Lecture: 16 min
N7596BYY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christian Grasset, Directeur hors-classe des services de greffe judiciaire près la cour d’appel d’Angers, Directeur délégué à l’administration régionale judiciaire
le 01 Juillet 2021
Le 26 mars 2021, s'est tenu à la faculté de droit, sciences économiques et de gestion du Mans, un colloque sur le thème « La simplification de la justice, Quel bilan depuis la loi « Belloubet » ? », sous la direction scientifique de Didier Cholet, Sandrine Drapier et Karine Lemercier, Maîtres de conférences à l'Université du Mans. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Avocats vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.
Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N7617BYR).
Les interventions de cette journée sont également à retrouver en podcasts sur Lexradio.
En créant le tribunal judiciaire le 1er janvier 2020, l’article 95 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC) a emporté non seulement la fusion des tribunaux de grande instance (TGI) et des tribunaux d’instance (TI), donc de leurs greffes, mais aussi, dès lors qu’ils sont situés dans la même ville que le tribunal judiciaire, l’intégration des greffes des conseils de prud’hommes dans l’effectif de ceux des tribunaux judiciaires.
De la fusion de ces greffes de première instance découle en conséquence, sur le papier, la création d’une communauté de travail unique. Qu’en est-il 15 mois après ? Cette communauté de travail existe-t-elle vraiment et, surtout, a-t-elle permis d’améliorer la qualité du service rendu aux justiciables ?
Pour tenter de répondre à cette question, je pense qu’il faut travailler en deux temps, ou, dit autrement, envisager deux sujets :
D’abord, il faut en effet se rappeler les objectifs recherchés par la fusion des greffes (I). Ensuite, il faut analyser, avec plus d’un an de recul, les réelles conséquences de cette fusion, ce qui revient à s’interroger sur la question de savoir si les objectifs poursuivis ont été atteints (II).
I. S’agissant des objectifs recherchés : ils sont au nombre de deux.
Le premier objectif recherché par l’administration centrale est l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de l’encadrement. Cet objectif est clairement exprimé au sein d’une fiche de présentation de la réforme « Belloubet » élaborée en 2019 par la direction des services judiciaires (DSJ).
Comment améliorer la qualité et l’efficacité de l’encadrement ? De trois manières :
Ce premier objectif, axé sur l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de l’encadrement, interpelle en ce qu’il sous-entend que depuis 1967, date de fonctionnarisation des greffes, l’encadrement exercé par les secrétaires-greffiers en chef, devenus greffiers en chef au début des années 80, puis directeurs des services de greffe judiciaires en 2015 n’est ni de grande qualité, ni très efficace.
Le second objectif recherché est l’amélioration du service public de la justice, par une organisation du travail interne dotée d’effectifs permettant de mieux s’adapter aux variations de charges de travail (cf. Note SJ-19-122-DSJ-CAB du 8 avril 2019, p. 9).
Il s’agit ici, on peut le dire et c’est tout à fait louable, de mieux répartir le travail de greffe.
Voici donc des objectifs ambitieux.
Objectifs qu’il faut atteindre en gardant à l’esprit, d’une part, que l’ensemble des sites judiciaires est maintenu et que, d’autre part, tous les personnels de greffe ont bénéficié de la garantie d’affectation dans leur ville d’exercice au 31 décembre 2019.
Je précise que la direction des services judiciaires a diffusé quelques outils pour faciliter la mise en œuvre de cette fusion. Je pense à 2 outils en particulier :
À côté de ces deux outils, la DSJ a également proposé un accompagnement individuel aux personnels d’encadrement en organisant des entretiens avec des conseillers mobilité carrière. La question que l’on peut se poser ici est la suivante : pourquoi un accompagnement individuel limité aux seuls personnels d’encadrement ?
Pour deux raisons bien simples :
Les personnels d’encadrement allaient donc être particulièrement concernés, d’où cet accompagnement.
