La lettre juridique n°506 du 22 novembre 2012 : Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Novembre 2012

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

le 28 Août 2014

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de fiscalité des entreprises. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur deux décisions du Conseil d'Etat et sur un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union europenne (CJUE). Dans le premier arrêt, rendu par le Conseil d'Etat, il est question du régime applicable aux cessions de titres de sociétés pour les dirigeants de PME partant à la retraite (CE 8° et 3° s-s-r., 11 octobre 2012, n° 343844, mentionné aux tables du recueil Lebon). Dans la deuxième décision, la Haute juridiction administrative statue sur un contentieux entre l'administration fiscale et une entreprise, quant à l'existence d'une provision la contrepartie partielle d'une cession de fonds de commerce, consistant à verser des allocations de retraite aux salariés repris dans le cadre de cette opération (CE 10° et 9° s-s-r., 22 octobre 2012, n° 323687, inédit au recueil Lebon). Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, la CJUE précise, au regard de la Directive "fusions", la notion de "liquidation" (CJUE, 18 octobre 2012, aff. C-371/11).
  • Dirigeants de PME partant à la retraite et titres sociaux : les conditions d'application de l'abattement pour détention peuvent être appréciées au regard des comptes consolidés (CE 8° et 3° s-s-r., 11 octobre 2012, n° 343844, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2688IU4)

Afin de favoriser le renouvellement des générations des dirigeants d'entreprise, la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de finances rectificative pour 2005 art. 29, I à VI N° Lexbase : L6430HEU ; CGI art. 150 0-D bis N° Lexbase : L4706ICB ; CGI art. 150 0-D ter N° Lexbase : L4706ICB ; instruction du 22 janvier 2007, BOI 5 C-1-07 N° Lexbase : X8024ADK, devenu BoFip N° Lexbase : X8052ALS) prévoyait un abattement d'un tiers de la plus-value lors de la cession des titres sociaux après une durée de détention supérieure à cinq ans ; ce qui induisait une exonération d'impôt sur le revenu (1) au bout de huit ans. Ce régime général (CGI art. 150 0-D bis N° Lexbase : L4706ICB) devait entrer en vigueur -au plus tôt- à compter de 2012, soit six ans après son adoption, avec un plein effet pour 2014. Seuls les dirigeants des petites et moyennes entreprises faisant valoir leurs droits à la retraite ont pu en bénéficier dès 2006, à certaines conditions toutefois, notamment quant à l'exercice d'une fonction de direction, au sens des dispositions de l'article 885 O bis du CGI (N° Lexbase : L1126ITU), de manière continue pendant les cinq années précédant la cession de l'intégralité des titres de la société concernée.

S'agissant des contribuables cédant leurs titres sans pour autant partir à la retraite, un nouveau texte -plus "budgétairement correct"- a été adopté, consistant en un report sous condition de remploi notamment : il comporte de nombreuses injonctions rendant le mécanisme illisible pour le contribuable (2) (loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 N° Lexbase : L4993IRD). Cette nouvelle mouture devrait être modifiée -à nouveau- par le projet de loi de finances pour 2013 qui ne devrait pas, par ailleurs, épargner les associés et actionnaires des entreprises françaises en matière de plus-values à la suite de cession de titres sociaux après une tentative de l'administration fiscale en ce sens (3).

