Lexbase Fiscal n°880 du 7 octobre 2021 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] L’application du régime de la TVA sur la marge en matière de TVA immobilière – un régime enfin examiné par le juge de la CJUE

Réf. : CJUE, 30 septembre 2021, aff. C-299/20, Icade Promotion SAS (N° Lexbase : A776147L)

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N8987BYI

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par Pierre Pradeau - Olivier Galerneau et Maxime Mahtout, Avocats, EY Société d'avocats

le 05 Octobre 2021


Mots-clés : TVA • TVA sur marge • Directive TVA

La CJUE a donné des précisions, dans un arrêt du 30 septembre 2021, sur l'application du régime de la TVA sur marge en matière de TVA immobilière.


 

I. TVA sur la marge : un régime dont le champ d’application est source de nombreux contentieux

Les conditions d’application du régime de la TVA sur la marge ont fait l’objet de nombreux litiges entre l’administration et les contribuables et ont récemment donnés lieu à de nombreuses jurisprudences du Conseil d’État.

Le régime de la marge est prévu par l’article 392 de la Directive TVA. Il prévoit que « les États membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ».

Cet article a été transposé en droit français à l’article 268 du CGI (N° Lexbase : L4910IQW) qui dispose que le régime de la TVA sur la marge est applicable si l’acquisition d’un immeuble par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la TVA.

Dans ses commentaires sur ce texte, l’administration fiscale a exigé pour sa part une condition d’identité entre le bien acquis et le bien cédé pour l’application de ce régime. Cette exigence a notamment donné lieu à des réponses ministérielles datant de 2016, dans lesquelles il est précisé que le régime de TVA sur la marge est conditionné, outre que l’acquisition de l’immeuble n’ait pas ouvert droit à déduction, à ce que le bien acquis et revendu ait des caractéristiques physiques identiques (par exemple réponse « De La Raudière », QE n° 94061 de Mme Laure de La Raudière, JOANQ 15 mars 2016, réponse publ. 30 août 2016 p. 7769, 14ème législature N° Lexbase : L0979LAI).

Plus récemment, l’administration a précisé, dans deux réponses ministérielles (réponse « Vogel », QE n° 04171 de M. Jean Pierre Vogel, JO Sénat 29 mars 2018, réponse publ. 17 mai 2018 p. 2361, 15ème législature N° Lexbase : L2363LL4, réponse « Falorni » QE n° 1835 de M. Olivier Falorni, JOANQ 10 octobre 2017 , réponse publ. 24 septembre 2019 p. 8300, 15ème législature N° Lexbase : L7384LTN), que si l’identité juridique du bien lors de son acquisition et de sa cession doit être identique, tel n’est pas le cas pour l’identité physique.

Aussi, l’administration a admis que le régime de TVA sur la marge peut trouver à s’appliquer pour un terrain à bâtir ou un immeuble faisant l’objet d’une revente par lot, dès lors que chacun de ces lots a une qualification juridique identique à celle qu’avait le bien lors de son acquisition.

Pour sa part, le Conseil d’État a été saisi et a jugé, dans un arrêt du 27 mars 2020 « Promialp » (CE 3° et 8° ch.-r., 27-mars 2020, n° 428234, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A42573KU[1]  que « les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur revendeur ».

Le Conseil d’État a exclu du régime de la TVA sur la marge les reventes de biens qui ne répondent pas à la même qualification juridique que celle de leur acquisition. Ainsi, pour les faits jugés dans l’affaire « Promialp », la revente de terrains à bâtir issue d’une opération de démolition d’un immeuble ne peut relever du régime de TVA sur la marge même si l’acquisition de cet immeuble n’avait pas été soumise à la TVA (et donc n’avait nécessairement pas ouvert droit à déduction de la TVA).

Plus récemment, le Conseil d’État s’est prononcé sur l’application du régime de la TVA sur la marge concernant un marchand de bien qui avait acquis un immeuble bâti et son terrain d’assiette (CE 8° ch., 1er juillet 2020, n° 431641, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A29763QB ; CAA Marseille, 18 février 2021, 20MA02162 N° Lexbase : A62484HU, sur renvoi du Conseil d’État). 

En l’espèce, la société RGMB, qui exerce une activité de marchand de biens, avait acquis en juillet 2012 un ensemble immobilier constitué d'un terrain sur lequel était implantée une maison d'habitation.

Cet ensemble immobilier avait fait l'objet, après son acquisition, d'une division en neuf parcelles, l'une constituée d'un terrain supportant la construction et les huit autres de terrains nus. Ces neuf parcelles avaient été cédées en six lots sous le régime de la TVA sur la marge.

Le Conseil d’État juge que la cour administrative d'appel avait commis une erreur de droit en jugeant que la société RGMB pouvait prétendre au bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge prévu par l'article 268 du CGI au seul motif que l'acquisition du bien cédé n'avait pas ouvert droit à déduction de la taxe et en jugeant que ne faisait pas obstacle à la mise en œuvre de ce régime la circonstance que les biens cédés comme terrains à bâtir n'avaient pas été acquis comme tels.

