La lettre juridique n°494 du 19 juillet 2012 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Juillet 2012

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N3013BTR

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR des Universités

le 19 Juillet 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR des Universités, Membre du CERDP - Faculté de droit de Nice, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus le 3 juillet 2012 par la Cour de cassation tous deux promis aux honneurs d'une publication au Bulletin. Dans le premier arrêt, commenté par Emmanuelle Le Corre-Broly, la Chambre commerciale opère un revirement de jurisprudence en énonçant qu'il résulte des dispositions des articles L. 632-1, I, alinéa premier, et L. 632-3, alinéa 2, du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que le paiement par chèque de banque intervenu depuis la date de cessation des paiements est soumis à l'action en rapport, dès lors que le débiteur a fourni la contrepartie à l'établissement de crédit émetteur du chèque. Enfin, dans le second arrêt, sur lequel revient le Professeur Le Corre, la même formation de la Haute juridiction statue sur la nature de la créance de cotisation due à la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) dans la procédure collective et retient que le fait générateur de cette dernière est l'existence de l'inscription de l'avocat à une date donnée, de sorte que, pour ceux d'entre eux qui étaient inscrits au 1er janvier, la créance naît à cette date pour l'année entière, sans avoir à distinguer entre les périodes antérieures et postérieures à l'ouverture de leur procédure collective.
  • La soumission du paiement par chèque de banque à l'action en rapport de l'article L. 632-3 du Code de commerce (Cass. com., 3 juillet 2012, n° 11-22.974, FS-P+B+I N° Lexbase : A4892IQA)

L'article L. 632-3, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L4036HB4) énonce que "les dispositions des articles L. 632-1 (N° Lexbase : L8851IN7) et L. 632-2 (N° Lexbase : L3422ICQ)", relatifs aux nullités de la période suspecte, "ne portent pas atteinte à la validité du paiement d'une lettre de change, d'un billet à ordre ou d'un chèque". Cette règle, déjà contenue dans les législations précédentes, est justifiée par des raisons de sécurité : il semblait nécessaire de soustraire ces titres aux nullités de la période suspecte afin de ménager la confiance des porteurs d'effets de commerce et ainsi faciliter leur circulation (1). Cependant, comme l'a relevé un auteur, "s'agissant du cas particulier du chèque, la généralisation des chèques pré-barrés et non endossables rend largement théorique la question de leur circulation" (2). Il semble donc aujourd'hui peu logique de soustraire le paiement par chèque à l'action en nullité de droit (C. com., art. L. 632-1, par exemple paiements de dettes non échues) ou en nullité facultative (C. com., art. L. 632-2, par exemple paiements de dettes échues en connaissance de l'état de cessation des paiements) de la période suspecte. Il semblerait opportun de modifier le texte sur ce point et ce d'autant que la question n'est pas anodine. En effet, l'action en rapport de l'article L. 632-3 n'est prévue qu'en cas de connaissance de l'état de cessation des paiements du débiteur par le bénéficiaire du chèque, ce qui, a contrario, interdit, en l'absence de connaissance de l'état de cessation de paiement, de remettre en cause un paiement effectué par chèque et, notamment, le paiement par ce moyen d'une dette non échue, alors même que le paiement d'une dette non échue par des moyens de paiement autres que ceux visés à l'article L. 632-3, alinéa 1er, tombent sous le coup des nullités de droit de la période suspecte (C. com., art. L. 632-1, I, 3°).

