Le Quotidien du 24 mars 2021 : Droit pénal spécial

[Jurisprudence] De la ligne de partage entre exhibition et agression sexuelles

Réf. : Cass. crim., 3 mars 2021, n° 20-82.399, FS-P+B+I (N° Lexbase : A59494I8)

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par Marthe Bouchet, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université Paris 2 Panthéon-Assas

le 24 Mars 2021


Mots-clés : agressions sexuelles • exhibition sexuelle • contact physique • connotation sexuelle • circonstances entourant l’acte

Alors qu’on songe aujourd’hui à créer de nouvelles incriminations afin de mieux punir les actes sexuels imposés aux mineurs, c’est la frontière entre deux infractions déjà bien connues, l’exhibition sexuelle et l’agression sexuelle, qui est au cœur de l’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 3 mars dernier.


L’éventail des comportements sexuels déviants ne connaissant malheureusement aucune limite, la question cruciale de la qualification se révèle bien souvent délicate. En l’espèce, un individu se rend à la médiathèque. Excité par une bande dessinée érotique qu’il avait préalablement empruntée, il s’assoit à côté d’une enfant, lui effleure la main, ainsi que la jambe, du mollet jusqu’au genou, tout en se masturbant après avoir ouvert la braguette de son pantalon. Il est appréhendé alors que son sexe en semi-érection était visible. Il convenait de trouver la qualification qui corresponde le mieux aux faits, afin de les réprimer à leur juste mesure.

Les juges de première instance ont retenu la qualification d’exhibition sexuelle, punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. La cour d’appel s’est tournée vers une qualification plus sévère, considérant qu’étaient caractérisées des agressions sexuelles, punies d’une peine portée à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsqu’elles sont imposées à un mineur de 15 ans [1]. Il revenait à la Chambre criminelle de tracer la ligne de partage entre exhibition et agression sexuelle, une question dont l’importance théorique se doublait d’une incidence particulièrement lourde en termes de peine.

De prime abord, l’exhibition sexuelle pouvait légitimement être envisagée. Pour que cette infraction, prévue par l’article 222-32 du Code pénal (N° Lexbase : L5358IGK), soit retenue, un acte de nature impudique doit être imposé à la vue d’autrui dans un lieu public. En l’espèce, une médiathèque est un lieu accessible au public, et le prévenu a imposé son sexe, voire un acte sexuel, la masturbation, à la vue des personnes se trouvant sur place, et notamment à l’enfant à côté de laquelle il s’est assis. Il n’y avait donc aucun obstacle à retenir l’exhibition sexuelle.

Toutefois, l’exhibition sexuelle ne révélait qu’une partie des faits. Elle ne permettait pas d’appréhender le comportement délictuel dans toutes ses dimensions. Plus encore, l’exhibition sexuelle exclut en principe tout contact de nature sexuelle entre l’auteur et la victime [2]. Or, en l’espèce, l’auteur avait, en même temps qu’il se masturbait, caressé la main, le mollet et le genou de la victime. Retenir l’exhibition sexuelle revenait à occulter une partie du comportement de l’auteur, et l’on comprend que la cour d’appel et la Cour de cassation l’aient écartée.

Plusieurs autres qualifications étaient alors possibles.

Les atteintes sexuelles, commises par un majeur sur un mineur de quinze ans, n’ont cependant pas été retenues par les juridictions du fond, ce que le pourvoi ne contestait pas. On en déduit que l’usage de contrainte, menace, violence ou surprise de la part de l’auteur était acquis en l’espèce. La Chambre criminelle n’avait donc pas à examiner cette question d’ordinaire épineuse [3].

Elle devait en revanche se prononcer sur la qualification d’agressions sexuelles, autres que le viol, caractérisées par la cour d’appel et incriminées à l’article 222-27 du Code pénal. Les agressions sexuelles se définissent comme « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte menace ou surprise », en l’absence de pénétration. Au titre de son élément matériel, cette infraction exige justement un contact physique entre l’auteur et la victime, indiscutable en l’espèce. Toutefois, la jurisprudence ajoute que ce contact, entre l’auteur et la victime, doit être « de nature sexuelle ». La nature sexuelle du contact permet d’ailleurs de distinguer agressions sexuelles et violences volontaires. Elle se déduit le plus souvent de la zone du corps de la victime touchée par l’auteur. Ainsi, le sexe, les fesses, la poitrine ou encore les cuisses sont des parties sexuées du corps humain qui permettent de retenir les agressions sexuelles. En revanche, la main et le mollet n’ont pas intrinsèquement cette connotation. La principale difficulté en l’espèce venait donc de ce que, pour reprendre les termes employés par le pourvoi, « ces zones du corps n’étaient pas spécifiquement sexuelles en elles-mêmes ». Le contact physique ne faisait aucun doute, mais il n’était pas de nature sexuelle et pouvait empêcher de retenir les agressions sexuelles.

