Réf. : Cass. civ. 3, 14 janvier 2021, n° 20-11.224, F-P (N° Lexbase : A72614CW)
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par Eric Meiller, Notaire, docteur en droit, Chargé d’enseignement à l’université Paris-Dauphine
le 03 Février 2021
Mots-clés : promesse de vente • condition suspensive de prêt
La pratique notariale a pour usage d’encadrer la condition suspensive d’obtention de prêt, en matière de promesse de vente immobilière : taux, durée, montant, etc.. La jurisprudence récente a suscité de fortes interrogations en décidant que l’acquéreur ne respecte pas les prévisions du contrat en sollicitant un prêt pour un taux ou une durée moindre que ce qui avait été mis en condition. L’arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la Cour de cassation vient donc apporter une précision bienvenue concernant le montant du prêt : la condition suspensive est réalisée dans l’hypothèse où l’acquéreur sollicite et obtient un crédit pour montant moindre à celui stipulé dans la promesse.
L’arrêt que vient de rendre la Cour de cassation vient clarifier, en tant que de besoin, les latitudes dont bénéficie l’acquéreur, au regard des clauses d’encadrement conventionnel liées à la condition suspensive de prêt à son profit. Il convient de rappeler brièvement le contexte, même s’il est bien connu.
En principe, la vente est parfaite entre les parties, dès qu’il y a accord sur la chose et le prix (C. civ., art. 1583 N° Lexbase : L1669ABG). Comme il est rare, pour l’acquéreur, de disposer immédiatement des fonds exigibles, il est loisible aux parties de conditionner la vente à l’obtention d’un prêt bancaire, selon le droit commun des conditions suspensives (C. civ., art. 1304 s. N° Lexbase : L0955KZE). A ce droit commun, il convient d’ajouter les règles spéciales, issues du droit de la consommation, dans l’hypothèse de l’achat par un non-professionnel d’un immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation (C. conso., art. L. 313-1 N° Lexbase : L3398K7Y). Dans ce dernier cas, si l’acte précise que le prix est financé par un prêt, même partiellement, la vente est nécessairement sous la condition suspensive légale d’obtention dudit prêt (C. consom., art. L. 313-41 N° Lexbase : L3381K7D).
En l’espèce, une promesse de vente de maison est signée le 4 novembre 2016, sous la condition suspensive d’obtention d’un prêt d’un montant maximum de 725 000 euros, dont 260 000 euros de prêt-relais. Il est stipulé une obtention du prêt avant le 4 janvier 2017, et une réitération de la vente par acte authentique avant le 3 février 2017. Dans un courrier recommandé envoyé le 16 janvier, et reçu le 19, le vendeur somme son acquéreur de lui justifier l’obtention de son financement. Le 20, ce dernier répond par courrier électronique, en fournissant un accord de principe de sa banque, où celle-ci précise que les offres sont encore en cours d’édition mais que le déblocage peut s’envisager autour du 10 février. L’offre de prêt est finalement émise le 24 janvier, et transmise au notaire le 27. Mais celle-ci ne porte que sur un montant de 539 000 euros. Le 7 février, le vendeur écrit aux acquéreurs pour les informer qu’il ne souhaite plus leur vendre, la date de réitération étant dépassée depuis le 3 février. L’acquéreur répond le 21 février, précisant que les fonds pouvaient être libérés depuis le 16. Par acte d’huissier du 23 février, les acquéreurs somment le vendeur de réitérer la vente. Le 7 mars, il est effectivement justifié par l’acquéreur qu’il possède la totalité des fonds, prix et frais – ce que le prêt susmentionné ne suffisait pas à couvrir.
Le vendeur persiste néanmoins dans son refus de réitérer. S’ensuit une procédure judiciaire, où la cour d’appel retient la défaillance de la condition suspensive de prêt, considérant que l’acquéreur n’a pas respecté les termes contractuels à son propos. Par voie de conséquence, elle retient le jeu de la clause pénale de la promesse, au profit du vendeur.
Certes, le crédit finalement obtenu est de 539 000 euros. Certes encore, la promesse prévoyait un prêt d’un montant maximum de 725 000 euros, dont 260 000 euros de prêt-relais. Mais la Cour de cassation précise qu’un prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu est conforme aux stipulations contractuelles. En conséquence de quoi, elle casse l’arrêt d’appel susmentionné.
La décision porte sur deux points essentiels. Principalement, elle touche à la question des possibilités d’encadrement de la condition suspensive de prêt, et à la question subséquente de la liberté que ces clauses d’encadrement laissent ou non à l’acquéreur (I). Accessoirement, elle impacte la manière dont le vendeur peut reprendre sa liberté contractuelle, et être libéré de son engagement contractuel (II).
