La lettre juridique n°494 du 19 juillet 2012 : Avocats/Champ de compétence

[Jurisprudence] Périmètre du droit : les agences de legal planner mises hors la loi

Réf. : TGI Nanterre, 1ère ch., 5 juillet 2012, n° 11/06572 (N° Lexbase : A6371IQZ)

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N2994BT3

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014

Le 29 septembre 2010, lors d'une conférence sur la réalité et l'avenir du monopole en matière de consultation juridique, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, Christiane Féral-Schuhl, alors candidate au "dauphinat", avait prévenu, qu'une fois élue, il n'y aurait pas de place pour les "braconniers du droit", reprenant à son compte la formule du Bâtonnier Michel Bénichou (lire A.-L. Blouet Patin, 1991-2010 : réalité et avenir du monopole en matière de consultation juridique, Lexbase Hebdo n° 47 du 7 octobre 2010 - édition professions N° Lexbase : N1112BQA). Moins de six mois après son élection, le nouveau Bâtonnier signait, le 23 mai 2012, une convention de partenariat avec le Conseil régional Ile-de-France de l'Ordre des experts-comptables afin de s'associer pour lutter ensemble contre les "braconniers du droit et du chiffre" qui ciblent le marché des entreprises. Les deux Ordres rappelaient, à cet égard, que "nul ne peut faire usage des titres, ni exercer la profession d'avocat ou d'expert-comptable s'il n'est inscrit au tableau de l'Ordre et s'il n'a prêté serment d'exercer sa profession dans le respect des principes qui la guident et forment la déontologie de sa profession" (lire N° Lexbase : N2359BTK). Et, le 28 juin 2012, Christiane Féral-Schuhl rencontrait le président de la FNAIM, René Pallincourt, pour convenir ensemble que la pratique de certains sites internet, se prévalant de l'image de l'avocat pour masquer qu'ils sont agents immobiliers, n'était pas tolérable et qu'il convenait donc d'y mettre un terme.
Voilà pour les poignées de mains et les cocktails, mais qu'en est-il concrètement de la lutte contre les personnes portant atteinte à la réglementation de la délivrance des consultations juridiques -puisqu'il n'y a pas, en la matière, de monopole de l'avocat, contrairement à l'activité judiciaire (loi n° 71-1130, art. 4 N° Lexbase : L6343AGZ)- ?

L'une des premières victoires de cette "croisade" pour la défense des intérêts des clients et pour le respect des dispositions de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971, selon lesquelles "nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui s'il n'est titulaire d'une licence en droit", est sans nul doute ce jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 5 juillet 2012, qui condamne une société qui exerce, sans les garanties des professions réglementées ou bénéficiaires d'un agrément, soumises dans l'intérêt des usagers à des exigences, notamment de secret professionnel et d'assurance, une activité de consultations juridiques. Injonction lui est alors faite de cesser ses activités de consultation juridique et de rédaction d'acte, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée.

En l'espèce, le combat a été mené par le Conseil national des barreaux (CNB) qui, comme chacun le sait, centralise les actions de la profession dans le cadre des contentieux de la défense du "périmètre du droit" (loi n° 71-1130, art. 21-1 et Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-66.319, FS-P+B+I N° Lexbase : A0232GH3). Mais, nul doute que l'impulsion donnée par le barreau de Paris est d'importance ; son Bâtonnier étant vice-président du CNB.

Dans cette affaire, la société défenderesse gère un site qui proposait en ligne de l'information juridique et de l'aide administrative préalable à l'éventuelle intervention d'avocats. L'entreprise se présente comme un legal planner, qui veillait au bon déroulement et au suivi des affaires administratives et juridiques de ses clients. Le CNB a donc saisi le tribunal afin de voir constater que la société en question propose aux particuliers et aux entreprises des consultations juridiques personnalisées, distinctes d'une simple information juridique, ainsi que la rédaction d'actes sous seing privé (statuts de société, contrats commerciaux, etc.), en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 précitée.

Dans son jugement du 5 juillet 2012, le TGI relève que le service offert par la société mise en cause ne se borne pas à la simple information de type documentaire, mais constitue une palette de services juridiques personnalisés. De plus, bien qu'annoncée comme intervenant en amont du service d'un avocat, la prestation offerte ne tend pas moins à résoudre des difficultés juridiques et à concourir à la prise de décision du bénéficiaire, constituant, en pratique, une consultation juridique.

