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N2250BTI
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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var
le 08 Juin 2012
Le jugement de divorce est opposable aux tiers, en ce qui concerne les biens des époux, à partir du jour où les formalités de mention en marge, prescrites par les règles de l'état civil, ont été accomplies. Le défaut de publicité foncière des actes déclaratifs portant sur des immeubles n'a pas pour sanction leur inopposabilité aux tiers. Telle fut la solution adoptée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 avril 2012. Si elle peut se comprendre, cette position peut aussi être critiquée.
En avril 2004, un époux a effectué une déclaration d'insaisissabilité, laquelle a été publiée, à propos d'une maison d'habitation dépendant de la communauté qu'il formait avec son épouse. En mai suivant, l'époux a été condamné à payer à sa banque une certaine somme, en exécution de contrats de prêts, souscrits en 1989, et d'une convention de compte courant dont le solde a été arrêté en avril 1996, pour lesquels il avait accordé une garantie de passif en avril 2000. En février 2007, le couple a divorcé par requête conjointe et l'immeuble a été attribué au mari. En mars suivant, la banque a assigné les deux membres du couple en liquidation et partage de ce bien.
Pour ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'immeuble et sa licitation, la cour d'appel a retenu que l'état liquidatif homologué par le jugement de divorce n'était opposable aux tiers qu'une fois effectuées les formalités de publicité foncière et, l'acte de partage invoqué par l'époux n'ayant jamais été publié, celui-ci n'était pas opposable à la banque.
En avril 2012, la Cour de cassation a cassé cet arrêt, en visant l'article 262 du Code civil (N° Lexbase : L2643ABI) et les articles 28 (N° Lexbase : L4343A4M) et 30 (N° Lexbase : L2085ATE) du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière. Selon le premier de ces textes, "Le jugement de divorce est opposable aux tiers, en ce qui concerne les biens des époux, à partir du jour où les formalités de mention en marge prescrites par les règles de l'état civil ont été accomplies". Les articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière disposent, quant à eux :
- "Sont obligatoirement publiés au bureau des hypothèques de la situation des immeubles :
1° Tous actes, même assortis d'une condition suspensive, et toutes décisions judiciaires, portant ou constatant entre vifs :
a) Mutation ou constitution de droits réels immobiliers autres que les privilèges et hypothèques, qui sont conservés suivant les modalités prévues au Code civil ; [...]" (art. 28)
- "1. Les actes et décisions judiciaires soumis à publicité par application du 1° de l'article 28 sont, s'ils n'ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés, ou ont fait inscrire des privilèges ou des hypothèques. Ils sont également inopposables, s'ils ont été publiés, lorsque les actes, décisions, privilèges ou hypothèques, invoqués par ces tiers, ont été antérieurement publiés. [...]" (art. 30).
Pour la Haute juridiction, il résulte de ces deux derniers textes que le défaut de publicité des actes déclaratifs portant sur des immeubles n'a pas pour sanction leur inopposabilité aux tiers. Les formalités de mention en marge prescrites par les règles de l'état civil ayant été accomplies, la convention, et donc l'attribution de l'immeuble au mari, était par conséquent opposable à la banque. L'absence de publicité foncière importait peu.
Cette solution constitue un compromis, tant en théorie qu'en pratique, et peut être critiquée.
En théorie, cette solution trouve en effet un compromis entre les règles du Code civil et celle de la publicité foncière.
D'un côté, les articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955, parfaitement en vigueur, soumettent certains actes à publicité, à peine d'inopposabilité. La Cour de cassation aurait pu admettre leur application, et la solution inverse, en visant l'article 262 du Code civil et, par exemple, la règle specialia generalibus derogant.
D'un autre côté, l'article 262 du Code civil contient des termes généraux et ne distinguent pas selon le type de meubles. Conclure que l'opposabilité aux tiers suppose une publicité selon les règles de l'état civil et, lorsqu'il s'agit d'immeubles, une publicité foncière, reviendrait à atténuer considérablement la porter de ce texte. De plus, d'un point de vue "grammatical", le décret de 1955 vise "seulement" les tiers "qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés, ou ont fait inscrire des privilèges ou des hypothèques".