I. Possibilité de solliciter un crédit moindre que celui prévu au contrat
La condition suspensive de prêt vient protéger l’acquéreur, dans l’hypothèse où il ne pourrait réunir le financement bancaire nécessaire à son acquisition – son engagement est alors caduc. Pour autant, cette protection ne doit pas être utilisée par l’acquéreur pour se dédire discrétionnairement. Ainsi, la loi considère qu’une condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement (C. civ., art. 1304-3 N° Lexbase : L0652KZ8). Sur cette base, la jurisprudence déchoit l’acquéreur du bénéfice de la condition lorsque la défaillance est de son fait : ainsi, dans le cas de l’acquéreur d’une maison, qui sollicite un prêt professionnel en même temps que le prêt prévu au compromis (Cass. civ. 3, 17 février 2015, n° 13-17.201, F-D N° Lexbase : A0246NC4).
Soucieuse de protéger également le vendeur, la pratique notariale a pour usage d’encadrer la stipulation de la condition suspensive de prêt. Cet encadrement ne peut toutefois déroger à l’ordre public du droit de la consommation, lorsque l’opération est dans son champ [1].
En effet, les clauses qui accroissent les exigences de l’article L. 313-41 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3381K7D, anciennement, L. 312-16) sont censurées. Il en va ainsi des clauses imposant le dépôt d’une demande de prêt sous moins d’un mois (Cass. civ. 3, 12 février 2014, n° 12-27.182, FS-P+B+I N° Lexbase : A3581MED), d’adresser copie du prêt au notaire sous moins d’un mois (Cass. civ. 3, 7 avril 2009, n° 08-15.896, F-D N° Lexbase : A1154EGT), de notifier le refus de prêt sous un certain délai (Cass. civ. 3, 18 juillet 1986, n° 85-12.604, publié au bulletin N° Lexbase : A5731AAI : Defrénois 1987, art. 34120, p. 1450, obs. J.-L. Aubert.), ou faisant supporter à l’acquéreur les conséquences du retard de la banque (Cass. civ. 1, 7 juillet 1993, n° 91-20.395 N° Lexbase : A3756AC4 : Defrénois 1994, art. 35746, obs. D. Mazeaud). On peut aussi s’interroger sur la validité de la clause qui soumet la défaillance à l’obtention de deux ou trois refus bancaires (clause toutefois validée jadis par la jurisprudence, notamment Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 07-11.719, F-D N° Lexbase : A7058D8W : JCP N 2009, n° 8, 1001, obs. S. Piedelièvre), vu que celle-ci semble bien ajouter une contrainte inconnue du texte légal.
En revanche, les clauses qui ne font que préciser les caractéristiques du crédit sollicité sont licites. Ainsi la pratique notariale a pour usage de mentionner, dans la condition suspensive, le montant maximum, le taux maximum, la durée, les garanties possibles, parfois la ou les banques qui seront sollicitées. L’esprit de ce genre de clause est évident : il serait si simple, pour l’acquéreur d’un appartement à 100 000 euros, de se dédire en prétextant un refus de prêt pour 6 millions. La jurisprudence admet cette clause, et demande à celui qui se prévaut d’un refus de prêt de prouver que sa demande respectait les prévisions du contrat (Cass. civ. 3, 8 février 2012, n° 10-21.670, FS-D N° Lexbase : A3627ICC ; Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, FS-P+B+I N° Lexbase : A1711D47 : JCP N 2008, n° 19, 1197, obs. S. Piedelièvre).
