La lettre juridique n°506 du 22 novembre 2012 : Procédure administrative

[Jurisprudence] Chronique de contentieux administratif - Novembre 2012

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 22 Novembre 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de contentieux administratif de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, un arrêt du Conseil d'Etat en date du 26 septembre 2012 sur un thème qui provoque un contentieux particulièrement nourri, à savoir celui des rapports entre la clôture de l'instruction et le principe du contradictoire. En matière de référé d'urgence, l'instruction est, en principe, close à l'issue de l'audience mais lorsque le juge des référés décide de communiquer, après la clôture de l'instruction, un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, il doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il ne peut donc, par la suite, rendre son ordonnance tant que l'instruction est ainsi rouverte (CE 1° et 6° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 359479, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le second arrêt, en date du 3 octobre 2012, est relatif à l'application de la procédure de l'avis contentieux de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT). La plupart des rapporteurs publics acceptent quasi systématiquement les conditions juridiques de mise en oeuvre de la procédure de demande d'avis mais, une fois n'est pas coutume, c'est une décision de rejet qui a été prise eu égard au fait que le juge du référé provision ne peut accorder une somme d'argent que lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Or, précisément, la procédure d'avis contentieux a été créée pour permettre de régler une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse. La demande d'avis du juge du référé provision est, en ce sens, irrecevable (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 360840, publié au recueil Lebon). Le troisième arrêt, également en date du 3 octobre 2012, rappelle, enfin, de façon opportune, que les sommes allouées au titre des frais irrépétibles de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) ne peuvent l'être qu'au vu de la justification de dépenses véritablement engagées pour la conduite du procès (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 357248, publié au recueil Lebon).
  • La communication d'un mémoire après la clôture de l'instruction implique la réouverture de celle-ci et l'impossibilité pour le juge des référés de rendre son ordonnance (CE 1° et 6° s-s-r., 26 septembre 2012, n° 359479, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6405ITE)

La clôture de l'instruction donne souvent lieu à un contentieux nourri, particulièrement dans ses rapports avec le principe du contradictoire. La réouverture de l'instruction, qui doit normalement demeurer exceptionnelle, tend, de plus en plus, aujourd'hui à devenir un instrument de régulation de l'instruction. Le Conseil d'Etat a, en effet, entrepris depuis quelques années de bâtir un véritable "statut jurisprudentiel des écritures tardives" qui confirme la portée qu'il entend réserver au principe du contradictoire. Peu importe que ces écrits aient la forme d'un mémoire tardif (présenté après la clôture, avant l'audience) ou constituent une note en délibéré (présentée après l'audience). Comparativement, le juge civil est beaucoup plus rigoureux lorsqu'il s'agit de révoquer, à la demande d'une partie, l'ordonnance de clôture. Son appréciation de la "cause grave" postérieure à la clôture étant beaucoup plus stricte.

Devant le juge administratif, l'instruction d'une affaire est normalement close trois jours francs avant la date de l'audience. Cette clôture est automatique. Elle n'appelle aucune décision particulière (CJA, art. R. 613-2 N° Lexbase : L5878IGS). La date de clôture de l'instruction doit faire autorité, ce qui justifie la sévérité de l'article R. 613-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3134ALN) : les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction. Les parties ne sont pas censées produire au-delà. Quel qu'en soit le fondement, la clôture répond au même souci de meilleure efficacité de l'instruction. A l'égard des parties, il s'agit d'une mesure de police des débats. La clôture doit avoir pour effet d'amener celle qui estimerait n'avoir pas épuisé son argumentation à produire rapidement et avant une date qui lui est connue. C'est un des facteurs de l'égalité des parties devant le juge qui veille à ne pas entrer dans l'éventuel jeu de celle qui présenterait malicieusement ou dilatoirement un mémoire tardif (1).

Les difficultés apparaissent quand un mémoire "de dernière minute" est transmis à la juridiction qui décide de le communiquer à la partie adverse. Le statut de la production tardive prévoit les caractères que doit présenter cet écrit pour entraîner la réouverture de l'instruction. Le sort à lui réserver résulte de la conciliation entre deux préoccupations : la date de clôture de l'instruction doit être fermement respectée mais, pour autant, le juge ne peut méconnaître son office de bien juger et ne tenir aucun compte d'un mémoire tardivement présenté qui révélerait un dossier gravement incomplet, c'est-à-dire comportant des informations de nature à modifier ce que serait sa position sans ces éléments nouvellement produits.