Ainsi, dès lors que les terrains vendus comme terrain à bâtir par la société RGMB constituaient une seule et même unité foncière avec un immeuble bâti lors de leur acquisition, unité foncière qualifiée d’immeuble bâti, le critère de l’identité juridique n’était pas rempli et le régime de la TVA sur la marge ne pouvaient donc pas être applicable.

Les conditions d’application du régime de la TVA sur la marge ont fait l’objet de questions préjudicielles portant sur ce que recouvre la notion de biens ayant ouvert droit à déduction de la TVA visé à l’article 392 de la Directive précitée, et sur l’incidence de la réalisation de travaux sur le régime de TVA applicable (CAA Lyon, 18 mars 2021, n° 19LY00501 N° Lexbase : A01154M9 et CE 3° et 8° ch.-r., 25 juin 2020, n° 416727, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A34753PE).

II. Le champ d’application du régime de la TVA sur la marge défini par la CJUE

Dans l’arrêt « Icade » du 30 septembre 2021, la CJUE vient préciser les conditions d’application du régime de la TVA sur la marge.

Dans cette affaire, la société avait acquis des terrains nus auprès de personnes non assujetties à la TVA (tels que des particuliers ou des collectivités locales).

En raison de la qualité de non assujetti à la TVA des vendeurs, ces cessions étaient hors champ d’application de la TVA.

Avant de revendre les terrains acquis, la société Icade avait divisé les terrains en lots et fait réaliser des travaux de viabilisation de telle sorte que les lots revendus étaient qualifiés de terrain à bâtir.

La société a contesté l’application du régime de la TVA sur la marge au titre de la revente des terrains et la Cour a été saisie des deux questions préjudicielles suivantes :

  • Le régime de la TVA sur la marge trouve-t-il à s’appliquer « lorsque les terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir » ;
  • Le régime de la TVA sur la marge s’applique-t-il « lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur dessert par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications) » ?

Concernant la première question, la Cour précise que le régime de la TVA sur la marge est applicable aux livraisons de terrains à bâtir dans deux situations :

  1. lorsque l’acquisition du terrain revendu a été soumise à la TVA et que l’assujetti revendeur n’a pas été en mesure de déduire cette TVA ;
  2. ou, dans l’hypothèse de l’acquisition d’un terrain à bâtir non assujetti à la TVA, si le vendeur initial avait inclus au prix de vente un montant de TVA qu’il n’avait pas été en mesure de déduire.

Ainsi, l’application du régime de la TVA sur la marge devrait désormais être fortement limité et avoir un impact direct pour les marchands de biens.

En effet, lorsque l’acquisition du terrain a été réalisée par l’acheteur-revendeur en exonération de TVA ou se trouvait hors du champ d’application de la TVA, sa revente ne devrait plus pouvoir bénéficier de la TVA sur la marge sauf s’il peut être établi que le vendeur initial n’avait pas pu déduire la TVA au titre de l’acquisition du bien immobilier.  

Concernant la seconde question, la Cour juge que si le régime de la TVA sur la marge est bien conditionné à une qualification juridique identique du bien lors de son acquisition et de sa revente (c’est-à-dire par exemple que le bien acquis était un terrain à bâtir et est revendu en tant que terrain à bâtir), il n’est pas conditionné à une identité physique.

La Cour précise en effet que « si l’article 392 de la Directive TVA se réfère à la « livraison de terrains à bâtir achetés en vue de la revente », il ne saurait être conclu que ces termes interdisent que les terrains aient fait l’objet de transformations par l’assujetti-revendeur, pour autant qu’ils puissent être qualifiés de terrains à bâtir lors de leur revente ».

Autrement dit, un acheteur-revendeur est bien mesure de lotir un terrain sans que cette division parcellaire ne fasse obstacle à l’application du régime de la TVA sur la marge lors de la revente des différents lots.

Il ne pourra en revanche pas appliquer ce régime s’il a acquis un terrain à bâtir et revend un immeuble bâti.

À cet égard, la CJUE n’a pas suivi l’avocat Général qui entendait assimiler la réalisation de travaux de viabilisation à la construction d’un immeuble neuf (conclusions rendues par l’avocat général M. Athanasios Rantos, publiées le 20 mai 2021).

La Cour souligne ainsi que, « les transformations apportées à ce terrain aux fins de son aménagement, qui reste ainsi destiné à être bâti, sont sans incidence sur sa qualification de terrain à bâtir tant que ces aménagements ne peuvent être qualifiées de bâtiments ».

Cette analyse retenue en matière de terrain à bâtir trouve également à s’appliquer aux immeubles construits.

S’agissant des terrains à bâtir, la grille d’analyse retenue par la CJUE conduit à appliquer le régime de la TVA sur la marge lorsque le revendeur n’a pas eu de droit à déduction au sens des deux hypothèses retenues par la Cour (comme précisé ci-dessus), sans que les travaux de viabilisation réalisés sur le terrain ou sa division parcellaire fasse obstacle à ce régime.  

 

[1] Lire en ce sens, D. Falco, TVA sur la marge en matière immobilière : la condition d’identité validée par le Conseil d’État, Lexbase Fiscal, mai 2021, n° 865 (N° Lexbase : N3279BY4).

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