En pratique, aussi, cette solution constitue un compromis.
D'un côté, considérer que les tiers sont censés être informés par la seule publicité à l'état civil, alors qu'il existe en matière d'immeuble une publicité spécifique, est favorable au débiteur et sévère pour le créancier. Quel est l'intérêt de la publicité foncière, pour les tiers, si son absence n'a pas d'incidence sur l'opposabilité d'une convention à leur égard ? La publicité à l'état civil permet seulement d'apprendre qu'une personne est divorcé. Pour savoir ce qu'elle a obtenu lors du partage, il faut s'en remettre à la publicité foncière.
D'un autre côté, et c'est en cela que la décision peut être vue comme un compromis, la publicité du jugement du divorce, qu'il s'agisse de la publicité foncière ou de la publicité à l'état civil d'ailleurs, ne relève pas du ressort des époux. S'il est évidemment sévère d'avoir "sanctionné" la banque pour ne pas avoir été assez méfiante, et s'être contenté des informations obtenues auprès des services des hypothèques, au lieu d'avoir demandé à l'époux copie du jugement de divorce, il aurait été difficile de reprocher au couple une faute, le défaut de publicité, qu'il n'avait pas commise.
Une convention prévoyant que l'époux s'engage à verser à l'épouse une prestation compensatoire, sous forme de rente mensuelle, "toute sa vie durant", vise la vie de l'époux débiteur et non celle de l'épouse créancière. Telle fut la solution adoptée dans une affaire soumise à la Cour de cassation, le 11 mai 2012. Cela mérite d'être souligné car la question n'est pas rare, en pratique, et les juges auraient pu adopter la solution opposée.
En 1984, un couple a divorcé sur requête conjointe. Leur convention prévoyait que l'époux s'engageait à verser à l'épouse "une prestation compensatoire, sous forme de rente mensuelle de 6 000 francs (six mille francs), toute sa vie durant" (soit environ 915 euros). En 1998, l'ex-époux est décédé en laissant pour lui succéder les enfants de son premier lit, sa seconde épouse et les enfants née de cette seconde union. En 2006, l'ex-épouse a fait assigner les héritiers de son ex-époux... afin qu'ils fussent condamnés solidairement au paiement d'une somme de 152 922, 84 euros au titre de la prestation compensatoire fixée par la convention de divorce
La cour d'appel a refusé de faire droit cette demande, estimant que la prestation compensatoire avait pris fin au décès du débiteur, en 1998.
Devant la Cour de cassation, l'épouse avançait deux arguments. D'une part, elle estimait que le juge ne pouvait méconnaître les termes clairs et précis des stipulations d'une convention de divorce. Or, en énonçant que l'époux s'engageait à verser à l'épouse une prestation compensatoire sous forme de rente mensuelle de 6 000 francs (six mille francs), toute sa vie durant, la convention visait clairement et précisément la vie de l'épouse, la créancière, et non celle de l'époux, le débiteur. Par conséquent, en concluant, au contraire, que les époux avaient convenu que l'obligation du mari devait s'éteindre à son décès, la cour d'appel avait dénaturé cette clause et violé l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). D'autre part, l'épouse avançait qu'il résultait des dispositions de l'article 276-1 du Code civil (N° Lexbase : L2670ABI) (dans sa version en vigueur jusqu'au 1er juillet 2000) applicables à la convention de divorce, que la rente était attribuée pour une durée égale ou inférieure à la vie de l'époux créancier. En conséquence, en déclarant le contraire, la cour d'appel avait violé par refus d'application cette disposition.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle a estimé que c'était par une interprétation nécessaire et exclusive de dénaturation des stipulations de la convention que la cour d'appel avait estimé que les époux avaient entendu limiter la durée du versement de la rente à celle de la vie du débiteur.