Ce n’est pas la position de la Chambre criminelle, qui, confirmant l’analyse de la cour d’appel, tient compte du « contexte dans lequel les faits se sont déroulés » pour admettre leur nature sexuelle. Ainsi, le fait que le prévenu se soit muni d’une bande dessinée érotique, et qu’il ait pratiqué un acte sexuel sur lui-même, confère un caractère sexuel aux caresses imposées à la victime. Ce raisonnement, fondé sur les circonstances entourant l’infraction, a déjà été retenu en matière de viol. Dans une affaire, le caractère sexuel de la pénétration a pu être déduit de ce que l’instrument ayant servi à pénétrer la victime était recouvert d’un préservatif [4]. Cette solution assez isolée, a néanmoins été contredite par la suite [5], et critiquée par une partie de la doctrine pour avoir étendu le champ d’application du viol, en référence au projet de l’auteur, et au mépris du principe d’interprétation stricte de la loi pénale [6].

La situation de l’espèce était cependant différente, et il nous semble qu’elle n’a pas donné lieu à une interprétation extensive de l’incrimination d’agressions sexuelles.

En effet, lorsque la qualification de viol est exclue, il reste encore, pour révéler le caractère sexuel du comportement, celle d’agression sexuelle. À l’inverse, dans notre espèce, en l’absence d’agressions sexuelles, ne restaient que les violences volontaires, très éloignées des faits. Ou alors il aurait fallu retenir deux infractions : une exhibition sexuelle d’une part, et des violences volontaires d’autre part. En effet, l’acte de l’auteur a causé un choc émotif à la victime. Toutefois, il y aurait eu une part d’artifice et un risque d’atteinte à ne bis in idem à diviser ainsi le comportement de l’auteur et à méconnaître le caractère sexuel du contact physique imposé à la victime. Par ailleurs, la peine encourue pour l’une comme l’autre de ces infractions reste très inférieure à celle qui est applicable aux agressions sexuelles.

Surtout, les agressions sexuelles correspondaient à l’espèce, parce qu’il n’y avait aucun doute sur le caractère sexuel du comportement de l’auteur. Ce n’est pas une référence discutable à l’intention de l’auteur, à son éventuelle volonté de commettre une agression sexuelle dans un contexte confus, qui fonde ici la décision des juges répressifs, mais bien une référence au comportement de l’auteur. Plus encore, le seul contexte semble insuffisant : ici l’usage d’un objet, de la bande dessinée érotique en l’occurrence, ne suffit pas à donner un caractère sexuel à l’acte, les juges du fond ajoutant que le prévenu s’est masturbé en même temps qu’il touchait la victime. L’attendu de la Chambre criminelle peut être lu de la même façon : la Haute juridiction ne se contente pas d’une référence au « contexte » dans lequel les faits ont été commis, elle évoque aussi « la manière » dont les caresses ont été effectuées. Seule la conjugaison de ces deux critères semble pouvoir conférer une dimension sexuelle, difficilement contestable, aux faits. Enfin, la ratio legis de l’infraction est respectée, la liberté sexuelle de la victime a indiscutablement été atteinte.

Pour toutes ces raisons, il est permis d’approuver la solution retenue par la Chambre criminelle. Elle ouvre peut-être des perspectives, puisqu’elle signifie qu’un contact physique imposé à la victime pourrait tomber sous le coup des agressions sexuelles, et non plus des seules violences, mais à la double condition que les circonstances et surtout la manière dont il a été effectué lui confèrent un caractère sexuel. Par ailleurs, d’un point de vue criminologique, on comprendrait mal que des faits de moindre gravité – tels qu’une caresse effectuée sur la cuisse – puissent être qualifiés d’agression sexuelle, et que les faits commis en l’espèce – des caresses imposées à un mineur alors que leur auteur se masturbe – ne puissent pas recevoir une telle qualification. En somme, confrontée à un cas d’espèce qui ne correspondait pas parfaitement au champ d’application classique des agressions sexuelles, la Chambre criminelle est parvenue à en livrer une lecture renouvelée et convaincante.


[1] C. pén., art. 222-19-1 (N° Lexbase : L9679KXR).

[2] V. Cass. crim., 7 septembre 2016, n° 15-83.287, FS-P+B (N° Lexbase : A5127RZW) : en l’absence de contact corporel entre l’auteur et la victime, seule l’exhibition sexuelle peut être retenue.

[3] V. tout de même le renvoi à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui ont considéré que « l’enfant n’avait ni la maturité ni le pouvoir de s’opposer de manière efficiente à ces attouchements de nature sexuelle ». Sur ce point, v. M. Chollet, Caractérisation du délit d’agression sexuelle, Dalloz actualités, 12 mars 2021 [en ligne].

[4] Cass. crim., 6 décembre 1995, n° 95-84.881 (N° Lexbase : A9251ABA).

[5] Contra, v. Cass. crim., 9 décembre 1993, n° 93-81.044 (N° Lexbase : A8001ABX), et surtout, Cass. crim., 21 février 2007, n° 06-89.543, F-P+F (N° Lexbase : A6122DUB).

[6] En ce sens, v. Y. Mayaud, Du caractère sexuel du viol : vers un critère finaliste ? RSC 1996. 374. Contra, v. P. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, 2019, n° 237.

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