La lettre juridique n°506 du 22 novembre 2012 : Éditorial

Prétentions littéraires vs comportement parasitaire : et la brève juridique dans tout cela ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


On a beau être éditeur et avoir le "nez dedans" toute la journée ; on a beau faire notre métier du mieux que l'on peut et se plier en quatre -en fait, en cinq- pour satisfaire les besoins informationnels et documentaires de nos lecteurs et néanmoins clients ; on a beau créer deux revues supplémentaires en deux ans et publier sept encyclopédies sur la même période ; on a beau se lever, chaque matin, à l'affût de l'information juridique et professionnelle, pour la relever, l'analyser, la contextualiser et la diffuser hors de son "jus", pour qu'elle puisse être remployée à des fins pratiques et professionnelles ; on a beau aimer son métier avec une passion rédactionnelle toute singulière : il est des lectures qui, parfois, nous ravissent l'esprit mais pas le coeur, nous autres éditeurs-journalistes-documentalistes et celle, ce matin, d'un arrêt de la cour d'appel de Paris, rendu le 9 novembre 2012, tout particulièrement.

La cour reconnaît l'investissement humain et financier considérable permettant la diffusion d'informations certaines et caractérisées et qu'il ne suffit pas d'ouvrir une brève par la mention "selon le journal X" pour s'autoriser le pillage quasi-systématique des informations de cet organe de presse. En se permettant cette facilité, la société exploitante du site litigieux s'épargne la charge de cet investissement et peut même en tirer un profit réel. Ainsi, en l'espèce, les reprises d'informations émanant d'un journal et de son site internet offrent au site en question une matière non négligeable sans laquelle les digressions personnelles de l'auteur des textes ne pourraient aussi bien prospérer. Ce faisant, cette société adopte un comportement parasitaire. Alors ça, c'est pour le volet indemnitaire.

Mais, comme Janus, le dieu aux deux visages, la cour adopte, en revanche, une position en matière de propriété intellectuelle pour le moins choquante. Elle estime, en effet, que, si le traitement de leur contenu est caractéristique d'un réel savoir faire, les articles et brèves repris ne sauraient, cependant, témoigner d'un véritable effort créatif et être considérés comme porteurs de la personnalité de leur auteur. Selon les juges parisiens, les brèves dont la teneur sans prétention littéraire ne permet pas à leur auteur, au demeurant inconnu, de manifester un véritable effort créatif lui permettant d'exprimer sa personnalité, et les articles, de moins de trente lignes décrivant des actualités, sans particularité stylistique et sans y ajouter d'éléments révélant sa personnalité, ne sont pas des oeuvres au sens des dispositions de l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. Et, au final, la protection de ces textes au regard du droit d'auteur sera donc rejetée.

Est-il besoin d'aller plus loin ? Gratuites ou payantes, toutes les informations se valent ! Ce qui importe, c'est la "substantifique moelle" ; maintenant, le choix du traitement de l'information, le mode de traitement, la contextualisation à laquelle il est, pour le moins, difficile de "témoigner d'un véritable effort créatif" et de "porter la personnalité de l'auteur", tout cela est secondaire et ne mérite pas de protection particulière.

Pour jouer les égocentriques de service, on peut certainement considérer qu'un article de doctrine, du moins la majorité d'entre eux, répond aux canons du Code de la propriété intellectuelle. Une doctrine même partagée demeure personnelle et exprime avec force l'analyse et la conviction de son auteur. Mais, un site de documentation juridique se doit également de proposer une version "abrégée" de l'information et du droit. Est-ce à dire que ce travail, certain et de masse, ne génère pas de droits moraux susceptibles de protection légale ? C'est malheureusement à craindre.

On savait, déjà, que la donnée publique, en accès gratuit, n'avait aucune valeur sauf, étrangement, à la commercialiser auprès des éditeurs obligés de l'intégrer dans leurs bases de données. On apprend, désormais, que ces derniers sont dépossédés de leurs droits moraux sur une bonne partie de leurs corpus éditorial et que, sauf à adopter un comportement parasitaire, la reprise des informations qu'ils diffusent ne contrevient pas aux droits de la propriété intellectuelle. Autrement dit, reprenez une brève d'un éditeur juridique sur votre site, alors qu'aucune ressource financière n'en dépend véritablement, directement ou indirectement, et vous êtes blanchi -sans avoir sacrifié aux travaux guerriers-.

Si la valeur ajoutée d'un éditeur juridique c'est assurément ses auteurs et la doctrine qu'il publie, la mise en oeuvre de cette doctrine nécessite un tri et un premier travail rédactionnel pour décanter l'essor inflationniste de l'information juridique. Il s'agirait là d'une oeuvre commerciale protégée par le droit de la concurrence et non d'une oeuvre intellectuelle : dont acte. Mais, cela ne nous empêchera pas d'y apporter un soin rédactionnel et stylistique tout particulier pour une meilleure lisibilité et intelligibilité.

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