La lettre juridique n°498 du 20 septembre 2012 : Commercial

[Jurisprudence] Validité et exécution d'un pacte de préférence dans un contrat de franchise

Réf. : CA Paris, Pôle 5 , 3ème ch., 13 juin 2012, n° 10/056397 (N° Lexbase : A7388INX)

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par Bastien Brignon, Maître de conférences à Aix-Marseille Université, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et du Centre de droit du sport d'Aix-Marseille

le 20 Septembre 2012

Les contrats de franchise contiennent très souvent un pacte de préférence. Cela est fort utile pour le franchiseur puisqu'il se voit ainsi offrir en priorité de racheter le fonds de commerce que le franchisé se décide à vendre. Cela l'est un peu moins, en revanche, pour le franchisé dont le fonds de commerce, convoité par la concurrence, reste acquis à l'enseigne, sans pour autant l'empêcher de sortir du réseau. Un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris en date du 13 juin 2012 offre une très belle illustration de la mise en oeuvre d'un pacte de préférence conclu entre un franchisé et son franchiseur.
Il s'agissait en l'espèce d'un contrat de franchise que la société Le Merre avait conclu avec la société Prodim, aux droits de laquelle viendra la société Carrefour. Le contrat stipulait un droit de première offre et de préférence au profit du franchiseur à égalité de prix et de conditions assez large. La préférence devait en effet s'exercer en cas, notamment, de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance sur le local ou de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance ou mise en location-gérance sur le fonds de commerce.
L'affaire ne dit pas si le franchisé a été démarché ou s'il a décidé de sa propre initiative de passer à la concurrence (1), mais toujours est-il qu'il souhaitait vendre son fonds au principal concurrent de Carrefour, à savoir le groupe Casino. Se sachant tenu d'un pacte de préférence, il a notifié le prix et les conditions de son projet à son franchiseur. Il l'a ainsi informé de sa volonté de résilier le contrat de franchise, et du prix et des conditions de la cession de son fonds de commerce qu'elle envisageait avec la société Distribution Casino France, particulièrement du prix fixé à 800 000 euros, et surtout de la conclusion d'un contrat de gérance-mandataire au profit de M. L., gérant de la société Le Merre. De son côté, le franchiseur entendait, au contraire, faire jouer la préférence, précision faite qu'il ne pouvait réserver une suite favorable à la clause de la cession prévoyant un contrat de gérance-mandataire pour la raison qu'il n'exploitait pas les magasins de ses réseaux par le biais de gérants-mandataires. Le franchisé s'estimait libre de ne pas respecter ledit pacte, et de vendre son fonds à Casino dans la mesure où le pacte ne serait pas valable au regard d'un avis de l'Autorité de la concurrence (Aut. de la conc., avis n° 10-A-26, 7 décembre 2010, relatif aux contrats d'affiliation de magasins indépendants et les modalités d'acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire N° Lexbase : X9075AHL). Pour reprendre les termes du franchisé, "l'avis du 7 décembre 2010 prohibe les clauses empêchant les affiliés de quitter le réseau, analysant ce type de clauses comme organisant une asymétrie dans la négociation de la vente du magasin, susceptible de dissuader les groupes de distribution concurrents de démarcher les magasins indépendants des autres enseignes et de figer ainsi les marchés de détail et le jeu concurrentiel, et demandant aux opérateurs de ne plus insérer dans les contrats de droits de priorité et de priver de toute exécution ceux existant dans les contrats en cours". Le franchisé s'estimait fondé à demander la nullité du pacte, d'autant plus, qu'outre son iniquité et son caractère anticoncurrentiel, il perdurait une année après la fin des relations contractuelles, ce qui, selon lui, dépassait "la seule protection du réseau puisqu'une fois le contrat résilié, le fonds de commerce est déjà perdu pour le réseau".
Selon Carrefour, "l'avis de l'Autorité de la concurrence est un avis de portée particulièrement générale, qu'il n'a aucune force obligatoire et ne peut être émis que pour l'avenir, dès lors que la loi et la jurisprudence continuent de réaffirmer la parfaite validité de tels droits de préférence".
Pour leur part, les juges parisiens en font l'analyse suivante : "aucune disposition législative ou réglementaire ne définit le pacte de préférence. Si, conformément à l' avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence, l'expression d'une préférence dans le droit des contrats commerciaux doit au moins être strictement limitée au regard des dispositions relatives à la libre concurrence et à la sanction des pratiques anticoncurrentielles, dans la mesure où seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte et dans la mesure où ce pacte n'oblige pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence est donnée, le cédant n'étant pas obligé de céder son bien, le bénéficiaire n'étant pas obligé de l'acquérir, le pacte de préférence ne peut être considéré comme une pratique anticoncurrentielle, susceptible d'être annulé".

