La lettre juridique n°853 du 4 février 2021 : Baux d'habitation

[Focus] Sous-location d’un bail d’habitation sur une plateforme de type « Airbnb » : la réponse des tribunaux

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par Xavier Demeuzoy, Avocat au barreau de Paris, Demeuzoy Avocats

le 04 Février 2021

 


Mots-clés : sous-location • « Airbnb » • autorisation • interdiction • contrat de bail • sanction • expulsion • restitution des fruits civils • accession • calcul • preuve • montants perçus • déduction du loyer

La sous-location se caractérise par l’exercice d’une activité de location, à savoir la mise à disposition d’un bien de manière temporaire contre le versement d’un prix (le loyer), alors même que le loueur est lui-même locataire du bien qu’il met en vente. Ainsi, le locataire dans le bail initial devient bailleur, et le bailleur initial a donc maintenant un locataire et un sous-locataire.

À noter que le locataire continue de régler son loyer au bailleur initial, loyer alimenté par les loyers que lui verse son locataire (le « sous-locataire ») pour l’occupation et la jouissance du bien.

Les activités de type « Airbnb » sont des activités de location sur de très courtes durées, généralement une ou plusieurs nuits. Ainsi, toute personne qui serait locataire d’un bien immobilier et mettrait ce dernier en location par le biais des plateformes de location meublée touristiques pratiquerait de la sous-location.

Reste à savoir si cette sous-location est permise par le bail initial.


 

I. Sur l’autorisation de sous-location

En principe, conformément à l’article 8 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 (N° Lexbase : Z06569MW), « le locataire ne peut ni céder le contrat de location, ni sous-louer le logement sauf avec l'accord écrit du bailleur ».

Ainsi, le principe de la sous-location est celui de l’interdiction. La sous-location peut néanmoins être autorisée dans le contrat de bail et supposera nécessairement l’accord écrit du propriétaire. Elle peut, en outre, être sollicitée postérieurement à la conclusion du contrat de bail mais devra faire encore une fois l’objet d’un écrit signé du propriétaire bailleur.

En cas d’accord sur le principe de la sous-location par le propriétaire, le locataire pourra donc mettre le bien en location sur des plateformes de location meublée touristique (Airbnb, Abritel, Expedia, etc.).

Toutefois, les sous-loyers perçus par le locataire ne peuvent pas atteindre un montant supérieur au prix du loyer payé par celui-ci au bailleur initial. Par exemple, s'agissant d'un appartement loué pour un montant de 800 euros mensuels et une tarification du locataire à 80 euros la nuit sur Airbnb, le locataire ne devra pas réaliser plus de dix nuits de sous-location (80*10).

Par ailleurs, en principe, l’accord sur la sous-location vaut renonciation du bailleur à solliciter la restitution des fruits civils [1].

II. Sur la sanction de l’interdiction de sous-location

Si le locataire ne respecte pas l’interdiction de sous-louer, le bailleur, assisté d’un avocat, peut :

- engager une procédure d’expulsion à l’encontre du locataire qui sous-loue illégalement devant le Juge du contentieux de la protection (JCP) du lieu de situation du logement ;
- demander des dommages-et-intérêts ;
- solliciter le remboursement des sous-loyers perçus par le locataire.

A. Sur la question de l’expulsion

En cas de manquement à une stipulation du bail de location, le bailleur peut solliciter la résolution judiciaire du bail, ce qui entraînera l’expulsion des locataires actuels.

La jurisprudence de la Cour de cassation reconnait néanmoins aux juges du fond un pouvoir souverain pour apprécier la gravité du manquement et la pertinence d’une résiliation judiciaire du bail.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 4 janvier 1995, rappelle qu’afin de prendre en considération la gravité des manquements commis par le preneur, les juges du fond doivent se placer à la date à laquelle ils statuent [2].

Ainsi, la résiliation d’un bail peut être refusée si les agissements reprochés semblent avoir cessé au jour de la décision. Par ailleurs, sur l’appréciation de la gravité des manquements, la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 10 novembre 2009, a rappelé que les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain afin d’apprécier la gravité des fautes commises et l’actualité de celles-ci [3].