Au cas particulier, le requérant a demandé l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe 169 de l'instruction précitée ainsi libellé : "conformément aux dispositions du II de l'article 74-0 P de l'Annexe II (N° Lexbase : L1970HWU), les seuils d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total du bilan que doit remplir la société concernée pour que le cédant bénéficie des dispositions de l'article 150-0 D ter [...] sont déterminés sur la base des comptes de la société dont les titres ou droits sont cédés. Si cette société établit des comptes consolidés, les conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total de bilan sont déterminées sur la base de ces comptes consolidés". On notera en premier lieu que les recours pour excès de pouvoir ont un rôle limité dans le cadre des contentieux fiscaux en application de la théorie de l'exception parallèle (CE, 27 février 1950, n° 95586 : RO p. 16 ; CE, 13 juin 1952, n° 13174 : RO p. 65 ; CE, 22 mars 1957, n° 34403 : RO p. 316) : ils sont en revanche utilisés lorsqu'un contribuable décide d'attaquer une doctrine administrative lui paraissant contraire à ses intérêts, car il s'agit alors d'un acte détachable de la procédure d'imposition (J. Martinez-Mehlinger, Le recours pour excès de pouvoir en matière fiscale, L'Harmattan, coll. : Logiques juridiques, 2003). Les thèses soulevées par le contribuable n'ont pas abouti devant le juge de l'excès de pouvoir : le Conseil d'Etat estime que la portée de la loi peut être éclairée par les travaux préparatoires de l'article 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 précitée, contrairement aux écrits du contribuable. Il est vrai que la loi fiscale, souvent absconse, ne révèle ses richesses qu'au travers des débats parlementaires (v. par exemple les conclusions des rapporteurs publics s'agissant de la répression d'un abus de droit : CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 295805, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1240EK7, concl. E. Glaser, BDCF, décembre 2009, n° 143 ; CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305586, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8913EKC, concl. L. Olléon, BDCF, décembre 2009, n° 142 ; CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305596, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8914EKD).

Il s'infère également des textes que le législateur a entendu réserver le bénéfice de cette fiscalité dérogatoire aux petites et moyennes entreprises au sens du droit communautaire, et plus particulièrement quant à l'application d'un Règlement relatif aux aides d'Etat (Règlement (CE) n° 70/2001 de la Commission du 12 janvier 2001, pris en application des articles. 87 et 88 du Traité CE, relatifs aux aides d'Etat en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L1557DPD). Cette définition d'aides d'Etat, issue d'un droit supranational, a son importance lorsque l'on se souvient du sort réservé aux dispositions relatives à la fiscalité applicable en matière de reprise d'entreprises en difficulté (pour une version dans sa rédaction antérieure à la décision de la Commission européenne du 16 décembre 2003 : CGI, art. 151 septies N° Lexbase : L2448HLA) qui méconnaissaient le droit communautaire (communication de la Commission européenne, 2004/343/CE du 16 décembre 2003), entraînant la réécriture des dispositions de l'article 151 septies du CGI et la demande, par la Commission européenne, de la récupération des aides d'Etat auprès des entreprises en ayant bénéficié. In fine, la France a préféré essuyer une condamnation... (CJUE, 13 novembre 2008, aff. C-214/07 N° Lexbase : A2172EB3, RJF février 2009 n° 182). Cependant, au cas présent, le régime d'abattement pour durée de détention ne peut être considéré comme une aide d'Etat au sens du droit communautaire (Traité de l'Union européenne, art. 107 N° Lexbase : L2404IPQ), car il ne concerne que des particuliers. La discussion portait également sur un ajout illégal à la loi par le Règlement qui n'a pu prospérer, dès lors que les dispositions réglementaires attaquées (CGI Ann. II, art. 74-0 Q N° Lexbase : L1971HWW (4)) n'ont fait que reprendre les conditions issues du droit communautaire. On rapprochera le moyen de l'ajout illégal à la loi par le Règlement opposé par certains contribuables dans un contentieux de masse relatif à un crédit d'impôt sur le revenu au titre de dépenses afférentes à l'habitation principale (CE 10° et 9° s-s-r., 18 juin 2010, n° 317048, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9807EZA ; CAA Versailles, 3ème ch., 30 décembre 2010, n° 09VE01394, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3105GUK ; CGI, art. 200 quater N° Lexbase : L1158IT3 ; CGI Ann IV, art. 18 bis N° Lexbase : L6424IRD).