Quoi qu'il en soit, en droit positif, si le paiement par chèque ne peut pas être annulé sur le fondement des nullités de la période suspecte, il peut faire l'objet de l'action en rapport prévue à l'article L. 632-3, alinéa 2, qui dispose que l'administrateur ou le mandataire judiciaire (3) peut exercer une action en rapport contre le bénéficiaire d'un chèque s'il est établi qu'il avait connaissance de la cessation des paiements. L'action en rapport présente donc une étroite ressemblance avec l'action en nullité facultative d'un paiement de dette échue qui suppose, elle aussi, la connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements du débiteur (C. com., art. L. 632-2, al. 1er). Les effets de l'action en rapport et de celle en nullité sont, en outre, identiques (4) : si l'action est admise, la personne contre laquelle elle est dirigée devra restituer le paiement reçu, en l'occurrence, le montant du chèque. Pour être la cible de l'action en rapport, le chèque remis au bénéficiaire doit-il avoir nécessairement été tiré par le débiteur ultérieurement placé sous procédure collective ? En d'autres termes, est-il possible d'exercer une action en rapport contre le bénéficiaire d'un chèque de banque ? Dans un premier temps, la jurisprudence avait considéré que l'action en rapport ne pouvait pas être exercée contre le bénéficiaire d'un chèque de banque, mettant ainsi la validité du paiement à l'abri (5). Par un arrêt du 3 juillet 2012, appelé à une large diffusion (B+I), un revirement de jurisprudence est opéré sur ce point.

En l'espèce, une URSSAF avait reçu en paiement d'un arriéré de cotisations un chèque de banque émis par l'établissement de crédit du cotisant. Quelques jours après l'encaissement du chèque, ce dernier avait fait l'objet, sur assignation de l'URSSAF, d'une procédure de redressement, rapidement convertie en liquidation judiciaire. Le liquidateur avait alors demandé à l'URSSAF, par une action en rapport, le remboursement de la somme correspondant au montant du chèque. La cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 14 juin 2011, 2ème ch., sect. 2) avait accueilli cette demande. Au soutien de son pourvoi formé contre l'arrêt d'appel, l'URSSAF soutenait que, en application de l'article L. 632-3 du Code de commerce, l'action en rapport supposait que le chèque ait été émis par le débiteur et qu'elle ne pouvait trouver application en matière de paiement par chèque de banque, lequel n'est pas émis par le débiteur.

Cette argumentation, pourtant dans la droite ligne de la jurisprudence d'alors, ne convainc pas les Hauts magistrats. Au contraire, la Chambre commerciale, dans l'arrêt rapporté du 3 juillet 2012, pose le principe selon lequel "il résulte des dispositions des articles L. 632-1, I, alinéa premier, et L. 632-3, alinéa 2, du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150GHT), que le paiement par chèque de banque intervenu depuis la date de cessation des paiements est soumis à l'action en rapport, dès lors que le débiteur a fourni la contrepartie à l'établissement de crédit émetteur du chèque".

La solution doit être totalement approuvée pour plusieurs raisons.

Elle doit l'être d'abord au regard de la rédaction des textes issue de la loi du 26 juillet 2005. Ce revirement de jurisprudence était en effet rendu inéluctable compte tenu de la modification de la lettre des textes applicables en la matière.

En effet, l'ancien article L. 621-107 du Code de commerce (N° Lexbase : L6959AIL), relatif aux nullités de la période suspecte, disposait que "sont nuls : lorsqu'ils auront été faits par le débiteur depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants [...]". Pour sa part, l'article L. 621-109 ancien (N° Lexbase : L6961AIN devenu l'article L. 632-3), prévoyait que les dispositions des articles L. 621-107 et L. 621-108 (N° Lexbase : L6960AIM devenus les articles L. 632-1 et L. 632-2) ne portaient pas atteinte à la validité du paiement d'un chèque. En conséquence, puisque les actes mentionnés à l'article L. 621-107 n'étaient susceptibles de nullité que s'ils avaient été faits par le débiteur et puisque l'article L. 621-109 faisait référence à l'article L. 621-107, l'action en rapport ne pouvait concerner qu'un paiement effectué par le débiteur lui-même et donc, en matière de paiement par chèque, un paiement effectué par un chèque tiré par le débiteur lui-même. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence applicable sous l'empire de la législation antérieure écartait l'action en rapport en matière de chèque de banque car le chèque n'était pas tiré par le débiteur, mais par son banquier.

