La lettre juridique n°488 du 7 juin 2012 : Domaine public

[Jurisprudence] Chronique de droit du domaine public - Juin 2012

Lecture: 14 min

N2222BTH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Chronique de droit du domaine public - Juin 2012. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/6402323-jurisprudence-chronique-de-droit-du-domaine-public-juin-2012
Copier

par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 06 Juin 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit du domaine public de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz, laquelle traitera de trois décisions rendues par le Conseil d'Etat. Le premier arrêt précise les conséquences de la jurisprudence "Béziers II" sur l'examen d'un référé "mesures utiles" tendant à l'expulsion d'un occupant sans titre du domaine public. Pour apprécier si la demande d'expulsion en référé se heurte à une contestation sérieuse, le juge des référés doit estimer les chances de succès du recours contestant la validité de la résiliation de la convention d'occupation du domaine public. Tel n'est pas le cas si ce recours n'a pas été exercé dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le cocontractant a été informé de la mesure de résiliation (CE 3° et 8° s-s-r., 11 avril 2012, n° 355356, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le deuxième arrêt concerne la situation du concessionnaire habilité à délivrer des autorisations d'occupation du domaine public. Le concessionnaire peut arrêter le montant des redevances même si aucune décision ne l'y autorise. Il n'en irait autrement que dans l'hypothèse où une stipulation contractuelle réserverait au concédant la détermination de ce montant (CE 3° et 8° s-s-r., 7 mai 2012, n° 343697, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le troisième et dernier arrêt commenté est relatif à la question de l'appartenance d'un bien au domaine public. Des logements de gendarme sont, ainsi, déclarés faisant partie du domaine public sans qu'ils reçoivent l'aménagement spécial requis. C'est un critère de rattachement matériel qui est retenu, critère jurisprudentiel antérieur à l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques, eu égard au fait que l'appartenance du bien au domaine public s'apprécie à la date à laquelle le rattachement pose question (CE 3° et 8° s-s-r., 7 mai 2012, n° 342107, publié au recueil Lebon).
  • Appréciation des chances de succès d'une demande d'expulsion du domaine public en référé (CE 3° et 8° s-s-r., 11 avril 2012, n° 355356, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6185IIW)

Depuis une dizaine d'années, le droit des contrats administratifs a vu considérablement se moderniser la conception même qu'a le juge des contrats de son office et de ses pouvoirs. A la faveur de ce mouvement de rénovation, les pouvoirs des différents juges ayant à connaître du contrat se sont à la fois diversifiés et raffinés. Abandonnant une jurisprudence aussi ancienne que contestée, la Section du contentieux du Conseil d'Etat a, notamment, ouvert aux cocontractants de l'administration la possibilité, en cas de résiliation unilatérale du contrat, de demander au juge, et en urgence au juge des référés, d'ordonner la reprise des relations contractuelles. C'est la décision que nous appellerons par commodité "Béziers II" (1). La décision d'espèce s'inscrit dans ce mouvement et vient préciser les conséquences de cette jurisprudence "Béziers II" sur l'examen d'un référé "mesures utiles" tendant à l'expulsion d'un occupant sans titre du domaine public.

La société requérante a signé avec la chambre de commerce et d'industrie de Clermont-Ferrand une convention d'occupation du domaine public en vue de l'exploitation d'un bar hôtel restaurant dans une zone aéroportuaire. Constatant divers manquements à ses obligations contractuelles, mais aussi aux règles d'hygiène et de sécurité applicables aux établissements recevant du public, la société d'exploitation de l'aéroport, à laquelle avait été déléguée entre-temps l'exploitation de l'aéroport, a mis fin unilatéralement à la convention et a donc demandé à la société requérante de bien vouloir quitter les lieux. Cette dernière ayant refusé, la société d'exploitation a saisi le tribunal administratif d'un référé conservatoire ou référé "mesures utiles" en application de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU), et a demandé à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à l'occupant de quitter le domaine public. Le juge des référés a fait droit à la demande et la société requérante s'est alors pourvue en cassation et demandé à ce qu'il soit prononcé un sursis à exécution de l'ordonnance prise par les premiers juges.