Cette décision n'appelle aucune critique. Elle n'est pas nouvelle en soi, mais elle est intéressante à plus d'un titre. D'abord, elle réaffirme les conditions générales requises pour délivrer un conseil ou rédiger un acte juridique (I). Ensuite, elle lève, un peu plus, l'ambiguïté quant à la frontière supposée ténue entre la simple information juridique et la consultation juridique réglementée (II). Enfin, elle revient sur les modalités de l'administration de la preuve en la matière (III).

I - L'encadrement légal de la délivrance des consultations juridiques et de la rédaction d'actes et l'absence de monopole de l'avocat en la matière

A - On le sait, l'activité de conseil et de rédaction d'actes peut être exercée par différentes professions et pas seulement par celles qui appartiennent au secteur des professions juridiques et judiciaires. La sentence émane de feu le Conseil de la concurrence (Cons. conc., avis n° 97-A-12, 17 juin 1997 N° Lexbase : X7855ACW). Pour autant, cela ne signifie pas que n'importe qui puisse délivrer une consultation ou rédiger un acte juridique, à titre habituel et onéreux.

Bien au contraire, on a vu que l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 réservait cet exercice au "titulaire d'une licence en droit" ; mais encore faut-il que le conseil ou le rédacteur d'actes ne fusse pas l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ; qu'il ne fusse pas l'auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation ; et qu'il ne fusse pas frappé de faillite personnelle ou d'autre sanction en application des articles L. 653-1 (N° Lexbase : L3460IC7) et suivants du Code de commerce. Il est précisé, en outre, qu'une personne morale, dont l'un des dirigeants de droit ou de fait a fait l'objet d'une de ces sanctions, peut être frappée de l'incapacité à prodiguer un conseil ou rédiger un acte par décision du TGI de son siège social, à la requête du ministère public.

Par ailleurs, toute personne autorisée à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé, pour autrui, de manière habituelle et rémunérée, doit satisfaire aux obligations d'assurance et de garantie de l'article 55 de la loi de 1971. En outre, elle doit respecter le secret professionnel conformément aux dispositions des articles 226-13 (N° Lexbase : L5524AIG) et 226-14 (N° Lexbase : L8743HWQ) du Code pénal et s'interdire d'intervenir si elle a un intérêt direct ou indirect à l'objet de la prestation fournie. Enfin, toute publicité en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique est subordonnée au respect de conditions fixées par décret (loi n° 71-1130, art. 66-4).

Et, aucune consultation juridique n'échappe à la règle, pas même en matière fiscale (Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 97-85.668 N° Lexbase : A2949CYU ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 28 février 2003, n° 2001/20263 N° Lexbase : A5063A7N), même si est régulière une convention entre l'Etat et une association nationale ayant pour objet la défense des droits des étrangers, pour permettre l'exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative (CE 4° et 6° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 247939 N° Lexbase : A2833C9S) ou si l'audit et l'optimisation de la gestion locative, impliquant la vérification de l'application des clauses et conditions des baux pour le compte des locataires, ne relèvent pas du champ d'application du périmètre du droit réglementé (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 octobre 2011, n° 10/23876 N° Lexbase : A6635H7U).

B - Alors, bien entendu, les avocats inscrits à un barreau français et les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation disposent, dans le cadre des activités définies par leur statut, du droit de donner des consultations juridiques et de rédiger des actes sous seing privé pour autrui (loi n° 71-1130, art. 56) ; les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs, aussi. Les enseignants des disciplines juridiques des établissements privés d'enseignement supérieur reconnus par l'Etat délivrant des diplômes visés par le ministre de l'Enseignement supérieur, peuvent donner des consultations juridiques (loi du 1971, art. 57). Et, les juristes d'entreprise exerçant leurs fonctions en exécution d'un contrat de travail au sein d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises peuvent donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé (loi n° 71-1130, art. 58). N'en jetez plus, la coupe est pleine...

Et, pourtant, l'article 59 de la loi précitée permet, plus généralement, les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée, dans les limites autorisées par la réglementation qui leur est applicable, à donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale. Ces personnes peuvent, ainsi, rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire direct de la prestation fournie. Ainsi, les experts-comptables ont la faculté de rédiger des actes sous seing privé, sans pouvoir en faire l'objet principal de leur activité, lorsque ces actes constituent l'accessoire direct de leurs missions ou des travaux comptables (Cass. civ. 1, 1 mars 2005, n ° 02-11.743, F-P+B N° Lexbase : A0942DHD ; Cass. crim., 11 avril 2002, n° 00-86.519, FS-P+F N° Lexbase : A5618AYQ ; CA Chambéry, 1ère ch., 3 avril 2000, n° 1997/01439 N° Lexbase : A7700DNI).

