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par Virginie Pradel, Fiscaliste
le 17 Novembre 2021
Mots-clés : contrôle fiscal • fraude fiscale • aviseurs fiscaux
Plusieurs affaires au cours des dernières années ont mis en évidence l’ampleur de la fraude et de l’évasion fiscales en France et dans le monde : LuxLeaks en 2014, Swiss Leaks (HSBC) en 2015, Panama Papers en 2016 ou encore OpenLux et Pandora Papers en 2021.
Dans ce cadre, la lutte contre les montages fiscaux opaques de grande envergure est apparue comme l’une des priorités absolues de l’OCDE, de l’UE et aussi de nombreux États.
Plusieurs mesures ont été récemment adoptées en France pour renforcer cette lutte, parmi lesquels l’indemnisation des aviseurs fiscaux. Lors de l’examen de la seconde partie du PLF pour 2022, les députés français ont adopté plusieurs amendements (amendement N° II-3551 [en ligne] et N° II-3552 [en ligne]) visant à reconduire l’expérimentation des aviseurs fiscaux jusqu’au 31 décembre 2023.
Rappels liminaires
Le principe de l’indemnisation des aviseurs fiscaux existe depuis de nombreuses années en France. Ce dernier a cependant reposé longtemps sur des bases juridiques fragiles. En outre, il présentait des résultats décevants en raison de son utilisation déconcentrée et de la faiblesse des montants à recouvrer.
L’ancien système a finalement été abandonné en 2004 par Nicolas Sarkozy.
I. L’introduction de l’indemnisation des aviseurs fiscaux en droit français
Les dispositions de l’article 109 de la loi de finances pour 2017 sont venues combler un vide en droit français. Cet article a autorisé l’indemnisation de toute personne fournissant un renseignement à l’administration fiscale ayant amené à la découverte d’un manquement à certaines règles fixées par le code général des impôts.
Il s’agissait initialement de lutter contre la fraude fiscale internationale. Aussi les règles et obligations visées concernaient-elles la domiciliation fiscale, la déclaration de comptes et assurances-vie détenus à l’étranger, la territorialité de l’impôt sur les sociétés, etc.
Précisions : À la différence du système d’indemnisation antérieur à 2004, le dispositif de 2017 a été entouré des garanties nécessaires permettant à l’administration fiscale d’exploiter le cas échéant les informations obtenues. L’article 109 de la loi de finances pour 2017 précise en effet que « l’administration peut recevoir et exploiter les renseignements » ayant amené à la découverte d’un manquement aux règles ou aux obligations déclaratives en question afin, d’une part, d’éviter qu’un agent public recueillant l’indication soit accusé de recel et, d’autre part, de permettre son utilisation dans le cadre du contrôle de l’impôt, même si son origine est irrégulière. Dans ce dernier cas, les visites domiciliaires, prévues par l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L0419LTP) sont néanmoins prohibées. |
II. La pérennisation de l’indemnisation des aviseurs fiscaux en droit français
L’article 21 de la loi n° 2018-898, du 23 octobre 2018, relative à la lutte contre la fraude (N° Lexbase : L5827LMR) a pérennisé le dispositif de l’indemnisation des aviseurs fiscaux, par le biais d’un amendement de M. Fabien Roussel, à l’issue de ses deux premières années d’expérimentation, soit au 1er janvier 2019.
Un premier rapport d’information de 2019 a mis en lumière le succès du dispositif et a formulé les six recommandations suivantes :
Précisions : Lors de la rédaction du rapport d’information de 2019, deux aviseurs fiscaux ont été indemnisés. Les renseignements que ces derniers ont transmis à l’administration fiscale ont permis le recouvrement de près de 90 millions d’euros de droits et de pénalités. Au total, l’administration fiscale a reçu un peu moins d’une centaine de signalements dont la moitié ont été classées sans suite. Une trentaine d’enquêtes fiscales étaient toujours en cours au moment de la remise du rapport d’information et treize dossiers faisaient l’objet d’un contrôle fiscal. |
L’article 175 de la loi de finances pour 2020 a codifié ce dispositif à l’article L. 10-0 AC du LPF (N° Lexbase : L6492LUY) et l’a sensiblement étendu.
Cet article a tout d’abord étendu le champ de ce dispositif à la TVA. Sont visés, sans limitation de durée, les renseignements concernant les opérations de fraude à la TVA dans le cadre des transactions nationales et internationales.
Par ailleurs, cet article a prévu, à titre expérimental et pour une durée de deux ans, une généralisation de l’indemnisation des aviseurs fiscaux pour les informations relatives à tout autre agissement, manquement ou manœuvre susceptible d’être sanctionné par les pénalités fiscales suivantes :
Cette généralisation s’applique lorsque le montant des droits éludés excède 100 000 euros.
Le décret n° 2021-61, du 25 janvier 2021 (N° Lexbase : L9372LZ7), a codifié à l’article R. 10-0 AC-1 du LPF l’autorisation du Gouvernement précitée et l’a étendu aux manquements aux règles de la TVA. Il a également permis à l’administration fiscale de procéder à l’expérimentation précitée. Le décret n° 2017-601 (N° Lexbase : L8394LDA) pris pour l’application de l’article 109 de la loi de finances pour 2017 est par conséquent abrogé. Ce décret n° 2021-61 du 25 janvier 2021 est entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 28 janvier 2021.
Dans un contexte de révélations des Pandora Papers concernant l’évasion fiscale par le biais de sociétés offshore, un rapport sur le rôle des aviseurs (informateurs) fiscaux a été publié fin septembre 2021. Ce rapport souligne notamment que :
Ces dossiers concernent :
La rapporteure Christine Pirès-Beaune souligne dans le rapport que le dispositif d’indemnisation des aviseurs fiscaux bénéficie désormais d’une plus grande notoriété. Les prises de contact sont passées ainsi de 27 en 2017 à 71 en 2020. Il bénéficie du reste d’une plus grande acceptabilité sociale alors qu’il était décrié par des journalistes et certains milieux professionnels.
III. Une indemnisation répandue des aviseurs fiscaux
L’indemnisation des aviseurs fiscaux a été mise en œuvre dans plusieurs États (une dizaine selon le rapport d’information du 5 juin 2019 relatif aux aviseurs fiscaux), parmi lesquels on trouve le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, la Belgique, le Danemark, l’Inde, l’Allemagne et la Corée du Sud.
La rémunération légale des aviseurs est toutefois exclue dans plusieurs États. Certains d’entre eux utilisent ainsi les informations transmises par les aviseurs, sans les indemniser (Autriche, Espagne, Canada pour les fraudes domestiques, Grèce, Portugal, Slovaquie).
IV. Distinction entre les aviseurs fiscaux et les lanceurs d’alerte
Le régime juridique encadrant les aviseurs fiscaux se distingue de celui des lanceurs d’alerte, bien que la mise en place des deux dispositifs soit concomitante. L’article 6 de la loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (N° Lexbase : L6482LBP) dispose en effet qu’un lanceur d’alerte « révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi » un crime, un délit ou une violation grave et manifeste d’une convention internationale, d’une loi ou d’un règlement de même qu’une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général dont il a eu personnellement connaissance. Le lanceur d’alerte bénéficie de protections particulières contre des représailles professionnelles (licenciement, sanctions, discriminations…). Cela n’est pas le cas de l’aviseur fiscal, même si celui-ci bénéficie de la garantie du respect de son anonymat.
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