Ainsi, en matière de référé d'urgence, l'instruction est en principe close à l'issue de l'audience. Toutefois, le juge du référé tient de l'article R. 522-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2535AQX) le pouvoir d'en différer la clôture jusqu'à une date qu'il fixe, le plus souvent, au cours même de l'audience de référé. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l'audience et avant la clôture de l'instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d'apporter au juge la preuve de ses diligences. L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience.

Il ressort, en l'espèce, des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Lyon qu'un mémoire en réplique a été produit, la veille de l'audience publique. Le juge des référés a clos l'instruction à l'issue de l'audience et n'a pas fait usage de la faculté qui lui est laissée de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure. Le mémoire a été communiqué le même jour au Garde des Sceaux, qui n'était pas représenté à l'audience publique, mais donc postérieurement à la clôture de l'instruction et deux heures avant que l'ordonnance du juge des référés ne lui soit notifiée. Pour le Conseil d'Etat, le juge des référés du tribunal administratif a irrégulièrement statué. La communication d'un mémoire après la clôture de l'instruction implique la réouverture de celle-ci et l'impossibilité pour le juge des référés de rendre son ordonnance.

Pour le Conseil, obligation est faite au juge des référés de communiquer aux parties avant la clôture de l'instruction, par tous moyens, notamment en les mettant à même d'en prendre connaissance à l'audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire, qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait ou de droit dont il n'a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure. Lorsqu'il décide de communiquer, après la clôture de l'instruction, un mémoire qui a été produit par les parties avant ou après celle-ci, le juge des référés doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction. Il lui appartient, en pareil cas, sauf à fixer une nouvelle audience, d'informer les parties de la date et, le cas échéant, de l'heure à laquelle l'instruction sera close. Il ne peut donc, par la suite, rendre son ordonnance tant que l'instruction est ainsi rouverte.

En jugeant de la sorte, le Conseil d'Etat montre une nouvelle fois que la communication des mémoires de "dernière minute" se heurte souvent au principe du contradictoire, surtout à l'heure où l'instruction est close. Il a pu juger de même à plusieurs occasions. Si, par exemple, un mémoire communiqué la veille de la clôture de l'instruction avec la seule invitation de produire une réplique "dans les meilleurs délais" n'a pas pour effet de reporter la date de cette clôture, le caractère contradictoire de l'instruction est, néanmoins, méconnu (2). En revanche, si la communication intervient après la clôture, alors celle-ci est regardée comme ayant été ouverte à nouveau. Il convient ensuite de la clore, le cas échéant après avoir fixé une nouvelle audience (3). Selon la formule jurisprudentielle, le principe de contradiction "tend à assurer l'égalité des parties devant le juge". Ce principe, fondé sur le pouvoir inquisitorial du juge, est justifié par la nécessité pour le juge de remplir son office de "bien juger". Comme le souligne le professeur Chapus, "quelles que soient les parties au conflit, une procédure non ou insuffisamment contradictoire ne serait pas acceptable, parce qu'elle serait une procédure en vertu de laquelle l'argumentation d'une partie pourrait ne pas être ou être pleinement, connue de son adversaire et discutée par lui ; ou en vertu de laquelle certains documents pourraient n'être connus que du juge" (4).