Ces trois visions différentes appellent deux remarques.

D'une part, quant au champ d'application de l'avis n° 10-A-26 : concerne-t-il le pacte de préférence ? L'avis, relatif aux contrats d'affiliation de magasins indépendants et les modalités d'acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire, est pleinement applicable au pacte de préférence, et autres droits de priorité et de préemption (2). En effet, l'avis les évoque en ses points 105, 137, 163, 170, 171, 173, 174, 180, 182, 190 et 225. C'est d'ailleurs dans ce dernier point -le 227 très exactement- que l'Autorité de la concurrence recommande de ne pas insérer de tels pactes dans les contrats de distribution. Et c'est cette recommandation que le franchisé mettait en avant.

Tirant argument de ce qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne définit le pacte de préférence, la cour de Paris estime qu'en soi le pacte de préférence ne peut être considéré comme une pratique anticoncurrentielle, dans la mesure où seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte et dans la mesure où ce pacte n'oblige pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence est donnée, le cédant n'étant pas obligé de céder son bien, le bénéficiaire n'étant pas obligé de l'acquérir.

Certes, le pacte de préférence est un avant-contrat qui effectivement fonctionne à double détente : pour que la préférence joue, encore faut-il que le débiteur du pacte se décide à vendre (3), de sorte qu'il n'y aucune obligation pour les parties à conclure le contrat. Mais, il ne s'agit que d'une liberté d'apparat qui s'efface dès lors que le débiteur du pacte entend vendre le bien grevé de ce droit. En soi donc, le pacte de préférence ne constitue pas une incrimination per se. Le pacte n'a pas par lui-même d'objet anticoncurrentiel. Cela étant, il peut avoir des effets anticoncurrentiels. Comme un auteur l'a justement relevé, "une clause [de préférence] peut être anticoncurrentielle à plus d'un titre, notamment lorsqu'elle constitue une entrave à la liberté du franchisé ou une limitation de l'accès au marché par les concurrents" (4), à travers par exemple une entente. Mieux, en présence d'un pacte de préférence, il est nécessaire de vérifier s'il ne crée pas de distorsion en droit de la concurrence, ce que les juges du fond n'ont ici pas vérifié, et ce qui pourrait mériter une cassation de leur arrêt pour n'avoir procédé à cette recherche.

D'autre part, quant à la valeur juridique de cet avis, ou des ou des avis en général de l'Autorité de la concurrence, il est acquis que les avis de l'Autorité de la concurrence, s'ils peuvent exercer une influence certaine, n'ont juridiquement aucune valeur contraignante (5), sauf à ce qu'ils soient contractualisés.

Ceci exposé, reste à évoquer la sanction du pacte de préférence pour mauvaise foi. Pour contourner l'impasse de la préférence, le franchisé invoquait la gérance-mandat que Casino s'engageait à offrir au gérant de la société Le Merre pour le cas où ladite société lui vendrait son fonds.

La gérance-mandat est une figure contractuelle, assez critiquée, qui a fait son entrée dans le Code de commerce en 2005, à la suite de la loi "PME" du 2 août 2005 (loi n° 2005-882 N° Lexbase : L7582HEK). Elle était ici utilisée pour faire échec à la préférence dont bénéficiait Carrefour dans la mesure où le réseau Carrefour n'est absolument pas structuré avec des contrats de gérance-mandat. L'argument, ingénieux de prime abord, n'a au final pas fonctionné.

Premier obstacle, d'ordre factuel, l'offre d'emploi de gérant-mandataire émanant de Casino ne contenait aucune précision quant à ses conditions d'exécution, mettant le bénéficiaire du pacte de préférence dans l'impossibilité de se positionner au regard de cette clause. Ce qui signifie, a contrario, que si l'offre d'emploi définit bien les conditions d'exécution, elle peut parfaitement fonctionner, et légitimer le non-respect du pacte de préférence.

Second obstacle, d'ordre juridique, l'offre concernait un tiers -le gérant de la société franchisé cédant le fonds- totalement étranger à la mutation du fonds ; cette clause n'entrait évidemment pas dans le périmètre de la cession et ne constituait en aucune manière un des éléments constitutifs du fonds. Or, le pacte de préférence devant être exercé à des conditions identiques, ces conditions ne pouvaient concerner que la cession du fonds et non des clauses périphériques, d'autant que l'acte de cession définitif du fonds ne faisait aucune mention de ce problème particulier de statut de gérant-mandataire.
Là encore, l'obstacle peut, nous semble-t-il, être contourné : il suffit que le pacte prévoit dans son périmètre de telles clause périphériques à la cession du fonds.