Les juges se montrent particulièrement stricts lorsque la sous-location a lieu dans un logement social : « les manquements sont d'autant plus graves qu'il s'agit d'un logement conventionné ouvrant droit à des prestations sociales et destiné à des locataires dont les revenus ne dépassent pas un certain montant ; l'activité particulièrement lucrative de location d'un bien via le site Airbnb est radicalement contraire à la destination d'un tel logement social. Ces manquements justifient dès lors le prononcé de la résiliation du bail aux torts de la locataire » (CA Paris, 21 février 2020, n° 18/23633 N° Lexbase : A20663GM[4].

Par ailleurs, dans l’hypothèse où le bail est effectivement résilié par les juges du fond, ce dernier peut accorder aux locataires un délai de plusieurs mois pour quitter les lieux, compte tenu d’une situation particulière (CA Paris, 1er octobre 2019, n° 17/05295 N° Lexbase : A1739ZQH[5].

B. Sur la restitution des fruits civils 

1) Sur l’émergence et la justification de la condamnation des locataires à la restitution des fruits de la sous-location

La jurisprudence s’est récemment fixée concernant le remboursement des sous-loyers basé sur le fondement de l’accession. En effet, l’article 546 du Code civil (N° Lexbase : L3120AB8) dispose que « la propriété d’une chose [soit mobilière soit] immobilière donne droit sur tout ce qu’il produit et sur ce qui s’y unit accessoirement soit artificiellement. Ce droit s’appelle “droit d’accession” ». 

Ainsi, dans un arrêt particulièrement remarqué et publié au bulletin, la Cour de cassation a jugé que « sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire » (Cass. civ. 3, 12 septembre 2019, n° 18-20.727, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0802ZNZ, après une décision inédite du tribunal d’instance de Paris, 5 juin 2018, n° 16/10684 ; pour un commentaire détaillé, cf. J. Laurent, AirBnb : les loyers d’une sous-location interdite appartiennent au propriétaire par accession, Lexbase Droit privé, octobre 2019, n° 799, N° Lexbase : N0838BYP).

Ce principe a ensuite été régulièrement repris par les juges du fond, qui condamnent les locataires pratiquant une sous-location illicite sur des plateformes de location meublée touristique sans l’accord de leur bailleur (par exemple : TJ Paris, 5 juin 2020, nº 11-19-005405 N° Lexbase : A55323N9).

2) Sur le calcul et la preuve des montants perçus au titre de la sous-location

Les montants perçus au titre de la sous-location illicite sont pris en compte dans le calcul du montant des fruits civils que le locataire devra restituer à son bailleur. Néanmoins, une simple évaluation du coût moyen des nuits, avec une approximation du tarif moyen à la nuitée ne sont pas suffisantes pour fixer le montant que le locataire devra restituer. Par extension, le propriétaire qui considère, sans le démontrer concrètement, que le bien a été loué toutes les nuits et demande donc la restitution de fruits civils très importants ne pourra pas voir prospérer sa demande.

En effet, il est nécessaire que le propriétaire qui s’estime lésé par la sous-location illicite réalisée par son locataire et souhaite récupérer les fruits civils de cette sous-location prouve avec certitude et précision le montant de ces derniers.

Cette nécessité est fondée sur les prescriptions des articles 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D) et 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1013KZK), selon lesquels la preuve incombe au demandeur.

Cela implique, dans un premier temps, de faire réaliser un constat d’huissier pour mettre en évidence la réalité de la location de l’appartement ou plus généralement du bien concerné. Il s’agira très certainement d’un constat internet mettant en évidence la ou les annonce(s) qui propose(nt) le bien concerné en location.

Néanmoins, un simple constat internet ne saurait suffire à déterminer le montant des revenus perçus au titre de la sous-location. S’il prouve généralement la réalité de la sous-location illicite, il est nécessaire de disposer d’un relevé précis des nuitées réalisées au sein du bien concerné et du montant versé pour chacun des séjours sur la période en cause.

Le bailleur peut, pour ce faire, solliciter directement auprès du locataire les relevés des nuitées pour le bien concerné. Si celui-ci ne les transmet pas ou si le bailleur souhaite s’assurer de l’exhaustivité et de la véracité des relevés, il lui est conseillé de faire directement intervenir la ou les plateforme(s) de location utilisée(s) pour la sous-location. Le bailleur pourra disposer alors de deux moyens d’action : faire intervenir la plateforme au procès entre bailleur et locataire, pour la communication des relevés ; ou bien entamer une action directement à l’encontre de la plateforme pour solliciter la communication des relevés.