Cette jurisprudence est toutefois devenue incertaine, avec un arrêt rendu récemment (Cass. civ. 3, 17 octobre 2019, n° 17-21.859, F-D N° Lexbase : A9401ZRM) [2]. Dans cette espèce antérieure, la condition suspensive envisageait un prêt de 610 000 euros sur vingt ans au taux de 3,8 % l'an. L’attestation de refus de prêt figurait un refus de prêt pour 610 000 euros, mais pour une durée de 15 ans, au taux de 2,76 %. Dans l’esprit de la pratique notariale, taux et durée stipulés sont des maxima, stipulés dans l’intérêt de l’acquéreur : il pourrait refuser de donner suite si son prêt est accepté en son principe, mais à des conditions trop onéreuses - durée trop longue ou taux trop élevé. Or, en l’espèce, la Cour de cassation a tenu un raisonnement inverse : si l’acquéreur demande le prêt pour une durée trop courte ou pour un taux trop bas, il augmente le risque de refus bancaire, faisant défaillir la condition par son fait. Par suite, dans cet arrêt rendu le 17 octobre 2019, la Cour de cassation décide que l’acquéreur perd le bénéfice de la condition suspensive en sollicitant un prêt pour une durée et à un taux inférieur aux conditions prévues au contrat.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt d’espèce. Là aussi, l’acquéreur n’est-il pas en contradiction avec sa promesse en sollicitant un montant moindre ? Dans le cas présent, la stipulation de la condition suspensive était dans l’esprit de la rédaction notariale traditionnelle, et disposait ainsi : « Montant maximum de la somme empruntée : 725 000 euros, dont 260 000 euros de crédit relais. - Durée maximale de remboursement : 22 ans. - Taux nominal d’intérêts maximum : 1,30 % l’an (hors assurance). - Garanties offertes : privilège de prêteur de deniers avec ou sans hypothèque conventionnelle complémentaire ».
Or, on conçoit bien que l’enjeu n’est pas ici le même que précédemment. Si l’acquéreur demande un montant moindre que celui stipulé à la promesse, il n’augmente pas le risque de défaillance de la condition - au contraire, même. Assez logiquement, donc, la Cour de cassation renoue ici avec une solution antérieure : un refus pour une demande de prêt moindre que le montant stipulé à la promesse n’empêche pas l’acquéreur de se prévaloir de la condition suspensive, car il est évident qu’il n’a aucune chance d’obtenir un crédit pour un montant supérieur (Cass. civ. 3, 11 septembre 2012, n° 11-20.213, F-D N° Lexbase : A7480IST). Plus encore, la jurisprudence admet la possibilité pour l’acquéreur de renoncer au bénéfice de la condition suspensive, et proposer d’acquérir finalement sans prêt (Cass. civ. 1, 17 mars 1998, n° 96-13.972, publié au bulletin N° Lexbase : A2249ACB : Defrénois 1998, art. 36815-75, p. 749, note J.-L. Aubert). S’il est possible de renoncer à la totalité du crédit envisagé, il est logique de pouvoir aussi le demander à un montant moindre.
Ce que sanctionne la jurisprudence, c’est seulement l’hypothèse inverse : l’acquéreur ne peut invoquer le bénéfice de la condition suspensive lorsqu’il sollicite un crédit pour un montant supérieur à celui prévu à la promesse (Cass. civ. 3, 16 janv. 2013, n° 11-26.557).
II. Impossibilité du vendeur de se dédire de ce seul fait
Le fait que la condition suspensive de prêt est accomplie sans faute de l’acquéreur ne règle pas tout le problème de l’espèce. En effet, à la lecture rétrospective des faits, il semble évident que l’acquéreur ne disposait pas de la totalité des fonds dans le délai imparti lors de la dernière sommation du vendeur. Et c’est bien là le problème d’un financement bancaire moindre que le montant prévu dans la promesse : l’acquéreur dispose-t-il bien de la totalité du prix et des frais pour s’acquitter de ses obligations ?
Une part de l’argumentation du vendeur semble reposer sur l’idée que la condition suspensive avait défailli dès le 4 janvier 2017, date butoir de la promesse pour la réalisation de la condition suspensive. L’espèce est en effet concernée par la nouvelle rédaction de l’article 1304-4 du Code civil (N° Lexbase : L1988LKT), qui dispose qu’une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n'est pas accomplie (modifié par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, mais entré en vigueur au 1er octobre 2016, en raison de sa nature interprétative). Texte dont on déduit que la défaillance de la condition, situation objective, devrait pouvoir être invoquée par l’une ou l’autre des deux parties [3].
En l’espèce, le contrat stipulait, comme souvent dans la pratique notariale : « […] la réception de cette offre devra intervenir au plus tard le 4 janvier 2017. L’obtention ou la non-obtention du prêt devra être notifiée par l’acquéreur au vendeur par lettre recommandée avec avis de réception adressée dans les trois jours suivants l’expiration du délai ci-dessus. A défaut de réception de cette lettre dans le délai fixé, le vendeur aura la faculté de mettre l’acquéreur en demeure de lui justifier sous huitaine de la réalisation ou la défaillance de cette condition. Cette demande devra être faite par lettre recommandée avec avis de réception au domicile ci-après élu. Passé ce délai de huit jours sans que l’acquéreur ait apporté les justificatifs, la condition sera censée défaillie et les présentes seront donc caduques de plein droit, sans autre formalité, et ainsi le vendeur retrouvera son entière liberté […] ».