La décision rapportée cite, enfin, l'article 60 de cette même loi au terme duquel les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité. C'est évidemment le cas dans lequel pouvait se glisser l'entreprise mise en cause, si au moins elle avait requis et obtenu un agrément en ce sens. C'est que la combinaison de leur expérience professionnelle et d'une formation en droit doit être de nature à donner à ces personnes une qualification suffisante pour pratiquer le droit à titre accessoire, avait pu conclure le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 21 mai 2008, n° 298623 N° Lexbase : A7219D8U ; CE Contentieux, 3 juin 2002, n° 230824 N° Lexbase : A8696AYQ, n° 232531 N° Lexbase : A8699AYT, n° 232532 N° Lexbase : A8700AYU).

Le jugement cite encore une réponse ministérielle du 7 septembre 2006 (QE n° 24085 de M. Alain Fouché, JO Sénat 27 juillet 2006, p. 1991, réponse publ. 7 septembre 2006, p. 2356, 12ème législature N° Lexbase : L9980IPC), selon laquelle "les personnes exerçant des activités professionnelles réglementées autres que judiciaires ou juridiques, les personnes exerçant une profession non réglementée ainsi que certains organismes peuvent toutefois être autorisés à donner des consultations en matière juridiques et rédiger des actes sous seing privé, dans des conditions très précises définies dans l'intérêt même des usagers du droit. Par conséquent, le titulaire d'un doctorat en droit, ne peut pas, en se prévalant de celte seule qualité, délivrer des consultations juridiques à titre onéreux".

C - Aussi, est puni d'une amende de 4 500 euros et d'un emprisonnement de 6 mois ou de l'une de ces deux peines seulement quiconque aura donné des consultations ou rédigé pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique (loi n° 71-1130, art. 66-2 et 72). En cas de récidive, l'amende est portée à 9 000 euros. Et, les mêmes peines sont applicables en cas de démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique (loi n° 71-1130, art. 66-4).

Une fois le cadre législatif posé, il faut reconnaître que le débat ne se situe pas tant sur la qualité des personnes habilitées à délivrer des consultations ou à rédiger des actes juridiques, que sur la détermination de ce que constitue, à vrai dire, une consultation juridique.

II - Les agences de legal planner ne sont pas habilitées à délivrer des consultations ou à rédiger des actes juridiques en dehors du cadre réglementaire

A - On sait clairement qu'une société ne peut pas mettre à la disposition des personnels utilisateurs de titres restaurants, un service d'assistance téléphonique qui peut les renseigner à propos de la plupart des difficultés fiscales, juridiques, administratives de la vie courante (TGI Auxerre, 3 janvier 1995 N° Lexbase : A4682ATL). Et, une société dont l'objet social est l'optimisation des dépenses des entreprises ne peut donner, à titre habituel et rémunéré, des consultations juridiques dès lors qu'elle ne remplit pas les conditions fixées aux articles 54 et 60 de la loi de 1971 (CA Pau, 23 novembre 2011, n° 10/01798 N° Lexbase : A6559H4P). Enfin, si les activités liées à un audit ne constituent pas des prestations d'assistance et de représentation au sens de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 (CA Versailles, 1ère ch., 5 mars 2009, n° 07/08632 N° Lexbase : A5627EDR), et si cette mission nécessite une connaissance juridique approfondie des règles relatives à l'application de ces taxes, elle ne se limite pas uniquement à cet aspect (T. com. Versailles, 19 octobre 2007, aff. n° 2004F05606 N° Lexbase : A9999D44 ; T. com. Bobigny, 20 octobre 2006, aff. n° 2005F00595 N° Lexbase : A8799HDA), en amont des conseils donnés en phase contentieuse, la vérification, au regard de la réglementation, du bien-fondé des cotisations réclamées par les organismes sociaux au titre des accidents du travail constitue une prestation à caractère juridique (Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-66.319 N° Lexbase : A0232GH3). Et, la mission d'examiner et d'analyser l'ensemble des coûts sociaux des entreprises et de proposer des recommandations permettant de réaliser des économies implique la nécessité de rechercher les dispositions légales et réglementaires applicables ; l'accomplissement de cette mission ne se limite donc pas à la diffusion de renseignements et d'informations juridiques à caractère documentaire, mais comporte une étude de l'application des règles à chaque cas particulier (CA Versailles, 12ème ch., 11 septembre 2008, n° 07/03343 N° Lexbase : A3996ERG).