3) Sur la question de la déduction de la part des loyers du locataire en titre

La jurisprudence, si elle apparaît plutôt constante sur le principe de la restitution des fruits civils issus d’une sous-location illicite, est plus disparate s’agissant de la mise en œuvre de cette restitution. En effet, la question s’est régulièrement posée de savoir si le juge devait déduire le montant du loyer du locataire en titre de la somme que ce dernier allait devoir restituer au propriétaire au titre des fruits civils.

Plusieurs décisions penchent en faveur d’une réponse positive, et donc d’une déduction du loyer. On citera notamment les décisions suivantes. 

  • TJ Paris, 24 janvier 2020, n° 11-19-007773 : « […] Que le seul fait que la sous-location soit interdite, ne peut suffire à transférer de facto au propriétaire, les fruits de cette sous-location, celui-ci étant devenu bailleur, et le contrat de bail faisant obstacle à ce qu’il soit fondé à recevoir directement les fruits de la sous-location en question ;
    Que le propriétaire n’est pas fondé à recevoir à la fois les fruits de la location et de la sous-location d’un même bien ;
    Que le caractère illégal de l’activité de sous-location ne transfère pas le bénéfice de ce contrat au bailleur, qui perçoit déjà les loyers au titre de contrat de bail conclu ».
  • CA Paris, Pôle 4, 4ème ch., 1 octobre 2019 n° 17/05295 (N° Lexbase : A1739ZQH) : « Et considérant que le bailleur ne saurait cumuler les loyers perçus au cours de la même période de 29 jours avec ces fruits civils perçus illicitement par sa locataire, soit 1/30° de 1154 de loyers et charges (incluant l’allocation logement versée à la Caf au bailleur à hauteur de 181 euros) = 38,50 euros de loyer par jour x 29 nuitées de sous-locations illicites = 1 231 euros  ;
    Qu’ainsi après compensation, Mme X restera devoir à la RIVP la somme de 2 919 ' 1 116,50 = 1 802,50 euros au titre des fruits civils  ».
  • CA Paris, Pôle 4, 4ème ch., 3 novembre 2020, n° 18/03533 (N° Lexbase : A381833S) : « Le bailleur peut recueillir les fruits d’une sous-location non-autorisée, que néanmoins, de la somme lui revenant doit être déduite celle que lui verse le locataire en titre ».

Cependant, il existe également des décisions contraires, qui refusent la déduction du loyer en titre. Ces décisions sont d’ailleurs rendues par la même formation de jugement. On citera notamment l'arrêt suivant.

  • CA Paris, Pôle 4, 4ème ch., 16 avril 2019, n° 17/14668 (N° Lexbase : A3157Y9S) : « Qu'il en résulte que les revenus, issus de la sous-location non autorisée par le propriétaire bailleur - fruits civils de la propriété -, appartiennent au propriétaire ;
    Qu'il s'agit ici de fruits civils distincts et complémentaires des loyers courants, issus de l'usage de la chose louée par le propriétaire, trouvant leur cause dans le droit de propriété de la RIVP ».

En définitive, si le principe des actions en restitution de fruits civils et en expulsion est aujourd’hui arrêté dans un cas de sous-location illicite, il importe pour la partie demanderesse, qu’elle soit bailleur privé ou du parc social, de s’assurer de rapporter la preuve de la sous-location illicite et de son ampleur dans le cadre du débat judiciaire, au risque de se voir débouter partiellement ou totalement de ses demandes.


[1] A. Forestier, Sous-location ilicite via Airbnb : quelles conséquences pour le locataire et la plateforme ?, La Revue des Loyers, 1011, 1er novembre 2020.

[2] Cass. civ. 3, 4 janvier 1995, n° 93-11.031 (N° Lexbase : A7548AB8).

[3] Cass. civ. 3, 10 novembre 2009, n° 08-21.874, FS-P+B (N° Lexbase : A7552ENZ).

[4] X. Delpech, Meublé de tourisme - Résiliation du bail consécutive à la sous-location illicite d'un logement via Airbnb, Juris tourisme 2020, n° 229, p.12 ; commentaire de CA Paris, 21 février 2020, n° 18/23633 (N° Lexbase : A20663GM).

[5] X. Delpech, Hébergement - Sous-location illicite d'un logement via Airbnb : pas d'expulsion immédiate du locataire fautif, Juris tourisme 2019, n° 225, p. 11 ; commentaire de CA Paris, 1er octobre 2019, n° 17/05295 (N° Lexbase : A1739ZQH) (délai de trois mois pour quitter les lieux pour une mère célibataire avec de faibles revenus).

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