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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
le 04 Octobre 2012
Au 1er septembre 2012, 66 126 personnes étaient incarcérées en France, ce qui représente une hausse de 4 % par rapport au mois de septembre 2011 (63 602). Au 1er août 2012, il y avait 66 748 personnes incarcérées, ce qui représente une baisse mensuelle de 0,9 %. Parmi le total des personnes incarcérées, le nombre de personnes prévenues s'élève à 16 266 pour 49 860 personnes condamnées, soit 24,6 % des personnes incarcérées (24,6 % au 1er août 2012). Au 1er septembre 2011, on dénombrait 16 056 prévenus, soit une hausse de 1,3 % par rapport à l'année précédente. Les mineurs détenus incarcérés sont au nombre de 680 au 1er septembre 2012, ce qui représente une baisse de 9,9 % par rapport au mois précédent (755 au 1er août 2012). Les mineurs détenus représentent 1 % des personnes incarcérées. Par ailleurs, au 1er septembre 2012, 11 549 personnes bénéficient d'un aménagement de peine sous écrou, soit 19,3 % de l'ensemble des personnes écrouées condamnées. Les aménagements de peine ont progressé de 17,8 % en un an (9 805 au 1er septembre 2011) et de 48,7 % en deux ans (7 769 au 1er septembre 2010). Il y a ainsi 964 personnes bénéficiant d'une mesure de placement à l'extérieur (973 au 1er septembre 2011), 1 813 d'une mesure de semi-liberté (1 781 au 1er septembre 2011) et 8 772 d'un placement sous surveillance électronique (7 051 au 1er septembre 2011). Par ailleurs, au 1er septembre 2012, 618 personnes sont placées sous surveillance électronique de fin de peine (SEFIP), soit une hausse de 1,8 % par rapport au mois précédent (607 au 1er août 2012) et une hausse de 20,5 % en un an. Au 1er septembre 2012, la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires est de 57 385 places (source : ministère de la Justice).
Historique de cette journée
Le Bâtonnier Philippe Joyeux, président de la Commission pénale de la Conférence, a rappelé que cette journée a été créée pour alerter l'opinion publique sur les conditions indignes des lieux de détention. Malheureusement la situation est toujours d'actualité et il faut continuer de dénoncer toute situation carcérale indigne.
La profession d'avocat a également un autre rôle parce que l'avocat a une vision absolument globale de la justice pénale, parce l'avocat est confronté à la surpopulation carcérale dans l'exercice de ses fonctions, parce que l'avocat intervient au côté des victimes. L'enfermement n'a jamais apporté la sécurité à long terme. En dénonçant les conditions d'incarcération, il s'agit d'une forme de protection des citoyens. La volonté de la Conférence des Bâtonniers est d'avoir une attitude pédagogique en direction des parlementaires, des magistrats, des citoyens.
Un thème d'actualité
Si, pour le Bâtonnier Jean-Luc Forget, Ce n'est jamais le moment de parler de la prison, et ce n'est jamais le moment de parler de la violence en prison, la Conférence des Bâtonniers souhaite qu'à un moment donné on s'oblige à parler du monde carcéral, de la prison, des conditions de sortie de la prison. La situation carcérale dans notre pays, caractérisée par la surpopulation pénale qui entraîne l'indignité des lieux de détention, est une école de la délinquance, une source de délinquance et une source de récidive. C'est ce que vivent les avocats. Et il est important que la Conférence le rappelle.
Une situation qui a du mal à évoluer
Rapporteur de la loi pénitentiaire (loi n° 2099-1436 du 24 novembre 2009 N° Lexbase : L9344IES), le sénateur Jean-René Lecerf reconnaît que la situation des prisons en France a beaucoup de mal à évoluer. Bien qu'il soit encore trop tôt pour faire un bilan de cette loi, il faut reconnaître que certains éléments ont changé -dans le bon sens!- : la réglementation des fouilles, l'appréhension du travail carcéral, etc..
Mais, la loi pénitentiaire reposait sur toute une série de paris dont le premier était de régler le problème de la surpopulation carcérale, par des aménagements de peines et des alternatives à l'incarcération. Sur ce point c'est un échec parce qu'il n'a pas été donné aux aménagements de peines la chance de réussir et de prospérer. L'étude d'impact de la loi pénitentiaire rédigée par le Gouvernement prévoyait, pour que cette loi soit opérationnelle, de créer au moins 1 000 postes de conseillers d'insertion et de probation, qui n'ont jamais pu voir le jour en raison de l'insuffisance de moyens financiers.
Il y a néanmoins des éléments positifs avec l'installation des commissions de disciplines où les avocats sont présents et ont un rôle à jouer. Pour le sénateur Lecerf, "en permettant aux avocats de rentrer dans cette commission de discipline, on a voulu "casser" l'omniprésence de l'administration pénitentiaire".