Au-delà de cette définition, ce sont les exigences du procès équitable plus que le respect du contradictoire en lui-même qui irriguent désormais toute la procédure administrative (CJA, art. L. 5 N° Lexbase : L2612ALC). Elles impliquent de laisser toujours un délai aux parties pour s'expliquer sur un moyen que le juge se propose de relever d'office nonobstant une éventuelle clôture (5). Elles imposent au juge de ne pas fonder sa décision sur un moyen, une pièce, qui n'auraient pas été contradictoirement discutés, sauf à rouvrir préalablement l'instruction. Si aux termes de l'article R. 611-1, alinéa 3, du même code (N° Lexbase : L3096ALA), rien n'oblige le juge à communiquer aux parties les mémoires ou les pièces s'il estime qu'ils n'apportent rien de nouveau (6), il y a là des dispositions qui sont en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. On évoquera simplement un arrêt du 18 octobre 2007 (7), dans lequel la Cour a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) au motif que le respect du droit à un procès équitable, pris sous l'angle du respect du contradictoire, exigeait que le requérant, partie défenderesse au pourvoi, eût la possibilité de soumettre ses commentaires au mémoire en réplique du ministre ou, pour le moins, qu'il en soit informé pour décider, le cas échéant, d'y répondre. Or, précisément, le mémoire ne lui avait pas été transmis. Pour le droit européen, toute production devrait être communiquée et c'est aux parties de juger de l'opportunité d'y répondre ; en d'autres termes, le dernier membre de phrase du troisième alinéa de l'article R. 611-1 ("les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux") devrait être purement et simplement supprimé.

En définitive, si l'arrêt d'espèce s'inscrit bien dans l'entreprise mise en avant depuis quelques années par le Conseil d'Etat pour bâtir un véritable "statut jurisprudentiel des écritures tardives" expliquant la portée qu'il entend réserver au principe du contradictoire, il n'en confirme pas moins que les effets de la clôture de l'instruction, tels qu'ils sont littéralement énoncés dans le Code de justice administrative, n'ont plus grand-chose à voir avec la manière dont le Conseil d'Etat les conçoit.

  • Une obligation dont l'existence soulève une question de droit présentant une difficulté sérieuse ne peut être regardée comme une obligation dont l'existence n'est pas sérieusement contestable (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 360840, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8175ITX)

Le droit administratif est devenu aujourd'hui un droit plus textuel que jurisprudentiel, ce qui confère une place croissante à la fonction d'interprétation du juge. L'accroissement du contentieux conduit ainsi à privilégier, dans l'activité des cours suprêmes, la fonction consistant à "dire le droit" sur celle consistant à régler les litiges. Cet accroissement même conduit à la recherche de l'efficacité des systèmes juridictionnels. Cette efficacité implique une répartition fonctionnelle du travail, de chercher une synergie entre toutes les juridictions d'un même ordre en mettant l'accent sur l'unité de celui-ci et sur la collaboration étroite de ses composantes. La procédure de demande d'avis de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative répond parfaitement à ces trois préoccupations.

On retrouve, ainsi, à l'intérieur de l'ordre administratif, une procédure de renvoi des juridictions inférieures de droit commun au Conseil d'Etat, pour une demande d'avis que le Code de justice administrative désigne comme "l'avis sur une question de droit" et que la pratique allait également désigner sous l'appellation d'avis contentieux. Bien que cela ne figure pas dans le texte de l'article L. 113-1, ce sont les formations contentieuses du Conseil d'Etat qui sont chargées de délivrer l'avis sollicité (8). La procédure permet au Conseil de fixer rapidement la jurisprudence sur des questions de droit nouvelles. Son institution, en 1987, fut justifiée, pour l'essentiel, par le double souci de prévenir l'encombrement du Conseil d'Etat en tant que juge de cassation et corrélativement la lenteur de la justice, d'une part, et de renforcer le Conseil d'Etat dans son rôle régulateur de la jurisprudence qui est celui de toute juridiction suprême dans un ordre de juridictions, d'autre part. Depuis les deux premiers avis rendus en 1989 (9), le Conseil d'Etat a été constamment saisi pour avis à ce titre. La procédure s'est d'autant mieux acclimatée que celui-ci a apprécié sans rigorisme particulier si les conditions juridiques de sa saisine étaient réunies.

La plupart des commissaires du Gouvernement et, dorénavant, des rapporteurs publics, examinent systématiquement si les conditions juridiques de la mise en oeuvre de la procédure de demande d'avis sont réunies, mais cela leur paraît être le cas de manière générale et ils peuvent être très succincts, d'autant qu'ils rappellent volontiers au Conseil d'Etat qu'il apprécie libéralement la réunion des conditions de sa saisine. Il y a quatre conditions qui figurent dans le texte de loi : la demande d'avis ne peut être présentée qu'avant de statuer sur une requête ; elle doit poser une question de droit nouvelle ; elle doit présenter une difficulté sérieuse ; elle doit, enfin, se poser dans de nombreux litiges. Aucune de ces quatre conditions posées par la loi n'a fait l'objet d'une interprétation restrictive de la part du Conseil d'Etat.