B - Mais, l'article 66-1 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que la diffusion en matière juridique de renseignements et d'informations à caractère documentaire échappe aux règles du périmètre du droit. C'est tout naturellement dans cette brèche que nombre de sociétés s'engouffrent pour échapper à la réglementation ci-dessus exposée. Dans un arrêt rendu le 15 juin 1999, la Cour de cassation avait pu reconnaître que le fait de transmettre à des clients qui en font la demande des modèles types de lettres de licenciement ou de contrat de travail sans les individualiser, ni les adapter à la situation spécifique de chacun ne constitue pas une rédaction d'acte réglementé (Cass. civ. 1, 15 juin 1999, n° 96-21.415 N° Lexbase : A5835CHL).

En l'espèce, sur constat d'huissier, la société mise en cause, dans le jugement du 5 juillet 2012, propose tant aux particuliers qu'aux entreprises des consultations juridiques personnalisées qui se distinguent de la simple information à caractère documentaire, ou de la prise en charge administrative. Elle propose, par ailleurs, une activité de rédaction d'actes sous seing privé notamment en droit des sociétés (formalités de création, statuts, contrats commerciaux, secrétariat juridique, procédure de liquidation ou de redressement judiciaire...), alors que sa présidente ne dispose d'aucun titre, ni d'aucune compétence juridique, qui l'y autorise.

De fait, la société est écrite dans l'extrait K Bis comme une société d'"information et accompagnement administratifs et juridiques". En outre, son objet social est, notamment, "l'information, l'accompagnement juridique et administratif et la médiation ; la création, l'acquisition, la location, la prise en location-gérance de tous fonds de commerce, la prise à bail, l'installation, l'exploitation de tous établissements, fonds de commerce, usines, ateliers, se rapportant à l'une ou l'autre des activités spécifiées ; la prise, l'acquisition, l'exploitation ou la cession de tous procédés et brevets concernant ces activités".

Aussi, selon le tribunal de grande instance, le service offert par la société ne se borne pas à la diffusion d'une simple information de type documentaire. Elle propose en fait à ses clients une palette de services juridiques personnalisés : bien qu'annoncée comme intervenant "en amont" du service d'un avocat, la prestation offerte ne tend pas moins à résoudre des difficultés juridiques et à concourir à la prise de décision du bénéficiaire, constituant en pratique une consultation juridique, proposées tant aux particuliers qu'aux entreprises. Ceux-ci sont en effet "accompagnés" dans leurs problèmes lesquels seront éventuellement "solutionnés", que ce soit en droit immobilier, en droit du travail, en droit des obligations, en droit des contrats et de la consommation, en droit des sociétés et en droit de la famille, peu important, pour la caractérisation de la nature de la prestation, leur niveau de complexité.

La consultation juridique, dont la délivrance est ainsi réservée aux différentes professions juridiques et judiciaires (notamment avocats, avoués, avocats au conseil, huissiers et notaires) et à d'autres professions réglementées dans le cadre des activités définies par leur statut respectif, ou, s'agissant des activités professionnelles non réglementées, limité dans son objet, est définie, dans la réponse ministérielle du 7 septembre 2006, précitée, comme "toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis sur une situation soulevant des difficultés juridiques ainsi que sur !a(ou les) voie(s) possible(s) pour les résoudre, concourant, par les éléments qu'il apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation ; elle doit être distinguée de l'information à caractère documentaire qui consiste seulement à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit et de la jurisprudence relativement à un problème donné".

Aussi, faisant application d'une jurisprudence constante, aux termes de laquelle la constitution de dossiers et les conseils donnés aux clients en vue d'effectuer des démarches administratives constituent la délivrance de consultations juridiques relevant du monopole de l'avocat (Cass. crim., 11 janvier 2001, n° 00-80.830 N° Lexbase : A2550CRU), le juge de Nanterre ne pouvait que condamner la société en cause à cesser ses activités. En outre, les différents extraits du site internet de la société suffisent à constater qu'elle procède par le biais de ce site à un démarchage du public en vantant l'intérêt et la qualité de ses prestations. Les interviews, auxquelles le jugement fait référence, pratiquées à la télévision ou à la radio, alimentent encore le démarchage fautif, justifiant l'injonction requise par le CNB.

C - Reste que les velléités de la fondatrice de la société mise en cause d'introduire en France le concept anglo-saxon de legal planner sont réduites à néant. La présidente se présente ainsi comme un "organisateur juridique, une idée proche des organisateurs de mariage" -où comparaison n'est pas raison-. Elle précise, sur le site internet de la société, que, bien sûr, en cas de litige important elle oriente ses clients vers des avocats, car eux seuls ont le droit de faire du conseil juridique -maigre précaution-.

