Lexbase Fiscal n°880 du 7 octobre 2021 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Exonération de la taxe de 3 % (imprimé n° 2746-SD)

Réf. : CA Aix-en-Provence, 31 août 2021, n° 18/18483 (N° Lexbase : A022843T)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII

le 04 Octobre 2021


Mots-clés : immeubles • taxe 3 % • imprimé n° 2746-SD

Cette décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 31 août 2021 a trait à l’application de l’article 990 E du CGI (N° Lexbase : L1479IZS) ; plus précisément, il est question de l’exonération de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles détenus en France. Cette taxe concerne toute entité juridique française ou étrangère (disposant ou non de la personnalité morale) possédant (directement ou indirectement) des immeubles en France (ou titulaires de droits réels portant sur ces biens). La taxe est égale à 3 % de la valeur vénale des biens et droits immobiliers au 1er janvier de l’année d’imposition.


 

Certaines exonérations sont prévues par le législateur. La requérante estime pouvoir bénéficier d’une exonération : la taxe n’est pas applicable aux entités juridiques dont le siège est situé en France, dans un État de l’UE ou dans un pays ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale ou dans un État ayant conclu avec la France un traité leur permettant de bénéficier du même traitement que les entités ayant leur siège en France (CGI, art. 990 E 3°). Cette exonération est accordée au prorata du nombre d’actions, parts ou autres droits détenus au 1er janvier par des actionnaires, associés ou autres membres dont l’identité et l’adresse auront été déclarées sur le formulaire n° 2746. L’entité juridique qui souscrit ce formulaire est dispensée de déclarer les actionnaires, associés ou autres membres qui détiennent moins de 1 % des actions, parts ou autres droits. Dispense de déclaration il y a encore en présence de biens ou droits immobiliers dont la valeur vénale est inférieure aux seuils fixés au a) du 3° de l’article 990 E du CGI (100 000 euros ou 5 % de la valeur vénale du bien) dans l’hypothèse d’une détention directe ou indirecte d’une pluralité de biens immobiliers. 

Certaines exonérations ne nécessitent pas la souscription du formulaire n° 2746 tandis que d’autres nécessitent, au contraire, une telle souscription. La société requérante entre dans ce second schéma. Société de droit britannique qui détient 99,98 % des parts d’une SCI (laquelle est propriétaire de biens immobiliers), elle adresse la déclaration n° 2746 au titre de l’année 2015 à la direction des résidents de l’étranger et des services généraux ; copie est adressée au SIE de Cannes (les biens immobiliers ont été acquis à Cannes au prix de 350000 euros). L’administration fiscale procède à un rappel de la taxe, assorti de l’intérêt de retard (taux de 0,40 %) et de la majoration de 10 % (sur le fondement de l’article 1728-1 du CGI N° Lexbase : L9389LH9). 

Contentieux. La requête de la société est rejetée par le TGI de Grasse en date du 24 octobre 2018. La preuve du dépôt de la déclaration revient au contribuable. Or, dans le cas présent, le TGI estime que les pièces produites ne sont pas probantes puisque fait défaut un avis de réception d’un courrier recommandé ou d’un avis de réception signé par l’administration. Certes, la société fournit – en 2015 – certains renseignements ; pour autant, cela ne saurait lui permettre de bénéficier de l’exonération. Aucune régularisation n’est en effet possible dès lors qu’elle a fait l’objet d’une mise en demeure en septembre 2010 au titre des années 2008, 2009, 2010. L’argumentation de la société – arguant qu’elle a souscrit la déclaration dans les délais, que la charge de la preuve incombe à l’administration, qu’elle a souscrit chaque année une déclaration de résultats modèle 2065 – ne convainc pas le juge. La société n’est pas réputée avoir exécuté de manière satisfaisante ses obligations déclaratives. 

Après avoir rappelé que l’exonération au paiement de la taxe de 3 % est d’interprétation stricte, la cour d’appel d’Aix-en-Provence souligne que la société n’a pas respecté l’engagement inhérent à l’article 990 3-d du CGI : à savoir « communiquer chaque année à l’administration fiscale la consistance des immeubles possédés au 1er janvier ainsi que l’identité, l’adresse des actionnaires et le nombre des actions détenues par chacun ». Or, obligation il y avait de procéder à la déclaration, et ce avant le 16 mai de chaque année, en l’adressant au service des impôts des entreprises du lieu de situation de l’immeuble. 

Quant à la dévolution de la preuve, elle échoit au contribuable. L’administration opère des rectifications suivant la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L. 57 (N° Lexbase : L0638IH4) à L. 61 A (N° Lexbase : L2413DAM) lorsqu’elle constate une insuffisance, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts ou de l’article L. 2333-55-2 du CGCT (N° Lexbase : L8124I4N). Une distinction est opérée en vertu de l’article L. 55 du LPF (N° Lexbase : L5685IEB) : à l’administration échoit la charge de la preuve « du seul bien-fondé de son redressement, notamment par rapport aux évaluations qu’elle propose ». Il ne lui revient pas de supporter le fardeau probatoire quant au respect des dates de l’envoi de la déclaration ; ledit fardeau probatoire pèse sur le contribuable. Il revient à la société de démontrer qu’elle a bien adressé le document en temps utiles au bon destinataire ; il lui appartient de procéder à la déclaration – avant le 16 mai de chaque année – selon le modèle n° 2746.

