La lettre juridique n°494 du 19 juillet 2012 : Éditorial

Le bronzage, c'est la santé ; la pluie, c'est la conserver !

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Le bronzage, c'est la santé ; la pluie, c'est la conserver !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/6555064-le-bronzage-cest-la-sante-la-pluie-cest-la-conserver
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Le 12 juillet 2012, le sénateur Bernard Cazeau présentait son rapport au nom de la mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. La création par le Sénat de cette mission, présidée par Chantal Jouanno, répondait, à coup sûr, à l'émotion suscitée par le scandale des "prothèses mammaires PIP", à la suite de celui, non moins médiatique, du "Mediator". Ces deux affaires sanitaires remettent en cause, bien évidemment, les dispositifs médicaux afférents. Et, l'on s'attendait donc à l'émergence de nombre de propositions visant à enrayer les dysfonctionnements constatés. Le catalogue à la Prévert des propositions est pour le moins hétéroclite (mettre au point un cahier des charges commun à tous les organismes notifiés ; multiplier les contrôles inopinés chez les fabricants ; doter le N-Bog d'un statut légal dans la réglementation européenne et lui confier la mission d'harmoniser les modalités de surveillance des organismes notifiés...). Certaines propositions sont d'envergure (étendre l'obligation d'information des organismes notifiés aux observations de non-conformité majeures ; rendre publics les flux financiers et les liens d'intérêts entre fabricants de dispositifs médicaux et bénéficiaires de ces avantages). Mais outre les aspects médicaux, la mission s'est inquiétée du peu de réglementation encadrant la profession d'esthéticienne et, plus généralement, les professionnels de l'esthétique. Elle propose donc d'encadrer strictement le recours par les esthéticiennes à certains dispositifs à visée esthétique, de créer un registre qualité des médecins pratiquant des actes à même visée, etc.. Et, oh rage ! Oh désespoir ! La trentième proposition rugissante : interdire les cabines de bronzage hors usage médical pour éviter un futur scandale sanitaire.

Cette fois, point de chichi, point de tralala socio professionnel, l'interdiction des cabines de bronzage a moins à voir avec le retour à un esthétisme aristocrate type XIXème siècle, qu'au nombre croissant des cas de cancer de la peau détectés chaque année. 9 780 nouveaux cas de mélanomes cutanés ont été détectés en 2011 en France, provoquant 1 620 morts. C'est deux fois plus, en moyenne, qu'il y a 10 ans. La situation est, bien évidemment, alarmante. Et, si l'on ne peut empêcher la photo exposition de l'Homme, encore peut-on limiter les dégâts en détruisant les 15 500 cabines à UV recensées en France, à moins d'en faire autant d'oeuvres d'art, type "Duchamp", témoignages de "l'une des principales révolutions culturelles du XXème siècle", à lire Pascal Ory, aujourd'hui remisée.

Et, même si huit millions de personnes en France pratiquent le bronzage en cabine, dont 45 % d'hommes, selon une enquête de l'Insee, la France a-t-elle vraiment accepté que le canon de la beauté pigmentaire occidentale passe de l'ordre du marbre à celui du bronze ? Rien n'est moins certain... D'autant que les causes de cette "révolution culturelle" ont disparu et que le principe de sécurité commande la prudence : c'est-à-dire la sagesse, bien plus que la peur irraisonnée.

D'aucuns auront beau arguer que les psoriasis et les vitiligo doivent être traitées aux UV ; que le grand Hippocrate, lui-même, recommande l'héliothérapie contre les maladies bactériennes et inflammatoires (Ah ! La tuberculose et les beaux jours des sanatoriums pyrénéens...) ; les mânes de Niels Ryberg Finsen, prix Nobel de médecine en 1903 pour son actinothérapie, ne ressusciteront pas les cabines de bronzage !

Coco Chanel peut aller se rhabiller : la mode n'est plus au teint halé. Et, Joséphine Baker peut s'en retourner se prélasser en son château des Milandes : pour avoir la banane, il ne faudra plus compter sur la lampe à UV.

L'aventure coloniale n'est plus une référence, bien au contraire ; et le prix du kérosène devrait encourager aux joies des climats plus tempérés, pour ne pas dire pluvieux... Aussi, le marbre devrait supplanter, dans les goûts et les moeurs, le bronze : Psyché ranimée par le baiser de l'Amour, plutôt que le dieu de l'Artémision lançant sinon la foudre, du moins un trident ! L'iconographie sculpturale parle d'elle-même.

Le contentieux condamne, plus particulièrement, la corrélation entre le bronzage et l'épilation au laser (CA de Paris, du 12 novembre 2004, n° 02/18913 ou CA de Bordeaux, du 17 avril 2008, n° 06/05496), car il est évidemment impossible d'attribuer la cause d'un mélanome à une séance d'UV particulière, dans un salon esthétique précis, à une date donnée. C'est pourquoi l'interdiction en amont semble être la seule voie de contrainte possible ; les campagnes de sensibilisation n'ayant pas produit les effets escomptés.

Il n'est pas certain qu'avec ce mois de juillet pluvieux, sur fond de crise sociale propice à la morosité, la proposition face long feu. Mais, peu me chaut, avouerai-je que "le bronzage, [c'est] encore un truc qu'est pas pour moi, ça. Si vous voulez mon avis, rien n'est plus triste qu'un postérieur pâle dans un ensemble bronzé. C'est comme un coin de Flandres corporel perdu dans une Côte d'Azur anatomique", pour citer Jean Yanne.

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