Le Conseil d'Etat confirme, sans aucune réserve, l'ordonnance attaquée et rappelle, ce faisant, les conditions de l'office du juge des référés conservatoires. Celui-ci doit statuer sur l'urgence et confirmer qu'aucune contestation sérieuse ne s'oppose à la demande qui lui est faite. Et, pour le Conseil d'Etat, il n'existe pas en l'espèce de contestation sérieuse, même si le juge de plein contentieux avait été saisi au fond d'une requête contestant précisément la validité de la résiliation contractuelle. Le juge suprême relève même que c'est à bon droit que le juge des référés a estimé que la mesure de résiliation contractuelle "constituait une mesure d'exécution du contrat et non une décision administrative au sens de l'article R. 421-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8421GQX)". En conséquence, il apparaît "que les dispositions de l'article R. 421-5 du même code (N° Lexbase : L3025ALM), qui subordonnent l'opposabilité des délais de recours ouverts à l'encontre d'une décision à la notification des voies et délais de recours, ne pouvaient être utilement invoquées". Dès lors, "la mesure de résiliation, faute d'avoir fait l'objet d'un recours dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été portée à la connaissance du cocontractant, était devenue définitive".

Le Conseil d'Etat suit en cela les modalités du recours fixées dans la décision "Béziers II" où le Rapporteur public estimait, dans ses conclusions, impossible d'assimiler la mesure de résiliation à une décision au sens des dispositions de l'article R. 421-1 du Code de justice administrative. Cette non-assimilation peut, néanmoins, faire l'objet de critiques dans la mesure où la mesure de résiliation est d'abord nécessairement regardée comme une décision pour l'application de l'article L. 521-3 du même code. Ensuite, elle constitue bien formellement une décision distincte du contrat prise unilatéralement par l'administration. Et même si on assimile la mesure de résiliation au contrat, c'est plutôt l'absence de délai qui aurait dû prévaloir. Il faut noter aussi que le Conseil d'Etat adopte une position différente lorsque le requérant est un tiers au contrat. Dans l'arrêt "Commune de Saint-Pol-sur-Ternoise" (2), le juge administratif a déclaré qu'un tiers au contrat pouvait attaquer la décision de résiliation au-delà du délai de deux mois, dès lors que les formalités de l'article R. 421-5 du Code de justice administrative n'avaient pas été respectées (il s'agissait d'un recours pour excès de pouvoir).

En l'état de l'instruction, le juge des référés procède, en l'espèce, à une sorte de pré-bilan et un certain parallélisme est forcément assuré entre le raisonnement du juge des référés et celui du juge du contrat ou, à tout le moins, dans les considérations que l'un et l'autre doivent prendre en compte. La reprise des relations contractuelles est subordonnée à la condition que celle-ci ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général et aux droits d'un éventuel cocontractant qui aurait succédé au requérant. Il est probable que, dans la grande majorité des cas, la désignation d'un nouveau cocontractant fera à elle seule échec à la tentative de reprise. Pour qualifier l'atteinte d'excessive ou non, le juge doit, notamment, tenir compte de la gravité des vices constatés. Dans ce cas, l'absence de tout motif d'intérêt général ou de toute faute du cocontractant conduira plus facilement à la reprise des relations qu'un vice de procédure bénin, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il y a clairement une faute du cocontractant. Le juge doit aussi tenir compte des motifs de la résiliation et, lorsqu'il s'agit d'une résiliation aux torts du requérant, des manquements à ses obligations contractuelles. C'est à une analyse globale que les juges sont, ainsi, invités à procéder et la reprise des relations contractuelles ne sera prononcée qu'en présence de résiliations gravement illégales.

En définitive, on peut dire que le juge du référé "mesures utiles" s'ajoute à la longue liste des juges du contrat, mais derrière toutes les figures des juges se dessine forcément un juge unique du contrat, dont l'office reste et restera de favoriser l'application du contrat dans des conditions équitables pour les parties et favorables à l'intérêt général.