En juillet 2012, il a été à l'origine d'un rapport sur l'exécution de la loi pénitentiaire qui a mis en avant le fait que, depuis 2009, des textes d'application essentiels n'étaient toujours pas pris. Il demande à cet égard l'adoption des deux décrets d'application encore attendus : le premier sur la mise en place d'une évaluation indépendante des taux de récidive par établissement pour peine, le second sur les règlements intérieurs types par catégorie d'établissement pénitentiaire. Il demande également le respect effectif des dispositions législatives sur la rémunération au taux horaire du travail en détention, le droit à l'image des personnes détenues, la possibilité de remettre les documents personnels au greffe de l'établissement, les fouilles, la présence de l'assesseur extérieur en commission de discipline.
La violence de la prison
Pour Christine Visier-Philippe, ancien vice-président de la Conférence des Bâtonniers, ancien Bâtonniers de Chambéry, la violence de la prison, c'est déjà celle de la société qu'elle ne fait que refléter. La violence c'est aussi celle qui, pour plus de 60 % de la population pénale, est la cause de l'emprisonnement, ce qui fait des lieux de détention un "formidable réceptacle de cette violence". La violence, c'est aussi celle subie (et provoquée) par les détenus. Elle est d'abord inhérente à l'institution de la prison, l'enfermement étant une violence en lui-même alors surtout qu'il est accompagné d'un règlement strict (séparation d'avec la famille, lecture du courrier, écoute des conversations téléphoniques, fouilles à corps, promiscuité). La violence est tout à la fois symbolique par la perte de la liberté, et physique à travers les agressions entre détenus, les émeutes, les excès d'autorité de certains membres du personnel pénitentiaire tout autant que psychologique. La violence c'est également celle qui est imposée aux familles de détenus avec lesquelles l'administration pénitentiaire peine à établir des liens apaisés qui, pourtant, facilitent un enfermement serein.
La violence est également subie par le personnel pénitentiaire. En effet, le métier de surveillant souffre d'un déficit d'image qui est pesant pour celui qui l'exerce (puisque la prison c'est tout ce que sécrète et rejette la société, la maladie, la pauvreté, l'illettrisme, la marginalité, la maladie mentale, la toxicomanie) et lui donne le sentiment de travailler dans "la poubelle" de la société.
La violence subie par le personnel est, comme le souligne Christine Visier-Philippe, bien réelle :
- conditions de travail difficiles dans des établissements surpeuplés,
- peur du surveillant dans les prisons "nouvelles" de grande capacité, déshumanisées, où tout contact direct, tout dialogue, y compris de surveillant à surveillant, tend à disparaître,
- confrontation avec un détenu qui s'est donné la mort,
- agressions verbales ou physiques par un ou plusieurs détenus,
- nécessité de pratiquer des fouilles à corps qui atteignent la dignité non seulement de celui qui les subit mais de celui qui les pratique,
- obligation pour le personnel pénitentiaire et notamment les directeurs d'établissement de résider à côté de la prison dans des lieux qui s'apparentent rapidement à "des ghettos", mode de vie qui provoque des pathologies nouvelles -rejoignant la pathologie de bien des détenus condamnés à de longues peines- provoquant le départ en série de plusieurs cadres de premier plan de l'administration pénitentiaire ayant rejoint d'autres administrations.
La violence de la détention, c'est aussi celle dont les magistrats répugnent à être les témoins puisque, de l'avis général des directeurs d'établissement, l'article 10 de la loi pénitentiaire de 2009 aux termes duquel les magistrats "doivent visiter au moins une fois par an, chaque établissement pénitentiaire situé dans leur ressort territorial de compétence" n'est pas respecté ....
La violence, enfin, c'est celle à laquelle sont confrontés les avocats puisque leur rôle aujourd'hui est d'être présents tout au long de la chaîne pénale, de la garde à vue à la sortie de prison.
Une journée relayée par les barreaux
Sur l'ensemble des 160 barreaux de France, près d'un sur deux a marqué cette journée par un évènement. Il s'est agi le plus souvent d'une conférence de presse réalisée conjointement avec le directeur de l'établissement pénitentiaire. Et plus spécifiquement ont été relevées des initiatives propres à chaque barreau.
A titre d'exemple l'on peut citer :
- au barreau de Nantes, la projection du film documentaire Le déménagement suivie d'un débat à la maison de l'avocat ;
- au barreau de Saint-Denis de la Réunion, l'organisation d'un match de football entre avocats et détenus ;
- au barreau de Grenoble, la réalisation de DVD sur un certain nombre de sujets (JAF, droit des étrangers, et autres thèmes prégnants en établissement pénitentiaire) mis à disposition pour les détenus dans les maisons d'arrêts ;
- au barreau de Montpellier, l'organisation d'une conférence sur la violence en prison.
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