On aborde ici les conséquences de la fusion, deuxième sujet dont je souhaite vous parler.
II. Les conséquences de la fusion
La fusion des greffes induite par la création du tribunal judiciaire a eu des conséquences à trois niveaux :
A. S'agissant des conséquences sur le plan humain, pour commencer :
À première vue, la fusion des greffes de première instance ne peut engendrer aucune conséquence sur le plan humain, puisqu’aucun agent n’est déplacé et que, bien mieux, les agents affectés dans un tribunal d’instance distant du tribunal judiciaire, ont tous été maintenus dans leur tribunal d’instance devenu tribunal de proximité.
Cette vision est par trop simpliste.
Car, comme je l’ai laissé entendre il y a un instant, certains fonctionnaires déplorent la fusion jusqu’à s’en considérer comme victimes. Je veux parler des fonctionnaires qui occupaient les fonctions de chef de greffe des tribunaux d’instance et des conseils de prud’hommes.
Ces fonctionnaires, s’ils ont choisi, avant le 1er janvier 2020, de ne pas demander leur mutation ou de ne pas être déchargés de leur emploi fonctionnel, ont perdu leur qualité de chef de greffe le 1er janvier 2020. Ils sont devenus chefs de service placés sous l’autorité du directeur de greffe du tribunal judiciaire.
Ces collègues ont ainsi vécu un véritable déclassement, même s’ils vont continuer à bénéficier pendant deux ans de la somme qui leur était servie au titre de la nouvelle bonification indiciaire liée à l’exercice des fonctions de chef de greffe, c’est-à-dire une somme de 93,72 € brut par mois équivalente à 20 points d’indice majoré pour les agents de catégorie A ou une somme de 117,15 € brut par mois équivalente à 25 points d’indices pour les greffiers fonctionnels qui étaient chefs de greffe.
Ce déclassement est extrêmement difficile à supporter, surtout par les anciens chefs de greffe des conseils de prud’hommes. Pourquoi ? Parce que ces collègues qui, conformément aux dispositions de l’article R. 1423-37 du Code du travail (N° Lexbase : L1569LSW), étaient chargés de la direction des services administratifs de la juridiction et assumaient la responsabilité de leur fonctionnement sous le contrôle du président du conseil se retrouvent, depuis le 1er janvier 2020, à devoir travailler non pas sous le contrôle, mais sous l’autorité d’un fonctionnaire qui est leur supérieur hiérarchique.
Et le fait de travailler sous l’autorité de quelqu’un n’a strictement rien à voir, vous le savez, avec le fait de travailler sous le contrôle. Quand on travaille sous le contrôle de quelqu’un, on a l’initiative de ce que l’on fait, à charge ensuite de rendre compte. Il s’agit d’une forme de tutelle administrative plutôt souple.
En revanche, travailler sous l’autorité de quelqu’un c’est mettre en œuvre les instructions que l’on reçoit, pour peu que l’on en reçoive. La tutelle administrative est ici plus lourde et relègue le fonctionnaire au rang de simple exécutant.
Dans ce contexte, on comprend bien le désarroi des anciens chefs de greffe des conseils des prud’hommes qui se retrouvent dans une nouvelle structure administrative, dans laquelle ils ont à se positionner, en acceptant de se soumettre à une hiérarchie pyramidale décisionnaire dans tous les domaines.
Les seconds à déplorer la fusion des greffes sont les directeurs de greffe des anciens TGI qui sont devenus, le 1er janvier 2020, directeurs de greffe des tribunaux judiciaires. Pourquoi ?
Parce que, sans grande compensation, notamment financière,
On le comprend aisément, cette situation engendre de nouvelles sujétions pour les directeurs de greffe des tribunaux judiciaires. Ils montent en effet en responsabilités en raison de l’augmentation des effectifs de fonctionnaires à gérer, en raison de l’augmentation du volume de l’activité juridictionnelle à prendre en charge et, aussi, en raison de l’éloignement de certains sites.