Sur le fondement de cette clause, le vendeur avait bien sommé son acquéreur de lui fournir la justification de l’obtention de son prêt. Et c’est dans le délai de huit jours, ouvert par la sommation de délivrer l’information, que l’acquéreur a finalement obtenu l’offre de prêt prévue. Ce dont le vendeur déduit logiquement que, à la date du 4 janvier, prévue par la promesse, la condition n’était pas réalisée. Le délai supplémentaire, ouvert par la sommation, n’est que pour protéger le vendeur face à l’incurie de l’acquéreur, qui s’abstiendrait de transmettre l’information utile. A la lettre, il ne s’agit pas d’une clause de prorogation de la date de réalisation de la condition suspensive, au-delà de sa fixation initiale, à la fin du nouveau délai ouvert par la sommation.
Seulement, la Cour de cassation maintient ici, implicitement, la solution qu’elle avait dégagée antérieurement : lorsque la condition a été stipulée dans l'intérêt exclusif d'une partie, seule cette dernière peut se prévaloir de la défaillance (Cass. civ. 3, 16 décembre 2003, n° 02-16.327, F-D N° Lexbase : A4942DAB), spécialement dans le cas de la condition suspensive légale d’obtention d’un crédit immobilier (Cass. civ. 3, 8 juillet 2014, n° 13-17.386, F-D N° Lexbase : A4311MU9 : JCP N 2015, n° 14, 1112, obs. M. Mekki). En d’autres termes, seul l’acquéreur, et non le vendeur, peut invoquer la caducité de la promesse au motif de la non-obtention du crédit à la date prévue dans la promesse (Cass. civ. 3, 17 novembre 2009, n° 08-20.727, F-D N° Lexbase : A7523ENX). Le vendeur ne peut arguer de cette défaillance qu’une fois la « date butoir » de la promesse dépassée (Cass. civ. 3, 28 avril 2011, n° 10-15.630, FS-D N° Lexbase : A5444HPC). Or, au jour de cette date-butoir, le 4 février, l’acquéreur avait bien un prêt, réalisant la condition suspensive.
Si l’espèce avait concerné une promesse unilatérale de vente dont l’option n’est levée que par le versement du prix et des frais, le vendeur aurait pu reprendre sa liberté contractuelle, sans formalité, au 4 février. Mais il s’agissait d’une promesse synallagmatique de vente. Aussi, la date avant laquelle la réitération devait intervenir n'est pas extinctive mais constitutive du point de départ à partir duquel l'une des parties peut obliger l'autre à s'exécuter (Cass. civ. 3, 15 janvier 2014, n° 12-28.362, FS-D N° Lexbase : A7821KTT).
Toute la question est alors de savoir la portée du courrier du vendeur, adressé aux acquéreurs le 7 février, invoquant le dépassement de la date-butoir depuis le 4 du même mois. Le vendeur s’est-il valablement libéré de son engagement à la suite d’une sommation invoquant le dépassement du terme ? ou bien l’acquéreur était-il encore dans le délai pour tenir son engagement, et exiger la vente ? Ce point n’est pas tranché par l’arrêt de cassation. Il relèvera des juges de renvoi. Et, sans posséder le détail des stipulations du contrat sur ce point, il est bien délicat de faire quelque supputation que ce soit.
« Quels impacts dans ma pratique ? » : la rédaction notariale traditionnelle de la condition suspensive de prêt apparaît désormais inadaptée, en partie. Au regard du présent arrêt, la stipulation du montant peut continuer de s’écrire classiquement sous la forme : « montant maximum ». En revanche, au regard de la jurisprudence d’ensemble dans laquelle s’enchâsse cet arrêt, il conviendrait de stipuler un encadrement du taux et de la durée entre un minimum et un maximum. Le reste étant inchangé. |
[1] H. Kenfack, Précisions sur la protection de l'acquéreur immobilier qui recourt à un prêt pour financer l'acquisition de son logement, JCP N 2008, n° 12, 1148. – E. Burdin, Des vices et vertus des clauses relatives à la condition suspensive d'obtention d'un prêt en matière de crédit immobilier, LPA 12 févr. 2010, n° 31, p. 4.
[2] L. Leveneur, Condition suspensive et caractéristiques du prêt devant être demandé : taux maximum ou minimum ?, JCP N 2020, 1074.
[3] M. Mekki, Renonciation à la condition suspensive défaillante. Quand les petits arrêts font les grands principes, JCP N 2018, n° 47, 1345. - J. Piédelièvre et St. Piédelièvre, Les promesses de vente et d'achat immobilières, Defrénois 2018, n° 293, p. 240
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