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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
le 20 Septembre 2012
Jean-Luc Forget : D'une manière générale, je souhaite placer, voire replacer, la Conférence des Bâtonniers dans notre organisation professionnelle. A sa place, rien qu'à sa place mais avec toute sa place ! Rien qu'à sa place, parce que la Conférence des Bâtonniers n'est pas, n'est plus l'institution représentative de la profession d'avocat ; l'institution représentative de la profession d'avocat c'est le Conseil national des barreaux. Mais avec toute sa place car la Conférence a une histoire et un rôle que n'a pas le CNB. Elle a plus d'un siècle d'existence, elle est la représentation et l'expression des Ordres. Les Ordres constituent la structure de notre profession. Ils font et réalisent tous les jours pour tous les avocats et pour la profession. La Conférence, c'est le rassemblement de tous les Ordres de province, ces Ordres qui représentent en tous lieux géographiques, démographiques ou économiques, la profession de l'assistance, du conseil et de la défense.
La Conférence, c'est la voix des Ordres dans l'institution nationale qu'est le Conseil national des barreaux. Ainsi une complémentarité naturelle existe entre la Conférence et le CNB. Il y a des choses que la Conférence n'a pas à faire directement car c'est le CNB qui en a la charge. Par exemple, la Conférence a des choses à dire, au nom des Ordres sur la formation professionnelle, mais ce n'est pas elle qui en est le maître d'oeuvre : c'est le CNB !
Plus précisément, j'entends développer trois ou quatre projets.
Tout d'abord, la Conférence est le premier interlocuteur des Ordres et des Bâtonniers s'agissant des applications déontologiques des règles qui régissent notre profession, en ayant pour objectif une cohérence des décisions. C'est le CNB qui édicte les normes, ce sont les Ordres qui doivent les appliquer et la Conférence est là pour les aider dans cette application réactive et équitable de nos règles professionnelles.
Par ailleurs, la Conférence a le devoir de concourir à la formation des responsables ordinaux. Par delà l'abnégation qui caractérise l'investissement ordinal, on doit demander de la compétence aux Bâtonniers et aux membres du conseil de l'Ordre ! Nous devons donc les aider à acquérir ces compétences.
Nous avons mis en place un véritable programme de formation des Bâtonniers et des membres des conseils de l'Ordre. En mars 2012 a eu lieu un week-end de formation à Angers sur les outils financiers des Ordres ; en juin, à Chartres, nous avons travaillé sur les instances disciplinaires et leur évolution ; fin août, à Sorèze dans le Tarn, nous avons organisé la première université d'été des barreaux consacrée à la gestion du Tableau.
Les prochaines formations sont d'ores et déjà prévues : en novembre à Dijon, sur les Ordres et la relation de l'avocat et du client ; en mars 2013 à Aix-en-Provence, sur la responsabilité civile professionnelle des avocats ; en juin 2013 ce sont les barreaux de Draguignan et d'Avignon qui se sont regroupés pour organiser une formation sur la communication des Ordres et leurs rapports avec les réseaux sociaux ; en septembre 2013 à Annecy, nous organiserons notre deuxième université d'été des barreaux, consacrée à la mutualisation des services par les Ordres ; et enfin, dans le dernier trimestre 2013, une formation sera organisée par les Conférences Nord-Pas-de-Calais, Normandie et Picardie, consacrée aux relations de l'avocat et de l'Ordre, à la gestion des incidents, aux successions des avocats, etc..
En troisième lieu, mais c'est une conséquence des deux autres missions, nous actualisons la communication de la Conférence. Je la souhaite plus réactive, pratique et attrayante : une lettre mensuelle et un bulletin adaptés à ces impératifs. Enfin le site de la Conférence est en rénovation. Il devrait être finalisé pour le mois d'octobre et devenir, je l'espère, un véritable instrument de travail à la disposition de tous.
Enfin, et dans le même temps, j'essaie de faire en sorte que la Conférence soit un lieu de proposition. Les avocats sont des gens géniaux, je ne vais pas vous dire le contraire ! Ils ont une capacité parfois extraordinaire à discuter, à critiquer et parfois à détruire ! Mon objectif est de faire en sorte que la Conférence participe à la discussion, à la critique et à la destruction s'il le faut, mais surtout qu'elle propose, qu'elle construise et donc qu'elle dise ce qu'elle veut, ce que les Ordres de province veulent, dans un certain nombre de domaines.
La Conférence a fait le choix de quatre thèmes autour desquels s'est organisée la réflexion dans le cadre de ce que nous appelons "le Conseil de la Conférence" avec la participation de Bâtonniers, d'avocats, d'experts, ou tout simplement de professionnels intéressés.
Le premier thème touche aux Ordres et à l'Europe avec une question : notre organisation ordinale est-elle bien en cohérence, compatible, conforme aux prescriptions européennes en question ? Le deuxième thème est consacré à la valorisation de la prestation de l'avocat. Le troisième concerne les conséquences de la dématérialisation sur les prestations des avocats. Enfin, un dernier groupe réfléchit aux rapports entre l'avocat et l'économie.
Lexbase : Quant à la place de la Conférence dans l'organigramme des institutions représentatives, comment sont vos rapports justement avec le CNB et l'Ordre de Paris ?