  • Un concessionnaire habilité à délivrer des autorisations d'occupation du domaine public peut arrêter le montant des redevances même si aucune décision ne l'y autorise (CE 3° et 8° s-s-r., 7 mai 2012, n° 343697, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1844ILU)

Le domaine public a toujours été lié à l'intérêt général, tant dans sa définition que dans les principes guidant son occupation. Mais, devant la place essentielle que prennent les activités économiques qui s'exercent sur le domaine public, le droit domanial doit intégrer les préoccupations privées et économiques, ce qui conduit à infléchir certains principes traditionnels de l'occupation du domaine public. Les pouvoirs importants dont dispose la personne publique propriétaire sont désormais justifiés tant par l'intérêt général attaché à l'affectation et à la protection du domaine, que par la nécessité d'en assurer une gestion efficace. Si ces pouvoirs importants sont aussi contrôlés, la logique même du contrôle cependant évolue. Comme pourrait le relever Aurore Laget-Annamayer, "on passe ainsi d'une liberté d'action de l'autorité domaniale légitimée par l'intérêt général à une liberté d'action encadrée au nom d'une logique plus concurrentielle".

Le contrôle de la fixation des redevances domaniales illustre bien l'encadrement croissant des prérogatives du titulaire ou gestionnaire du domaine et cette approche davantage fondée sur cette nouvelle logique concurrentielle. Ainsi, si toute occupation privative du domaine public est subordonnée à la délivrance d'une autorisation et au paiement d'une redevance, il appartient à l'autorité chargée de la gestion du domaine public, en l'absence de dispositions contraires, de fixer les conditions de délivrance des permissions d'occupation et, à ce titre, de déterminer le tarif des redevances en tenant compte des avantages de toute nature que le permissionnaire est susceptible de retirer de l'occupation du domaine public.

Il ressort des faits de l'espèce qu'un titulaire d'une permission d'occupation du domaine public a demandé au concessionnaire chargé de la gestion du domaine public, en l'occurrence un syndicat intercommunal, le paiement d'une somme de 8 000 euros correspondant à la fois à des redevances d'occupation du domaine public indûment versées au titre des années 2000 à 2005 en application de titres de recettes exécutoires jugés litigieux et à des dommages et intérêts. La décision de rejet du président du syndicat a été annulée par le tribunal administratif de Marseille (3) qui a condamné le syndicat intercommunal à verser au concessionnaire une somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble du préjudice subi. Ce dernier résulte à la fois du préjudice matériel égal au montant des sommes par lui indûment versées et du préjudice moral subi du fait de cette faute du syndicat. Ce faisant, le tribunal administratif a subordonné la légalité des redevances en litige à la justification par le syndicat, concessionnaire de l'Etat, d'une décision l'autorisant à percevoir une telle redevance. Pour le Conseil d'Etat, saisi sur pourvoi et réglant l'affaire au fond, les premiers juges ont commis une erreur de droit. Le concessionnaire peut arrêter le montant des redevances même si aucune décision ne l'y autorise. Il n'en irait autrement que dans l'hypothèse où une stipulation contractuelle réserverait au concédant la détermination de ce montant.

Le Conseil d'Etat confirme ici, et précise quelque peu par la présente, une solution dégagée quelques années auparavant (4) où il constatait qu'un contrat de concession qui liait l'Etat à une société concessionnaire d'autoroutes autorisait explicitement celle-ci à percevoir des péages sur les autoroutes et des redevances pour installations annexes. La société a été jugée compétente pour fixer les modalités de la redevance due et en percevoir le produit, alors même que la loi prévoyait que son produit était du à la collectivité publique. En l'espèce, la société France Télécom avait été autorisée à poser des câbles de fibres optiques dans l'emprise du domaine public autoroutier et avait refusé de procéder au paiement de redevances à la société concessionnaire sur la base d'une disposition légale qui prévoyait que l'occupation du domaine public donnait lieu à versement de redevances qui étaient dues à la collectivité publique propriétaire.