La loi du 26 juillet 2005 a fait disparaître cette mention expresse relative aux actes faits par le débiteur lui-même. L'article L. 632-1 (anciennement C. com., art. L. 621-107), précise désormais que "sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants [...]". En conséquence, la condition d'acte "faits par le débiteur", qui existait dans la loi antérieure, n'est désormais plus exigée par le texte. En l'espèce, l'URSSAF soutenait que cette modification ne concernait que l'action en nullité et non l'action en rapport. Cependant cet argument ne convainc pas. En effet, d'une part, l'article L. 632-3, alinéa 1er, vise les articles L. 632-1 et L. 632-2 et se trouve ainsi intimement lié aux nullités de la période suspecte et constitue avec ceux-ci les articles du chapitre intitulé "de la nullité de certains actes". D'autre part et surtout, lorsqu'il permet le paiement d'une dette échue, l'action en rapport contre le bénéficiaire du chèque est étroitement apparentée à un cas de nullité facultative de la période suspecte car l'exercice de cette action contre le bénéficiaire du chèque est subordonné à l'établissement de la connaissance par le bénéficiaire du chèque de la cessation des paiements du débiteur. En l'espèce, cette connaissance ne faisait pas de doute puisque l'URSSAF, bénéficiaire du chèque reçu le 23 octobre 2007, était à l'origine de l'assignation en paiement ayant conduit au prononcé du redressement judiciaire quelques jours plus tard (le 5 novembre 2007). Le créancier bénéficiaire du paiement ne pouvait donc ignorer l'état de cessation des paiements de son débiteur dès lors qu'il assignait en redressement judiciaire (6).

La solution posée par la Chambre commerciale est non seulement fondée en droit mais s'avère, en outre, parfaitement opportune. La pratique a en effet vu se développer l'émission de chèques de banque au détriment des chèques certifiés (7) présentant une garantie moindre. En matière de chèque de banque, le tireur et le tiré sont des établissements différents (8) du même banquier. Par rapport au chèque certifié, le chèque de banque assure une garantie de paiement qui n'est pas limitée à huit jours puisqu'il peut être encaissé en toute sécurité pendant le délai d'un an, de sorte qu'il constitue une réserve de trésorerie qui doit être prise en compte en tant qu'actif disponible pour l'appréciation de l'état de cessation des paiements de son bénéficiaire (9). Alors que les chèques de banque étaient destinés à l'origine à permettre un transfert de fonds au profit du client entre deux établissements bancaires, il est aujourd'hui devenu un instrument de garantie de paiement pour celui qui en est le bénéficiaire. En pratique, la banque ne s'engage personnellement en tirant ce chèque sur elle-même que parce que, parallèlement, comme dans l'espèce rapportée, elle a débité le compte de son client du montant à payer afin d'en créditer ses propres comptes immédiatement. Cette apparence de paiement de la part du banquier ne doit pas occulter la réalité : c'est bien le client du banquier, en l'espèce le débiteur ayant ultérieurement fait l'objet de la procédure collective, qui a procédé au paiement de la créance -en l'occurrence, celle de l'URSSAF-. Il est donc parfaitement logique que, dès lors que ce paiement par chèque avait été effectué en connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements du débiteur, l'action en rapport soit déclarée recevable et conduise au remboursement par le créancier de la somme correspondant au montant du chèque.

Cette solution est heureuse en ce qu'elle permet en outre d'éviter, comme cela fut vraisemblablement le cas en l'espèce, que le créancier dont la connaissance de l'état de cessation des paiements du débiteur est évident, n'exige un paiement par chèque de banque afin de contourner la loi et ainsi échapper à l'action en rapport. Par ce revirement de jurisprudence est ainsi écarté le risque de " fraude imparable " pointé du doigt par la doctrine.

Désormais, dès lors que le chèque de banque n'est utilisé que comme garantie du paiement -c'est-à-dire lorsque le client du banquier a fourni la contrepartie du chèque à l'établissement de crédit émetteur du chèque-, le bénéficiaire du chèque devra avoir à l'esprit que la garantie procurée est toute relative s'il connaît l'état de cessation des paiements du débiteur de la créance dont le paiement est ainsi assuré. Le paiement effectué par le chèque de banque ne sera désormais plus à l'abri de l'action en rapport de l'article L. 632-3.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR des universités, Membre du CERDP - Faculté de droit de Nice

  • La nature de la créance de cotisation due à la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) dans la procédure collective (Cass. com., 3 juillet 2012, n° 11-22.922, F-P+B N° Lexbase : A4902IQM)

Au titre du régime obligatoire d'assurances vieillesse et invalidité-décès, les avocats contribuent à la Caisse nationale des barreaux français (ci-après dénommée CNBF), tant pour eux-mêmes que pour leurs salariés. La cotisation est annuelle est due, dès lors que l'intéressé est inscrit au 1er janvier de l'année au tableau de l'ordre. La cotisation est appelée annuellement au plus tard le 30 avril de chaque année.