Jean-Luc Forget : Tout d'abord, j'apprécie les personnalités avec lesquelles je travaille : j'apprécie Christian Charrière-Bournazel et j'apprécie Christiane Féral-Schuhl, cela tombe bien et c'est important ! Nous ne nous connaissions pas et nous sommes arrivés en responsabilités tous les trois au même moment !
En même temps, nous nous organisons pour assurer la complémentarité de nos institutions respectives dans l'intérêt de la profession. Il peut donc y avoir des tensions mais elles sont passagères car chacun de nous a en perspective l'intérêt collectif. Je suis "en demande" à l'égard du CNB ! Il n'y a pas trois institutions professionnelles ; il y a une institution représentative, dans laquelle deux autres institutions professionnelles ont, de par l'histoire mais surtout de par leurs missions, une place essentielle. Une authentique complémentarité exige un travail sans cesse collectif. Le CNB n'a pas à faire un certain nombre de choses que la Conférence réalise. La Conférence n'a pas à faire un certain nombre de choses que le CNB fait ou doit faire. Je m'attelle à être cet interlocuteur ordinal et demande au CNB de prendre toute la mesure de sa mission.
Le CNB est un outil très pertinent : les confrères ne le mesurent pas suffisamment et je comprends qu'ils ne le mesurent pas parce que le CNB a accumulé un déficit de communication très lourd à leur égard.
La Conférence et les Ordres entendent participer activement à une organisation professionnelle, pour ne pas parler de gouvernance, plus cohérente et donc plus efficace parce qu'à l'écoute des confrères.
Je veux prendre un exemple concret : sur le secret professionnel, nous venons de travailler, avec les associations professionnelles et avec le barreau de Paris à l'élaboration d'une proposition professionnelle cohérente et peut-être même exhaustive afin de défendre le secret professionnel et d'assurer la confidentialité de nos correspondances. Ainsi, ce 15 septembre, le CNB a pu adopter à la quasi unanimité une proposition. Je crois que nous avons réalisé collectivement un travail utile. Tel est bien l'essentiel : être utiles.
Lexbase : Justement pour revenir à l'actualité, Christiane Féral-Schuhl, lors de la conférence de presse de la rentrée du barreau de Paris, a fait part de son souhait de revoir les régimes dérogatoires d'accès à la profession. Quel est le regard de la Conférence sur ce sujet ?
Jean-Luc Forget : L'accès à la profession est une vraie question et un vrai "chantier". Le CNB doit le prendre en charge dans toute sa dimension ainsi qu'il s'y est engagé dans une motion votée le 24 mars dernier alors que nous débattions de la perspective du décret passerelle du 3 avril.
De mon point du vue, la bonne manière d'aborder ce sujet n'est pas d'évoquer immédiatement une prétendue solution : le numerus clausus. Nous devons commencer par nous poser de bonnes questions : quelle est la fonction des avocats dans la société ? Qu'ont-ils envie d'y faire ? Que doivent-ils y faire ? Que font les avocats européens ? Qu'est-ce qu'un avocat européen ? Qu'est-ce qu'un avocat français ? Voici des confrères qui accèdent à la même profession, ou plutôt au même titre, selon des conditions différentes pour exercer des fonctions différentes à l'issue de formations complètement différentes...
Faute de nous être posé la question de l'identité de l'avocat français dans une perspective européenne, nous avons progressivement concédé que l'on puisse accéder à notre profession selon plus de vingt régimes différents...
Une fois que l'on a défini l'avocat et sa fonction dans la société française, on peut déterminer les modalités de sa formation et les conditions d'accès à cette profession. Et ainsi on pourra faire des choix en veillant à ce que l'avocat soit présent en tous lieux, là où il y a des personnes qui vivent, qui travaillent, là où il y a des économies ou des services.
Lexbase : Les champ de compétences de l'avocat se sont élargis ces dernières années. Comment se passe cette ouverture à la profession dans les barreaux de province ?
Jean-Luc Forget : Cette question en rappelle une autre que nous venons d'évoquer : celle de l'identité de l'avocat. Je dois avouer que s'agissant par exemple de la fiducie, j'ai mal vécu l'entorse à la déontologie et au socle déontologique que nécessitait l'avocat fiduciaire. Il me semble qu'il ne faut pas que chaque "niche" soit conçue comme une entorse à notre identité et au socle déontologique qui caractérise l'avocat ; car alors, le rôle de l'avocat n'est pas compris. Le mandataire en transactions immobilières ce n'est pas un agent immobilier ; le mandataire agent sportif ce n'est pas un agent sportif. Il me semble important de faire rapidement un point sur ce qu'apportent à la profession en termes d'exercice professionnel ces "niches". On n'est pas avocat pour répondre simplement à un marché. Etre avocat, c'est aussi imposer notre fonction et notre identité dans le marché.
De même, il sera bientôt temps de faire un premier bilan de l'utilisation de l'acte d'avocat ou de la procédure participative. Ce sont des acquis de la profession ; mais ils ne sont pas encore suffisamment intégrés comme des outils professionnels.
Finalement tout est lié : il nous faut assurer l'identité de la profession et améliorer sa communication.
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