Comment cette montée en responsabilités est-elle compensée ?
Elle est compensée par l’octroi d’une indemnité complémentaire dite de responsabilité qui vient majorer le montant mensuel de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE). Le montant de cette indemnité mensuelle est forfaitaire et gradué en fonction de la taille du tribunal judiciaire. Son montant varie de 150 € brut à 350 € brut par mois.
Ainsi, dans le ressort de la cour d’appel d’Angers, les directrices du greffe des tribunaux judiciaires d’Angers et du Mans perçoivent chacune 260 € brut par mois d’indemnité en plus alors que leurs collègues directrices des TJ de LAVAL et de SAUMUR perçoivent 150 € brut.
Voici donc les conséquences de la fusion sur le plan humain : une expérience de déclassement pour les uns et, pour les autres, le sentiment d’être investis de nouvelles responsabilités mal compensées.
B. Sur le plan organisationnel, la fusion des greffes a également divers impacts. J'en vois trois principaux :
C. Conséquences sur le plan humain, conséquences sur le plan organisationnel, la création du tribunal judiciaire et la fusion des greffes subséquente a également des conséquences sur le plan de l’architecture budgétaire
En créant le TJ par fusion des TGI et TI et en fusionnant le greffe du TJ avec celui du CPH, l’article 95 de la loi « Belloubet » a une conséquence qui va ravir la Cour des comptes, puisque le nombre de centres de coûts (c’est-à-dire le nombre de services dépensiers) dépendant de la DSJ est passé de 1 154 au 31 décembre 2019 à 530 au 1er janvier 2020.
Pour prendre l’exemple du ressort de la cour d’appel d’Angers, on passe de 23 centres de coûts à seulement 6.
Agissant ainsi, on réduit le nombre de personnes impliquées dans le processus de la dépense publique, précisément dans le processus d’engagement de la dépense et, quelque part, on professionnalise les acteurs, donc on réduit les risques budgétaires et comptables, ce qui encore une fois ne peut que convenir à la Cour des comptes. Je n’insiste pas sur ce sujet.
Cela dit, vous l’avez compris, si la loi « Belloubet » de mars 2019 constitue une réforme importante de notre organisation judiciaire, elle conduit aussi par la mutualisation des moyens à une restructuration complète des organisations de travail, spécialement pour les encadrants.
Si une communauté de travail a bien été créée sur le papier, elle n’est pas encore véritablement perceptible au quotidien pour la plus grande partie des personnels de greffe. Seuls les encadrants en perçoivent véritablement les effets ; effets, à ce stade, encore générateurs de risques psychosociaux, malheureusement.
Donc, un an après la réorganisation des greffes de première instance, l’encadrement des greffes n’est pas véritablement plus efficace. Beaucoup de directeurs continuent à diriger en qualité de simple chef de service et sans autre implication les services qu’ils avaient sous leur responsabilité en 2019. Le premier objectif affiché d’amélioration de la qualité de l’encadrement n’est clairement pas atteint.
Quant au deuxième objectif poursuivi d’amélioration du service public par une meilleure répartition du travail entre les différents agents de greffe, il pourra réellement être atteint lorsqu’auront été définitivement réglées toutes les difficultés matérielles liées au traitement de l’information à distance. Pour que, concrètement, les fonctionnaires hébergés sur le site Coubertin à Angers puissent préparer les dossiers soumis au juge des libertés et de la détention en matière d’hospitalisation sans consentement, encore faut-il que le logiciel idoine « WINCI TGI » déployé sur le site historique du centre-ville soit vraiment utilisable et efficace à distance, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui.
Un effort important reste à faire sur le plan informatique ; cet effort conditionne réellement, je pense, l’amélioration attendue du service à rendre aux justiciables.
C’est que le numérique constitue non seulement un enjeu important en termes de simplification, mais aussi un enjeu important pour la gestion des juridictions et de leur greffe.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:477596