Mais, au-delà de cette précision, la décision d'espèce confirme aussi l'essor de l'utilisation "économique" du domaine public, dans laquelle le gestionnaire ou propriétaire du domaine va promouvoir une véritable gestion patrimoniale lui procurant des revenus en rapport avec la valeur économique effective des biens qui le composent. A ce sujet, la redevance domaniale, considérée comme une prérogative du propriétaire, est le critère majeur de la valorisation du domaine public. L'objectif n'est pas ici seulement de maintenir le domaine en état, mais bien de le valoriser à l'occasion de la délivrance de l'autorisation d'occupation privative. La contrainte qui pèse, ainsi, sur les propriétaires publics est une réponse à certaines critiques faites, notamment par la Cour des comptes dès 1976, à l'encontre de la trop grande liberté qui leur est laissée en ce domaine et qui se traduisait le plus souvent par une dévalorisation des redevances perçues.

Mais, même si l'autorité gestionnaire dispose d'une certaine marge de manoeuvre pour déterminer le montant des redevances d'occupation du domaine public, son pouvoir n'est pas arbitraire. Néanmoins, et l'arrêt d'espèce en est encore révélateur, le contrôle du juge sur le niveau de la redevance s'est amenuisé, substituant au contrôle normal un contrôle restreint, limité "à l'erreur manifeste d'appréciation" dans la pondération des critères de calcul et la fixation du taux. Ce contrôle a, au moins, le mérite d'obliger l'administration à présenter les bases de calcul qu'elle a retenues pour établir la tarification de la redevance domaniale, et à adopter globalement une démarche stricte de valorisation du domaine public. Le juge reste, toutefois, attentif à ce que les tarifs des redevances domaniales ne présentent pas un caractère discriminatoire ou disproportionné lorsque les conditions d'occupation sont à peu près identiques.

  • Des logements de gendarmes font partie du domaine public même s'ils ne reçoivent pas l'aménagement spécial requis (CE 3° et 8° s-s-r., 7 mai 2012, n° 342107, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1836ILL)

La définition de la notion de domaine public a longtemps été à rechercher dans la jurisprudence éclairée par la doctrine. Cette situation a changé depuis l'élaboration du Code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur le 1er juillet 2006. Celui-ci introduit une définition du domaine public très proche de celle qui avait été établie par la jurisprudence et la doctrine puisqu'il reprend deux des trois critères antérieurs tout en modifiant le champ d'application du troisième et sa dénomination. Désormais, le domaine public d'une personne publique "est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affecté à un service public pourvu qu'en ce cas il fasse l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public" (C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2111-1 N° Lexbase : L4505IQW). Font, également, partie du domaine public "les biens des personnes publiques [...] qui, concourant à l'utilisation d'un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable" (C. gen. prop. pers. pub., art. L. 2111-2 N° Lexbase : L4506IQX). Le domaine public connaît une nouvelle définition qui, d'une part, remplace l'exigence d'un aménagement spécial par celle d'un aménagement indispensable et qui, en ce sens, est censée être plus restrictive et, d'autre part, restreint les conditions dans lesquelles peut jouer la théorie de l'accessoire, envisagée, désormais, d'un point de vue à la fois physique et fonctionnel, alors que les deux critères opéraient auparavant volontiers de manière alternative.

En l'espèce, c'est un ensemble immobilier de deux bâtiments abritant une gendarmerie nationale qui faisait l'objet du contentieux. Chacun des deux bâtiments a été aménagé en vue de son affectation à ce service public. Les deux bâtiments comportent, en ce sens, des éléments tels que les chambres de sûreté destinées, notamment, à la rétention et au dégrisement des personnes interpellées, un bureau d'accueil du public, deux autres bureaux et des salles d'archives. Restaient les six logements des gendarmes dont on ne peut dire qu'ils recevaient l'aménagement spécial ou indispensable requis.