Il y a, ainsi, peu d'exemples d'irrecevabilité opposée par le Conseil d'Etat à une demande d'avis. On peut, néanmoins, citer l'exemple du tribunal administratif de Saint Denis de la Réunion qui a posé au Conseil d'Etat la question de savoir si la majoration de traitement et le complément temporaire entraient dans l'assiette servant de base au calcul de l'indemnité exceptionnelle de 30 % du traitement indiciaire allouée aux fonctionnaires placés en cessation progressive d'activité. Il résultait de l'instruction que cette question avait fait l'objet de plusieurs arrêts rendus dans le même sens sur appel de jugements du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion par la cour administrative d'appel de Paris et que certains de ces arrêts avaient, d'ailleurs, été déférés au Conseil d'Etat par la voie du recours en cassation. Eu égard aux instances qui étaient en cours, et aux décisions déjà intervenues, la demande d'avis présentée par le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion ne pouvait être regardée comme répondant à l'objet assigné par le législateur (10).

Si les exemples d'irrecevabilité sont rares, il faut encore, néanmoins, relever aussi le cas de l'arrêt d'espèce. Celui-ci s'avère intéressant de par le fait qu'il apporte une approche peut-être moins classique et moins libérale de la procédure de l'avis contentieux. Le Conseil d'Etat y rejette une demande d'avis que lui avait transmis le juge du référé provision de la cour administrative d'appel de Douai. La demande d'avis de la cour portait sur l'interprétation de l'article 5 du décret n° 2002-232 du 21 février 2002, relatif à la mise en oeuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics de travaux (N° Lexbase : L1381AXG) (11). Aucune réponse n'a été apportée par le Conseil d'Etat qui a rejeté la demande d'avis. Pour ce dernier, le juge du référé provision ne peut accorder une somme d'argent "que lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable" (CJA, art. R. 541-1 N° Lexbase : L2548AQG). Or, précisément, la procédure d'avis contentieux a été créée pour permettre de régler une question de droit nouvelle "présentant une difficulté sérieuse".

Certains avis semblent frappés au coin de l'évidence, mais peut-être celle-ci n'apparaît-elle qu'après coup. On peut trouver d'autres avis de même inspiration et lire, par exemple, que la solution "résulte des dispositions précitées" applicables sans aucun doute par le tribunal (12), ou encore qu'elle "résulte des termes mêmes de la disposition" sur laquelle le tribunal ou la cour s'interroge (13). Il arrive que, pour être nouvelle, la question ne soit pas véritablement d'une difficulté telle qu'elle dût retenir les tribunaux ou les cours de prendre parti eux-mêmes. On note quelquefois une certaine timidité dans la prise de risque ou de responsabilités des juges de droit commun quant à l'exercice de leur pouvoir d'interprétation et d'appréciation des règles de droit. Le Conseil d'Etat vient rappeler, non sans une certaine ironie, qu'il faut peut-être faire preuve parfois de plus d'audace, de courage ou de fermeté en ne répondant pas, pour une fois, à la question posée devant lui.

  • Des frais irrépétibles ne peuvent être justifiés par un surcroît de travail des services du ministère (CE 2° et 7° s-s-r., 3 octobre 2012, n° 357248, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8169ITQ)

Les frais de justice sont une préoccupation récurrente à laquelle les justiciables font face lorsqu'ils sont demandeurs ou défendeurs à l'instance, prévenus ou parties civiles. Chaque code qui s'applique à chaque procédure quelle qu'en soit la nature, contient nécessairement une disposition s'appliquant aux frais de justice. Mais au fond, le texte est sans importance car la règle est identique en matière civile, pénale et administrative. De manière générale, les honoraires d'avocats qui ont été rendus nécessaires pour une action en justice ne sont pas compris dans les dépens (14). Dans une procédure devant la juridiction administrative, les dépens ne comprennent que "les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat" (15). Devant la juridiction judiciaire, les dépens sont entendus plus largement, mais ne comprennent, toutefois, pas plus les frais d'avocats (16). Malgré cela, la partie perdante (en principe) peut, toutefois, être condamnée, à condition que son adversaire en ait fait la demande, à une somme correspondant forfaitairement aux "frais exposés et non compris dans les dépens". Ce mécanisme existe de façon identique devant la juridiction administrative (CJA, art. L. 761-1 N° Lexbase : L3227AL4) et devant la juridiction judiciaire (C. pr. civ., art. 700 N° Lexbase : L6906H7W).

