La lettre juridique n°501 du 11 octobre 2012 : Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Octobre 2012

Réf. : Loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L9357ITQ)

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

le 11 Octobre 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique est entièrement consacrée aux dispositions les plus remarquables de la seconde loi de finances rectificative pour 2012 adoptée par la nouvelle majorité parlementaire (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L9357ITQ) et validée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012 N° Lexbase : A4218IRN). Cette loi de finances rectificative s'inscrit dans le cadre du rétablissement de la "justice fiscale", non sans certaines interrogations lorsque l'on apprend que les textes légaux proposés par l'actuelle majorité ont été préparés par l'administration française avant le verdict des Français appelés aux urnes au printemps dernier... (1) Résumons notre sentiment quant à cette "justice fiscale" en quelques mots : un nouveau départ pour une fiscalité punitive visant les entreprises alors qu'un grand quotidien du soir constatait que "la richesse et l'emploi ne viendront que des entreprises, [et qu']il convient donc de les aider" (Le Monde, 16 septembre 2012, éditorial). Souhaitons qu'il soit entendu lors de ce quinquennat. Notre corpus juridique, malmené depuis l'accélération du nombre de textes fiscaux introduits en droit français (en moyenne quatre par an !), témoigne de cette insécurité juridique sans cesse renouvelée dont il faut comprendre, au cas présent, le fil rouge : la fin des montages "optimisants", le législateur mettant un terme aux choix de bonne gestion des contribuables. En attendant la discussion et le vote du projet de loi de finances pour 2013, nous vous proposons une revue des principales modifications législatives intervenues cet été intéressant la vie des entreprises, en attendant le véritable big bang fiscal de cet automne : la taxation des plus-values lors de la cession des titres de société au barème progressif de l'impôt sur le revenu, sauf à ce que les autorités publiques décident d'assouplir le projet de loi initial.
  • Extraterritorialité de l'impôt sur les sociétés : sociétés françaises établies dans un Etat ou un territoire à fiscalité privilégié (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 14 ; CGI, art. 209 B N° Lexbase : L9422IT7)

Dans le cadre du renforcement du régime prévu par les dispositions de l'article 209 B du CGI, relatives à l'imposition, en France, des bénéfices d'entreprises situées dans des territoires à fiscalité privilégiée ou non coopératifs et contrôlées par des entreprises françaises, les dispositions fiscales précitées prévoient une modification, pour les exercices clos au 31 décembre 2012, quant au régime de la preuve supprimant la distinction opérée jusqu'alors entre les structures implantées dans un Etat à fiscalité privilégiée hors de l'Union européenne et celles situées dans un Etat ou territoire non coopératif (ETNC). L'entreprise française devait alors apporter la preuve que le but essentiellement poursuivi était autre que celui de localiser les bénéfices dans un tel Etat : elle pouvait ainsi se prévaloir, notamment, de la situation où l'entité juridique établie ou constituée hors de France avait principalement une activité industrielle ou commerciale effective exercée sur le territoire ou l'Etat d'accueil (v. également : BOI-ANNX-000362-20120912). Cette notion d'activité effective était évidemment incompatible avec une implantation virtuelle. On rappelle que, s'agissant de l'implantation dans un Etat de l'Union européenne, les dispositions de l'article 209 B ne s'appliquent pas, sauf à ce que l'administration apporte la preuve d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française.

  • Aides à caractère financier : fin de la déductibilité (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 17 ; CGI art. 39, 13 N° Lexbase : L3894IAH)

