Le Quotidien du 8 novembre 2021 : Actualité judiciaire

[A la une] Prise illégale d’intérêts : la Cour de justice de la République refuse d’annuler la mise en examen d’Éric Dupond-Moretti

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[A la une] Prise illégale d’intérêts : la Cour de justice de la République refuse d’annuler la mise en examen d’Éric Dupond-Moretti. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/74145459-a-la-une-prise-illegale-dinterets-la-cour-de-justice-de-la-republique-refuse-dannuler-la-mise-en-exa
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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 24 Novembre 2021

Pour la défense d’Éric Dupond-Moretti, c’est un échec attendu... La commission d’instruction de la Cour de Justice de la République (CJR) a refusé, mercredi 3 novembre, d’annuler la mise en examen du garde des Sceaux pour « prise illégale d’intérêts ». Le 13 octobre, les trois avocats du ministre de la Justice avaient défendu, en audience publique, une requête visant à torpiller toute la procédure qui empoisonne la vie d’Éric Dupond-Moretti depuis plusieurs mois maintenant.

Dans leur viseur, la recevabilité des plaintes déposées par l’Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la magistrature et l’association Anticor ; les conditions dans lesquelles la perquisition rocambolesque a été menée place Vendôme, le 1er juillet, et donc la mise en examen de leur client qu’ils estimaient entachée d’irrégularités.

Mais l’équipe de défense du ministre s’est heurtée à un problème de taille. Contrairement à toutes les autres formations judiciaires, la Cour de justice de la République est la seule à ne pas disposer de ce que l’on appelle un « double degré de juridiction » (première instance et appel par exemple). Elle n’a donc pas eu d’autre choix que de plaider leur requête devant les trois mêmes magistrats de la commission d’Instruction qui avaient mis en examen leur client et ordonné les investigations dans ce dossier. En toute logique, ils ne sont pas dédits. Et ils ont validé l’ensemble des choix qu’ils avaient déjà effectué les mois précédents.

Une étape nécessaire pour un pourvoi en cassation

« Ce [rejet de la requête] n’est pas une surprise. La Cour de Justice de la République est la seule juridiction en France et certainement des pays membres du conseil de l’Europe où les juges en appel sont les mêmes qu’en première instance. Nous n’espérions pas que les magistrats, auteurs des nullités que nous invoquions, annulent eux-mêmes la procédure entachée de leurs propres nullités », ont donc commenté Olivier Cousin, Rémi Lorrain et Christophe Ingrain, les trois avocats d’Éric Dupond-Moretti dans un communiqué transmis à Lexbase.

Pas « une surprise ». Mais une étape nécessaire. En effet, ce passage devant les mêmes magistrats de la commission d’instruction leur était indispensable afin de pouvoir former un pourvoi en cassation ensuite. Ce qu’ils ont immédiatement annoncé « pour que statuent enfin des magistrats différents de ceux qui instruisent ».

L’affaire des « fadettes » du PNF en toile de fond

Dans ce dossier, le garde des Sceaux est soupçonné de s’être servi de son statut de ministre, une fois installé à la Chancellerie, pour régler ses comptes avec des magistrats avec qui il avait eu maille à partir lorsqu’il était avocat. Parmi les points de discorde figure d’abord l’affaire dite des « fadettes ». Un dossier dans lequel deux magistrats du parquet national financier ont épluché les factures téléphoniques détaillées de plusieurs avocats dont celui que l’on surnommait encore à l’époque « Acquittator ». Ceux-ci ont été visés par une Inspection générale de la justice après la nomination d’Éric Dupond-Moretti au gouvernement. Les syndicats de magistrats et l’association Anticor soupçonnent donc le ministre d’avoir été en position de conflit d’intérêts dans cette affaire.

Tout comme dans celle du juge Édouard Levrault. Figure de la lutte anticorruption dans le sud de la France, lui aussi a été visé par une enquête de l’Inspection générale de la justice. Le problème, c’est qu’Éric Dupond-Moretti n’avait jamais caché son inimitié à son endroit dans sa vie d’avant, le traitant même de « cow-boy ».

Ces deux dossiers avaient finalement conduit l’exécutif à prendre un décret de déport permettant au Premier ministre Jean Castex de gérer les dossiers de la Chancellerie dans lesquels Éric Dupond-Moretti était impliqué lorsqu’il était avocat. Le souci, c’est que ce décret a été pris en octobre 2020, soit quelques mois après la nomination du ministre de la Justice.

La commission d’Instruction cherche donc depuis des mois à savoir si, durant l’intervalle, Éric Dupond-Moretti ne s’est pas servi de son nouveau statut de ministre et des attributions qui vont avec pour lancer des enquêtes à l’encontre de magistrats qu’il ne portait pas dans son cœur.

La CJR toujours critiquée

Quoi qu’il en soit, le rejet de la requête déposée par ses trois conseils, mercredi 3 novembre, pose une nouvelle fois la problématique de la valeur de la Cour de Justice de la République. Critiquée pour son immixtion dans la vie politique encore récemment avec la mise en examen de l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn, elle n’a, depuis sa création dans les années 1990, jamais prononcé de peines de prison ferme (uniquement des relaxes, des peines de sursis ou des dispenses de peine) à l’encontre des ministres ou anciens ministres jugés pour les délits commis dans l’exercice de leurs fonctions…

Aujourd’hui, Olivier Cousin, Rémi Lorrain et Christophe Ingrain posent la question du fonctionnement même de cette structure d’instruction. Une question qu’ils souhaitent porter dans les prochaines semaines devant la Cour de cassation. Ce sera effectivement devant des magistrats différents. Mais qui appartiennent eux aussi à la même formation, les trois magistrats de la commission d’instruction de la CJR étant de fait membres de la Cour de cassation…

Pour aller plus loin : lire V. Vantighem, L’enquête pour « prise illégale d’intérêts » visant Éric Dupond-Moretti s’accélère à la Cour de justice de la République, Lexbase Pénal, juillet 2021 (N° Lexbase : N8205BYK).

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