité, de manière à faire cesser les atteintes aux droits privatifs de l'auteur. L'article 3 de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique [15] autorise d'ailleurs une juridiction pénale à prononcer la confiscation ou la remise au plaignant, y compris en cas de non-lieu ou de relaxe, à l'encontre d'œuvres saisies qui constituent des faux artistiques ; ainsi que la cour d'appel de Paris a eu l'occasion de le rappeler, la mesure de destruction a alors le caractère « d'une véritable mesure de sûreté ayant un caractère réel et destiné non à punir mais à mettre fin à une situation de nature à troubler l'ordre public » [16].

Au demeurant, l'on comprend mal les raisons pour lesquelles, « au regard des circonstances de la cause », la destruction aurait pu paraître disproportionnée. Outre que cette mesure corrective est expressément prévue par les textes, aucun argument de droit ou de fait ne nous semble pouvoir justifier qu'un support définitivement jugé contrefaisant soit ménagé de la sorte ; à l'instar du tribunal en première instance, de nombreuses juridictions ont d'ailleurs jugé qu'il s'agit de la seule mesure « de nature à prévenir tout risque de remise de l'œuvre contrefaisante dans les circuits commerciaux » [17]. Si la nature contrefaisante du tableau en cause avait dû faire l'objet d'un doute quelconque, il aurait appartenu aux juridictions de débouter purement et simplement les demandeurs, sur lesquels pèse la charge de la preuve de la contrefaçon. Enfin, s'agissant du propriétaire lésé, il est vraisemblable qu'il serait recevable et bien fondé à solliciter l'annulation de la vente en raison d'une erreur sur la chose au regard de la législation locale [18].

III. La mention « REPRODUCTION » également en question

La cour d'appel de Paris précise que la mention « REPRODUCTION » devra être apposée « de manière visible à l'œil nu et indélébile » au dos du tableau jugé contrefaisant. Cette expression constitue un emprunt manifeste aux dispositions de l'article 9 du décret du 3 mars 1981, dit « Marcus » [19] aux termes duquel « tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d'une œuvre d'art originale […], exécuté postérieurement à la date d'entrée en vigueur du présent décret, doit porter de manière visible et indélébile la mention "Reproduction" ». L'article 6.4 « REPRODUCTION » du Code déontologique des fonderies d'art précise quant à lui que « toute reproduction exécutée conformément aux dispositions [du] décret [Marcus] devra obligatoirement comporter, de façon visible, lisible et indélébile, sur une partie apparente de la pièce, la mention "REPRODUCTION", suivi du millésime de la fonte en quatre chiffres ». Dès lors, à défaut d'apposition de la mention « REPRODUCTION » de manière visible et immédiatement lisible sur une statue, il y a lieu d'entrer en voie de condamnation au titre de la contrefaçon [20].

En l'espèce, il reste néanmoins permis de s'interroger sur l'opportunité de recourir à la mention « REPRODUCTION », s'agissant d'une œuvre d'art picturale. En effet, en matière de fonderie d'art, la notion de « reproduction » s'entend par opposition aux appellations « PIÈCE UNIQUE », « ORIGINAL » et « MULTIPLES » : la « reproduction » désigne ainsi un exemplaire qui a été réalisé au-delà du tirage prévu mais reste conforme au support initial de l'œuvre. Cette notion peut donc désigner une sculpture authentique et conforme au modèle original mais qui a été réalisée en surnuméraire.

Or, en l'espèce, la motivation retenue par l'arrêt du 15 février 2019 rendu par la cour d'appel de Paris laisse peu de doute quant au fait que le tableau litigieux est, au mieux, une « mauvaise copie ». Il n'est certainement pas authentique et ne constitue pas la reproduction fidèle de l'œuvre originale conservée au Centre Georges Pompidou. Pour cette raison, l'appellation « REPRODUCTION » nous semble devoir être considérée comme potentiellement déceptive, comme renvoyant à une notion en vigueur dans le marché de l'art ; polysémique et relativement neutre, elle n'informe pas suffisamment clairement les tiers que l'œuvre sur laquelle elle est apposée n'est ni plus ni moins qu'une contrefaçon. Afin d'éviter toute confusion avec les usages en matière de fontes d'art, il aurait pu lui être préféré des appellations plus explicites telles que « COPIE », « FAUX ARTISTIQUE » [21] voire « CONTREFAÇON ».