Comment ce régime s'articule-t-il avec l'ouverture d'une procédure collective contre un avocat ? C'est à cette question que répond l'arrêt commenté.

En l'espèce, un avocat a été placé en redressement judiciaire le 1er mars 2007. La CNBF a déclaré sa créance de cotisations impayées pour les années 1999 à 2006. Elle n'a pas déclaré sa créance de cotisations au titre de l'année 2007 et a demandé que sa créance soit admise au bénéfice des dispositions de l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD), c'est-à-dire du régime des créances postérieures méritantes.

Les juges du fond l'ont déboutée de cette demande. La Caisse s'est alors pourvue en cassation. Au soutien de son argumentation, elle a fait valoir que les cotisations sont arrêtées et sont payées au plus tard le 30 avril, sur la base d'une déclaration, concernant l'avant-dernière année civile. Ainsi, puisque le jugement d'ouverture est du mois de mars, la créance de l'année 2007 serait postérieure au jugement d'ouverture.

A titre subsidiaire, la Caisse a fait valoir qu'il y avait lieu d'opérer un prorata, au sein de la créance de cotisations, pour tenir compte du temps écoulé avant le jugement d'ouverture et celui écoulé après. En raisonnant sur l'année 2007, cela revenait à considérer que, pour la période comprise entre le 1er janvier et le 28 février 2007, la créance de cotisations était antérieure, soit 59/365ème et, pour la période comprise entre le 1er mars et le 31 décembre, postérieure, soit 306/365ème.

La Cour de cassation va rejeter le pourvoi en ces termes : "aux termes de l'article 34, alinéa premier, du statut de la CNBF, si les cotisations sont exigibles aux plus tard le 30 avril, elles sont dues pour l'année entière par tout avocat inscrit au 1er janvier, et de ceux de l'article R. 723-20 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4980IRU) que le calcul ou le remboursement au prorata ne sont prévus qu'en faveur des avocats inscrits au tableau ou ayant cessé de l'être en cours d'année ; il en résulte que le fait générateur de la créance des cotisations perçues par la CNBF est l'existence de l'inscription de l'avocat à une date donnée, de sorte que, pour ceux d'entre eux qui étaient inscrits au 1er janvier, la créance naît à cette date pour l'année entière, sans avoir à distinguer entre les périodes antérieures et postérieures à l'ouverture de leur procédure collective".

La position de la Cour de cassation ne peut qu'être approuvée, au regard de sa ligne jurisprudentielle antérieure sur la question. La CNBF a commis une confusion entre l'exigibilité de la créance et son fait générateur. Comme cela résulte d'une jurisprudence constante depuis l'arrêt ancien de la Cour de cassation de 1988, qui concernait le fait générateur des cotisations URSSAF, seul compte le fait générateur de la créance, peu importe sa date d'exigibilité. La Cour de cassation s'était, à l'époque, ainsi exprimée : "Mais attendu qu'après avoir retenu exactement que les dispositions relatives à l'exigibilité des cotisations ne pouvaient prévaloir sur celles de la loi du 25 janvier 1985 qui interdisent de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire, le jugement constate que les cotisations réclamées se rapportaient à des salaires perçus pour une période de travail antérieure à l'ouverture de la procédure collective; qu'en l'état de ces énonciations, c'est à bon droit que le tribunal a décidé qu'une telle créance était née antérieurement au jugement d'ouverture et que, par suite, peu important l'époque à laquelle les salaires correspondants avaient été payés, l'acte tendant à obtenir paiement de cette créance devait être annulé" (11).