Enfin, le contribuable invoquait la violation des stipulations de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4747AQU) relatif à la discrimination et du premier Protocole additionnel portant sur le respect des biens (N° Lexbase : L1625AZ9) : selon le requérant, l'instruction porte en germe une discrimination tenant, d'une part, au choix opéré entre la détention de participations soit directement dans chacune des sociétés où les contribuables exercent leur activité professionnelle, de sorte qu'ils ne sont pas soumis à l'obligation d'établir des comptes consolidés, soit par l'intermédiaire d'une société holding ; d'autre part, la discrimination est également encourue selon la forme, civile ou commerciale, de la société holding, dès lors que seules les sociétés commerciales ont l'obligation de présenter des comptes consolidés (C. com., art. L. 233-16 N° Lexbase : L6319AIU) et qu'une société civile, qui aurait pour objet exclusif la gestion des participations de ce dirigeant, n'y serait pas contrainte. Ces moyens seront rejetés, dès lors que les dispositions attaquées ne traitent pas différemment les sociétés dont les titres sont cédés en fonction de la seule publication de comptes consolidés. Si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales occupe une place particulière en droit fiscal, c'est notamment parce qu'elle a entraîné quelques succès pour les contribuables (v. par exemple, en matière de visite domiciliaire : CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 N° Lexbase : A9979D4D ; art. 8 relatif au respect de la vie privée et du domicile : CEDH, 25 février 1993, Req. 82/1991/334/407 N° Lexbase : A6542AW9 ; CEDH, 26 septembre 1996, Req. 47/1995/553/639 N° Lexbase : A3186AUK ; CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L ; premier Protocole additionnel quant au respect des biens : CEDH, 3 juillet 2003, Req. 38746/97 N° Lexbase : A0425C9M ; art. 14 relatif à la discrimination : CE 9° et 10° s-s-r., 10 août 2005, n° 259741, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3775DKZ), mais également beaucoup d'espoirs régulièrement déçus, dont la présente décision est l'illustration.

  • Interdiction de provisionner la contrepartie partielle d'une cession de fonds de commerce consistant à verser des allocations de retraite aux salariés repris dans le cadre de cette opération (CE 10° et 9° s-s-r., 22 octobre 2012, n° 323687, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7593IUR)

En droit fiscal, les provisions, réglementées ou non, "constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements rendent probables" (CGI, art. 39, 5° N° Lexbase : L3894IAH), peuvent être déduites du résultat imposable à certaines conditions. Les conditions de précision et de probabilité dans leur réalisation et dans leur montant sont régulièrement rappelées par la jurisprudence (CE 8° et 9° s-s-r., 13 mars 1996, n° 129631, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8058ANR), ainsi que celle relative aux événements survenus pendant l'exercice et en cours à sa clôture (CAA Lyon, 4ème ch., 27 septembre 1995, n° 93LY01690, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3391BGP). Un seul élément est certain dans le cadre d'une provision : son objet. Son exercice, qui peut être partiel car c'est une faculté pour l'entreprise (CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2004, n° 236706, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3351DET ; CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2004, n° 236707, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3352DEU) doit également répondre à des conditions de forme ; les provisions doivent être effectivement constatées dans les écritures comptables de l'entreprise avant l'expiration du délai de déclaration des résultats de l'exercice (CE Section, 4 mars 1983, n° 33788, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1946AMZ) et être portées sur le relevé spécial des provisions, ce qui ne signifie pas que la cause de la provision doit y être précisée (CE 7/8/9 s-s-r., 29 avril 1969, n° 74863, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9704B8W). Au cas particulier, à l'issue d'une vérification de comptabilité d'une société filiale d'un groupe intégré, l'administration fiscale a notifié à la société mère un redressement, au titre de l'exercice 1999, portant sur des provisions relatives, notamment, à des engagements de retraite. La cour administrative d'appel de Douai, par un arrêt du 28 octobre 2008 (CAA Douai, 2ème ch., 28 octobre 2008, n° 08DA00008, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5033EBZ), n'a pas fait droit à la requête de la contribuable : les faits de l'espèce rapportent que, après acquisition d'un fonds de commerce de dispositifs mécaniques et électroniques, la filiale ayant repris le personnel de la société dont le fonds lui avait été cédé s'était engagée à acquitter ses engagements de retraite, d'un montant de 2 933 000 francs (environ 447 132,97 euros). Le prix de cession des éléments corporels et incorporels du fonds de commerce, évalué à la somme de 4 686 922 francs (environ 714 516,65 euros), a été réglé par la comptabilisation, au passif de la société cessionnaire, du montant de 2 933 000 francs (environ 447 132,97 euros) dans un compte de provision et, pour le solde, par versement d'une somme de 1 753 922 francs (environ 267 383,69 euros). Or, les dispositions de l'article 39-5° du CGI (N° Lexbase : L3894IAH) précisent que : "les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. Toutefois, ne sont pas déductibles les provisions que constitue une entreprise en vue de faire face au versement d'allocations en raison du départ à la retraite ou préretraite des membres ou anciens membres de son personnel, ou de ses mandataires sociaux". Par conséquent pour les juges du fond, et de façon tout à fait surprenante, la provision n'aurait pas dû faire l'objet d'une comptabilisation (5). De plus, l'administration n'ayant pas remis en cause la valeur du fonds de commerce, la contribuable n'a pas été privée de la garantie de pouvoir saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dès lors qu'il n'y a pas eu substitution de base légale.

