Réf. : CJUE, 9 mars 2021, aff. C-344/19 (N° Lexbase : A55804KU) et C-580/19 (N° Lexbase : A55794KT)
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par Charlotte Moronval
le 17 Mars 2021
► Une période de garde sous régime d’astreinte ne constitue, dans son intégralité, du temps de travail que lorsque les contraintes imposées au travailleur affectent très significativement sa faculté de gérer, au cours de cette période, son temps libre.
Les faits. Dans l’affaire C-344/19, un technicien spécialisé était chargé d’assurer le fonctionnement, durant plusieurs jours consécutifs, de centres de transmission pour la télévision, situés dans la montagne en Slovénie. Il effectuait, outre ses douze heures de travail ordinaire, des services de garde de six heures par jour, sous régime d’astreinte. Pendant ces périodes, il n’était pas obligé de rester au centre de transmission concerné mais devait être joignable par téléphone et être en mesure d’y retourner dans un délai d’une heure si besoin. Dans les faits, compte tenu de la situation géographique des centres de transmission, difficilement accessibles, il était amené à y séjourner pendant ses services de garde, dans un logement de fonction mis à sa disposition par son employeur, sans grandes possibilités d’activités de loisir.
Dans l’affaire C-580/19, un fonctionnaire exerçait des activités de pompier dans la ville d’Offenbach-sur-le-Main en Allemagne. À ce titre, il devait, en plus de son temps de service réglementaire, effectuer régulièrement des périodes de garde sous régime d’astreinte. Au cours de celles-ci, il n’était pas tenu d’être présent sur un lieu déterminé par son employeur mais devait être joignable et pouvoir rejoindre, en cas d’alerte, les limites de la ville dans un délai de 20 minutes, avec sa tenue d’intervention et le véhicule de service mis à sa disposition
Saisie à titre préjudiciel par les juridictions nationales respectives des deux intéressés, la Cour précise, notamment, dans quelle mesure des périodes de garde sous régime d’astreinte peuvent être qualifiées de « temps de travail » ou, au contraire, de « période de repos » au regard de la Directive 2003/88 (N° Lexbase : L5806DLM).
La position de la CJUE. Pour répondre à cette question, la Cour rappelle d’abord qu'une période sans activité n'est pas nécessairement une période de repos et que selon sa jurisprudence, une période de garde doit automatiquement être qualifiée de « temps de travail » lorsque le travailleur a l'obligation, pendant cette période, de demeurer sur son lieu de travail, distinct de son domicile, et de s'y tenir à la disposition de son employeur.
La Cour juge, ensuite, en premier lieu, que les périodes de garde, y compris sous régime d’astreinte, relèvent également, dans leur intégralité, de la notion de « temps de travail » lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours de celles-ci affectent objectivement et très significativement sa faculté de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de se consacrer à ses propres intérêts. À l’inverse, en l’absence de telles contraintes, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours de telles périodes doit être considéré comme du « temps de travail ».
À cet égard, la Cour indique que, afin d’évaluer si une période de garde constitue du « temps de travail », seules les contraintes imposées au travailleur, que ce soit par une réglementation nationale, par une convention collective ou par son employeur, peuvent être prises en considération. En revanche, les difficultés organisationnelles qu’une période de garde peut engendrer pour le travailleur et qui sont la conséquence d’éléments naturels ou du libre choix de celui-ci ne sont pas pertinentes. Tel est, par exemple, le cas du caractère peu propice aux loisirs de la zone dont le travailleur ne peut, en pratique, s’éloigner durant une période de garde sous régime d’astreinte.
En outre, la Cour souligne qu’il appartient aux juridictions nationales d’effectuer une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce pour vérifier si une période de garde sous régime d’astreinte doit être qualifiée de « temps de travail », cette qualification n’étant en effet pas automatique en l’absence d’une obligation de demeurer sur le lieu de travail.
En deuxième lieu, la Cour rappelle que le mode de rémunération des travailleurs pour les périodes de garde ne relève pas de la directive 2003/88, et demeure donc à la libre appréciation des États.
Enfin, elle rappelle que la qualification par un employeur de « période de repos » d'une période de garde ne peut l'exonérer des obligations spécifiques qui lui sont imposées en droit européen en matière de santé et de sécurité des travailleurs.
Pour en savoir plus. V. aussi CJUE, 21 février 2018, aff. C-518/15 (N° Lexbase : A9558XDD), Ch. Radé, Les pompiers-bénévoles sont des travailleurs comme les autres... enfin presque !, Lexbase Social, mars 2018, n° 735 (N° Lexbase : N3233BXZ), qui considère que « le temps de garde qu’un travailleur passe à domicile avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de 8 minutes, restreignant très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités, doit être considéré comme “temps de travail” ». V. ETUDE : Les asteintes, La définition et le régime de l'astreinte, in Droit du travail, Lexbase (N° Lexbase : E0286ETR). |
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