La jurisprudence a joué un rôle très important en matière de déductibilité des aides à caractère financier entre les entreprises. Trop peut-être aux yeux de Bercy... Rappelons en quelques lignes qu'il s'agit d'autoriser une entreprise à déduire de sa base imposable les aides, directes ou indirectes, versées à une autre entreprise française ou étrangère, à condition qu'elles ne soient pas qualifiées d'acte anormal de gestion. La théorie de l'acte anormal de gestion est une borne au principe de liberté de gestion des contribuables en matière d'imposition des bénéfices : elle vise les dépenses injustifiées ou exagérées ainsi que les renonciations à recette qui peuvent, notamment, prendre la forme de cautionnement fourni à titre gratuit (CE 9° et 7° s-s-r., 17 février 1992, n° 74272, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5069AR8), de prêts et d'avances sans intérêt (CE 9° et 10° s-s-r., 28 mars 2008, n° 277522, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5917D7B) ou d'abandons de loyers (CE 7° et 9° s-s-r., 9 octobre 1991, n° 71413, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9123AQX). Dans toutes ces hypothèses, se pose la question de l'existence et de la preuve d'une contrepartie propre à l'entreprise qui a consenti l'aide en question. Le régime fiscal diffère alors selon la qualification retenue d'aide commerciale (entièrement déductible) ou financière (déductible à hauteur de la quote-part des minoritaires). L'article 17 de la loi de finances rectificative pour 2012 y met un terme : seules sont désormais déductibles les aides à caractère commercial et les aides au profit des entreprises en difficulté faisant l'objet d'une procédure de conciliation avec homologation judiciaire ou d'une procédure collective, c'est-à-dire, dans l'Hexagone, la sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaire. En effet, les travaux parlementaires démontrent que les autorités publiques se sont émues de l'existence d'une optimisation fiscale consistant à accorder des aides plutôt que de les recapitaliser et, ainsi, permettre de substantielles imputations de pertes de filiales étrangères en France. En outre, les abandons de créance à caractère financier viennent s'ajouter au calcul du chiffre d'affaires pour la détermination de la valeur ajoutée de l'entreprise, qui sert au plafonnement de la CVAE (CGI, art. 1586 sexies N° Lexbase : L9423IT8). Les commentaires de l'administration fiscale sont attendus notamment quant à la portée territoriale des procédures collectives subies par les entreprises. Enfin, ces dispositions s'appliquent aux exercices clos à compter du 4 juillet 2012, date de présentation du projet de loi de finances rectificative en conseil des ministres, ce qui interdit toute échappatoire entre l'annonce du projet de loi et sa promulgation.

  • Elimination des distorsions entre le régime fiscal des subventions et celui des apports (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 18 ; CGI, art. 39 quaterdecies 2 bis N° Lexbase : L9424IT9)

L'article 18 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 vise, à compter du 19 juillet 2012, à imposer une neutralité fiscale quant au financement d'une filiale en difficulté. En effet, jusqu'alors, une société mère pouvait, dans le cadre d'une aide octroyée à une filiale en difficulté sous la forme d'un apport, constater une moins-value déductible de sa base imposable. Il est désormais prévu que la moins-value résultant de la cession, moins de deux ans après leur émission, de titres de participation acquis en contrepartie d'un apport réalisé et dont la valeur réelle à la date de leur émission est inférieure à leur valeur d'inscription en comptabilité ne sera plus déductible, dans la limite du montant résultant de la différence entre la valeur d'inscription en comptabilité desdits titres et leur valeur réelle à la date de leur émission. On fera un parallèle entre ces dispositions et celles relatives à l'impossibilité de déduire les aides à caractère financier mentionnées supra.

A - Conséquences fiscales de la cessation d'entreprise

Lorsqu'une entreprise cesse son activité, le droit fiscal en tire un certain nombre de conséquences, sauf exceptions, dont la perte des déficits antérieurs, la taxation des plus-values latentes, des bénéfices en sursis d'imposition et des profits non encore imposés sur les stocks, ainsi que la reprise des provisions. C'est ainsi que le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise. Il en est dorénavant de même en cas de disparition des moyens de production nécessaires à la poursuite de l'exploitation pendant une durée de plus de douze mois, sauf en cas de force majeure, notion toujours entendue restrictivement, tant par la doctrine administrative que par la jurisprudence (v. pour des exemples : nos obs., Chronique de droit fiscal des entreprises - mai 2008, Lexbase Hebdo n° 303 du 7 mai 2008 - édition fiscale N° Lexbase : N8897BEA), ou lorsque cette disparition est suivie d'une cession de la majorité des droits sociaux : l'interruption d'activité des sociétés est désormais proscrite et la jurisprudence favorable aux contribuables sur ce point est contrariée (CE 8° et 3° s-s-r., 18 mai 2005, n° 259275, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3450DIM ; CE 3° et 8° s-s-r., 25 février 2008, n° 287726, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3698D74 ; nos obs., Chronique de droit fiscal des entreprises - avril 2008, Lexbase Hebdo n° 299 du 2 avril 2008 - édition fiscale N° Lexbase : N6232BEK). Les contribuables pourront toutefois solliciter un agrément lorsque la disparition temporaire des moyens de production pendant une durée de plus de douze mois est justifiée par des motivations principales autres que fiscales -condition régulièrement reprise dans les textes fiscaux depuis plusieurs années-, ainsi que l'adjonction, l'abandon ou le transfert d'une ou de plusieurs activités, lorsque cela est indispensable à la poursuite de l'activité à l'origine des déficits et à la pérennité des emplois. Un tel agrément permet à l'administration fiscale d'apprécier in concreto chaque situation de fait. Il est alors précisé ce qu'il faut comprendre par changement d'activité réelle d'une société. Il s'agit "notamment", selon le texte de loi, ce qui offre une latitude d'interprétation particulièrement importante pour l'administration fiscale :
- de l'adjonction d'une activité entraînant, au titre de l'exercice de sa survenance ou de l'exercice suivant, une augmentation de plus de 50 % par rapport à l'exercice précédant celui de l'adjonction soit du chiffre d'affaires de la société, soit de l'effectif moyen du personnel et du montant brut des éléments de l'actif immobilisé de la société ;
- de l'abandon ou du transfert, même partiel, d'une ou de plusieurs activités entraînant, au titre de l'exercice de sa survenance ou de l'exercice suivant, une diminution de plus de 50 % par rapport à l'exercice précédant celui de l'abandon ou du transfert, soit du chiffre d'affaires de la société ; soit de l'effectif moyen du personnel et du montant brut des éléments de l'actif immobilisé de la société.