Cet arrêt, frappé d'un pourvoi en cassation, sera censuré par le Conseil d'Etat, dès lors que les juges du fond n'ont pas opéré de distinction entre les règles issues du droit comptable autorisant la constitution d'une provision pour engagement de retraite, se traduisant par conséquent par une diminution du résultat comptable (C. com., art. L. 123-13 N° Lexbase : L5571AI8 (6)) et l'impossibilité, en droit fiscal, de déduire une telle provision du résultat imposable (CGI, art. 39-5° précité). Il existe bien un lien entre le droit comptable et le droit fiscal, sur la base des dispositions du CGI, énonçant que : "les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt", (CGI Ann. III, art. 38 quater N° Lexbase : L6524HL9). L'administration fiscale, dans sa doctrine, en tire les conclusions notamment au regard des obligations fiscales et comptables des contribuables dans le cadre du régime du réel normal d'imposition (N° Lexbase : X8224AL8) (7). Mais l'intensité du lien de connexité entre le droit comptable et le droit fiscal peut être mise à mal si le législateur en décide autrement. Réglant l'affaire au fond (CJA, art. L. 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil d'Etat, confirmant l'absence de privation de garantie liée à l'absence de saisine de la commission, rejette les prétentions de la société requérante dès lors que : "la société [cessionnaire] ne pouvait ni se prévaloir de ce qu'elle n'a pas provisionné en dotation la somme litigieuse sur le compte de charges, ni soutenir que la méthode de détermination du résultat fiscal par variation de l'actif net aurait abouti à un résultat différent au regard du 5° du 1 de l'article 39, dès lors que la société a déduit la somme litigieuse de son bénéfice imposable".

  • Directive "fusions" : la dissolution d'une société dans le cadre d'une fusion par absorption ne constitue pas une liquidation (CJUE, 18 octobre 2012, aff. C-371/11 N° Lexbase : A4819IUZ)

