Le Quotidien du 14 avril 2021 : Actualité judiciaire

[Le point sur...] Meurtre de Sarah Halimi : La Cour de cassation va arbitrer le débat sur l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits

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[Le point sur...] Meurtre de Sarah Halimi : La Cour de cassation va arbitrer le débat sur l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/66732404-lepointsurmeurtredesarahhalimilacourdecassationvaarbitrerleda9batsurle2aoirresp
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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 28 Avril 2021

Edit, le 14 avril à 14 heures 30 : par une décision n° 20-80.135 du 14 avril 2021, la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi formé par la famille de Sarah Halimi. La Cour a considéré qu'une personne ayant commis un acte sous l'emprise d'une bouffée délirante abolissant son discernement ne pouvait pas être jugée pénalement, peu important que son état mental ait été causé par la consommation régulière de produits stupéfiants. Selon la Haute juridiction, la loi sur l'irresponsabilité pénale ne prévoit pas de distinction selon l'origine du trouble psychique.

Peut-on être déclaré pénalement irresponsable pour un crime commis en pleine « bouffée délirante » si celle-ci a été causée par une consommation volontaire de cannabis ? C’est presque une question métaphysique que la Cour de cassation doit trancher, ce mercredi 14 avril, dans le cadre de l’examen du dossier portant sur la mort de Sarah Halimi.

Âgée de 65 ans, cette femme juive – Lucie Attal de son vrai nom – a été tuée dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 alors qu’elle se trouvait dans son appartement situé au troisième étage d’un immeuble de Belleville (Paris, 20e arrondissement). L’auteur des faits n’est autre que son voisin, Kobili Traoré. Alors âgé de 27 ans, ce musulman est passé par les balcons pour rejoindre la victime qu’il connaissait. Selon les éléments de l’enquête, il l’a alors rouée de coups avant de la soulever et de la faire basculer par-dessus la rambarde, causant sa mort. Selon les voisins, il aurait alors, dans un état d’excitation extrême, crié « Allah Akbar », « J’ai tué le Sheitan », « J’ai tué le démon ». Et quand les policiers sont arrivés sur place, il était prostré dans le coin d’un appartement voisin et récitait des prières en arabe.

Une quinzaine de joints par jour et une « bouffée délirante »

L’affaire avait fait grand bruit et relancé une vive polémique sur l’antisémitisme qui imprégnerait certains quartiers populaires. Mais désormais, la perspective d’un procès semble s’éloigner. À moins que la Cour de cassation ne casse, ce mercredi, l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.

Le 19 décembre 2019, celle-ci avait en effet conclu à l’irresponsabilité pénale du mis en cause en raison « d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement au moment des faits », comme le prévoit l’article 122-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9867I3T). Pour rendre leur décision, les magistrats se sont basés sur trois expertises médicales. Toutes évoquent la « bouffée délirante » de Kobili Traoré causée, selon sept psychiatres, par une consommation chronique, ancienne et excessive de cannabis, le jeune homme fumant quotidiennement une quinzaine de joints depuis ses 16 ans. Mais les experts ne sont pas d’accord sur les conclusions à en tirer.

Pour deux collèges d’experts, Kobili Traoré présentait « une abolition de son discernement ». Autrement dit, il est irresponsable pénalement et ne doit pas être jugé. Mais pour le psychiatre Daniel Zagury, il ne présentait qu’une « altération de son discernement » et peut donc être jugé. « En dépit de la réalité indiscutable du trouble aliénant, l’abolition du discernement ne peut être retenue du fait de la prise consciente et volontairement régulière du cannabis en très grande quantité », indique-t-il ainsi dans son rapport. Selon lui, le mis en cause est responsable car il a de son plein gré fumé le cannabis ayant entraîné le trouble psychique à l’origine du drame, même s’il ignorait que la drogue entraînerait cet effet.

Le parallèle avec un conducteur ivre au volant       

C’est évidemment l’analyse qu’ont retenue les avocats de la famille de Sarah Halimi et celle qui les a conduits à former un pourvoi en cassation contre la décision de la chambre de l’instruction. Le 3 mars, ils ont donc plaidé devant la Chambre criminelle de la juridiction pour tenter d’obtenir, in fine, le renvoi devant une cour d’assises de Kobili Traoré.

En pointant évidemment du doigt ce qu’ils appellent « un paradoxe » : pourquoi la consommation d’alcool ou de stupéfiants avant de commettre une infraction est-elle habituellement considérée comme une circonstance aggravante et pourquoi, dans le cas présent, devient-elle une cause d’irresponsabilité pénale ? Prenant notamment exemple sur le fait qu’un conducteur provoquant un accident de la route risque, sur le plan pénal, beaucoup plus s’il était ivre au volant que s’il était sobre.

« Si la consommation est excessive et entraîne une abolition du discernement, l’auteur s’est volontairement mis dans cette situation », a ainsi plaidé Julie Buk Lament, l’une des avocates des proches de Sarah Halimi. « Une jurisprudence vient de naître, avait même ironisé sur Twitter, Francis Szpiner, autre avocat. Celui qui prend une substance illicite n’est pas responsable des conséquences ! »

Hospitalisation d’office et mesures de sûreté pendant vingt ans ?

À l’inverse, l’avocat de la défense a soutenu la distinction entre l’ivresse causée par des psychotropes, mais qui laisse une part de discernement et une « bouffée délirante » qui l’abolit. « Kobili Traoré ne savait pas que sa consommation de cannabis pouvait entraîner cette bouffée délirante », inédite chez lui, a ainsi martelé Patrice Spinosi, l’avocat du jeune homme devant la Cour de cassation. « On vous demande une décision politique : consacrer un principe général d’exclusion de l’irresponsabilité pénale dès lors qu’il y a eu une consommation de stupéfiants », s’est-il insurgé. Pour lui, le risque serait même de créer « une jurisprudence Halimi » sous la pression de l’opinion publique et des politiques.

Car si le fait divers était passé relativement inaperçu au moment où il est survenu, il a ensuite fait les gros titres des journaux, entraînant même des réactions politiques inattendues. À commencer par celle d’Emmanuel Macron lui-même. Bafouant le principe de séparation des pouvoirs, le président de la République avait indiqué que « le besoin de procès est là » lors d’un voyage officiel à Jérusalem, le 23 janvier 2020.

De quoi titiller Chantal Arens, la première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, le procureur général. Dans un communiqué pour le moins inhabituel, ils avaient rappelé au chef de l’État le principe d’indépendance de la Justice. « Les magistrats de la Cour de cassation doivent pouvoir examiner en toute sérénité et en toute indépendance les pourvois dont ils sont saisis. »

Le message semble également avoir été transmis à l’Avocate générale Sandrine Zientara. Le 3 mars, lors de l’audience, elle a, sur la même ligne que la défense, invité la Cour de cassation à ne pas se substituer au politique et à rester fidèle à ses décisions passées, tout en reconnaissant un « vide juridique » pour ce cas et une question « complexe ».

Si ce mercredi la Cour de cassation suit son avis, Kobili Traoré ne sera pas jugé. Comme l’ont prévu les magistrats de la chambre de l’instruction de la cour d’appel en décembre 2019, il fera l’objet d’une hospitalisation en institut psychiatrique, mesure administrative sous la responsabilité du préfet, accompagnée de mesures de sûreté d’une durée de vingt ans, comprenant l’interdiction d’entrer en contact avec les proches de la victime et de retourner sur les lieux des faits.

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