Or, dans le cas présent, la requérante ne démontre pas la réalité de l’envoi qu’elle prétend avoir réalisé. Certes, elle produit une photocopie de la déclaration mais cela n’emporte pas démonstration que l’original a bien été adressé, dans les délais requis, à l’administration fiscale. La société est ainsi réputée ne pas avoir satisfait aux exigences imposés par les textes aux fins de bénéficier de l’exonération demandée. La position du juge quant à son comportement carentiel est renforcé par les éléments suivants : 

  • la société a été mise en demeure de régulariser sa situation, 
  • elle a adressé copie de sa déclaration de résultats de l’exercice clôturé au 31 mai 2014 et une copie de la déclaration n° 2746, 
  • l’administration lui a demandé – en vain - le justificatif de l’envoi de cette déclaration, tout en rappelant qu’il ne s’agissait pas de la première infraction. 

Autant d’éléments à l’appui du caractère raisonnable des prétentions de l’administration. 

La société invoque la réponse ministérielle « Loncle » du 13 mars 2000 qui pose une « mesure de tolérance » : le contribuable pouvant bénéficier de l’exonération mais n’ayant pas souscrit la déclaration n° 2746 doit être mis en demeure de régulariser sa situation dans les trente jours. Si l’obligation est remplie dans ce délai, la taxe n’est pas exigée et aucune sanction n’est appliquée. La Réponse ministérielle précise que la « mesure de tolérance ne s’applique qu’à la première demande de régularisation et pour l’ensemble des années non prescrites » . En d’autres termes, la mesure possède un « caractère exceptionnel ». Dans le cas présent, la cour d’appel rappelle que la société a déjà bénéficié d’une mesure de tolérance, en septembre 2010 et pour les années 2008, 2009, 2010. Elle ne peut donc pas se prévaloir de la mesure de tolérance visée dans la réponse ministérielle du 13 mars 2000. 

La société invoque la décision de la cour d’appel de Paris du 6 novembre 2017 (CA Paris, 6 novembre 2017, n° 15/15981 N° Lexbase : A8385WXT). L’administration soutient, là aussi, qu’une société (la Société Luppa) a déjà bénéficié d’une mesure de tolérance et que cela la prive de toute possibilité de régulariser sa situation. L’administration se fonde sur la réponse ministérielle « Loncle »(QE n° 39372 de M. Loncle François, JOANQ 27 décembre 1999 p. 7348, min. éco., réponse publ. 13 mars 2000 p. 1638, 11ème législature (N° Lexbase : L9057D7L). Selon la cour d’appel de Paris, s’il existe des sanctions applicables pour le dépôt tardif de la déclaration n° 2746, il s’agit seulement de celles visées aux articles 1727 (N° Lexbase : L6953LL4) et 1728 (N° Lexbase : L9389LH9) du CGI : à savoir un intérêt de retard et une majoration du montant des droits mis à la charge du contribuable, et non le paiement de la taxe elle-même. La société Luppa n’étant pas redevable de la taxe de 3 %, elle ne doit pas en effectuer le paiement ni verser un quelconque intérêt de retard. La cour d’appel d’Aix-en-Provence n’opère aucune lecture de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, nonobstant l’invocation de cette jurisprudence par la requérante. 

La société se prévaut du régime visé au BOI-PAT-TPC-20-20 (N° Lexbase : X4508ALK). Le moyen n’est pas accueilli par la cour d’appel. Tout d’abord, on ne saurait déduire des termes de cette doctrine que sont concernées les sociétés autres que celles visées, notamment les sociétés étrangères. Quant à la déclaration 2065 – invoquée par la société en ce qu’elle permettrait de satisfaire aux obligations déclaratives exigées – elle n’est pas opérante dans le cas présent : elle ne comporte aucun élément relatif à la consistance et à la valeur vénale de l’immeuble. 

Enfin, la société ne peut invoquer l’existence d’une disproportion en l’espèce, au regard du but poursuivi par les dispositions relatives à la taxe : à savoir, la lutte contre la fraude fiscale. Ce dernier propos de la cour d’appel appelait, semble-t-il, de plus amples explications. Il est par trop aisé d’invoquer, au profit de l’administration fiscale, la notion générique de lutte contre la fraude fiscale. Certes, la lutte contre la fraude fiscale est un objectif de valeur constitutionnelle, au même titre que la lutte contre l’évasion fiscale et la lutte contre l’optimisation fiscale. Reste qu’il est des généricités dangereuses pour le contribuable, surtout lorsque l’on connaît les perplexités juridiques entourant la notion d’OVC (objectif de valeur constitutionnelle). Puisqu’il est question de constitutionnalité, attardons-nous sur la décision du Conseil constitutionnel du 16 septembre 2011 (Cons. const., décision n° 2011-165 QPC, du 16-09-2011 N° Lexbase : A7449HX8), mentionnée par la requérante. Le Conseil avait été saisi d’une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 2° et 3° de l’article 990 E du CGI. Les dispositions déférées avaient été déclarées conformes à la Constitution nonobstant les différences de traitement instituées par la loi ; le législateur est réputé avoir mis en œuvre - avec des critères objectifs et rationnels – l’OVC de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Quand bien même cette QPC de 2011 est invoquée par la requérante, elle ne lui est guère utile en défense de ses prétentions ; la cour d’appel de Paris se contente de la mentionner sans opérer un quelconque développement. 

Le refus de l’exonération émanant de l’administration est ainsi validé par la cour d’appel. Celle-ci ajoute que le refus de concéder cette exonération – consécutif au dépôt tardif de la déclaration n° 2746 - ne saurait s’analyser en une sanction. Il s’agit de « la seule perte du bénéfice d’une exonération fiscale ». Une telle perte n’est pas réputée porter atteinte au principe d’égalité de traitement : le bénéfice de l’exonération est accordé – ou non – en fonction de situations qui ne sont point identiques. À situation différente, régime juridique différent. 

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