Plusieurs instruments juridiques sont entrés en vigueur depuis 1990, afin de fixer les principes applicables aux fusions de sociétés d'Etats membres de l'Union européenne, l'objectif étant alors d'assurer les sociétés faisant l'objet d'opérations de restructuration et appartenant à des Etats membres différents (8) d'une neutralité au regard de l'impôt (Directive 90/434 du Conseil du 23 juillet 1990, dite "fusions" N° Lexbase : L7670AUM ; Directive (CE) 2005/19 du Conseil du 17 février 2005, modifiant la Directive 90/434/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents N° Lexbase : L0828G88 ; Directive (CE) 90/435 du Conseil du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, dite "sociétés mères/filiales" N° Lexbase : L7669AUL ; Directive (CE) 2009/133 du Conseil du 19 octobre 2009, concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents N° Lexbase : L9353IE7). L'objectif du droit communautaire est de permettre que : "la fusion, la scission ou la scission partielle n'entraîne aucune imposition des plus-values qui sont déterminées par la différence entre la valeur réelle des éléments d'actif et de passif transférés et leur valeur fiscale" (Directive 2009/133 précitée, art. 4). Bien entendu, une clause anti-abus a été insérée afin de prévenir toute tentative de fraude ou d'évasion fiscale, la jurisprudence ayant eu à préciser, s'agissant de la Directive du 23 juillet 1990 (9), qu'une telle clause était d'interprétation stricte et qu'elle ne s'appliquait pas aux droits de mutation non visés par la Directive (CJUE, 20 mai 2010, aff. C-352/08 N° Lexbase : A4820EXS) ; ou encore qu'une économie liée à un transfert de déficits fiscaux ne pouvait être considéré comme un motif économique valable justifiant l'application de la Directive (CJUE, 10 novembre 2011, aff. C-126/10 N° Lexbase : A9107HZC : RJF, 2/12, n° 201).

Au cas particulier, les attendus de l'arrêt rendu sur saisine d'une juridiction belge nous apprennent qu'en 2001, les sociétés en cause, dont le siège social se trouvait en Belgique, ont réalisé "une fusion silencieuse". Une des sociétés était auparavant actionnaire à 100 % des deux autres sociétés. Il s'agissait d'une fusion par absorption dans laquelle les sociétés filles ont été dissoutes sans être liquidées et ont cédé l'intégralité de leur patrimoine à leur mère. La société absorbante a réalisé une plus-value de fusion de 10 669 985,69 euros. Sur cette plus-value de fusion, 95 % de ce montant, soit 10 136 486,41 euros, étaient en principe susceptibles d'être déduits du bénéfice imposable en tant que "revenus définitivement taxés". Mais la base imposable de l'absorbante pour l'exercice d'imposition 2002 ne s'élevant qu'à 8 206 489,70 euros, la différence n'a pu être portée en déduction pour cet exercice. Puis, en 2007, l'absorbante a introduit une demande de dégrèvement d'office pour double imposition : en effet, il était soutenu que la limitation de la déduction des "revenus définitivement taxés" au montant de la base imposable positive de l'année dans laquelle la plus-value de fusion a été réalisée, c'est-à-dire en 2002, était contraire aux dispositions de la Directive 90/435 (art. 4, § 1). La question préjudicielle devant être tranchée par la Cour de justice de l'Union européenne porte sur l'interprétation de la notion de liquidation, telle que mentionnée à l'article 4 § 1 de la Directive 90/435, et plus particulièrement sur la question de savoir si la dissolution d'une société dans le cadre d'une fusion par absorption doit être considérée comme une liquidation ; ce que la Cour ne va pas admettre in fine.

En effet, la définition de la fusion, au sens du droit communautaire, est donnée dans la Directive 90/434, aux termes de laquelle il s'agit d'une : "opération par laquelle une société transfère, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l'ensemble de son patrimoine, activement et passivement, à la société qui détient la totalité des titres représentatifs de son capital social". Même si cette définition apparaît dans la Directive 90/434 -et non dans la Directive 90/435 relative au régime des sociétés mères et filiales d'Etats membres différents- la Cour de justice de l'Union européenne prend en considération cette définition pour interpréter la notion de liquidation employée dans la Directive 90/435. En effet, outre notamment que ces deux Directives ont été arrêtées le même jour par le Conseil de l'Union européenne, d'une part, elles avaient vocation à être transposées en même temps par les Etats membres, d'autre part, ces deux Directives avaient pour objectif commun de permettre les opérations de restructuration en écartant les distorsions découlant des différentes dispositions fiscales en vigueur entre les Etats membres.