Un premier bail a été conclu pour cet ensemble immobilier entre une commune et un département pour "le casernement de la brigade de gendarmerie à cheval". Un second bail a ensuite été établi sur le même immeuble entre la commune et l'Etat. La brigade territoriale a été postérieurement dissoute et l'Etat a restitué à la commune les locaux loués. Celle-ci a, enfin, cédé l'ensemble immobilier à une société en nom collectif d'aménagement aux fins de réalisation par cette dernière d'un programme de construction-vente, malgré le fait qu'aucun acte de déclassement ne soit intervenu. C'est d'abord le tribunal de grande instance de Bobigny qui a été saisi. Celui-ci a sursis à statuer dans l'instance pendante devant lui entre la société en nom collectif et la société civile professionnelle titulaire de l'office notarial qui a établi l'acte authentique de cession de l'ensemble immobilier jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur l'appartenance, ou non, au domaine public de la commune, de l'ensemble immobilier concerné. La société civile professionnelle a relevé appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déclaré que ce bien constituait une dépendance du domaine public. La cour administrative d'appel de Versailles (5) a suivi les premiers juges même si, en ne relevant pas d'office son incompétence et en statuant sur cet appel au lieu de transmettre l'affaire au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, elle a commis une erreur de droit. En ce sens, le Conseil d'Etat, saisi par pourvoi, annule l'arrêt des juges d'appel mais valide leur raisonnement en jugeant l'affaire sur le fond.

Pour le Conseil d'Etat, les logements des gendarmes ne sont pas dissociables des deux bâtiments, car situés dans les bâtiments abritant les locaux spécialement affectés. Ils font donc partie du domaine public malgré l'absence d'un aménagement spécial ou indispensable normalement requis. Peu importe le fait que ces bâtiments n'étaient plus affectés à la gendarmerie à la date de la cession et que l'acte de vente mentionnait que le bien appartenait au domaine privé de la commune. Le juge suprême retient donc ici un critère de rattachement matériel pour déterminer l'appartenance du bien au domaine public, critère jurisprudentiel antérieur à l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques.

On pourrait mentionner cet arrêt au titre de ceux, nombreux, ne faisant pas l'application des nouveaux critères définis par le législateur, mais il semble que le juge ait été plus confronté à un problème de droit transitoire dont l'application au cas des nouvelles conditions de définition du domaine public n'est pas sans soulever de difficulté. Classiquement, le juge applique la règle en vigueur au moment des faits, ce qui signifie qu'un certain nombre de contentieux nés de faits antérieurs à l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques doivent, en tout état de cause, continuer à être réglés selon les règles en vigueur antérieurement. Le juge se place donc au moment où le contentieux a été créé, soit lors de la vente du bien à la société privée en nom collectif, date à laquelle ce code n'était pas en vigueur. Le juge aurait même pu aller plus loin encore en estimant que les dispositions du code "ne pouvaient avoir pour effet de faire sortir du domaine public des biens qui en faisaient partie avant leur entrée en vigueur". Ainsi le régime ancien continuerait à s'appliquer alors même que les faits à l'origine du litige sont postérieurs à son entrée en vigueur. La radicalité de cette solution peut choquer puisqu'elle réduit l'application du nouveau code aux biens ayant fait l'objet d'une incorporation au domaine public postérieurement à cette entrée en vigueur, mais elle est admissible au point de vue du droit transitoire.

Cependant, le régime ancien étant de nature jurisprudentielle, rien n'imposait au juge de maintenir sa jurisprudence. Si une réforme vient infirmer les règles antérieurement engagées, il peut abandonner ces dernières pour consacrer une règle identique à celle figurant dans le texte nouveau et l'appliquer à des cas dans lesquels le texte n'était pas applicable ratione temporis. Une telle solution aurait été envisageable en l'espèce et permis de réduire les distorsions de régime applicable selon la date de survenance des faits à l'origine du dommage, dans le sens, qui plus est, du nouveau régime. On peut regretter, de la sorte, que, du fait de l'absence de dispositions transitoires, l'application du nouveau code soit réduite à la portion congrue mais la responsabilité en incombe ici certainement plus au législateur qu'au juge.


(1) CE, S., 21 mars 2011, n° 304806, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5712HIE).
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 30 septembre 2009, n° 326230, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5747ELG).
(3) TA Marseille, 13 juillet 2010, n° 0605863 (N° Lexbase : A2974ILQ).
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 10 juin 2010, n° 305136, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9192EY4).
(5) CAA Versailles, 2ème ch., 18 mai 2010, n° 09VE02621, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6111E44).

newsid:432222