Réf. : Cass. civ. 3, 12 mai 2021, n° 20-12.520 FS-P (N° Lexbase : A10004ST)
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux
le 26 Mai 2021
► Le point de départ de l’action biennale en paiement d’une facture de travaux formée contre un consommateur est, désormais, non pas le jour de l’établissement de la facture mais la date à laquelle le créancier a eu connaissance des faits qui lui permettent d’agir ;
► l’application de la jurisprudence nouvelle ne doit toutefois pas priver l’entreprise, qui ne pouvait raisonnablement anticiper une modification de la jurisprudence, d’un procès équitable si bien qu’il faut lui appliquer l’ancienne jurisprudence.
La question du point de départ de la prescription biennale de l’article L. 137-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3) fait, décidément, couler beaucoup d’encre. Cet article, issu de la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I), se trouve dans le prolongement de la courte prescription de l’ancien article 2272 du Code civil (N° Lexbase : L7195IAQ). La prescription biennale vise, désormais, l’action des professionnels pour les biens et les services qu’ils fournissent aux consommateurs.
L’article L. 137-2 dispose que l’action des professionnels pour les biens et les services qu’ils fournissent aux consommateurs se prescrit par deux ans.
Toutefois, ce texte ne prévoit rien quant au point de départ de cette prescription biennale. Deux thèses se sont vite opposées : le jour de l’établissement de la facture versus le jour où le créancier a connaissance des faits lui permettant d’agir.
Dans cette affaire, la Haute juridiction procède, selon sa nouvelle méthodologie, à un rappel des thèses applicables et des solutions dégagées. Elle expose ainsi que le point de départ du délai biennal de prescription se situait, en application de l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée (Cass. civ. 3, 16 avril 2015, n° 13-24.024, F-P+B N° Lexbase : A9340NGZ) soit le jour d’établissement de la facture (Cass. civ. 3, 9 juin 2017, n° 16-12.457, FS-P+B+I N° Lexbase : A4426WHE).
Mais que cette jurisprudence n’est plus applicable depuis que l’action en paiement des factures formées contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L4314IX3), se prescrit à compter de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’agir (Cass. com., 26 février 2020, n° 18-25.036, F-P+B N° Lexbase : A78903GC).
Pour harmoniser ces délais, la Haute juridiction expose ainsi que le point de départ de l’action biennale est la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d’exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations.
Tel est le premier apport de l’arrêt rapporté.
Mais, à appliquer cette nouvelle solution, l’entreprise qui sollicite le paiement du solde de ses travaux serait prescrite. La solution, appliquée par la cour d’appel de Poitiers dans un arrêt du 5 novembre 2019 (CA Poitiers, 5 novembre 2019, n° 18/00473 N° Lexbase : A9504ZT8), semble, à juste titre, injuste pour la Haute juridiction.
Elle rappelle que, si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base de l’ancienne jurisprudence, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties, qui ont agi de bonne foi sur la base de la jurisprudence ancienne.
Tel était le cas en l’espèce puisque l’application de la jurisprudence nouvelle reviendrait à priver d’action l’entreprise, sachant que son action serait prescrite.
La Cour de cassation estime alors qu’appliquer la nouvelle jurisprudence au litige reviendrait à méconnaître le principe d’accès au juge, martelé par l’article 6, § 1, de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Il doit donc faire application de l’ancienne jurisprudence.
Tel est le second apport de l’arrêt rapporté.
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