Le Quotidien du 1 février 2021 : Procédure pénale

[Brèves] Prolongation de plein droit des détentions provisoires dans un contexte d’urgence sanitaire : censure constitutionnelle

Réf. : Cons. const., décision n° 2020-878/979 QPC du 29 janvier 2021 (N° Lexbase : A85134DN)

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par Adélaïde Léon

le 24 Février 2021

► Les dispositions de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5740LWI) prolongeant de plein droit les détentions provisoires durant la première période de l’état d’urgence sanitaire sont contraires à la Constitution ; l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infraction, poursuivi par les dispositions litigieuses, n’est pas de nature à justifier que l’appréciation de la nécessité du maintien en détention soit soustraite au contrôle systématique du juge judiciaire durant de tels délais.

Rappel de la procédure. Le 4 novembre 2020, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation (Cass. crim., 3 novembre 2020, n° 20-83.189, FS-D N° Lexbase : A925933C et n° 20-83.457, F-D N° Lexbase : A923833K) de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité, aux droits et libertés garantis par la Constitution, de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Dispositions litigieuses. L’article 16 mis en cause prévoyait le prolongement de plein droit de détentions provisoires au cours et à l’issue de l’instruction durant la première période d’état d’urgence sanitaire.

La durée de prolongation variait selon la peine encourue : deux mois lorsque la peine encourue était inférieure ou égale à cinq ans, trois mois dans les autres cas et six mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle, pour l’audiencement des affaires devant la cour d’appel.

Conformément à l’article 15 de la même ordonnance, ces dispositions devaient s’appliquer aux détentions provisoires en cours ou débutant entre le 26 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire. Ce champ d’application a été réduit par l’article 16-1 de l’ordonnance du 25 mars 2020, introduit par la loi n° 2020-546, du 11 mai 2020 (N° Lexbase : L8351LW9), lequel a exclu l’application des dispositions litigieuses pour les détentions provisoires venant à expiration à compter du 11 mai 2020.

Portée de la QPC. Selon les requérants, l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 méconnaissait l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM), relatif à l’interdiction des détentions arbitraires, au motif qu’il aurait permis la prolongation de détentions provisoires arrivant à expirant au cours de l’état d’urgence sanitaire sans l’intervention d’un juge alors qu’une telle mesure n’était ni nécessaire, ni proportionnée à l’objectif poursuivi de protection de la santé publique. Les requérants dénonçaient également une atteinte aux droits de la défense, à un recours juridictionnel effectif et à la sûreté.

Décision. Le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303, du 25 mars 2020, portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Le Conseil évoque, en premier lieu, le cadre constitutionnel de cette QPC. Il rappelle que la liberté individuelle ne doit pas être entravée par une rigueur non nécessaire et que les atteintes qui sont portées à son exercice doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis. S’agissant du rôle du juge, le Conseil ajoute que cette liberté ne peut être « tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».

Le Conseil évalue ensuite le champ d’application des dispositions litigieuses. Les Sages soulignent qu’à la suite de l’introduction de l’article 16-1 dans l’ordonnance du 25 mars 2020, les dispositions contestées se sont appliquées aux seules détentions provisoires dont les titres devaient expirer entre le 26 mars et le 11 mai 2020. Ils relèvent également que les détentions prolongées pour une durée de six mois en application de l’article 16 contesté devaient, dans un délai de trois mois à compter de la prolongation, être confirmées par une décision du juge des libertés et de la détention (JLD).

S’agissant de l’objectif poursuivi par les dispositions litigieuses, le Conseil constitutionnel rappelle que celles-ci avaient pour vocation d’éviter que les difficultés de fonctionnement de la justice, induites par l’état d’urgence sanitaire, conduisent à la libération de personnes placées en détention provisoire avant la fin de l’instruction ou la tenue de l’audience de jugement. La Haute autorité confirme que ces dispositions poursuivaient un objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infraction.

Opérant en dernier lieu leur contrôle, les Sages soulignent que les dispositions en cause avaient vocation à maintenir en détention toutes personnes dont la détention provisoire devait s’achever et à prolonger ces mesures pour des durées de deux à six mois, selon les peines encourues et la nature de l’infraction poursuivie. Si le Conseil relève que les dispositions prévoyaient la possibilité pour la juridiction compétente d’ordonner à tout moment une mise en liberté, d’office ou sur demande de l’intéressé, il ne manque pas de souligner qu’aucune intervention systématique du juge judiciaire n’est prévue à l’exception des seules détentions provisoires prolongées pour une durée de six mois lesquelles devaient être examinées par le juge judiciaire dans un délai de trois mois après ladite prolongation.

Ces dispositions conduisaient donc à soustraire du contrôle systématique du juge judiciaire l’appréciation de la nécessité du maintien en détention durant d’importants délais et ce alors que l’intervention de ce magistrat pouvait faire l’objet d’aménagements procéduraux. Pour le Conseil, l’objectif poursuivi par les dispositions litigieuses n’était pas de nature à justifier que l’appréciation de la nécessité du maintien en détention soit soustraite au contrôle systématique du juge judiciaire durant de tels délais.

Jugeant que la remise en cause des mesures prises sur le fondement des dispositions litigieuses méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infraction et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel restreint les effets de sa déclaration d’inconstitutionnalité en décidant que ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette décision.

Pour aller plus loin : N. Catelan, ÉTUDE : Les mesures de contrainte au cours de l’instruction : contrôle judiciaire, assignation à résidence et détention provisoire, La durée de la détention provisoire, in Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E4789Z9A).

 

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