B - Restructuration d'entreprise : transfert de déficits et agrément

S'agissant du transfert, sur agrément, des déficits en cas de restructuration (fusions, scission, apport partiel d'actif), les dispositions de l'article 209 II du CGI (N° Lexbase : L9518ITP) apportent de nouvelles restrictions qui concernent également les groupes intégrés (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L5189IRM ; CGI, art. 223, I, 6 N° Lexbase : L9516ITM) : les déficits et intérêts susceptibles d'être transférés ne doivent provenir ni de la gestion d'un patrimoine mobilier par des sociétés dont l'actif est principalement composé de participations financières dans d'autres sociétés ou groupements assimilés, ni de la gestion d'un patrimoine immobilier. De plus, visiblement inspirée par les observations de terrain, l'administration fiscale a obtenu du législateur qu'il subordonne l'agrément au fait que le transfert des déficits n'a pas fait l'objet par la société absorbée ou apporteuse, pendant la période au titre de laquelle ces déficits et ces intérêts ont été constatés, de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité. Puis, l'activité transférée doit être poursuivie par les structures absorbantes ou en bénéficiant, avec une contrainte peu compatible, nous semble-t-il, avec les exigences économiques d'un marché concurrentiel, pendant trois ans -une éternité à l'échelle de la vie des affaires !- : il ne doit pas y avoir de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité ! Cette condition a-t-elle toute sa place dans une économie ouverte et de marché ?

Certains montages profitent de la législation applicable aux groupes de sociétés permettant la remontée en franchise d'impôt de dividendes de filiales en fin d'activité et dont les liquidités sont importantes : le régime mère-fille supprime la double imposition économique et l'intégration fiscale annule l'imposition résiduelle due à la quote-part de frais et charges. Puis, les titres de participation sont cédés et la moins-value résultant de cette cession après distribution de dividendes est alors imputée sur le résultat imposable de la société mère. L'administration fiscale n'est pas restée insensible puisque le Comité de l'abus de droit fiscal a été saisi d'un certain nombre d'affaires. A compter des exercices clos au 4 juillet 2012, plusieurs aménagements sont applicables visant à y mettre un terme : c'est ainsi que le régime mère-fille est neutralisé, entraînant par conséquent une double taxation économique des dividendes, pour les produits des parts de sociétés immobilières inscrites en stock à l'actif de sociétés qui exercent une activité de marchand de biens. S'agissant des fusions, l'article 210 A est modifié en ce sens que, lorsque la société absorbante a acquis les titres de la société absorbée moins de deux ans avant la fusion, l'éventuelle moins-value à court terme réalisée à l'occasion de l'annulation de ces titres de participation n'est pas déductible à hauteur du montant des produits de ces titres qui a ouvert droit à l'application du régime mère-fille depuis leur acquisition. Enfin, quant aux plus ou moins-values constatées à la suite de la cession de titres de filiale, la solution imposée par le législateur est radicale : la moins-value est qualifiée de moins-value à long terme imputable sur une plus-value à long terme, qui ne relève pas du taux de taxation de droit commun, à hauteur du montant des produits de ces titres qui a ouvert droit à l'application du régime mère-fille au cours de l'exercice au titre duquel ces moins-values ont été constatées et des cinq exercices précédents.


(1) "De toute façon, les administrations ont commencé à travailler sur la transcription des mesures proposées par François Hollande bien avant le 6 mai [NDLR : date du second tour de l'élection présidentielle de 2012], explique Michel Sapin [NDLR : membre du parti socialiste, Michel Sapin a été ministre de l'Economie et des Finances en 1992-1993]. Elles ont préparé un brouillon. Le 16, elles seront opérationnelles", G. Ottenheimer, Les 100 premiers jours de François Hollande, Challenges n° 300, 10 mai 2012, p. 18.

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