C'est l'expression "frais irrépétibles" qui est employée le plus couramment parmi les professionnels du droit, en doctrine comme dans la jurisprudence. Le caractère "irrépétible" des frais d'avocats se manifeste dans le fait qu'il soit impossible d'en obtenir autrement le paiement par son adversaire. Ainsi, la Cour de cassation considère, désormais, que "les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile" (17). Dans chaque cas, les frais irrépétibles peuvent être laissés à la charge de la partie perdante si le juge estime que l'équité ou la situation économique de la personne condamnée le commande. Il appartient donc à la juridiction d'apprécier souverainement l'allocation d'une indemnité à ce titre et d'en fixer le montant dans l'ordonnance ou le jugement à intervenir. La perspective ouverte à une partie d'être, si elle obtient gain de cause devant le juge, indemnisée des frais qu'elle a engagés pour les besoins du procès, a toujours été perçue comme facilitant l'accès au juge. Mais si le droit d'obtenir la prise en considération de ces frais est un principe très largement ouvert, il n'est pas un droit à remboursement de dépenses justifiées.

Pour les personnes publiques, la représentation par un avocat suffit à ce que soit reconnue l'existence de tels frais exposés non compris dans les dépens dans les mêmes conditions que pour les personnes privées (18). Mais le juge administratif a exprimé une réticence certaine à condamner une partie à verser une somme au titre des frais non compris dans les dépens à l'Etat ou à une collectivité territoriale qui n'avaient pas eu recours à un mandataire pour les représenter en justice. Dans l'arrêt d'espèce en date du 3 octobre 2012, le Conseil d'Etat considère, en ce sens, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative que, si une personne publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat peut néanmoins demander au juge l'application de cet article au titre des frais spécifiques exposés par elle à l'occasion de l'instance, elle ne saurait se borner à faire état d'un surcroît de travail de ses services. Par suite, en rejetant les conclusions du ministre de la Défense, qui énonçait que ce type de recours représentait une charge réelle pour ses services en termes de temps de travail des agents qui s'y consacrent et, par voie de conséquence, pour les finances publiques, sans faire état précisément des frais que l'Etat aurait exposés pour défendre à l'instance, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, qui n'a pas entaché son ordonnance d'inexactitude matérielle, n'a pas commis d'erreur de droit.

L'arrêt ne contient pas en lui-même d'éléments très nouveaux mais il rappelle opportunément que les sommes allouées au titre de l'article L. 761-1 ne peuvent l'être qu'au vu de la justification de dépenses véritablement engagées pour la conduite du procès. D'où la nécessité pour l'Etat, ou d'autres personnes publiques, de fournir à la juridiction administrative les pièces attestant de la réalité des frais dont il est demandé le remboursement sur le fondement de l'article L. 761-1. L'Etat est mal fondé à solliciter l'allocation d'une indemnité au titre des frais irrépétibles, faute de se prévaloir de frais exposés. Les parties doivent donc produire le maximum de justificatifs (frais de déplacement, de reprographie, postaux...). Une telle initiative ne garantira pas le remboursement intégral des frais et honoraires réglés, mais incitera la plupart du temps le juge administratif à se montrer plus généreux dans l'évaluation de l'indemnité.

La solution avait déjà été mise en avant dans des jurisprudences précédentes. Ainsi a-t-il été jugé que l'Etat ne peut obtenir de frais irrépétibles en se bornant à faire état d'un surcroît de travail pour ses services sans se prévaloir de frais exposés (19). Une même solution a été appliquée aux demandes de condamnation ainsi formulées par une commune (20). En conséquence, le juge d'appel annulera un jugement accordant à l'Etat ou à une commune une somme au titre de frais non compris dans les dépens alors que les pièces du dossier ne font pas apparaître que l'Etat ou cette commune ait engagé des frais (21). Le Conseil d'Etat a mis fin aux interrogations que l'on pouvait avoir sur la notion de frais engagés autres que le surcroît de travail des services en affirmant qu'une collectivité publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat ne saurait présenter une demande au titre des frais non compris dans les dépens (22).