Avant la réforme de 2004 (loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 N° Lexbase : L2150DYB), les époux devaient, lorsqu'ils divorçaient par consentement mutuel, fixer le montant et les modalités (en capital, rente ou mixte, pour un certain nombre d'années, jusqu'à un événement précis, à vie...) de leur prestation compensatoire. Leur convention était homologuée par le juge qui contrôlait le respect des intérêts de chacun. Les conjoints pouvaient prévoir une clause autorisant la révision par le juge, en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de chacun. Ils pouvaient aussi introduire une clause dérogeant au principe de la transmissibilité de la prestation aux héritiers du débiteur. Lors la réforme du 26 mai 2004, ces dispositions ont été maintenues pour les divorces par consentement mutuel et étendues, lorsque les époux s'entendent sur ce point, aux autres cas de divorce. La question de l'interprétation des termes litigieux d'une clause de la convention est donc importante, que celle-ci ait été conclue avant ou après le 1er janvier 2005, date d'entrée en vigueur de la réforme.
Dans un tel cas, les magistrats ont recours au droit des contrats, et notamment aux articles 1156 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1258AB9), relatifs à l'interprétation des conventions.
D'abord, selon le premier de ces textes, "On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes". En l'espèce, en plus, le sens littéral des termes prêtait à confusion. Dans la phrase "l'époux s'engage à verser à l'épouse une prestation compensatoire sous forme de rente mensuelle de 6 000 francs (six mille francs), toute sa vie durant", le complément circonstanciel "toute sa vie durant" peut être rapproché du sujet "l'époux" ou du complément d'objet "l'épouse". Les magistrats ont donc, effectivement, dû rechercher quelle avait été la commune intention des parties.
Ensuite, selon l'article 1158 du Code civil (N° Lexbase : L1260ABB), "Les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat". Les magistrats ont pu retenir, en l'espèce, le fait que l'époux avait, au moment du divorce, des enfants de deux lits différents et vivait maritalement, depuis plusieurs années, avec celle qui est devenu sa seconde épouse.
Enfin, les juges se sont probablement fondés, aussi, sur l'article 1159 du Code civil (N° Lexbase : L1261ABC) selon lequel "Ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est d'usage dans le pays où le contrat est passé". En effet, avant la réforme de 2004, l'ancien article 276-2 du Code civil (N° Lexbase : L2671ABK) prévoyait que, au décès du débiteur de la prestation compensatoire, la charge de la rente viagère (ou du solde du capital) était transmise à ses héritiers. Les enfants d'un vieil homme, défunt, pouvaient être tenus de payer, sur leurs deniers propres, la prestation compensatoire de la seconde épouse de leur père, parfois plus jeune qu'eux ! Or, depuis le 1er janvier 2005, lorsque la prestation compensatoire est fixée par le juge, c'est-à-dire dans un divorce autre que par consentement mutuel et à défaut de convention des époux sur ce point, l'article 280 du Code civil (N° Lexbase : L2849DZK) prévoit que, à la mort de l'époux débiteur, le paiement de la prestation compensatoire, quelle que soit sa forme, est prélevé sur la succession. Ce paiement est supporté par tous les héritiers, qui n'y sont pas tenus personnellement, dans la limite de l'actif successoral et, en cas d'insuffisance, par tous les légataires particuliers, proportionnellement à leur émolument. Il s'agit d'un des principaux changements de la réforme du 26 mai 2004. C'est probablement à la lumière de ce texte, qui certes n'était pas applicable lors de la signature de la convention en 1984, que les magistrats ont interprété la clause litigieuse. Il en ressort ainsi une certaine cohérence dans la matière, ce qui doit être approuvée. S'ils entendent déroger aux principes de la limitation de la transmissibilité de la prestation compensatoire à l'actif successoral, les époux doivent l'exprimer clairement.
Dans l'affaire commentée, les enfants du premier lit et, surtout, la seconde épouse et les enfants nés de cette seconde union n'auront pas à payer la somme de 152 922, 84 euros et, plus généralement, une prestation compensatoire de 6 000 francs par mois (environ 900 euros) à l'ex-épouse qui l'avait déjà reçue pendant 14 ans et avait attendu 8 ans, après le décès du débiteur, pour la réclamer aux héritiers !
De manière générale, cette affaire démontre que, même consentie par les époux et homologuée par le juge, une convention peut être source de contentieux... 28 ans après sa conclusion. Cela apporte de l'eau au moulin de ceux qui pensent qu'il est prudent que le divorce, même par consentement mutuel, ne soit pas "déjudiciarisé".
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