Or, comme cela ressort de l'article 34, alinéa 1er, des statuts de la CNBF, la cotisation est due pour l'année entière par tout avocat inscrit au barreau au 1er janvier de l'année de cotisation. Ainsi, en raisonnant sur l'effet de l'espèce, la cotisation due au titre de l'aide 2007 a pour fait générateur l'inscription au barreau au 1er janvier de l'année 2007. La créance est née à cette date.

Ensuite, l'article R. 723-20 du Code de la Sécurité sociale prévoit que le calcul ou le remboursement au prorata ne sont prévues qu'en faveur des avocats inscrits au tableau ou ayant cessé de l'être en cours d'année. Dans ces conditions, non seulement la créance de cotisation de l'année 2007 était née au 1er janvier, mais encore elle l'était pour la totalité, en une seule fois. Il n'était donc pas question d'opérer un prorata au sein de la cotisation.

La solution peut être comparée à celle existante en matière de taxe d'habitation. L'occupation de l'immeuble au 1er janvier de l'année en question constitue le fait générateur de la taxe. Elle est aux antipodes de la solution retenue pour l'impôt sur le revenu qui a pour fait générateur l'expiration de l'année de perception du revenu. Ainsi la créance d'impôt sur le revenu naît le 31 décembre de l'année au cours de laquelle le revenu a été perçu.

C'est donc une exacte application des règles relatives à la délimitation des créances antérieures à des créances postérieures, à laquelle a procédé ici la Cour de cassation, en se référant justement, non à l'exigibilité de la créance, mais à son fait générateur. Si le fait générateur est antérieur au jugement d'ouverture, la créance à la nature d'une créance antérieure, et cela pour la totalité.

La solution appliquée à la créance antérieure vaudra, de façon évidente, identiquement pour la créance postérieure. La symétrie est ici obligatoire, sauf à créer un système totalement bancal.

Mais attention, une fois cette question réglée, c'est-à-dire celle du fait générateur, une autre question, non posée ici à la Cour de cassation, se profile pour les créances postérieures. Seront-elles éligibles au traitement préférentiel pour la totalité, pour être nées en période d'observation d'une sauvegarde ou d'un redressement judiciaire, alors qu'ultérieurement une liquidation judiciaire serait prononcée ?

On n'oubliera pas ici de préciser, que le débiteur personne physique, en application de l'article L. 641-9, III du Code de commerce (N° Lexbase : L8860INH) ne peut plus, une fois la liquidation judiciaire prononcée, exercer au cours de la liquidation une activité indépendante. Dans ces conditions, les créances de cotisations sociales seront-elles nécessairement éligibles au traitement préférentiel lorsque le fait générateur sera postérieur au jugement d'ouverture ?

On sait que ces créances se rattachent à la poursuite d'activité. Ce sont, selon la Cour de cassation, des créances inhérentes à la poursuite d'activité (12). C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation leur avait fait bénéficier du traitement préférentiel réservé à certaines créances postérieures. Les articles L. 622-17 et L. 641-13 (N° Lexbase : L3405IC4) du Code de commerce ne connaissent pas, stricto sensu, les créances nées pour les besoins de l'activité. Ces articles ont établi trois critères téléologiques d'attribution du traitement préférentiel pour les créances postérieures : les besoins du déroulement de la procédure, la contrepartie d'une prestation pour le débiteur et les besoins de la période d'observation ou de la poursuite d'activité en liquidation judiciaire. Les créances qualifiées d'inhérentes à la poursuite d'activité par la Cour de cassation entrent dans le critère téléologique des besoins de la période d'observation ou de la poursuite d'activité en liquidation judiciaire. Dès lors que l'on raisonne sur un débiteur personne physique, on voit immédiatement qu'il ne peut y avoir de besoin inhérent à la poursuite d'activité autorisée en liquidation judiciaire, puisqu'un tel débiteur ne peut continuer son activité indépendante lorsqu'il est placé sous cette procédure collective. Ainsi, lorsque l'on raisonne sur un débiteur personne physique, comme c'est le cas en l'espèce de l'avocat, la créance postérieure éligible au traitement préférentiel inhérente à la poursuite d'activité ne peut concerner que les besoins de la période d'observation.