La cession d'un fonds de commerce, en tant qu'universalité de fait, exclut par principe les immeubles et les contrats, sauf exceptions. Rien n'empêche au demeurant de prévoir dans le contrat de cession des conditions particulières, tel un contrat de gérance-mandat au profit du gérant de la société dont le fonds est cédé. D'ailleurs, le franchisé souligne bien "que si la personnalité juridique de la société propriétaire du fonds est distincte de celle de son gérant, pour autant l'assemblée générale des associés est souveraine dans la détermination de ses orientations stratégiques, dont fait partie la décision de prendre en compte l'investissement du gérant dans l'exploitation et de lui assurer un sort après la cession". En l'espèce toutefois, de telles prévisions rédactionnelles n'avaient pas été prises. Autrement dit, en inscrivant dans le projet de cession des conditions manifestement inacceptables, en faisant figurer dans l'acte de cession une condition suspensive que le franchisé et le concurrent du franchiseur savaient ne pas pouvoir être exécutée par Carrefour, compte tenu de ses modes de gestion, équivalait à l'empêcher d'exercer son droit de préférence, le pacte a été exécuté de mauvaise foi.
Logique dès lors que la cour de Paris confirme l'inopposabilité du pacte au bénéficiaire de la préférence, et ordonne, conformément à la solution admise par la Cour de cassation, réunie en Chambre mixte, depuis le 26 mai 2006, la substitution de Carrefour (franchiseur) au tiers acquéreur (Casino) dans la cession du fonds du franchisé.

L'absence d'ingénierie contractuelle dans la rédaction du pacte de préférence et dans l'acte de cession du fonds oblige non seulement au respect du pacte, mais encore caractérise la mauvaise foi du cédant (7), contraint, conformément à l'arrêt du 26 mai 2006 précité, d'admettre l'exécution forcée du pacte. Néanmoins, l'arrêt ouvre une brèche importante pour les franchisés : pour contourner la préférence, il leur suffit de prévoir des causes objectives du non-respect de cette préférence, tel un contrat de gérance-mandat -ou autre figure contractuelle- qui existe dans le réseau concurrent mais qui n'existe pas dans le réseau initial. Mais alors faudra-t-il bien veiller à correctement définir les conditions de son exécution ; sinon, la proposition pourra être taxée de subjective, et sans autre but que de contourner le pacte. Bref, sans cause.

Par ailleurs, il est préférable que les offres faites par le réseau concurrent concernent directement le cédant. Car si elles concernent un tiers, tel le gérant du cédant par exemple, il faut alors dessiner le périmètre du pacte et de la cession, et envisager la possibilité de clauses périphériques, qu'il faudra si possible lister.

Plus simplement, le franchiseur peut renoncer à exercer son droit de préférence, mais c'est plus rare (8).

L'espoir du côté des franchisés est donc loin d'être perdu, les franchiseurs devant veiller au grain !


(1) Cf. obs. P.-Y. Gautier, RTDCiv., 2007, p. 794, sous Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-12.871, FS-P+B (N° Lexbase : A2554DWI).
(2) Etude M. Malaurie-Vignal, Réflexions autour de l'avis n° 10-A- 26 du 7 décembre 2010 rendu par l'ADLC en matière de distribution alimentaire, Contrat conc. consom., février 2011, étude 3 ; D. Ferrier, Chronique Concurrence-Distribution, D., 2012, p. 577.
(3) J.-P. Désidéri, La préférence dans les relations contractuelles, PU Aix-Marseille, 1997, cité in RTDCiv., 2001, p. 140, obs. J. Mestre et B. Fages, sous CA Paris, 4 juillet 2000.
(4) A. Van de Wynckele-Bazela, Pacte de préférence et contrat de franchise, D., 2004, p. 2487, spéc. § 20 : "le pacte de préférence inséré dans un contrat de franchise est contestable à plus d'un titre. Au regard du droit civil, il est sans cause objective, à tout le moins dès lors qu'il est stipulé sans contrepartie pécuniaire. Au regard du droit de la concurrence, il peut engendrer des effets contraires aux articles L. 420-1 et suivants du code de commerce".
(5) P. Spilliaert, Quelques considérations sur l'activité consultative de l'Autorité de la concurrence, Contrat conc. consom., juin 2011, dossier 6.
(6) Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, P+B+R+I (N° Lexbase : A7227DPD) : "si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir" ; F. Buy, L'essentiel des grands arrêts du Droit des obligations, 2012-2013, 4ème éd., Gualino, Lextenso éditions, p. 24 et 25.
(7) Et certainement celle aussi de Casino.
(8) Cass. com., 6 septembre 2011, n° 10-20.776, F-D (N° Lexbase : A5413HXR) ; RTDCom., 2012, p. 723, obs. B. Saintourens.

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