Ainsi, aider ses clients à "gérer leurs tracas administratifs, juridiques, afin d'éviter justement que cela ne s'envenime, ne s'aggrave", s'apparente à une consultation juridique réglementée. Et, si "l'idée c'est de trouver des pistes pour des règlements amiables", les avocats sont les professionnels habilités pour se faire, au vu des dernières réformes en matière de règlement alternatif des litiges.

Et, si face à des problématiques posées, les juristes de sa société apportent information, assistance et accompagnement juridique, au regard de l'état du droit et de la jurisprudence et que cette dernière n'intervient nullement dans la prise de décision en donnant un avis ou dans le déroulement de la procédure, les juges de Nanterre n'ont pas été dupes et ont considéré que cet "accompagnement juridique" était illégal.

Enfin, toute aussi intéressante que la solution apportée par ce jugement du 5 juillet 2012, l'administration de la preuve apportée par le CNB mérite attention.

III - L'administration de la preuve de la violation du périmètre du droit : le constat d'huissier à l'honneur

A - Dans cet affaire, c'est le constat d'huissier qui aura permis au CNB d'étayer ses prétentions et de caractériser au plus juste la nature des prestations proposées par la société défenderesse.

D'abord, un constat d'huissier sur internet, accompagné d'un extrait K Bis de la société, aura permis au juge d'apprécier la teneur de "l'assistance administrative et juridique" fournie par la société mise en cause (voir supra). Et, la société aura beau faire valoir que sa présidente est titulaire d'un DESS en droit des affaires et est diplômée d'HEC ; que son objet social, tel qu'il résulte des statuts est clair ; et qu'elle se borne à effectuer de l'information juridique et de l'accompagnement juridique et administratif et n'intervient nullement dans la prise de décision en donnant un avis, ou dans le déroulement de la procédure, réorientant seulement, le cas échéant, le requérant vers les partenaires professionnels du droit pour un avis éclairé ou une solution idoine ; les juges du fond apprécient souverainement la nature des prestations fournies et concluent naturellement à la délivrance de consultations juridiques réglementées.

B - Par ailleurs, la retranscription d'une émission de télévision dans laquelle la présidente fondatrice de la société avait tenu certains propos fut également déterminante. Assénant sans ambages que son site "permet en fait d'avoir un accompagnement juridique" et qu'il "étudie[le] problème, qu'il soit administratif ou juridique [pour] trouver les bonnes solutions, en [...] informant, en [...] faisant rencontrer les bons prestataires", la preuve de la délivrance d'une consultation juridique était apportée ; d'autant que l'interviewée précisait, à cette occasion, que "la différence avec un avocat ou avec d'autres sites juridiques, c'est qu'on n'est pas seulement un site, on est aussi des personnes physiques qui nous déplaçons chez nos clients. Donc on va regarder réellement leurs dossiers" : les éléments constitutifs d'une prestation personnalisée y était ainsi contenus.

C - Pour finir, l'huissier s'est encore connecté au site d'une radio pour retranscrire une chronique dont il ressort que, depuis 2009, la présidente fondatrice avait créé un service de "conseils juridiques sur internet" (dixit !). La cause était dès lors entendue.

Ainsi, par cette décision du 5 juillet 2012, le juge freine net le développement des "agences d'accompagnement administratif et juridique" dont l'activité relève de la consultation juridique réglementée -pour autant qu'elles ne disposent pas de l'agrément discrétionnaire de l'article 60 de la loi de 1971-. Le cas des entités fournissant de l'information et de la documentation juridique semble donc bien borné. Pourtant, foisonnent, ici ou là, des propositions de services "experts", ces sociétés délivrant des réponses à toutes problématiques juridiques. Il s'agit, le plus souvent, d'un service de renseignement juridique par téléphone, dans les différents domaines du droit. Et, leurs experts, juristes de formation, délivrent la réponse juridique aux questions qui leurs sont posées, "dans un délai maximum de 48 heures ouvrées". Le service a pour objectif d'aider quotidiennement ses clients dans ses missions. Il permet de sécuriser les prises de décisions et de gagner un temps précieux, confirmant aux clients les sources documentaires indispensables pour appuyer leur raisonnement et étayer leurs décisions. Là encore la frontière est ténue entre information, documentation et consultation juridique ; d'autant que les entités en cause sont des professionnels des deux premières solutions et collaborent régulièrement avec des personnes habilitées à délivrer des consultations... Encore, pourraient-elles se réfugier derrière le fait que les organes de presse ou de communication au public par voie électronique peuvent offrir aux lecteurs ou auditeurs des consultations juridiques. En effet, l'article 66 de la loi précitée les autorisent à pareille activité pour autant que les consultations en cause aient pour auteur un membre d'une profession juridique réglementée. Le contentieux en la matière est donc loin d'être tari.

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