Raisonnons alors sur l'hypothèse suivante. L'avocat est placé en redressement judiciaire le 1er mars 2007 et, le 1er mars 2008, il y a conversion en liquidation judiciaire.

Faut-il décider que la créance de cotisations correspondant à l'année 2008 et intégralement éligible au traitement préférentiel, alors pourtant que l'activité, critère de rattachement aux créances postérieures éligibles au traitement préférentiel par la notion de besoins de la période d'observation, n'a été poursuivie que jusqu'au 1er mars 2008 ?

L'on peut comprendre l'interdiction d'établir un prorata au sein d'une cotisation pour savoir si la cotisation est antérieure ou postérieure au jugement d'ouverture, dès lors que la cotisation naît en une seule fois. Ce serait violer le principe lié la fixation de la date de naissance que de permettre un prorata entre une créance antérieure et une créance postérieure

Toute différente est ici la problématique de savoir si cette cotisation doit intégralement bénéficier du traitement préférentiel. Certes, cela revient à établir un prorata. En raisonnant sur le cas de l'avocat, cela ne revient pas, pour autant, à méconnaître la combinaison des articles 34, alinéa 1er, des statuts de la CNBF et R. 723-20 du Code de la Sécurité sociale, car il n'est pas ici question de modifier la date de naissance, c'est-à-dire le fait générateur de la créance. La créance est bien née en une seule fois. Si elle est née après le jugement d'ouverture, cette créance sera intégralement une créance postérieure. Ce n'est pas à dire, pour autant, que cette créance de cotisations doive bénéficier intégralement du régime des créances postérieures.

Il nous semble préférable, au regard du critère téléologique d'attribution du traitement préférentiel -en l'espèce la créance née pour les besoins de la période d'observation- de considérer que la cotisation due au titre de l'année 2008 est, pour la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 29 février 2008, éligible au traitement préférentiel puisqu'elle se rapporte à la période d'observation. En revanche, au titre de la période comprise entre le 1er mars et le 31 décembre 2008, il s'agit d'une créance postérieure non éligible au préférentiel, puisqu'elle se rapporte à une période au cours de laquelle l'activité n'a pu être poursuivie.

Cette vision des choses a déjà été exprimée à propos de certaines créances fiscales (13) et est partagée par d'autres (14).

Dès lors, on le voit, s'il n'est pas question de raisonner, pour savoir si une créance a la nature d'une créance antérieure ou d'une créance postérieure, autrement qu'en termes de fait générateur, et non en termes de date d'exigibilité, en revanche, il semble possible, pour la détermination de l'éligibilité au traitement préférentiel de certaines créances postérieures, de fractionner la créance née après le jugement d'ouverture en fonction de son rattachement ou non aux besoins de la période d'observation -ou de la poursuite d'activité autorisée en liquidation judiciaire pour les débiteurs personnes morales-, seule la fraction de la créance se rattachant strictement au critère téléologique d'attribution du traitement préférentiel méritant ledit traitement.