(1) Les prélèvements sociaux restent dus : l'assiette est alors constituée de la plus-value avant abattement.
(2) "Le report, sur demande du contribuable, est subordonné aux conditions suivantes : déclaration du montant de la plus-value ; les titres ou droits cédés doivent avoir été détenus de manière continue depuis plus de huit ans ; les titres ou droits détenus par le cédant, directement ou par personne interposée ou par l'intermédiaire du conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs, doivent avoir représenté, de manière continue pendant les huit années précédant la cession, au moins 10 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés ; la société dont les actions, parts ou droits sont cédés : 1° est passible de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent ou soumise sur option à cet impôt ; 2° exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier, ou a pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées. Cette condition s'apprécie de manière continue pendant les huit années précédant la cession ; 3° a son siège social dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale ; le produit de la cession des titres ou droits doit être investi, dans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société ; la société bénéficiaire de l'apport doit exercer l'une des activités prévues pur l'application du report ; les titres représentatifs de l'apport en numéraire doivent être entièrement libérés au moment de la souscription ou de l'augmentation de capital ou, au plus tard, à l'issue du délai de trente-six mois et représenter au moins 5 % des droits de vote et des droits dans les bénéfices sociaux de la société ; les titres représentatifs de l'apport en numéraire doivent être détenus directement et en pleine propriété par le contribuable pendant au moins cinq ans. Lorsque les titres font l'objet d'une transmission, d'un rachat ou d'une annulation ou, si cet événement est antérieur, lorsque le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France dans les conditions prévues à l'article 167 bis, le report d'imposition est remis en cause ; la société bénéficiaire de l'apport ne doit pas avoir procédé à un remboursement d'apport au bénéfice du cédant, de son conjoint, de leurs ascendants et descendants ou de leurs frères et soeurs au cours des douze mois précédant le remploi du produit de la cession".
(3) La presse économique rapporte une surprenante confidence : "Jean-Marc Ayrault [Premier ministre] et son Gouvernement, dans l'affaire dite des pigeons, auraient-ils été victimes de la rouerie des services de Bercy ? Un ancien ministre se rappelle qu'à plusieurs reprises, ces dernières années, l'administration fiscale a essayé de faire passer une lourde taxe sur les plus-values de cession d'entreprise. A chaque fois, précise-t-il, il se trouvait un directeur de cabinet pour arrêter la manoeuvre. Cette fois, la vigilance a fait défaut...'", C. Barbier, Le blog-notes, L'Expansion n° 779, novembre 2012, p. 12.
(4) "Les conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total de bilan mentionnées aux a et b du 3° du I de l'article 150-0 D ter du CGI (N° Lexbase : L5277IRU) sont déterminées sur la base des comptes de la société dont les titres ou droits sont cédés. Si cette société établit des comptes consolidés, les conditions précitées sont déterminées sur la base de ces comptes".
(5) "dans la mesure où la constitution d'une provision pour versement d'allocations de retraite est interdite par l'effet même des dispositions légales précitées du 5° du 1 de l'article 39 du CGI, la somme de 2 933 000 francs (environ 447 132,97 euros) ne pouvait être comptabilisée au passif du bilan de la société".
(6) "Le montant des engagements de l'entreprise en matière de pension, de compléments de retraite, d'indemnités et d'allocations en raison du départ à la retraite ou avantages similaires des membres ou associés de son personnel et de ses mandataires sociaux est indiqué dans l'annexe. Par ailleurs, les entreprises peuvent décider d'inscrire au bilan, sous forme de provision, le montant correspondant à tout ou partie de ces engagements".
(7) " L'article 38 quater de l'Annexe III au CGI renvoie au Plan comptable général pour les autres définitions, mais dans la mesure seulement où elles ne sont pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt".
(8) La question de l'invocabilité de la Directive "fusions" dans le cadre purement interne, c'est-à-dire entre sociétés françaises, n'a pas fait l'objet d'une interprétation du Conseil d'Etat, bien que la cour administrative d'appel de Nantes se soit opposée à son application entre sociétés françaises (CAA Nantes, 20 novembre 2002, n° 99NT02268, inédit au recueil Lebon : RJF, 4/03, n° 437).
(9) Une telle clause est également insérée dans la Directive 2009/133 (art. 15).

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