Plus généralement, il nous aurait semblé bienvenu que les références de la décision ayant définitivement retenu son caractère contrefaisant soient également mentionnées de manière visible et indélébile au dos du tableau litigieux. Après tout, le procès ne fait-il pas désormais partie intégrante de son histoire ? Il est en tout cas important que les tiers puissent prendre aisément connaissance des décisions de justice dont il a fait l'objet.

NDLR : Les auteurs tiennent à remercier Thibaud Pont-Nourat pour ses recherches.


[1] Dit Comité Marc Chagall.

[2] Devenu entre-temps le tribunal judiciaire de Paris.

[3] TGI Paris, 3ème, 23 mars 2017, n° 13/00100 (N° Lexbase : A8670U9Y). Le même jour, le même tribunal a prononcé une mesure identique à l'encontre d'un autre tableau faussement attribué à Marc Chagall : TGI Paris, 3ème ch., 23 mars 2017, n° 10/00800 (N° Lexbase : A8659U9L).

[4] CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 15 février 2019, n° 17/15550 (N° Lexbase : A2452YX4), ayant infirmé sur ce point le jugement rendu le 23 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Paris.

[5] Pour des exemples de destructions de tableaux : TGI Paris, 3ème ch., 15 février 2008, n° 06/01101 (N° Lexbase : A2320EEN) – TGI Paris, 3ème ch., 8 octobre 2010, n° 08/10520 (N° Lexbase : A7417GPE) – TGI Paris, 3ème ch., 26 février 2016, n° 13/01053 (N° Lexbase : A1055Q79).

[6] Pour un exemple, CA Paris, 4ème ch., sect. A, 9 décembre 1998, n° 1997/19457 (N° Lexbase : A9097IIR).

[7] TGI Paris, 3ème ch., 23 mars 2017, n° 13/0100, préc., ayant ordonné la remise de l'œuvre aux ayants droit « en vue de sa destruction par huissier sauf meilleur accord entre les parties ».

[8] Entre, d'une part, les droits licites des ayants droit de Marc Chagall et la protection des œuvres artistiques et, d'autre part, le droit de propriété sur le support matériel du tableau litigieux.

[9] Toutefois, il reste permis de s'interroger sur le point de savoir si une telle mise en balance des intérêts ne relève pas par nature de l'office et de la mission du juge dans le cadre de son pouvoir d'appréciation de la proportionnalité des mesures qu'il est amené à prononcer…

[10] CPI, art. L. 615-7-1 (N° Lexbase : L1825H3Y), L. 722-7 (N° Lexbase : L0367LTR) et L. 521-8 (N° Lexbase : L1800H33).

[11] Cf. article 10 (mesures correctives).

[12] C'est-à-dire invisible.

[13] CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 5 juin 2013, n° 09/14183 (N° Lexbase : A1287KGR).

[14] Cass. crim., 11 juin 1997, n° 96-82.682, inédit (N° Lexbase : A5285CR8).

[15] Loi incriminant le fait d'apposer frauduleusement le nom ou la signature d'un artiste sur une œuvre de peinture, sculpture, de dessin, de gravure et de musique dans le but de tromper l'acheteur sur la personnalité de l'auteur.

[16] CA Paris, 24 juin 1988 – Également concernant une mesure de destruction sur le fondement des dispositions de la loi du 9 février 1895 : Cass. crim., 26 octobre 1965, n° 64-92.130, publié (N° Lexbase : A1046CKX).

[17] CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 12 juin 2013, n° 11/17461 (N° Lexbase : A5352MTE) – CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 26 juin 2013, n° 12/00602 (N° Lexbase : A7675KHQ) – TGI Paris, 26 mai 2016, n° 15/07167 (N° Lexbase : A6932RR8) – TGI Paris, 23 mars 2017, n° 10/00800, préc..

[18] Sous réserve de prescription évidemment.

[19] Décret n° 81-255, du 3 mars 1981, sur la répression des fraudes en matière de transactions d'œuvres d'art et d'objets de collection (N° Lexbase : L1604AZG).

[20] CA Paris, 4ème ch., sect. B, 5 mars 2004, n° 2003/12231 (N° Lexbase : A6621DC9).

[21] Au sens de la loi précitée du 9 février 1895 même si, s'agissant d'une incrimination pénale, elle n'a pas été tranchée par le juge civil.

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