Mais cela est une autre question, qui, à n'en pas douter, sera prochainement soumise à la Cour de cassation.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) J. Argenson et G. Toujas, Règlement judiciaire, liquidation des biens et faillite, 4ème éd. Librairies techniques, 1973, n° 483 ; J.-P. Sortais, L'action en rapport de l'article L. 632-3 du Code de commerce et le chèque, Mélanges Tricot, Litec-Dalloz, 2011, p. 593 et s., sp. n° 7.
(2) J.-P. Sortais, préc., n° 8.
(3) Il est regrettable que cette action n'ait pas été expressément ouverte au commissaire à l'exécution du plan, alors que ce dernier peut expressément exercer l'action en nullité de la période suspecte (cf. C. com., art. L. 632-4 N° Lexbase : L3395ICQ). Il s'agit, à n'en pas douter, d'un oubli du législateur et la jurisprudence autorise le commissaire à l'exécution du plan à exercer l'action en rapport (Cass. com., 23 novembre 2004, n° 03-17.141, F-P+B N° Lexbase : A0396DEE, Bull. civ. IV, n° 200 ; D., 2004, AJ 3218, note A. Lienhard ; D., 2005, pan. 296, obs. P.-M. Le Corre ; du même auteur, Qualité du commissaire à l'exécution pour engager une action en rapport, Lexbase Hebdo n° 149 du 6 janvier 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4133ABP).
(4) Sur la question v. not. J.-Cl com., Fasc 2505, Redressement et liquidations judiciaires - Nullité de droit - Régime des paiements, C. Saint-Alary-Houin, M.-H. Monsèrié-Bon, n° 48.
(5) Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-15.136, publié (N° Lexbase : A8731AHT), Bull. civ. IV, n° 58 ; D., 2000, AJ 186, obs. A. Lienhard, Rev. proc. coll., 2002, p. 282, n° 12, obs. G. Blanc ; CA Douai, 2ème ch., 10 juin 1999, Act. proc. coll., 2000/18, n° 231.
(6) Dans des circonstances identiques, v. CA Paris, 3ème ch., sect. A, 13 septembre 1994, D., 1994, IR 237; Rev. proc. coll., 1995, 450, n° 10, obs. B. Lemistre ; CA Versailles, 6 mars 1997, JCP éd. E, 1997, pan. 435.
(7) Par lequel le tiré garantit l'existence de la provision, si elle existe, et s'oblige à la bloquer au profit du porteur pendant le délai de présentation de huit jours (C. mon. fin., art. L. 131-14 N° Lexbase : L9370HDE).
(8) En principe, même s'il a été admis que si la banque n'a qu'un seul établissement, elle pouvait tirer un chèque sur elle-même. V. sur la question R. Bonhomme, Instrument de crédit et de paiement, LGDJ, 9ème éd., n° 297, sp. note 27 p. 278.
(9) V. R. Bonhomme, préc., n° 297 in fine. Cass. com., 18 décembre 2007, n° 06-16.350, FS-P+B (N° Lexbase : A1191D3I) ; Défrénois 2008, 1232, note D. Gibirila ; JCP éd. E, 2008, 1358, note B. Grimonprez, nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté (2ème espèce), Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition privée (N° Lexbase : N8490BDS).
(10) F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté, Instruments de crédit et de paiement, 8ème éd., JGDJ, 2009, n° 525.
(11) Cass. com., 8 novembre 1988, n° 87-11.158, publié (N° Lexbase : A3594ABQ), Bull. civ. IV, n° 296 ; D., 1989. 36, obs. H. Honorat ; JCP éd. E, 1989, II, 15648, obs. M. Cabrillac et M. Vivant ; Rev. proc. coll., 1989, 227, obs. B. Dureuil ; Rev. proc. coll., 1990, 235, obs. C. Saint-Alary-Houin ; RTDCom., 1989, 137, obs. A. Martin-Serf ; RJ com., 1989, 187, note Ch. Gallet.
(12) Ainsi, Cass. com., 15 juin 2011, n° 10-18.726, FS-P+B (N° Lexbase : A7345HT9), D., 2011, AJ, 1677, note A. Lienhard ; D., 2011, 2691, note Guillou ; Gaz. pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 23, note L.-C. Henry ; Act. proc. coll., 2011/14, comm.. 209, note M.-H. Monsérié-Bon ; JCP éd. E, 2011, chron. 1596, n° 12, obs. Ph. Pétel ; BJE novembre/décembre, 2011, comm. 143, p. 312, note S. Benilsi ; RTDCom., 2011, 640, n° 6, obs. A. Martin-Serf.
(13) Nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 6ème éd., 2012/2013, n° 453.22.
(14) B. Lagarde, Le Trésor public : un créancier comme les autres, Gaz. Pal., 9-10 septembre 2005, n° sp. p. 28 et s., sp. p. 32 ; F. Pérochon, Les créanciers postérieurs et la réforme du 26 juillet 2005, Gaz. proc. coll., 2005, n° sp. 7-8 septembre 2005, p. 57 et s., sp. p. 62, n° 34.

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