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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Pour ne prendre que trois exemples récents, on s'attachera, d'abord, à cet arrêt de la cour d'appel de Dijon, rendu le 6 juillet 2012 et commenté dans nos colonnes la semaine dernière par Adeline Gouttenoire. L'arrêt concluait à un coming out "outrageant", sur un réseau social bien connu, de son homosexualité par un homme marié et père de famille. Bien entendu, la faute du mari n'est pas d'être homosexuel -encore que la cour se soit senti obligée de le préciser- ; mais, ayant partagé les convictions religieuses de son épouse, d'avoir entretenu une relation -fût-elle seulement "électronique"- avec un autre homme. Pour la cour, cette révélation ubi et orbi présente un caractère particulièrement outrageant par le mépris que ce comportement manifeste vis-à-vis de la loyauté, de la confiance et de la dignité conjugales. Donc, clairement, le juge dijonnais considère les convictions profondes de l'épouse pour caractériser ce coming out d'acte outrageant, déloyal et contraire à la dignité -rien que cela !-. Comme le note notre estimée Directrice scientifique : "En quoi, en effet, le fait que la relation soit homosexuelle est-elle plus 'outrageante' que si elle avait été hétérosexuelle ? En quoi le fait que le mari entretienne une relation avec un homme plutôt qu'avec une femme porte davantage atteinte à la loyauté, la confiance et la dignité conjugales ?". En fait, pour la cour, cette révélation est d'autant plus difficile à supporter pour la femme qu'elle heurte profondément ses convictions ; et le fait que le mari ait, au départ, partagé ces convictions joue un rôle dans la qualification fautive de son comportement. En l'espèce, c'est bien la révélation publique de cette homosexualité qui constitue une faute.
Ensuite, le 5 septembre 2012, dans un autre registre, la Cour de justice de l'Union européenne rendait une décision importante quant à l'accueil des personnes victimes de persécutions religieuses dans leurs pays d'origine, décision commentée cette semaine par Christophe De Bernardinis. La Cour de justice étend la protection des victimes de persécutions religieuses à celles ne pouvant exercer publiquement leur culte sans encourir de conséquences graves. Ainsi, si auparavant le dogme selon lequel "la religion est une affaire privée" prévalait dans les prétoires nationaux et européens, il semble que le caractère public de l'exercice d'un culte, lorsqu'il lui est consubstantiel, doit être respecté. Et, par conséquent, il convient d'accueillir au titre de l'asile les personnes ne pouvant pas, à tout le moins, exercer leur culte publiquement.
Enfin, dans un entretien accordé au journal La Croix -cela ne s'invente pas, même si cela est prémédité-, le 11 septembre 2012 -là encore en terme de symbole, on aura vu mieux-, le Garde des Sceaux présenta les grandes lignes de son futur projet de loi visant à étendre aux personnes de même sexe les dispositions actuelles du mariage, de la filiation et de la parenté. Où l'on s'aperçoit, dès lors, que le mariage homosexuel n'est qu'une facette de la loi qui, il est étonnant, après l'adoption du pacte civil de solidarité en 1999, suscite encore aujourd'hui des remous ; alors que l'on aurait pu penser que le débat se cristalliserait sur l'adoption homoparentale -encore que celle-ci soit déjà actée dans les faits-. Certes, le mariage homosexuel est une "rupture de société", comme a pu l'affirmer, parmi d'autres propos malheureux (la polygamie n'est interdite que depuis 1585 et 80 % de l'humanité est polygame ; et le tabou de l'inceste n'a pas empêché le schisme anglican, par exemple), une Haute autorité de l'Eglise catholique ; mais, la loi sur l'IVG en fut également une et les lois bioéthiques aussi. Pour autant, la société s'est-elle trouvée plus divisée et plus, sinon immorale, du moins amorale ? A la même époque, la France et les sociétés occidentales ratifiaient à tour de bras les Conventions et autres Chartes portant ou protégeant les droits fondamentaux et les libertés religieuses chers... à l'Eglise...
Finalement, il est sans doute là le compromis de la loi de 1905 : l'Eglise ne peut et ne pourra empêcher les ruptures de société, cette dernière évoluant plus rapidement que les canons ecclésiastiques, comme avait pu le regretter Carlo Maria Martini, Cardinal de Milan, décédé cet été ; mais, elle obtient et obtiendra des concessions sur la base des valeurs communes qu'elle partage avec les sociétés démocratiques et laïques.
On le perçoit, une nouvelle fois, malgré l'émancipation des sociétés occidentales, l'influence ecclésiastique est toujours diffuse ; et renvoyer les convictions religieuses aux âmes et consciences de chacun n'est pas une mince affaire. Outrageante, la révélation de son homosexualité latente au regard des convictions religieuses de son épouse ; fondamentale, l'exercice public d'un culte sans risquer d'être gravement persécuté ; bientôt légal, le mariage homosexuel... le curseur de la laïcité donne bien souvent le tournis...
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