Toutefois, sans remettre en cause expressément cette décision, le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions de l'article L. 761-1 ne font pas obstacle à ce que soit mise à la charge de la partie perdante une somme demandée par une personne morale, notamment par l'Etat, au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens, alors même que cette personne morale n'a pas été représentée par un avocat. Et que, par suite, en faisant droit aux conclusions présentées en défense par le directeur des services fiscaux tendant à l'application de ces dispositions, alors même que pour justifier cette demande, l'administration, qui n'avait pas été représentée par un avocat, faisait état des coûts supportés par ses services, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit (23). L'arrêt d'espèce vient donc confirmer la jurisprudence classique et initiale en revenant quelque peu sur la jurisprudence de 2007 et en rappelant que les sommes allouées au titre de l'article L. 761-1 ne peuvent l'être qu'au vu de la justification de dépenses véritablement engagées pour la conduite du procès.


(1) A l'égard des magistrats, elle permet au rapporteur de prévoir avec quelques sûretés le programme d'enrôlement de ses affaires et de préparer sereinement un projet sur un litige dont le périmètre est figé, en principe définitivement, c'est-à-dire en fonction d'un dossier effectivement en état d'être jugé. Il y va, également, du respect du travail du rapporteur public.
(2) CE 1° et 6° s-s-r., 7 décembre 2011, n° 330751, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1748H4I).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 316694, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1105EK7).
(4) R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 2006, p. 818.
(5) CE 3° s-s., 11 avril 2012, n° 347510, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6162II3).
(6) Pour une application récente, CE 3° et 8° s-s-r., 1er février 2012, n° 338665, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6848IBA).
(7) CEDH, 18 octobre 2007, Req. 12316/04 (N° Lexbase : A7585DYL).
(8) CJA, art. R. 113-1 (N° Lexbase : L2627ALU) à R. 113-3.
(9) CE Ass., 7 juillet 1989, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 106284 (N° Lexbase : A0656AQD) et n° 106902 (N° Lexbase : A1686AQI).
(10) CE Sect., 6 octobre 1995, n° 169666, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6371ANB), Rec. CE, p. 350, AJDA, 1995, p. 882, chron. J.-H. Stahl et D. Chauvaux, RFDA, 1996, p. 353, concl. M. Denis-Linton.
(11) Décret n° 2002-232 du 21 février 2002, relatif à la mise en oeuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics (N° Lexbase : L1381AXG), JO, 22 février 2002, p. 3409.
(12) CE Ass, 6 avril 1990, n° 112497, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5558AQW).
(13) CE Sect., 7 juin 1991, n° 123572, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9974AQH).
(14) Somme correspondant aux frais de procédure à laquelle la partie perdante à l'instance est, en principe, automatiquement condamnée.
(15) CJA, art. R. 761-1 (N° Lexbase : L1544IRM).
(16) Qui ne figurent pas dans l'énumération limitative de l'article 695 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L9796IRA).
(17) Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 03-15.155, F-P+B (N° Lexbase : A0537DDA).
(18) CE 9° et 8° s-s-r., 7 avril 1993, n° 132963, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9138AME), Rec. CE, p. 104.
(19) CE 9° et 8° s-s-r., 22 juillet 1994, n° 145606, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2279AS9), CE 8° s-s., 12 décembre 1994, n° 138607, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4251ASA).
(20) CE 9° et 8° s-s-r., 17 juin 1996, n° 167669, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9886ANH).
(21) CAA Nantes, 2ème ch., 30 décembre 1998, n° 98NT00054, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6920BHR).
(22) CE 1° et 4° s-s-r., 3 novembre 1999, n° 187747, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5300AXL), Rec. CE, p. 963.
(23) CE 3° et 8° s-s-r., 30 novembre 2007, n° 304825, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9699DZA).

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